Kataib
Hezbollah reste l'une des milices irakiennes chiites pro-iraniennes
les plus discrètes, malgré un engagement de plus en plus visible
après la poussée de l'Etat Islamique en Irak à partir de juin
2014. L'étude d'une vidéo1
mise en ligne début août sur les combats menés près de Baiji, au
nord de Tikrit (même s'il est impossible de déterminer précisément
la localisation de l'extrait) permet d'en savoir un peu plus sur
l'équipement et le mode opératoire du groupe.
Kataib
Hezbollah : LE groupe spécial de l'Iran en Irak
Kataib
Hezbollah est l'un des « groupes spéciaux »
formés par l'Iran dès 2006-2007 pour maintenir son influence en
Irak après le départ des Américains, et pour veiller à maintenir
son assise dans le pays2.
Ces groupes opèrent alors de manière plus discrète que d'autres
organisations politiques ou paramilitaires soutenues par l'Iran en
Irak. Très diminués par l'offensive du gouvernement irakien du
printemps 2008, les groupes spéciaux, dont l'encadrement s'est pour
bonne partie replié en Iran, se réinstalle en Irak à partir de
l'été 2009, profitant de la fin des interventions militaires
américaines dans les grandes villes. Le Premier Ministre Nouri
al-Maliki évite ensuite de mener des opérations contre les
« groupes spéciaux ».
Kataib
Hezbollah, né en 2007, est un mouvement parrainé par la force
al-Qods des Gardiens de la Révolution iraniens : c'est le
groupe spécial qui bénéficie des conseillers militaires les plus
talentueux et d'un équipement de premier ordre, lance-roquettes
antichars RPG-29, équipement électronique qui lui permet de pirater
un drone Predator américain, etc. Abou Mahdi al-Muhandis, son
chef historique, né à Bassorah, est un proche de Qassem Soleimani,
le chef de la force al-Qods. Al-Muhandis, un proscrit du parti Dawa,
a travaillé avec la force al-Qods dès les années 1980 pour
commettre des attentats au Koweït, contre la famille royale et les
ambassades française et américaine. Il rejoint le mouvement Badr en
1985, et devient l'un des commandants adjoints de l'organisation en
Irak en 2001. Jusqu'aux élections de mars 2010, il était membre du
Parlement irakien, bien que passant la plupart de son temps en Iran.
Kataib Hezbollah regroupe alors 400 combattants, une élite bien
équipée et bien entraînée.
Outre
son activité en Irak, y compris après le départ des Américains
Kataib Hezbollah participe de bonne heure à l'acheminement de
combattants pour les milices pro-régime en Syrie, reconnaissant ses
premiers « martyrs » dès le début de l'année
2013. Le groupe a probablement alimenté Liwa Abou Fadl al-Abbas, la
plus ancienne milice pro-régime composée de combattants irakiens en
Syrie, dès l'automne 2012. Kataib Hezbollah a créé son propre
mouvement de jeunesses, à l'imitation du Hezbollah libanais, les
éclaireurs de l'Imam al-Hussein, qui a été utilisé comme vivier
de combattants. Un de ses membres, Muhammad Baqr al-Bahadli, est tué
en décembre 2013 en Syrie.
Le
22 avril 2014, alors que ce qui n'est pas encore l'Etat Islamique
mais l'EIIL est à l'offensive en Irak depuis décembre 2013, Kataib
Hezbollah annonce la création de Saraya al-Dafa’ al-Sha’b (les
Brigades de Défense Populaire), un outil de mobilisation en Irak,
alors que le mouvement a déjà perdu une trentaine de tués en
Syrie3.
Ce dispositif a pour but d'épauler les unités de l'armée et de la
police irakiennes contre l'EIIL. L'annonce de cette nouvelle création
intervient six semaines avant l'appel de Nouri al-Maliki aux
volontaires pour le combat contre l'EIIL, qui vient de prendre
Mossoul et d'opérer une percée spectaculaire dans le nord de
l'Irak4.
Kataib Hezbollah a accéléré le recrutement de combattants par une
propagande intensive dès le mois d'avril 2014.
Traditionnellement
le plus « secret »
des groupes spéciaux iraniens en Irak, sur lequel peu d'informations
sont disponibles en open source, Kataib Hezbollah se fait plus
visible avec l'apparition de l'Etat Islamique et son implication de
plus en plus importante aux côtés de l'armée irakienne dans le
combat contre cette organisation.
En
septembre 2014, Kataib Hezbollah participe à la libération
d'Amerli, ville turkmène assiégée depuis le mois de juin et la
poussée de l'Etat Islamique en Irak et au Levant, aux côtés
d'autres milices chiites, avec le soutien aérien américain. Des
incidents ont lieu avec les combattants kurdes qui participent
également à l'opération, Kataib Hezbollah ayant incendié des
habitations sunnites5.
Le 19 décembre, l'Etat Islamique diffuse une vidéo où l'on peut
voir une douzaine de combattants de Kataib Hezbollah tués dans les
combats à Yathrib, dans la province de Salahuddine, après que la
17ème division de l'armée irakienne ait lancé une offensive dans
ce secteur, au sein de la ceinture « nord » de
Bagdad6.
Fin
janvier 2015, une vidéo du groupe montre un imposant convoi de
véhicules : à côté de M113, d'un MRAP, de véhicules légers
Safir iraniens, on distingue un char américain M1 Abrams
fourni à l'armée irakienne transporté sur un porte-chars7.
Le 2 mars, l'armée irakienne lance l'offensive de reconquête contre
Tikrit8 :
aux côtés de nombreuses milices chiites, Kataib Hezbollah est de la
partie9.
Au mois d'avril, Kataib Hezbollah déploie ses combattants à Ramadi,
investie par l'Etat Islamique10.
En juin, le groupe déploie un nombre important de matériels
américains dans la province d'Anbar, même si le char M1 vu en
janvier n'est peut-être pas armé par des membres du groupe. Il
s'agit peut-être d'un véhicule abandonné par l'armée irakienne et
récupéré par Kataib Hezbollah ; reste à voir si l'équipage
est bien constitué de combattants de l'organisation11.
Depuis juin, Kataib Hezbollah a mis en ligne plusieurs vidéos
montrant sa participation à l'offensive contre Baiji, localité au
nord de Tikrit, à côté d'un énorme complexe pétrolier, qui a
changé plusieurs fois de main depuis juin 2014 (prise par l'EI,
reprise temporairement en décembre par l'armée irakienne, retombée
dans les mains de l'EI, sujette à une offensive du gouvernement
depuis juin 2015)12.
Un
armement conséquent
La
vidéo postée début août sur les combats à Baiji met en scène un
matériel militaire assez varié.
Une
des premières séquences montre un Humvee
de couleur sombre, armé d'une mitrailleuse de 12,7 mm, tirer dans un
contexte de crépuscule ou d'aube. Les Humvees,
véhicules fournis par les Américains à l'armée irakienne, sont
fréquemment employés par les milices chiites pro-iraniennes en
Irak, ce qui montre d'évidentes connections entre les forces
régulières et ces unités paramilitaires (même si certains sont
des véhicules récupérés après abandon par l'armée irakienne).
En mai-juin, les précédentes vidéos de Kataib Hezbollah à Anbar
montraient des Humvees
de couleur claire avec les marquages de la 30ème brigade mécanisée,
8ème division de l'armée irakienne13.
Les Humvees
aux couleurs sombres sont plutôt à relier aux forces spéciales
irakiennes. L'armée irakienne possède plus de 10 000 de ces
véhicules, ainsi que près de 500 M1151, une version améliorée du
Humvee.
M113 avec canon bitube de 23 mm. |
M113 probablement prêté par l'armée irakienne, avec KPV de 14,5 mm. |
M113 aux couleurs de Kataib Hezbollah avec M2HB en 12,7 mm. |
Sur la ligne de front, les hommes sont bien protégés : casque, gilet pare-balles... |
Au combat : sur la vingtaine d'hommes retranchés derrière le talus, 3 tireurs PKM, 2 tireurs RPG-7. |
On
peut voir ensuite plusieurs véhicules blindés M113 alignés par
Kataib Hezbollah. L'armée irakienne compte 1 026 M113A2 modernisés
par les Etats-Unis. La vidéo du mois de mai montrait déjà le
groupe manipuler plusieurs de ces véhicules, aux marquages, encore
une fois, de la 30ème brigade mécanisée, 8ème division de l'armée
irakienne. L'un de ceux visibles sur la vidéo du mois d'août, armé
d'un tube KPV de 14,5 mm, frappé du drapeau irakien, semble
appartenir à cette unité. On en voit un autre apparaître plus tard
dans la vidéo, frappé du drapeau irakien, armé d'une mitrailleuse
M2HB de 12,7 mm. Par contre, Kataib Hezbollah semble bien posséder
des M113 en propre, frappés du drapeau du groupe et d'autres
emblèmes caractéristiques. L'un d'entre eux est armé d'une pièce
bitube ZU de 23 mm. Un autre est armé d'une mitrailleuse lourde M2HB
de 12,7 mm. Plus loin dans la vidéo, on peut voir un autre M113,
surmonté d'un mât avec drapeau, armé d'un monotube KPV de 14,5 mm.
On peut supposer que ces véhicules ont été récupérés après
avoir été abandonnés par l'armée irakienne lors de défaites face
à l'Etat Islamique ou à d'autres groupes insurgés.
Un tireur SVD Dragunov. |
Le bulldozer entre en action pour dégager la voie aux véhicules blindés. |
Derrière le M113, le véhicule blindé M1117 Guardian. |
Plus
loin dans la vidéo, on peut voir un M1117 Guardian,
un véhicule blindé conçu pour les tâches de sécurité, armé
d'une mitrailleuse lourde M2HB, d'une lance-grenades Mk 19 de 40 mm,
et d'une mitrailleuse M240H. L'Irak dispose de plus de 250 de ces
véhicules, qui sont en service au sein de la police nationale. Ici,
l'engin, de couleur sombre, est probablement un « prêt »
de la police à Kataib Hezbollah, puisque le véhicule n'est pas
recouvert des emblèmes du groupe (semble-t-il).
Vers
un peu plus de la moitié de la vidéo, on voit un M1151 Humvee
de couleur sombre, apparemment sans les marquages du groupe, là
encore probablement un « prêt »
des forces spéciales irakiennes.
On
note aussi que le groupe dispose d'un bulldozer, visible à plusieurs
reprises, qui sert à abattre des arbres ou terrasser des routes pour
les véhicules blindés.
Une Douchka de 12,7 mm en position sur un toit. |
Une escouade suit le 3ème M113 de la colonne d'attaque. |
Un Humvee prêté par les forces spéciales irakiennes ? |
Véhicules
déployés par Kataib Hezbollah | |
Qui semblent
possédés en propre | Empruntés à
l'armée ou à la police irakienne |
M113 avec bitube
ZU-23 de 23 mm = 1 M113 avec M2HB de
12,7 mm = 1 M113 (probablement
avec M2HB) = 1 M113 avec monotube
KPV de 14,5 mm = 1 | M113 avec monotube
KPV de 14,5 mm = 1 M113 avec M2HB = 1 M1117 Guardian
= 1 M1151 Humvee
= 2 |
Total = 4 | Total = 5 |
Sur
le plan des armes légères, on remarque que la plupart des
combattants de Kataib Hezbollah sont équipés d'armes soviétiques :
AK-47, mitrailleuses PKM, lance-roquettes antichars RPG-7
(relativement nombreux), au moins 2 fusils de précision SVD
Dragunov... les combattants sont très bien protégés : ils ont
quasiment tous un gilet pare-balles, la plupart ont aussi un casque.
Une mitrailleuse lourde DShK de 12,7 mm est placée sur un toit pour
couvrir l'assaut. Au milieu des escouades se préparant à monter à
l'assaut, on distingue l'une d'entre elles entièrement équipées
d'armes américaines : carabines M4 et mitrailleuses M240, ce
qui laisse supposer une concentration volontaire de ces armes pour un
groupe d'élite.
Un explosif saute juste devant le M113 au centre. |
On peut voir un fantassin embarquer par la porte arrière du M113. |
Un M113 aux couleurs de Kataib Hezbollah, avec KPV de 14,5 mm. |
L'opération
Le
premier point intéressant qui apparaît dans cette vidéo est
l'aspect logistique : on voit plusieurs combattants transporter
des bidons d'eau jusqu'à la ligne de front. Tâche ingrate mais
indispensable s'il en est.
Corvée d'eau. |
La
première séquence montre une ligne d'hommes de Kataib Hezbollah
abrités derrière un talus, le long d'une route. Au loin, on
distingue des explosions dues à de frappes aériennes ou
d'artillerie. Sur la vingtaine d'hommes disposés sur cette ligne, on
compte au moins 3 tireurs à la mitrailleuse PKM, 2 tireurs au RPG-7,
et 1 tireur Dragunov, ce qui donne une puissance de feu respectable.
Alors
que les bombardements au loin continuent, les M113 (avec mitrailleuse
de 12,7 mm et bitube de 23 mm) arrivent pour fournir un appui-feu.
Les combattants se déplacent vers la gauche, toujours à l'abri du
talus, où sont désormais plantés des arbres. Un bulldozer se porte
en avant pour en arracher quelques-uns, et permettre la progression
d'un M113 à mitrailleuse de 12,7 mm, qui ouvre un feu nourri,
soutenu par le tir non moins soutenu d'un RPG-7.
Dans
une deuxième phase, après ces échanges de tir, Kataib Hezbollah se
prépare pour l'assaut. L'effectif engagé est relativement
important : une prise de vue permet d'observer une trentaine
d'hommes. Les frappes continuent au loin, alors qu'une mitrailleuse
de 12,7 mm postée en surplomb, sur le toit d'un bâtiment, fournit
un tir de couverture. Les groupes d'assaut sont constitués,
manifestement, d'escouades de 15 à 20 hommes. L'attaque implique
probablement plus de 50 fantassins, avec un chiffre plus proche des
100. Les fantassins, avant l'attaque, se regroupent le long d'un mur
qui sert de protection.
Une escouade de fantassins entièrement équipés d'armes américaines. |
L'objectif
est une ligne de bâtiments. Une colonne de véhicules est en tête,
avec les lourds en avant, les M113, dont le premier est accompagné
de quelques fantassins. Le 3ème M113 est accompagné de toute une
escouade. Le M1117 et un Humvee
suivent, un M113 ferme la marche. Les véhicules sont pris à partie
entre la ligne de départ et les bâtiments : une explosion les
manque de peu.
Une
fois l'opposition repoussée, le combat prend un tour urbain. Les
fantassins progressent par bond de bâtiment en bâtiment. Les M113
progressent le long des bâtiments. L'un d'entre eux est manqué de
peu par une mine, un engin explosif ou une roquette. Les M113 et les
fantassins essuient des tirs nourris d'armes légères : on peut
voir les impacts des balles sur les murs ou les habitations. Pour
progresser à couvert, des fantassins remontent dans l'un des M113.
Un tir d'arme légère vient de toucher la colonne du bâtiment. |
Dans
la dernière partie de la vidéo, on peut voir plusieurs M113,
positionnés derrière un talus, ouvrir le feu sur un objectif en
avant : KPV de 14,5 mm, ZU-23 de 23 mm. On peut voir ensuite 3
M113 accompagnés chacun par quelques fantassins pousser en avant.
Les fantassins se protègent derrière les M113. La dernière
séquence montre quelques cadavres ensevelis sous les ruines des
bâtiments et des documents pris à l'Etat Islamique.
1Disponible
notamment ici : https://www.youtube.com/watch?v=_0guJ6wyyfQ
2Michael
Knights, « The Evolution of Iran’s Special Groups in Iraq »,
CTC Sentinel, novembre 2010 . Vol 3 . Issue 11-12, p.12-16.
4Phillip
Smyth, THE SHIITE JIHAD IN SYRIA AND ITS REGIONAL EFFECTS,
THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, POLICY FOCUS 138,
février 2015.