Farid Ameur, docteur en histoire, est spécialiste de l'histoire des Etats-Unis au XIXème siècle. Rattaché à l'IRICE, il a soutenu sa thèse sur les Français dans la guerre de Sécession (2010). Auteur du Que-Sais-Je ? sur le conflit, c'est donc logiquement qu'il écrit pour la collection L'histoire en batailles la synthèse sur Gettysburg.
L'historien rappelle en prologue que Lincoln a choisi le champ de bataille de Gettysburg, le 19 novembre 1863, que lui-même trouvait raté, mais qui devient LE discours fédérateur de l'Union.
Lee, en mai 1863, après son succès (victoire à la Pyrrhus, comme le souligne Farid Ameur) à Chancelorsville, cherche désormais la bataille décisive pour venir à bout du Nord. L'historique du conflit présente la fracture entre le Nord et le Sud, aux horizons opposés. Mais c'est bien la question de l'esclavage qui met le feu aux poudres (p.22), car le problème moral devient un enjeu politique avec l'extension continue du pays vers l'ouest. Les nouveaux Etats sont disputés entre abolitonnistes et esclavagistes, le Kansas est à feu et à sang dès avant la guerre. L'élection de Lincoln, en 1860, sert de détonateur : on prête au candidat, qui représente les intérêts du Nord, l'intention d'abolir l'esclavage et d'émanciper les 3,5 millions d'esclaves du Sud, ce qui est faux. Dès le 20 décembre 1860, la Caroline du Sud est le premier Etat à faire sécession, suivie bientôt par d'autres, 11 au total. Le Nord est plus peuplé (22 millions d'habitants contre 9, dont plus de 3 millions d'esclaves au Sud, par définition non combattants, en principe), plus industrialisé, et compte bien sur ses ressources humaines et matérielles pour étouffer son rival. Mais le Sud, mieux commandé, va opposer une farouche résistance. Les combats se concentrent à l'est, entre les Appalaches et la côte atlantique, dans le nord de la Virginie, entre les deux capitales rivales. Sur le théâtre est, c'est l'impasse : aucun des deux camps n'obtient de résultat décisif, même si le Sud tient (il y a un peu répétition entre ce passage, p.24-29, et la biographie de Lee qui le précède, p.16-19). A l'ouest en revanche, Grant s'ouvre la voie du Tennessee en 1862, Farragut s'empare de la Nouvelle-Orléans. Les sudistes parviennent à conserver le contrôle du cours moyen du Mississipi, qui leur permet de communiquer avec les Etats d'au-delà du fleuve, Texas, Arkansas. Les diversions sudistes pour soulager la pression de ce côté échouent. Avec la proclamation d'émancipation de Lincoln en 1863, la guerre devient totale, d'autant qu'elle est marquée par l'industrialisation et l'évolution des tactiques militaires. Le 15 mai 1863, le président confédéré, Jefferson Davis, est loin de céder à l'optimisme : Vicksburg, clé du Mississipi, est assiégée ; le Tennessee est menacé, de même que la côte est de la Confédération. Davis se rallie à l'idée du transfert d'une partie de l'armée de Lee à l'ouest, pour débloquer la situation. Lee, lui, s'y oppose : il préfère envahir le Nord pour rechercher la bataille décisive, celle qui briserait le moral de l'armée de l'Union, autoriserait la reconnnaissance diplomatique du Sud par la France et l'Angleterre, éviterait la guerre d'usure -Richmond souffre déjà de la faim, les pertes en hommes sont difficiles à combler. Lee propose d'envahir la Pennsylvanie et de menacer Washington par le nord. Le plan ne fait pas l'unanimité mais le prestige de Lee, alors à son zénith, pousse Davis et ses ministres à l'accepter. Si Lee dispose de troupes aguerries, la mort de Jackson à Chancelorsville le force à réorganiser le commandement de son armée. Ses 3 corps, regroupant infanterie et artillerie, sont commandés respectivement par Longstreet, prudent, taciturne, à l'aise en défense ; Ewell, divisionnaire de Jackson, qui remplace ce dernier (sans avoir son génie ; gravement blessé en août 1862, il a une jambe de bois) ; Hill, commandant agressif mais à la santé précaire. L'artillerie est présente dans chaque corps d'armée, mais il y a aussi une réserve générale. La cavalerie, en revanche, est regroupée en une division, confiée au flamboyant Stuart : elle constitue les yeux et les oreilles de l'armée, chargée de la reconnaissance et de raids sur les arrières ennemis. L'armée nordiste est plus nombreuse (110 000 hommes contre 80 000) ; elle vient de créer un corps de cavalerie autonome et une réserve d'artillerie. C'est le moral qui pèche : les soldats n'ont plus confiance en Hooker, le vaincu de Chancelorsville, et les officiers généraux valsent depuis le début du conflit, sans compter la part des intrigues politiques. Et pourtant Hooker améliore cette armée : l'arrière notamment, le renforcement de l'esprit de corps aussi. Les soldats nordistes ne sont peut-être pas aussi enflammés que les confédérés, mais ils ont montré leur ténacité même dans la défaite.
Lee compte filer vers le nord, à partir du 3 juin, en laissant le corps de Hill en écran sur la Rappahanock tandis que les deux autres se mettent en marche, protégés par les montagnes Blue Ridge. La cavalerie de Stuart couvre le flanc droit. Les nordistes détectent des mouvements confédérés mais ne croient pas à l'invasion du nord. Pressé par Lincoln et ses supérieurs, Hooker envoie toutefois le corps de cavalerie de Pleasonton, avec 3 000 fantassins, pour sonder le terrain. La cavalerie nordiste surprend son homologue sudiste à Brandy Station, le 9 juin ; Stuart parvient à redresser une situation compromise, mais pour la première fois, les cavaliers de l'Union ont fait jeu égal avec les siens. Blessé dans son amour-propre, il va chercher à redorer son blason, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la suite des événements. Dès le 14 juin, l'armée sudiste a évacué ses positions autour de Fredericksburg. Hooker propose de traverser le fleuve pour marcher sur Richmond, alors que les confédérés atteignent la vallée de la Shenandoah, culbutent les forces locales de l'Union, même si la cavalerie nordiste colle à Stuart. Le 15 juin, Lincoln proclame l'état d'urgence : le Maryland et la Pennsylvanie sont en effervescence. Dès le 26 juin, toute l'infanterie confédérée est en Pennsylvanie. Mais Lee a donné des ordres trop généraux à Stuart, qui croit pouvoir jouir d'une totale liberté d'action : ce faisant, sa cavalerie ne va pas jouer son rôle traditionnel de "sonnette" pour l'armée confédérée. Il se lance dans un raid par le sud, jusqu'aux faubourgs de Washington, ne se presse pas, talonné par la cavalerie nordiste. Pendant ce temps, le corps d'Ewell déferle sur le nord de la Pennsylvanie, tandis que ceux de Longstreet et de Hill marchent de concert. Les soldats sudistes ne se privent pas de piller ce qui est pour un eux un véritable pays de cocagne, malgré les instructions de Lee. Ce dernier apprend le 28 juin par Henry Harrison, un espion de Longstreet, que l'armée nordiste remonte à marche forcée vers le nord et se trouve beaucoup plus proche de lui que ce qu'il ne croyait. Pire : Lincoln, fatigué des atermoiements de Hooker, l'a remplacé par Meade, le commandant du 5ème corps, qui a montré certaines qualités depuis le début de la guerre. Lee tente d'attirer les nordistes dans le sud de la Pennsylvanie, sur un terrain choisi, près de Cashburg. Meade veut faire exactement la même chose dans le nord du Maryland. Les avant-gardes des deux armées foncent l'une vers l'autre sans le savoir, les 29 et 30 juin. Ce dernier jour, la division de cavalerie nordiste du général Buford s'installe dans Gettysburg, carrefour routier de la région. Buford couvre l'aile gauche de l'armée du Potomac. Il détecte bientôt l'arrivée de troupes confédérées par l'ouest et par l'est, et place ses hommes au nord-ouest, pour repousser les confédérés en attendant l'arrivée des corps d'infanterie. Buford repousse des éléments de la brigade Pettigrew, division Heth, du 3ème corps de Hill, attirée dans la localité par la présence d'un stock de chaussures. Hill autorise son divisionnaire à relancer l'attaque le lendemain, ne comptant trouver que des miliciens.
La bataille commence à 7h30 le 1er juillet. Buford place ses deux brigades de cavalerie en arc de cercle à l'ouest au nord-ouest de Gettysburg, sur 3 positions naturelles fortes, Herr's Ridge, Mc Pherson's Ridge, et Seminary Ridge, où il a installé son PC dans un séminaire luthérien qui permet d'avoir une vue excellente sur les assaillants. Hill a envoyé finalement deux divisions, les deux tiers de son corps d'armée, pour impressionner ce qu'il pense être des milicens. Heth se rend vite compte qu'il a à faire à 2 brigades de cavalerie nordiste. A 10h20 cependant, le nombre produit ses effets : les cavaliers nordistes sont sur le point d'abandonner Mc Pherson's Ridge, quand arrive enfin le 1er corps de Reynolds, avec notamment la Iron Brigade. Le 1er corps permet de stabiliser la situation, même si les combats sont acharnés -la Iron Brigade reçoit le renfort de John Burns, un habitant de 69 ans qui prend son fusil à silex pour épauler les nordistes ! Lee est décontenancé par la tournure des événements, mais décide néanmoins d'engager le combat. Reynolds est tué par un tireur isolé. Le corps d'Ewell débouche au nord de Gettysburg où les nordistes alignent le 11ème corps de Howard, composé d'immigrés allemands mal vus de l'armée de l'Union. Dans l'après-midi, alors que Heth renouvelle l'attaque et pousse jusqu'à Seminary Ridge, le corps de Ewell débouche au nord : la division Early enfonce l'extrême-droite des Nordistes et provoque une retraite calamiteuse du 11ème corps, qui y laisse la moitié de ses effectifs. Les soldats nordistes combattant à l'ouest doivent se replier sur Cemetery Hill, au sud de la ville, en proie aux combats de rues. En fin d'après-midi, le général Hancock, commandant le 2ème corps nordiste, arrive sur le champ de bataille, prend le commandement, et installe les soldats de l'Union en défense de Culp's Hill à Cemetery Ridge jusqu'à Little Round Top, au sud de Gettysburg, une excellente position. Les 12ème, 3ème et 2ème corps nordistes commencent à arriver. Lee manque de troupes fraîches pour exploiter son succès : le général Ewell est épuisé, le corps de Longstreet n'arrive que dans la soirée, et son commandant n'est guère enclin à assaillir la position nordiste, qu'il juge trop forte. Lee a commis plusieurs erreurs ; surtout, aucun de ses commandants de corps ne lui donne vraiment satisfaction.
Le 2 juillet, Lee lance deux divisions de Longstreet, celles de McLaws et Hood, à l'assaut du flanc gauche de l'Union, autour de Little Round Top et Big Round Top, où il croit déceler un point faible. Or le terrain se prête mal à une manoeuvre si audacieuse : Lee fait en même attaquer sur Culp's Hill, à l'autre extrêmité du front nordiste, tablant sur une prise en tenailles. Mais Longstreet n'est toujours pas convaincu par le plan et les chefs de corps ne coordonnent pas leurs assauts. En outre, tous les corps nordistes sont arrivés, l'Union, retranchée, a l'avantage du nombre. Longstreet n'attaque qu'à partir de 16 h, face au 3ème corps de Sickles, et alors que Lee tance Stuart, tout juste revenu de son raid. Sickles, proche de Hooker, ne s'entend pas avec Meade : il prend sur lui de faire avancer ses 10 000 hommes un peu plus e avant, sur une position qu'il juge plus défendable, ce qui désorganise toute la ligne nordiste. Pendant ce temps Hood, divisionnaire de Longstreet, plaide pour un assaut par les pentes de Little Round Top et Big Round Top, mais son chef demeure inflexible. Hood est blessé durant l'assaut, particulièrement furieux. Les sudistes avancent confusément, manquent d'emporter Little Round Top, sur laquelle est expédiée en dernière minute une brigade du 5ème corps, en réserve. Le 20th Maine de Chamberlain s'y couvre de gloire en repoussant les attaques de deux régiments de l'Alabama. Les combats sont furieux : Longstreet engage une division du 3ème corps de Hill, puis attaque le centre dégarni de l'Union. Mais les nordistes tiennent bon, le 6ème corps arrivant pour renforcer les lignes. La bataille fait rage aussi jusque dans la nuit sur Culp's Hill et Cemetery Hill : Ewell ne parvient pas à briser la ligne adverse. Lee, déçu, prévoit cependant d'attaquer le lendemain au centre, avec la division Pickett de Longstreet, la seule qui est fraîche. Stuart devra attaquer les arrières nordistes et Ewell le flanc droit. Mais Meade attend précisément l'assaut ici.
Le lendemain, 3 juillet, les nordistes attaquent les premiers, reprenant les positions perdues la veille jusqu'à la fin de la matinée sur leur flanc droit, contre Ewell. Lee a perdu la première manche. Malade, il voit par ailleurs Longstreet tarder à mettre en place la division Pickett, dans une chaleur suffocante. Alexander, qui dirige l'artillerie du 1er corps, peine à rassembler ses canons. Les 170 pièces ouvrent néanmoins le feu peu après 13h. Alexander expédie 15 à 20 000 projectiles, en vain : le tir est trop long, dispersé sur toute la ligne, et ne touche que les arrières des lignes nordistes, pas les fantassins retranchés ni les artilleurs nordistes qui ont eux économisé leurs munitions pour l'assaut qu'ils savent imminent. A 14h50, Alexander informe Longstreet que le feu va faiblir. Ce dernier acquiesce donc, d'un hochement de tête, quand Pickett demande l'ordre d'attaquer. Les fantassins sudistes avancent à 15h10. Pickett ne coordonne pas bien son attaque avec les deux autres divisions de Hill qui sont engagées -12 500 hommes en tout-, et fonce seul ou presque, de son côté, vers l'objectif. La distance à parcourir est telle que les pertes sont sévères. Un commandant de brigade de Pickett est tué, un autre sérieusement blessé. Le dernier en lice, Armistead, entraîne 200 à 300 Virginiens au-delà du mur de pierre marquant les défenses nordistes, puis tombe à son tour. A 16h, l'échec est consommé : les confédérés abandonnent 6 500 hommes sur le terrain, dont les deux tiers de la division Pickett. Lee accepte son échec, l'Union n'exploite pas son avantage ; Stuart a été repoussé à l'est de Gettysburg dans un combat de cavalerie où se distingue un certain Custer. Lee décide de battre en retraite : il a perdu 28 000 hommes, un tiers de son armée, contre 23 000 aux nordistes.
Il faut franchir le Potomac rapidement, avant que la route ne soit coupée par les nordistes. Lee abandonne 7 000 blessés et relâche sur parole 2 000 prisonniers. Au nord, la nouvelle de la victoire galvanise les énergies, en pleine célébration du 4 juillet. Lee se retranche sur la rive nord du fleuve le 7 juillet, le temps de construire un pont, les nordistes ayant détruit tous les édifices. Arrivé deux jours plus tard, Meade ne se décide pas à attaquer franchement. Lee passe le fleuve dans la nuit du 13 au 14. Pour Farid Ameur, malgré l'échappée de Lee, Gettysburg marque bien le début de la fin pour la Confédération (p.176). Vicksburg tombe le 4 juillet : la Confédération est coupée en deux. En septembre, les fédéraux avancent sur Chattanooga, noeud ferroviaire reliant les Etats du Golfe à ceux de la côte atlantique. En 1864, Grant prend la tête de l'armée du Potomac : il entame une guerre d'usure contre Lee, alors même que Davis prône de plus en plus une guerre totale, où les civils sont de moins en moins épargnés. A l'ouest, Sherman entre en Géorgie, s'empare d'Atlanta en septembre, puis entame la marche vers la mer en novembre, entre dans Savannah en décembre, puis remonte vers le nord. En 1865, Sheridan dévaste la vallée de la Shenandoah ; Grant oblige Lee à sortir de ses retranchements devant Petersburg début avril. Le 9, cerné, Lee doit capituler à Appomatox. Les dernières troupes confédérées déposent les armes fin mai. La guerre de Sécession est terminée : plus de 600 000 morts, 20% de la population active du sud, une Reconstruction fragilisée par l'assassinat de Lincoln le 14 avril 1865, un Sud sous-développé qui entretient le mythe de la "cause perdue", et des Noirs émancipés mais qui n'obtiennent vraiment leurs droits civique que dans les années 1960... Les vétérans, de chaque côté, entretiennent le souvenir. Ceux de Gettysburg ne font pas exception. Un cimetière militaire est inauguré dès novembre 1863, moment où Lincoln prononce son fameux discours. Pour les 50 ans de la bataille, en 1913, 50 000 vétérans prennent part à la manifestation. Le lieu devient bientôt un symbole de la réconciliation nationale. Pour l'historien, Gettysburg est bien le paroxysme de cette deuxième naissance des Etats-Unis, la guerre de Sécession, qui précède l'avènement de la superpuissance.
En conclusion, Farid Ameur qualifie la bataille de tournant de la guerre (p.193) et souligne qu'on s'intéresse plus à l'échec de Lee qu'au succès de Meade. Une bataille devenu un mythe fondateur, mais dont l'historiographie n'est pas encore forcément apaisée...
L'ouvrage de Farid Ameur a cette qualité de bien coller au profil de la collection : la présentation de la campagne et de la bataille est claire, bien servie par les cartes, mise en contexte par rapport à l'ensemble du conflit, ce qui est une gageure en moins de 200 pages. La bibliographie, forcément ramassée vu le sujet et la place, va à l'essentiel. Surtout, Farid Ameur comble probablement un vide en français, et c'est bien là le principal mérite de son livre, par ailleurs bien écrit. Pour autant, on est un peu frustré : pour quelqu'un comme moi connaissant un peu le sujet, on n'apprend rien de neuf, et l'objectif de la collection, au final, reste trop limité à l'histoire-bataille pure et simple, sans qu'il soit possible d'aller un tantinet plus loin, malgré la qualité des intervenants, historiens chevronnés pour la plupart. Dommage.