Pierre Grandet est un égyptologue, qui a étudié à l'université Paris-IV Sorbonne et qui a enseigné à l'université catholique de l'Ouest d'Angers. On lui doit plusieurs ouvrages dont celui-ci, paru initialement en 1993, consacré au pharaon Ramsès III. Un pharaon qui laisse sa trace dans l'histoire avec le temple de Médînet Habou, construction qui raconte sa victoire sur les Peuples de la Mer.
Peu connu, Ramsès III, qui règne de 1184 à 1153 avant notre ère, est le dernier grand phararon du Nouvel Empire et le principal de la XXème dynastie. On l'a souvent ignoré parce qu'il a voulu imiter Ramsès II, et que certains ont préféré le soi-disant original à la soi-disant copie. Est-il cependant possible de procéder à la biographie du pharaon ? Concernant Ramsès III, les sources abondent, notamment les inscriptions. Deux sortent du lot : celles du temple de Medinet Habou et surtout le papyrus Harris I du British Museum, probablement réalisé par Ramsès IV à la mort du souverain. L'Egypte de Ramsès III se divise encore entre Haute et Basse-Egypte, mais le delta a tendance à se couper entre ses parties est et ouest, tandis que le Fayoum prend de l'importance. Les pharaons sont établis à Pi-Ramsès, dans le delta. L'Egypte a alors renoncé, pour la deuxième fois, à mener le "Grand Jeu" du Proche-Orient contre l'adversaire hittite.
La paix signée par Ramsès II en 1259, après Qadesh, demeure inviolée jusqu'à sa mort en 1212. Après le règne de Mérenptah, la confusion s'installe au pouvoir avec plusieurs règnes très courts marquant la fin tumultueuse de la XIXème dynastie. C'est probablement du milieu des officiers de l'armée qu'est issu Sethnakht, fondateur de la XXème dynastie, qui ne règne que quelques années, mais rétablit l'autorité de la monarchie sur tout le pays.
Ramsès III succède à son père qui ne règne que quelques années. Il est investi à Karnak, mais il est soucieux de sa légitimité : sa titulature montre qu'il veut incarner l'idéal du souverain au long règne, du chef militaire et du roi sage et juste. C'est aussi le moment où pharaon devient le représentant sur terre d'un dieu aux multiples facettes. De ses deux épouses principales, Ramsès III a 5 fils, dont 3 lui succèderont. Le pharaon s'installe à Pi-Ramsès, capitale tournée vers le Levant et la Méditerranée, et y bâtit des constructions. Il réorganise rapidement l'administration et l'armée. En l'an 5 du règne, Ramsès III mène une démonstration de force en Nubie, pourtant l'une des plus calmes des colonies égyptiennes. L'économie de l'Egypte ancienne obéit à un mode redistributif, où le pharaon concentre les richesses puis les répartit entre les institutions. A Pi-Ramsès, le pharaon dispose de la Maison du Roi. Les services administratifs comprennent un grand intendant, chargé de l'économie du royaume, et un bureau des dépêches du seigneur du Double-Pays, pour la correspondance. Un directeur des prêtres de tous les dieux s'occupe des affaires du culte. Les deux vizirs, un pour la Haute-Egypte et l'autre pour la Basse-Egypte, sont fondus en un seul à l'an 29 du règne. Il contrôle l'administration de son territoire et veille à l'application des ordres royaux. Le Trésor royal, qui s'occupe des magasins, et le directeur du double grenier de Pharaon, qui approvisionne en grain les institutions et les mercenaires étrangers, sont des fonctionnaires de poids.
La sépulture funéraire de Ramsès III, le temple de Médînet Habou, résume également son programme politique. C'est même son premier acte politique après son avènement. Situé en face de Louqsor, c'est une copie du Ramesséum. Réalisé par Amenmosé, il ne fut érigé probablement qu'en l'an 5 du règne. C'est un "château d'éternité" et une véritable ville en soi. Achevé en l'an 12, il est décoré de scènes représentant la victoire contre les Peuples de la mer. Le pharaon affecte au complexe plus de 64 000 travailleurs sous son règne, et l'ensemble est desservi par 150 prêtres aux fonctions hiérarchisées. Une flotte de bateaux est affectée au transport des vivres pour ce sanctuaire. Deîr el-Médînéh est le village fermé des artisans chargés des travaux dans la vallée des Rois. Les fonctions dans le village reposent largement sur l'hérédité, comme ailleurs. A la fin du mois, les ouvriers sont payés en nature, en plus d'être ravitaillés par un corps spécial de l'extérieur. Ils travaillent 8 jours et ont ensuite 2 jours de repos. La tombe de Ramsès III est l'une des plus monumentales du complexe.
Les guerres menées par le pharaon, à l'inverse de ses prédécesseurs, vont surtout être défensives, en réaction contre des invasions, libyennes ou des Peuples de la mer notamment. L'armée, qui a joué un rôle considérable en Egypte depuis la XVIIIème dynastie, est cantonnée dans des garnisons-forteresses et dans des réseaux de postes fortifiés. L'armée se divise entre infanterie et charrerie, avec plusieurs divisions de 5 000 hommes. Des généraux commandent ces divisions réparties en régiments de 1 000 hommes, eux-mêmes divisés en compagnies de 200 hommes. On est moins renseigné sur la charrerie mais on suppose que 500 chars se divisaient en régiments d'une centaine d'unités et en escadrons de 20. Les attelages royaux sont à part. L'armée dispose d'états-majors assez étoffés et les garnisons ont des arsenaux et des armureries. Elle est surtout à recrutement égyptien mais comprend des contingents étrangers, notamment d'anciens prisonniers de guerre (Nubiens, Libyens, Asiatiques, Egéens...). La flotte est mal connue mais a ses bases principales à Memphis et Pi-Ramsès. Face aux Libyens, les prédécesseurs de Ramsès III ont établi un système de surveillance à l'ouest, mais les Libyens infestent le delta. En l'an 5, suite à une invasion, le pharaon écrase les envahisseurs, en tue 12 000 et en capture 4 000. Trois ans plus tard survient le choc de l'invasion des Peuples de la mer, dont certains ne sont pas inconnus des Egyptiens. L'invasion détruit l'Ougarit et fait tomber les Hittites. Les Peuples de la mer s'attaquent ensuite à l'Egypte, et sont défaits lors d'une bataille terrestre puis d'une autre bataille amphibie. La victoire est totale, mais les Peuples de la mer s'installent en Palestine, où l'Egypte ne contrôle plus que deux secteurs restreints. En l'an 11, les Libyens font une nouvelle tentative, mieux préparée, ayant acquis aussi des armes égéennes. Mais l'incursion est défaite et les Libyens abandonnent, selon les inscriptions égyptiennes, plus de 2 000 morts et autant de prisonniers, que Ramsès III s'empresse de recruter pour son armée, ce qui ne sera pas sans poser problème plus tard, les Libyens prenant de plus en plus de place sur la scène politique.
La paix retrouvée, le pharaon peut se consacrer au développement du pays. Le chef des archivistes du Trésor royal, Penpatho, réalise une grande tournée des temples en l'an 15 du règne. Cette mission entraîne un programme systématique de réorganisation et de nouvelles constructions voulues par Ramsès III. A Thèbes, où le pharaon a déjà bâti Médînet Habou, il augmente aussi la puissance temporelle de l'institution, avec 2 400 km² de terres cultivables. Le culte du domaine d'Amon est soigneusement organisé, son clergé puissant. Ramsès III fait aussi bâtir un temple-reposoir à Karnak. Le temple d'Amon est restauré et redécoré. Il laisse aussi de nombreux objets cultuels, en or massif pour beaucoup. Quelques travaux sont également réalisé à Louqsor. Ramsès III restaure aussi Héliopolis, quelque peu délaissée. Il entretient, dès l'an 9 de son règne, par des donations, les grandes fêtes de la crue du Nil. A Memphis, ville du dieu Ptah, Ramsès III restaure également, mais dans une ampleur moindre qu'à Thèbes ou Héliopolis : 3 000 travailleurs seulement, 28 km² de terres arables. On trouve également la trace de travaux tout au long de l'Egypte, dans d'autres villes moins importantes. Trois expéditions sont menées à l'étranger pour ramener des ressources pour tous ces travaux. En l'an 20, une est conduite dans le pays de Pount (littoral de la mer Rouge). Une autre va à Timna pour y chercher du cuivre. Une autre gagne le Sinaï.
La fin du règne de Ramsès III est marqué par deux événements qui illustrent une réalité loin de l'idéal affiché : les grèves à Deîr el-Médîneh, qui montre les carences de l'administration, et la conspiration dite "du harem". Le jubilé du règne (fête-sed, ou trentenaire), a néanmoins lieu à Memphis. C'est peu avant le jubilé, en l'an 29, que commencent les grèves, provoquées par des défauts de paiement des salaires. Les grains ont été détournés. Peu avant la mort du roi, la conspiration du harem, impliquant plus de 30 personnes, dont beaucoup seront exécutées, est montée par Tiy, probablement une épouse secondaire du pharaon, qui veut faire monter sur le trône son fils Pentaouret au lieu du prince Ramsès, héritier légitime. En plus de hauts fonctionnaires, la conspiration implique aussi des échansons et au moins un général. Déjouée car probablement trahie de l'intérieur, la conspiration avorte juste avant la mort du pharaon ; certains juges, corrompus par les prévenus, passeront également sur le banc des accusés. Ramsès III meurt en 1153. Son fils, Ramsès IV, lui succède et le fait enterrer : c'est probablement à cette occasion qu'est rédigé le papyrus Harris I, source si précieuse sur le règne. Exhumée par des pillards dès la fin de la XXème dynastie, la dépouille est remise en terre sous Smendès, puis atterrit finalement dans une sépulture désaffectée de reine de la XVIIIème dynastie, où elle est découverte en 1871. Elle est conservée au musée égyptien du Caire.
Pierre Grandet rappelle en conclusion que Ramsès III est le dernier grand pharaon du Nouvel Empire. L'Egypte se fragmente ensuite entre plusieurs entités. Le système de redistribution conduit à des dépenses somptuaires qui fragilisent tout l'ensemble, à des fins politiques. La perte des territoires extérieurs empêche de bénéficier des richesses qui alimentaient le système sous les prédécesseurs de Ramsès III, sans parler des invasions extérieures. L'incapacité de remplir la redistribution mine le contrat social entre le pharaon et son peuple. La légitimité passe aux autorités locales.
Avec ce livre, servi par une abondante iconographie (cartes, plans, représentations des inscriptions et de leurs dessins...), de non moins abondantes notes (près de 40 pages), Pierre Grandet réalise un travail soigné de vulgarisation sur un pharaon méconnu du Nouvel Empire (à tel point qu'il a été plagié sans scrupule par un autre auteur...).