David P. Chandler est un historien américain considéré comme l'un des spécialistes occidentaux de l'histoire contemporaine du Cambodge. Il est aujourd'hui professeur émérite à l'université de Monash, en Australie.
Ce livre a été commencé en 1960, alors que Chandler lui-même se trouvait à Phnom Penh. En 1985, Chandler décide de prolonger un livre précédent qui s'arrête à l'indépendance du Cambodge. La période traitée dans ce livre-ci stoppe en 1979 car à partir de l'invasion viêtnamienne, le pays devient inaccessible ou presque et son histoire plus difficile à traiter. Chandler revient néanmoins sur les derniers événements de 1992-1993, notamment l'installation d'un contingent de l'ONU au Cambodge à ce moment-là.
Chandler, comme il le rappelle dans son introduction, vise à comprendre comment le Cambodge en est venu à être contrôlé par le Parti Communiste du Kampuchéa, responsable d'un génocide sans nom entre 1975 et 1979 et d'une guerre avec le Viêtnam réunifié. Coincé entre la Thaïlande et le Viêtnam, le Cambodge aurait pu connaître, entre 1947 et 1958, une amorce de monarchie constitutionnelle et de démocratie. Sihanouk, Lon Nol et Pol Pot incarnent au contraire la persistance d'un régime autocratique, nourri aussi de la vision inculquée par le colonisateur français de la grandeur passée du Cambodge. Le coup de force japonais de mars 1945, en donnant au pays l'indépendance, constitue un premier tournant. En 1951, l'ancêtre du PCK est fondé. En 1955, Sihanouk abdique pour fonder un parti politique qui remporte les élections. Il choisit ensuite, à partir de 1963, de rompre progressivement avec les Etats-Unis. En 1967-1968, l'opposition intérieure et la présence des communistes viêtnamiens dans le pays sont une sérieuse menace pour son pouvoir ; les communistes cambodgiens se déchirent entre ceux resté sur place et les exilés au Nord-Viêtnam de 1955, qui reviennent au pays. Le coup d'Etat de mars 1970 précipite le pays dans la guerre du Viêtnam. En avril 1975, les Khmers Rouges emportent la capitale ; deux ans plus tard, ils commencent les raids sur le Viêtnam. En 1978, le régime est au bord de l'effondrement : les Viêtnamiens entrent à Phnom Penh en janvier 1979.
Sihanouk, jusqu'alors la marionnette des Français, se révèle après le coup de force japonais du 9 mars 1945. Le royaume du Kampuchéa se gouverne en autonomie jusqu'en décembre. Son Ngoc Thanh, un nationaliste, collabore avec les Japonais, qui recrutent d'ailleurs des volontaires. Il est arrêté par les Français en octobre 1945, lesquels réinstallent bientôt leur autorité sur le pays. Une constitution est donnée au Cambodge. Les partis politiques se forment : libéraux, soutenus par les Français, démocrates, et démocrates-progressistes. Le deuxième est le plus puissant, mais les Français procèdent à des arrestations en 1947 ce qui gonfle l'insurrection rurale menée par les Khmers Issarak. Ces derniers sont parfois en contact avec le Viêtminh. Les démocrates continuent de remporter les scrutins. Le 14 janvier 1950, Ieu Koess, président de l'Assemblée Nationale et démocrate, est tué. L'émotion et les réactions sont telles que Sihanouk rappelle Thanh comme Premier Ministre.
En 1950, le Viêtminh s'intéresse de plus en plus aux autres pays de l'Indochine française, dont le Cambodge. Le Parti Révolutionnaire du Peuple Khmer est fondé en 1951, sous contrôle des Viêtnamiens. Parallèlement, des Cambodgiens partis en France dès 1949 se convertissent au marxisme-léninisme, non sans débat sur la ligne à suivre ; l'un d'entre eux est Saloth Sar, le futur Pol Pot. Sihanouk est de plus en plus ulcéré par la domination de la vie politique par Thanh et les démocrates, le leader cherchant d'ailleurs à unifier l'insurrection, diverse, sous sa bannière. En mai-juin 1952, Sihanouk entame le processus qui le conduit à assumer un pouvoir personnel, en muselant les démocrates. Les communistes convertis en France, dont Sar, reviennent au Cambodge. Le pays gagne l'indépendance par l'action de Sihanouk, néanmoins réservé sur le soutien à espérer des Français et même des Américains. A la conférence de Genève, les Viêtnamiens ont d'ailleurs leurs délégués cambodgiens communistes. Sihanouk forme un parti politique, le Sahapak, et choisit d'abdiquer en 1955. Présent à la conférence de Bandung, il choisit la voie neutraliste, tout en acceptant l'aide militaire américaine. Il se méfie de Diêm et la CIA soutient dès lors les Khmers anti-communistes. Grâce à la propagande, la contrainte et l'intimidation, Sihanouk remporte les élections et devient le maître incontesté du pays.
Les démocrates sont au plus bas ; le Sangkum (nouveau nom du parti du monarque) est populaire, tout comme le souverain, qui part en Chine dès 1956. Sihanouk applique un semblant de programme socialiste, neutralise complètement l'opposition politique, souvent par la violence. Le pays à ce moment-là relativement florissant sur le plan économique. Le souverain remporte aisément les élections de 1958, alors que Sar prend le contrôle de la branche urbaine des communistes cambodgiens et que les relations se détériorent avec le Sud-Viêtnam et la Thaïlande. En 1958-1959, Sihanouk met en échec deux tentatives de coups d'Etat, celles de Sam Sary et Dap Chhuon, dont l'une au moins soutenue par des Américains, ce qui renforce sa méfiance à l'égard des Etats-Unis. Les communistes cambodgiens se mettent "sur les rails" entre 1955 et 1963, en investissant en particulier les fonctions de l'enseignement. Les relations avec les communistes viêtnamiens sont difficiles. Jusqu'en 1963, Sihanouk dirige le Cambodge d'une main de fer.
La période de troubles qui commence en février 1963 avec la manifestation, réprimée, de Siem Reap, est difficile à analyser faute de sources suffisantes (beaucoup ont été détruites ensuite). Sihanouk pourchasse les formations de gauche, qui subissent des coupes sévères. Les communistes, dont Sar, basculent dans la clandestinité, protégés bien malgré eux dans les sanctuaires déjà tenus par les Viêtnamiens. Après le renversement de Diêm en novembre 1963 et l'arrestation de Khmers Serei en route vers le Sud-Viêtnam, Sihanouk décide de rompre avec les Etats-Unis et de lancer l'économie, mal en point, sur la voie du socialisme. L'un de ses plus grandes fautes, comme il le reconnaît d'ailleurs plus tard. Il négocie avec les Viêtnamiens d'obtenir 10% des armes et des munitions chinoises qui transitent par le port de Sihanoukville, pour sa propre armée, début 1964. Il nie également que des Viêtnamiens soient présents sur son territoire, ce qui irrite au plus haut point les Américains, qui s'engagent directement au Sud-Viêtnam à partir de mars 1965. Chinois et Nord-Viêtnamiens s'intéressent de plus près alors aux communistes cambodgiens. Saloth Sar effectue un voyage en Chine et peut-être en Corée du Nord en 1964-1965. C'est probablement à partir de là qu'il s'inspire de la voie chinoise. L'année 1966 est marquée par la visite du général De Gaulle dans le pays ; Sihanouk, désenchanté par la politique, se plonge dans la réalisation de films (!). Les élections de 1966 voient l'opposition gagner des sièges à l'Assemblée : Lon Nol devient Premier Ministre mais Sihanouk forme un contre-gouvernement avec ses propres partisans.
Entre 1967 et 1970, les segments de gauche et pro-américains de l'opposition minent le pouvoir de Sihanouk. Les oppositions se développent également entre riches et pauvres, campagnes et villes. Une rébellion éclate à Samlaut entre mars et mai 1967. Les Chinois cambodgiens manifestent violemment en faveur de Mao. Sihanouk se retrouve isolé sur sa gauche, et entouré de pays dominés par des régimes pro-occidentaux. En janvier 1968, alors que les contacts reprennent avec les Etats-Unis, le Parti Communiste du Kampuchéa lance la lutte armée. Le nord-est du pays échappe de plus en plus au contrôle du gouvernement. Les milices pro-gouvernementales se servent des armes chinoises pour poursuivre la guérilla. L'économie pose problème : le caoutchouc se vend mal, le nombre de paysans sans terre est énorme, l'industrie reste faible. En mars 1969, Nixon fait bombarder les sanctuaires viêtnamiens au Cambodge par les B-52 ; en représailles, Sihanouk élève la représentation du Viêtcong au rang d'ambassade. Fin 1969, le souverain effectue plusieurs séjours hospitaliers en France. Il est absent lorsque se déclenche le coup d'Etat qui va le renverser.
Lon Nol, qui dirige l'appareil de sécurité, a adopté dès février 1970 une posture anti-viêtnamienne. L'armée cambodgienne commence à attaquer les sanctuaires viêtnamiens dans le pays. Le coup d'Etat de mars est suivi d'un appel de Sihanouk, depuis Pékin, à la résistance. En avril, les Viêtnamiens contrôlent désormais totalement le nord-est du pays, après le retrait des troupes cambodgiennes. Jusqu'en juin, les Sud-Viêtnamiens, avec 40 000 hommes, et les Américains, avec 30 000 hommes, lancent des incursions au Cambodge pour détruire les sanctuaires viêtnamiens, alors même que les volontaires qui se pressent dans le pays pour combattre les communistes sont taillés en pièces. Ragaillardi, Lon Nol lance en septembre l'opération Chenla I, aux résutats plus que mitigés. Communistes cambodgiens et viêtnamiens combattent côte à côte, mais le millier de Cambodgiens formés par les Nord-Viêtnamiens, mal vus de ceu restés au pays, est progressivement éliminé par la direction locale du parti. L'opération Chenla II, déclenchée en août 1971, se termine en désastre. Parallèlement les communistes cambodgiens commencent leurs purges internes et se débarrassent de l'influence nord-viêtnamienne. Les Américains, avec l'opération Freedom Deal, continuent de bombarder le Cambodge jusqu'en août 1973, bien après la conclusion des accords de Paris. Fin 1972, les Nord-Viêtnamiens ont retiré 3 de leurs 4 divisions du Cambodge. En décembre 1973, les Khmers Rouges commencent à bombarder à la roquette Phnom Penh. 2 millions de réfugiés s'y entassent. Les communistes lancent un premier assaut en 1974, et un autre à partir du 1er janvier 1975. Lon Nol et sa famille quittent le pays début avril 1975 ; quelques jours plus tard, les Khmers Rouges investissent la capitale.
A partir d'avril 1975, Pol Pot tente de faire table rase de l'ancien Cambodge : évacuation forcée des villes, abolition de la monnaie, des marchés, de l'emploi salarié... le tout après cinq ans de guerre civile particulièrement féroces. Les jeunes ont été endoctrinés par les communistes, de même qu'un certain nombre de pauvres. Phnom Penh commence à être vidée de ses habitants dès l'après-midi du 17 avril : les Khmers Rouges ont en horreur les villes. Avant la chute du Sud-Viêtnam, les Khmers occupent des îles dans le golfe de Siam ; en mai, ils s'emparent du Mayaguez, un cargo américain transportant des armes vers la Thaïlande. Parallèlement les déplacés sont mis au travail dans les campagnes et soumis à l'endoctrinement politique. Début 1976, Pol Pot et le PCK confisquent le pouvoir et éliminent Sihanouk, qui servait de caution depuis 1970. Le pays est redécoupé en nouvelles zones administratives. Les conditions de vie sont particulièrement dures dans le nord et le nord-ouest. Pol Pot multiplie les purges en 1977-1978. Les raids sur le Viêtnam, à partir du printemps 1977, accélèrent la montée des tensions et précipitent l'invasion viêtnamienne qui arrive à Phnom Penh en janvier 1979.
Après des témoignages variés à propos de la période de la domination des Khmers Rouges, Chandler revient sur la situation du pays depuis 1979. Le livre se termine avec les 60 pages de notes et une courte bibliographie classée par chapitre. Un travail ancien mais qui reste fondamental pour comprendre l'histoire récente du Cambodge.