Paris, quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un train de l'armée américaine transporte le docteur Bernhardt (Paul Lukas), ancien résistant antinazi, à une conférence où celui-ci doit défendre un accord pacifique entre les vainqueurs de la guerre. A bord du train se trouve également une Française, Lucienne (Merle Oberon),l'expert agricole américain Robert Lindley (Robert Ryan), le Français Perrot (Charles Korvin), l'enseignant britannique Sterling (Robert Coot), un Allemand, Otto Franzen alias Hans Schmidt (Peter von Franzen) et le lieutenant soviétique Kirochilov (Roman Toporow). Bernhardt tente de sympathiser avec les autres passagers, mais la plupart sont froids car il est Allemand. Peu avant un arrêt à Francfort, Bernhardt, qui s'est retiré dans son compartiment, est tué par une grenade. Arrivé à Francfort, les passagers apprennent que l'homme qui a été tué était en réalité un de ses gardes du corps, qui a payé la ruse de sa vie. Le meurtrier est donc forcément parmi les passagers restants...
Berlin Express est l'un des premiers films à être tourné en Allemagne occupée, après 1945. On peut voir notamment les intérieurs et les extérieurs de la ville de Francfort, encore en bonne partie en ruines, dont les bâtiments de la firme IG Farben et ses fameux ascenseurs dits paternoster. C'est un film atypique de Jacques Tourneur, qui plaide, alors que démarre la guerre froide, pour une entente entre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale pour reconstruire l'Europe. Le message de paix se double cependant d'un film d'espionnage à la tournure quasi documentaire, notamment dans la première moitié, avec une voix off.
La RKO se dépêche de produire le film de Jacques Tourneur, alors que les pays européens adoptent des mesures protectionnistes en vue de leur reconstruction. L'idée du scénariste, Kurt Siodmack, est excellente : les dialogues d'Harold Smeldford le sont un peu moins, et donnent des personnages un peu caricaturaux représentant les 4 puissances alliées victorieuses (le Britannique gentleman, le Soviétique martial, etc). Le personnage soviétique, d'ailleurs, incarne le changement de la posture américaine : alors que l'Armée Rouge est valorisée depuis la guerre, l'entrée dans la guerre froide modifie le postulat. Le lieutenant soviétique apparaît naïf, borné, et reçoit aussi de Ryan à la fin du film quelques phrases bien moralisatrices sur l'incapacité des Soviétiques à essayer de comprendre les Américains... néanmoins, le producteur Dore Schary, un des seuls producteurs à s'opposer au licenciement d'employés supposés "rouges" en 1947, évite au film de tomber dans l'anticommunisme. On est dans une période transitoire, en quelque sorte.
Pour le reste, le film d'espionnage de Tourneur joue sur la confusion. Certains ne sont pas ce qu'ils prétendent être, et c'est bien tout ce qui fait le mystère de l'intrigue. Là où le réalisateur pèche, c'est qu'il ne donne peut-être pas tous les détails attendus par le spectateur : on ne saura rien du groupe qui enlève Bernhardt (on devine que ce sont des néo-nazis mais on n'en a pas confirmation, on peut tout aussi bien croire qu'il s'agit de truands avec un vernis politique). La grande force du film est d'avoir été tourné dans les ruines de Francfort : la voix off insiste sur les difficultés de la population, accentue le contraste entre le centre ancien dévasté et les bâtiments d'IG Farben, préservés par les Américains et récupérés par eux... c'est la même voix off qui présente, au début du film, les personnages, chacun penché à la fenêtre du compartiment du train. Tourneur joue souvent aussi avec les effets d'ombre et de lumière (les lampes sont très présentes dans la plupart des scènes). Le casting est contrasté : au puissant Robert Ryan, à l'expérience de Lukas ou Coote s'oppose le jeu stéréotypé de Toporow et un manque de charisme, peut-être, de Merle Oberon. Le pari de Tourneur est néanmoins réussi : le message du film passe assez bien, et la scène finale a quelque chose de vraiment émouvant, surtout quand on pense à la suite.