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Marcel VIGREUX et Angélique MARIE, Les villages-martyrs de Bourgogne 1944, A.R.O.R.M., 1994, 180 p.

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Cet ouvrage est essentiellement l'oeuvre de Marcel Vigreux, qui a été professeur émérite d'histoire cotemporaine à l'université de Bourgogne et qui a été à l'origine de l'Association pour la Recherche sur l'Occupation et la Résistance en Morvan (A.R.O.R.M.) qui édite le livre. Lui-même était un spécialiste du sujet.

Le travail est néanmoins collectif : il a été réalisé avec le concours de témoins et d'acteurs de l'époque, avec des historiens, professeurs ou étudiants en histoire qui ont travaillé sur les archives ou les témoignages. Il vise à cerner ce qu'ont été les "villages-martyrs" : des groupes ruraux victimes des dégâts matériels, des emprisonnements, des déportations et fusillades de la part de l'occupant en 1944. Surtout, il dresse une typologie des villages-martyrs qui n'ont pas seulement été les victimes des actions de la Résistance. Enfin, il veut évoquer la mémoire de ces villages-martyrs, qui s'est construite -ou pas- après les événements.

 

Entre janvier et septembre 1944, on compte plus d'une trentaine d'actions violentes en Bourgogne, avec un pic en juin-juillet-août. Les attaques ne durent en général qu'une journée, rarement davantage, même si des villages sont attaqués plusieurs fois. Les effectifs utilisés varient, de 20 à 30 hommes jusqu'à plusieurs centaines, rarement plus sauf pour de grandes opérations. Les véhicules employés sont hétéroclites. Le gros de la troupe est constitué de soldats de la Wehrmacht ; on trouve parfois des SS, des unités spéciales comme les Fallschirmjäger (parachutistes), et souvent des Osttruppen, notamment celles du 654ème bataillon. Il y a presque toujours des Français au service des Allemands, et parfois les G.M.R. de Vichy. Les Allemands conduisent soit une attaque frontale, soit encerclent le village, ou bien simulent une attaque pour justifier des représailles. Ils arrêtent des habitants, souvent brutalement, les rassemblent et en exécutent souvent plusieurs. Les maisons sont souvent pillées avant d'être incendiées, avec des grenades ou l'artillerie. Après le départ, les habitants découvrent l'horreur : corps mutilés ou exécutés, destructions, etc.

Dresser un bilan matériel est impossible. Souvent néanmoins, le pillage concerne l'argent et le mobilier. Les Russes ou les miliciens sont réputés comme étant particulièrement rapaces. Le butin est amené dans les casernes de l'occupant. Environ 550 bâtiments ont été détruits avec 1 300 sinistrés et un millier de sans-abris. La Nièvre est la plus touchée, l'Yonne le moins, Saône-et-Loire et Côte-d'Or se situant entre les deux. Environ 400 personnes ont été arrêtées, dont une majorité (180) en Saône-et-Loire. Un certain nombre ont été relâchés rapidement ; d'autres sont emprisonnés ; 60 sont déportées ; 170 environ ont été fusillées (majoritairement dans la Nièvre, avec le village de Dun-les-Places en tête de liste). 3 secteurs en particulier ont été plus touchés : le Morvan, la région de Châlon-sur-Saône et la Bresse, la vallée de la Loire.

Les auteurs dressent en fait une typologie des villages-martyrs : ceux victimes des représailles contre l'action de la Résistance ; ceux victimes d'une politique de la terreur voulue par les Allemands ; ceux enfin ravagés au moment du repli des troupes allemandes et de la Libération. Le premier type regroupe environ 40% des villages-martyrs. Il y a d'abord le cas des villages où habitent des résistants où la répression se confond avec le combat lui-même : La Madeleine en Saône-et-Loire (8-9 mars), Chassigny-sous-Dun dans le même département, Couthion et Bondieuse dans la Nièvre, etc. Autre cas : la répression suivant un combat contre le maquis que l'on retrouve dans les 4 départements. C'est le cas à Vireaux dans l'Yonne (18 juin), Bey en Saône-et-Loire, Montsauche et Planchez dans la Nièvre, Manlay en Côte-d'Or (31 juillet). Il y a parfois des cas où les représailles ont lieu sans combat : Blanot en Saône-et-Loire (23 janvier), Charny dans l'Yonne, qui subissent en fait le courroux de l'occupant en raison de la présence de maquis non loin.

Le deuxième type de villages-martyrs comprend 4 exemples en Saône-et-Loire et un dans la Nièvre. A Montcoy, en Saône-et-Loire, l'opération montée par le SD engage un millier d'hommes : il s'agit de punir un village qui a soutenu les maquisards et de terroriser les habitants, dont 9 finissent en déportation. A Mary, le 10 juin 1944, l'intention est la même : cette fois ce sont 10 habitants qui sont abattus. Anost, en Saône-et-Loire, connaît 4 opérations entre mai et juillet 1944. Ce sont surtout les habitants qui sont visés, avec tortures puis exécutions. A Saint-Emiland le 12 août, le SD monte une grosse opération après des renseignements fournis par un milicien qui s'est fait passer pour un officier FFI : 30 personnes sont arrêtées. Dans la Nièvre, c'est Dun-les-Places qui est martyrisé sur décision du SD de Dijon épaulé par l'école d'aspirants de la Wehrmacht. L'opération qui s'étale entre l'après-midi du 26 juin et 12h30 le 28 juin, engage 3 000 hommes venus de 3 départements : elle aboutit à 27 exécutions, nombre le plus important en Bourgogne, justifiant le surnom "d'Oradour nivernais".

Dans le troisième type, il y a une douzaine de cas, 30% du total, et seule l'Yonne est épargnée. Il y a deux groupes : les villages victimes des dernières batailles contre les Allemands ou ceux victimes de leur retraite ultime. Le village de Comblanchien, en Côte-d'or, est le seul à ne pas entrer dans la typologie : il fait un peu partie des 3 cas. Les dernières batailles contre l'occupant débutent dans la seconde semaine d'août 1944. Le village de Crux-la-ville est victime de ces derniers combats. Le deuxième groupe est plus important avec pas moins de 10 villages dont 5 en Saône-et-Loire. Il se divise en deux catégories : les représailles après une dernière attaque contre les soldats allemands en retraite ou une attaque pour des motifs précis. Sermesse, qui comprend le plus grand nombre de maisons incendiées en Saône-et-Loire (21) est de la première catégorie, comme Simard et Saint-Yan. Germolles, Laives, Verneuil et Druy-Parigny dans la Nièvre (2 fois chacun) sont particulièrement touchés. Le bilan est lourd avec 116 bâtiments détruits et 68 tués. Comblanchien est la synthèse des 3 types : 52 maisons détruites, 23 arrestations, 12 déportations et 8 fusillés. Le village est victime de ses relations avec le maquis, la retraite fournit l'occasion de la répression qui semble néanmoins répondre à un choix volontaire.

Les auteurs soulignent le travail policier fait en amont de la répression. A chaque fois les Allemands ont eu recours à des indicateurs ou des agents infiltrés. La surveillance et la dénonciation sont monnaie courante. En Bourgogne, il y a aussi eu l'action du Service de Renseignement Allemand, des agents payés par l'occupant dont certains ont été jugés en 1946 à Dijon. Surtout, si l'armée participe à la prise de décision jusqu'aux opérations les plus importantes le Sipo/SD a eu un rôle systématique ou presque dans la répression, avec une dimension idéologique. Cela se confond avec l'action des collaborationnistes français. Le PPF de Doriot nourrit la Milice dont les noyaux de Mâcon et Châlon-sur-Saône/Autun ont pris une part importante dans la répression. Celle-ci n'est pas souvent gratuite, mais ciblée : il s'agit bien d'un terrorisme politique, entre collaborationnistes et résistants.

Le martyre des 33 villages bourguignons est d'abord vécu comme un cauchemar par les habitants. La souffrance personnelle s'exprime dans les journaux de l'époque, qui relatent la plupart des massacres. L'incompréhension cède la place à la recherche de coupables : quand il n'y a pas de délateurs réels ou supposés, on rejette la faute sur les maquisards, en oubliant un peu trop souvent le rôle de l'occupant. Des procès ont pourtant lieu dans l'après-guerre mais les peines sont rarement à la hauteur des faits reprochés. Plusieurs villages sont cependant décorés après la guerre, alors que la reconstruction débute. A la solidarité locale s'ajoute l'aide de l'Etat et celle de pays comme les Etats-Unis ou l'Argentine. La reconstruction ne commence qu'en 1949 et ne s'achève qu'une dizaine d'années plus tard ; on a installé des baraquements provisoiresen attendant.

Le souvenir s'exprime d'abord par les obsèques des victimes, puis par des récits de témoins ou de journalistes qui relaient la mémoire des événements. On inaugure ensuite des stèles ou des monuments en reprenant souvent le cérémonial de la Première Guerre mondiale. Les monuments de La Madeleine ou de Comblanchien représentent des villages à moitié écroulé ; celui de Dun-les-Places un jeune homme frappé à mort. D'autres monuments comme à Laives ressemblent plus à des pierres tombales. Les stèles sont souvent en forme d'obélisque ; on trouve parfois des croix. Dun-les-Places finit par inaugurer un mémorial en 1958. D'autres villages choisissent seulement des plaques. On nomme des rues et des places en référence aux événements de 1944. Le souvenir est très vivace dans certains villages : fortes commémorations après la guerre, atténuation dans les années 50, appel à la jeunesse dans les années 60, crainte de la remontée du fascisme dans les années 70, renouveau de la commémoration dans les années 80. Au contraire, le souvenir s'est effiloché dans certains villages ou n'a pas existé (Manlay et Saint-Emiland). Globalement la présidence de François Miterrand a néanmoins marqué un renouveau du souvenir, avec l'ouverture du musée de la Résistance dans le Morvan en 1983.

Au final, le monde rural bourguignon a été fortement marqué par l'année 1944. La présence de nombreux maquis soutenus par la population rurale explique la carte de la répression. Mais les mobiles en sont variés. Le travail est sérieux mais, pourrait-on dire, partiel : en effet, comme le montre les notes à chaque fin de chapitres et la biblographie, l'ouvrage se base surtout sur les témoins français, les anciens habitants ou résistants, et sur des travaux secondaires d'historiens ou d'étudiants, mais finalement pas sur les archives ou sources de l'occupant ou des autres forces de répression, miliciens, collaborationnistes, etc. Elles sont indiquées en bibliographie, avec les références, mais on a l'impression que priorité a été donnée à la vision civils/résistants. C'est dommage car des précisions auraient pu être apportées sur la composition des troupes, leur équipement, leurs mobiles aussi (parcours des officiers, leur idéologie ainsi que celle de la troupe, etc). De fait l'historiographie, surtout étrangère, a bien progressé sur la question de la répression allemande en France ces dernières années. Ici c'est probablement un choix que de privilégier les témoins et acteurs français, mais un choix qui ne donne qu'un résultat partiel, et sans doute perfectible.

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