Cet ouvrage paru en Folio Histoire en 2010 est une continuation de la thèse de 3ème cycle (soutenue en 1972) et de tout le travail de l'historien Roger Dupuy. L'historien maîtrise donc bien le sujet de la Garde Nationale, acteur de nombreux événements et de débats historiographiques cruciaux autour de la Révolution : la force publique, la citoyenneté, le droit à l'insurrection, la domination de Paris et des classes moyennes sur la Révolution, etc. La Garde Nationale bénéficie d'une image très controversée, représentant pour certains le peuple en armes, pour d'autres un facteur de désordre. Prévenir la réaction et contenir les excès populaires : un équilibre difficile à atteindre que les gardes nationaux n'arrivent pas toujours à honorer, pour preuve les combats de juin 1848 où ils se retrouvent face-à-face sur les barricades. L'historien choisit un plan chronologique, qui montre certes que la Garde Nationale reste modérée en dépit de la radicalisation d'une petite bourgeoisie, qui décortique aussi de meilleure façon des journées importantes de la Révolution comme le 14 juillet 1789 ou le 9 Thermidor. Surtout, le travail s'attache à redécouvrir un personnage en particulier, La Fayette, très présent au fil des pages.
Malheureusement le texte, dense, ne s'accompagne ni de données statistiques (sous forme de tableaux par exemple), ni de cartes, défaut renforcé par le déséquilibre du propos : la période entre le début de la Révolution et le début du Directoire (1789-1795) occupe déjà la moitié de l'ouvrage (!), ce qui peut se comprendre de la part d'un historien de la Révolution, mais qui est dommageable au vu de l'ambition initiale présentée dans le titre. La période napoléonienne est particulièrement expédiée, et il semble que l'auteur ne tienne pas donc des dernières avancées historiographiques sur la Restauration. Autre problème : le livre reste très centré sur la situation parisienne, et s'aventure peu en province, ce qui est regrettable au vu des problématiques justement attachées à la Garde Nationale. D'autant que Roger Dupuy n'utilise pas les comparaisons internationales, et ne se penche pas, ce faisant, sur les fonctions ordinaires des gardes nationaux et de leur confiscation de la sécurité publique. On a donc là une histoire politique très classique, comme le définit l'auteur en introduction, mais un peu incongrue sur le plan historiographique, en tout cas pour le XIXème siècle.
C'est manifestement un choix délibéré de l'auteur que de se placer à contre-courant de l'historiographie actuelle de la Révolution, dans le prolongement de Louis Girard et avec une étude centrée sur Paris. C'est aussi la réévalution du rôle de La Fayette, qui a eu un rôle décisif à la tête de la Garde Nationale parisienne. Roger Dupuy analyse le processus de radicalisation en 1791-1792 : il y a plus d'après lui lassitude des partisans de l'ordre constitutionnel, qui parfois basculent du côté des insurgés, mais même le 10 août, on voit encore des bataillons tirer sur les assaillants des Tuileries. La Garde Nationale, dès avant le 10 août, mais encore plus après, s'aligne sur les sections de sans-culottes, en particulier sous la Terreur. Elle disparaît finalement dans le rôle qui a été le sien avec l'avènement du Directoire. Peut-être l'historien, d'ailleurs, ne revient-il que trop tard, et trop peu, sur les rapports entre la Garde Nationale et l'armée. Plus largement, les choix de l'auteur, notamment le déséquilibre en faveur de la période révolutionnaire, ne permettent pas de comprendre vraiment pourquoi l'institution perdure une fois la Révolution terminée et les raisons du maintien "d'une institution citoyenne et bourgeoise".
La question centrale à laquelle répond finalement l'historien, c'est plutôt celle selon laquelle la Garde Nationale a toujours constitué, dans son siècle d'existence, une source de légitimité politique. Mais elle est aussi toujours partagée entre le changement de régime et son maintien. La Garde Nationale finit par ne plus rassembler des citoyens aux opinions partagées mêlés ensemble, mais bien des bataillons aux idées radicalement différentes. L'analyse de l'historien est aussi que la bourgeoisie exerce, via la Garde, un contrôle sur les classes populaires, mais aucune étude de fond ne vient appuyer la théorie dans le livre. Roger Dupuy se met aussi en porte-à-faux avec l'école dite "révisioniste" de François Furet, en démontant l'idée "d'année heureuse" en 1790 -tout comme le fait aussi l'analyse de la radicalisation en 1792 décrite ci-dessus, ou la réhabilitation de La Fayette.
Il est dommage que l'ouvrage, qui comprend près de 30 pages de notes, ne soit pas pourvu d'une bibliographie récapitulative.