Les témoignages sud-viêtnamiens de soldats ou d'officiers, jusqu'à une date avancée après la chute de Saïgon en 1975, ont été assez rares en anglais (sans parler du français). Depuis quelques années, on constate une recrudescence, notamment dans la communauté exilée aux Etats-Unis. Dès 1998 pourtant, Kiem Do, adjoint pour les opérations du chef d'état-major de la marine sud-viêtnamienne, livrait son autobiographie, d'autant plus précieuse que la marine est une des branches les plus mal connues, en général, de cette armée.
C'est même le premier témoignage en anglais d'un officier de la marine sud-viêtnamienne, qui le 29 avril 1975 organise la fuite d'une trentaine de navires et de 30 000 personnnes avant la chute de Saïgon.
Originaire du Nord-Viêtnam, Kiem a une famille marquée par la colonisation. Son père, fils d'un pauvre enseignant, parvient à suivre un cursus occidental et devient ingénieur civil au service des Français. Son père étant malade, sa mère a la charge de la ferme ; le paternel finit, à Hanoï, par se marier à la soeur de son épouse, venue au départ pour le soigner. En 1940, l'oncle Tich, nationaliste ayant fait de la prison, rend visite à son frère, le père de Kiem, ce qui donne lieu à une discussion houleuse. Après 1942, quand les Américains commencent à bombarder Hanoï, Kiem est ramené à la campagne, à Phu Tai, par son père. En revenant à Hanoï en 1945, il peut constater les effets de la terrible famine qui ravage le pays.
Quand le Viêtminh arrive dans son village, Kiem est enthousiasmé et rejoint l'organisation de jeunesse du mouvement. Ses 3 frères s'enrôlent, dont l'un comme commandant de compagnie. En novembre 1946, Kiem rejoint le groupe d'auto-défense de son village, puis lorsque la guerre débute contre les Français, il est sélectionné pour rejoindre les troupes de district. Une jeune fille lui apprend les rudiments du métier. Devenu expert en explosifs, il fait sauter des trains, avant d'attraper la malaria. Son village est détruit par les Français. Sa mère et sa famille tentent de rejoindre leur père dans un village, par voie maritime ; l'oncle Tich meurt non loin de là, le frère de Kiem, Tri, qui servait comme commandant de compagnie, est finalement tué. Les Français emmènent finalement la famille à Hanoï, où s'est réfugié le père.
Kiem est inscrit au lycée français Albert Sarraut, un des trois établissements du genre en Indochine. Il a ainsi l'occasion de fréquenter des élèves français, et leurs familles. C'est alors qu'il passe son examen, en 1953, et qu'il est en vacances près d'Haïphong, qu'il rencontre sa future femme, Le Thi Thom. L'année suivante, il se décide pour tenter l'académie navale française, et non une carrière d'ingénieur civil comme le voulait son père. Il est sélectionné, avec 11 autres sur 50, pour être envoyé en France. Embarqué sur le Louis Pasteurà Nha Trang, Kiem débarque à Marseille, et rejoint Brest. L'entraînement est sévère, mais les Viêtnamiens finissent par gagner l'estime des Français. Kiem, à bord d'une flottille de dragueurs de mines, fait un voyage dans les pays scandinaves.
Kiem a eu l'occasion de débattre avec la soeur de Thom, une communiste, lors de voyages à Paris. En 1956, les Viêtnamiens sont renvoyés au Sud-Viêtnam, où la partition s'applique de fait avec le Nord. Débarqué par avion à Tan Son Nhut, Kiêm, enseigne, est affecté sur le Van Kiep, l'ancien chasseur de sous-marin français L'Intrépide, navire amiral de la toute jeune flotte sud-viêtnamienne. Son commandant est le Lieutenant Commander My, adjoint au chef d'état-major de la marine. Kiem participe à des opérations contre les Binh Xuyen, avec les Marines. Son ancien parrain de l'académie navale de Brest, le lieutenant Tuong, lui propose de faire défection au Nord, ce que Kiem refuse, car il part reconquérir Le, qui n'est plus très encline à le suivre après un malentendu lié à son séjour en France.
Le Van Kiep est aussi le navire VIP du président Diêm, que Kiem a l'occasion d'approcher de près à plusieurs reprises. Fin 1957, son commandant est envoyé aux Etats-Unis : Kiem prend la tête de l'HQ-537, un LCU avec une douzaine d'hommes d'équipage. L'année suivante, il commande le HQ-331, un LSI (L) avec 5 officiers et 49 hommes. En plus de Diêm, Kiem accueille parfois la redoutable Mme Nhu, la femme de Ngo Dinh Nhu, le frère de Diêm, connue pour son humeur capricieuse. En février 1958, à la mort de sa grand-mère, Le finit par épouser Kiem, et un premier enfant suit bientôt.
Avec le soutien apporté à la guérilla du Sud par le Nord à partir de 1959, les Etats-Unis renforcent leur aide militaire. La petite marine du Sud, avec 3 600 hommes, ne reçoit qu'une infime partie des conseillers militaires américains. Les relations avec les deux premiers conseillers sont tendues : ceux-ci ne se distinguent pas par leur compréhension. Bientôt, Kiem est envoyé à Monterrey, en Californie, pour une nouvelle formation à l'américaine. Les Sud-Viêtnamiens apprennent ainsi l'anglais à la télévision. Revenu au Sud-Viêtnam en 1961, Kiem est affecté comme instructeur au centre d'entraînement naval de Nha Trang, ouvert en 1952 par les Français. La classe 11 se laisse aller, par manque d'exemple donné par les officiers. Kiem restaure la discipline, à tel point que 600 candidats se présente pour la classe 12, alors qu'il est nommé commandant de l'école des cadets, et que la flotte compte plus de 5 700 hommes. C'est pendant son séjour à l'école que naît son deuxième fils.
En 1963, Kiem obtient le commandement du Van Don, un chasseur de sous-marin américain. Il s'installe avec sa famille à Saïgon, alors en proie aux émeutes bouddhistes. Lors du coup d'Etat contre Diêm, le 1er novembre 1963, Kiem maintient ses navires à quelque distance du port, investi par des troupes de l'ARVN du coup d'Etat. Il fait tirer sur un des Skyraiders qui effectue des passes sur les navires. Une fois à terre, il doit dialoguer avec le Lieutenant Commander Nguyen Van Luc, rallié à la conjuration, et qu'il connaît pour avoir tiré sur des civils -il a fait exécuter le chef de la marine. Kiem doit d'ailleurs emmener à l'île de Phu Quoc le lieutenant Tuyen, chef de la garnison navale de Saïgon. Les coups d'Etat se succèdent jusqu'à la prise de pouvoir par Ky et Thieu, au printemps 1965. Chung Tan Cang, qui avait participé au coup d'Etat contre Diêm, est chef des opérations et tente d'imposer ses hommes, liés à Thieu ; Kiem quant à lui est pour Ky, un Nordiste, et fait pression avec ses officiers pour que Cang soit démis de ses fonctions. Finalement c'est un autre partisan de Thieu, le capitaine Tran Van Phan, qui prend la suite.
Kiem commande le Dong Da II, mais constate qu'un tiers de ses hommes, à chaque escale à Saïgon, manque à l'appel, pour aider leurs familles. Il participe à l'opération Market Time, la surveillance côtière pour freiner le ravitaillement du Viêtcong de la zone démilitarisée au sud-ouest du pays. Vers la fin de 1967, il est nommé adjoint au commandant de la flotte, au quartier général de la marine à Saïgon. Ses fonctions sont loin d'être intéressantes : assister aux enterrements des marins, poursuivre ceux commettant des infractions : Kiem tente en vain de freiner le marché noir, la vente de biens américains, qui prolifère y compris dans la petite marine sud-viêtnamienne. C'est alors que le terme "conseiller militaire" est changé par les Américains en "homologue", terme que les Américains appliquent aussi aux officiers sud-viêtnamiens (counterpart). Le 30 janvier 1968, Kiem, maintenant père d'un troisième enfant, une fille, invite son conseiller, Gene Erner, pour les célébrations du Têt. Alors qu'ils sortent dans la nuit pour se rendre au temple de Le Van Thuyet, un héros de Saïgon, ils tombent sur les Viêtcongs qui investissent la capitale. Kiem se retrouve à faire le coup de feu, avant de pouvoir remonter la rivière Thi Nghe grâce à 2 LCVP envoyés par la marine. Il contribue à mettre en échec l'assaut contre le QG de la marine à Saïgon.
En février 1969, Kiem devient commandant de district dans la zone côtière 4, la plus au sud du pays, entre le Golfe de Thaïlande et la mer du Chine, près de la frontière cambodgienne. Au Têt 1970, ses hommes capturent une femme du Viêtcong. Kiem, avec l'aide de l'amiral Zumwalt, a reconquis le district de Nam Can, par la persuasion plus que par la force ; en juin 1969, une base flottante, avec 11 pontons, a été installé devant le village. En mai 1970, Kiem entre au Cambodge, à la tête de 3 PCF, et suivis par des landing ships transportant des soldats de l'ARVN. A Kampot, il est accueilli par un colonel de l'armée cambodgienne. Sur l'île de Phu Qoc, Zumwalt lu a fait construire une maison, alors qu'il a eu son quatrième enfant en 1969. Kiem sympathise avec nombre d'Américains : Bill Ackerman, un pilote d'hélicoptère, Richard Armitage, un officier du renseignement naval qui travaille avec les commandos sud-viêtnamiens, qui le surnomment "Tran Van Phu". Ackerman est abattu par missile sol-air tiré d'un sampan ; abattu, Kiem, à Can Tho, couche avec une chanteuse de cabaret. Après l'avoir avoué à sa femme, Kiem part au US Naval War College dans le Rhode Island. Revenu au Sud, suite à des luttes internes au sein de la marine, il doit passer par l'académie d'état-major à Dalat.
A l'été 1972, Kiem est nommé chef d'état-major de la Mobile Riverine Force, basée à Can Tho. La MRF a hérité de 200 navires d'assaut et 300 patrouilleurs, lesquels servent surtout à ravitailler les postes de l'armée dans le delta -tâche qui coûte 10 à 15 marins tués par semaine. La marine, faute de moyens, doit tenter de remettre à flot les navires coulés... en janvier 1973, Kiem devient père d'une autre fille ; en juin, il est nommé adjoint du chef d'état-major de la marine aux opérations, poste n°3 de la branche. La marine dispose maintenant de 42 000 hommes et 1 500 (!) navires. En janvier 1974, les Sud-Viêtnamiens découvrent que les Chinois se sont installés sur certaines des îles Paracel. Kiem participe à la contre-attaque voulue par l'amiral Chong, et le président Thieu. Les Sud-Viêtnamiens coulent deux navires chinois mais en perdent un eux-mêmes.
Les Américains coupant les fonds, l'efficacité de la marine s'en ressent. Avec l'attaque finale du nord, l'amiral Cang tente d'envoyer le maximum de navires en mars pour transporter les troupes et évacuer les réfugiés. Kiem participe à l'effort. Les chars communistes se rapprochent de Saïgon. Le 25 avril, Richard Armitage le contacte pour organiser l'évasion de la flotte sud-viêtnamienne pour ne pas qu'elle tombe aux mains de l'ennemi. Une trentaine de navires reste opérationnels. Kiem doit parer à l'affolement, et obtient d'Armitage de pouvoir embarquer des civils, mais refuse de détruire les installations du port, tâche trop complexe à effectuer avant l'arrivée des communistes, selon lui. Tant bien que mal, les navires gagnent les Philippines, où ils sont internés, avant d'être rétrocédés aux Américains après une cérémonie symbolique de changement de pavillon. Kiem part à la recherche de sa famille, qui aurait été évacuée à Guam. En juillet, Kiem retrouve sa famille sur l'île de Wake. Rapatriés aux Etats-Unis, ils commencent alors le long chemin pour s'installer : la famille atterrit bientôt à la Nouvelle-Orléans, où Kiem trouve un emploi d'enseignant.