Lesépoux Delluc, docteurs en Préhistoire, chercheurs à l'abri Pataud (Les Eyzies), sont les auteurs de nombreux livres et autres publications, et des spécialistes de l'art et de la vie des Cro-Magnons.
La vie des hommes préhistoriques a longtemps relevé du mythe, du "clochard de la nuit des temps", entretenu par le cinéma (La guerre du feu) ou la bande dessinée (Rahan). Darwin, avec sa théorie de l'évolution des espèces, avait pourtant tenté d'expliquer qu l'homme et le singe partageaient sans doute un ancêtre commun. La Préhistoire est une science qui n'apparaît qu'au XIXème siècle, elle est d'abord française. Depuis 1,8 millions d'années, nous sommes dans l'époque quaternaire, marquée par des phases de glaciation puis de réchauffement. Pour retrouver les traces des hommes de la Préhistoire (depuis environ 2,5 millions d'années), André Leroi-Gourhan a réalisé la paléo-ethnologie des structures d'habitats. La technique de stratigraphie lors des fouilles se combine avec le décapage. Sciences et techniques coopèrent : géologue, sédimentologue, anthropologue, paléo-zoologue...
L'homme est né en Afrique. Mais ce n'est pas un singe évolué. Homme et singe ont un ancêtre commun, inconnu. Les Australopithèques sont des pré-hommes. C'est un groupe disparate. L'Homo Habilis, qui apparaît il y a environ 2,5 millions d'années, est notre ancêtre direct. Il a un langage articulé, sait confectionner des outils, des habitats. C'est un opportuniste du point de vue alimentaire. L'Homo Erectus, qui apparaît au début du Quaternaire, perdure 1,5 millions d'années. Né en Afrique orientale, il se répand dans nombre de régions du monde. Les Erectus d'Europe sont des anténéandertaliens. On en trouve en France, comme à Tautavel. Ils débouchent sur le type Néandertal il y a 100 000 ans. Vers 500 000 ans, on relève les premières traces d'habitat sophistiqué. La maîtrise du feu, vers 400 000, permet aux Erectus de remonter vers le nord et des zones plus froides. Les Erectus chassent de gros animaux, pratiquent pour certains le cannibalisme. Ils utilisent des outils plus complexes comme les bifaces, et plus variés aussi.
L'évolution se fait dans deux sens. En Europe, une impasse évolutive, les Néandertaliens. En Palestine, l'ancêtre de l'homme actuel, l'Homo Sapiens. Les Néandertaliens, apparus il y a 100 000 ans, disparaissent vers 35 000. Ils s'éteignent d'abord en Europe. D'autres sont au contact des Homo Sapiens au Proche-Orient. Son nom vient d'une découverte faite près de Düsseldorf, en Allemagne, en 1856. On considère aujourd'hui le Néandertal comme une caricature d'Erectus dont il amplifie les caractéristiques. Robustes, il est omnivore et chasseur-cueilleur. Leur outillage, plus évolué, est dit "moustérien". Il a laissé une cinquantaine de sépultures. Le mystère plane encore sur sa disparition. Les tombes des Homo Sapiens, ancêtres des Cro-Magnons, sont plus anciennes que celles des Néandertaliens. Ce sont eux qui vont peupler l'Europe.
Venus en plusieurs vagues, les Homo Sapiens vont se répandre dans le reste de la planète. Ils ont un cerveau identique au nôtre, un langage structuré. Pas de portrait. On sait en revanche qu'il vit dans un climat plus froid, les eaux sont plus basses qu'aujourd'hui, la steppe prédomine (et pas la banquise...). Les Cro-Magnons sont des chasseurs-cueilleurs semi-nomades : quelques dizaines de milliers sur le territoire de la France actuelle. Hommes et femmes ont des fonctions distinctes. Les échanges existent entre les groupes, notamment matrimoniaux. Les conditions sanitaires sont précaires : les enfants meurent souvent en bas-âge, mais les Cro-Magnons sont plutôt en bonne santé, malgré des problèmes dentaires. La vie est courte : pas plus de 25 ans pour la plupart. Ils enterrent leur mort, avec probablement déjà une hiérarchie.
Les Cro-Magnons choisissent bien leur habitat, souvent orienté au sud. Les constructions ne sont pas standardisées. Parfois elles sont ornées de représentations. Le feu a un rôle matériel mais aussi social. Les spécialistes découpent l'époque des Cro-Magnons en fonction de leur production d'outils : Aurignaciens, Gravettiens, Solutréens, Magdaléniens. Ils fabriquent leurs outils avec des lames de silex, sont bien équipés pour la chasse et la pêche, notamment avec des sagaies.
Harpon, épieu, sagaies sont bien connus. L'arc apparaît également. Les hommes partent à la chasse tandis que les femmes et les enfants s'occupent de la cueillette et du ramassage. On connaît les pratiques de chasse par les dessins. Les chasseurs guettent la fin de l'été et le début de l'automne, en raison du cycle saisonnier du gibier. A la chasse, une partie de la viande est consommée sur place, l'autre est ramenée. La pêche est moins pratiquée, mais l'Homo Sapiens a bien dû maîtriser aussi la navigation pour peupler la planète. Les végétaux fournissent au moins la moitié de l'alimentation. Quand ils manquent de viande, ils concassent les os pour en extraire la graisse.
Dès 100 000, les Cro-Magnons mettent au point des sifflets, des instruments de musique basiques. Les bijoux et objets de parure sont fréquents, avec des formes variées : Vénus, phallus, ... certains objets sont décorés avec des rennes ou des poissons, motifs les plus fréquents. L'art pariétal se trouve dans les pays calcaires. Il commence vers 35 000. Les Cro-Magnons ont des lampes à suif pour s'éclairer. Les artistes exécutent au trait, avec des silex ou autres instruments, puis complètent avec des pigments de couleur. Les animaux sont un sujet central. Les humains sont bien moins représentés. Les mains négatives au pochoir, en revanche, sont fréquentes. Il y a aussi des motifs géométriques. Cet art apporte en réalité plus de questions que de réponses.
Vers 10 000, le climat se réchauffe, les chasseurs-cueilleurs deviennent producteurs, c'est l'avènement du Néolithique. L'homme est un peu différent, les animaux beaucoup plus. Les outils sont plus petits, toujours aussi différenciés. Un nouvel artisanat se développe, l'homme se sédentarise. Les haches de pierre polie apparaissent, on entasse les réserves alimentaires dans des silos. Les hommes sont enterrés en groupe.
Aujourd'hui, la fouille privilégie les grands gisements et les sauvetages. L'essentiel est de savoir conserver et de mettre en valeur les découvertes. De nombreuses questions théoriques et pratiques se posent encore. Le couple de préhistoriens plaide pour un retour au mode de vie ancien des hommes du Paléothique, devant les excès de nos sociétés modernes (!).