Et encore un des "oldies" de ma collection avec ce numéro des hors-série du Fana de l'aviation, consacré à l'opération Barbarossa, "victoire en trompe-l'oeil" comme le mentionne le sous-titre. Comme souvent avec ces hors-série, il s'agit de l'adaptation ou de la reprise d'un ouvrage, ici celui de Miroslav Morozov, traduit pour l'occasion, agrémenté de témoignages piochés sur le fameux site Iremember.ru.
Même si cette traduction ne cite malheureusement pas ses sources, ce numéro est très intéressant, ne serait-ce que parce qu'il s'intéresse très largement au côté soviétique. L'auteur rappelle dès l'introduction que l'Allemagne n'avait pas les moyens de remporter la guerre d'attrition qu'elle avait engagée contre l'URSS. En outre, paradoxalement, la dimension aérienne de Barbarossa, hormis le carnage au sol des appareils russes, est généralement peu traitée (cf mon récent commentaire sur l'ouvrage de Glantz) tout simplement parce que la Luftwaffe et les VVS sont conçues comme des armes d'appui au sol, en appoint des forces terrestres, et que souvent elles ne font que se croiser au-dessus du champ de bataille. Pour son analyse, Morozov s'appuie sur les archives et les ouvrages officiels soviétiques et allemands.
Dans un première partie, il montre comment la force aérienne soviétique, sans doute la plus importante du monde par les effectifs, est privée d'efficacité par les purges staliniennes et des carences techniques (manque de radios, de caméras). En outre, l'arme aérienne n'a pas l'autonomie de décision ; les régiments sont basés sur un même terrain au déclenchement de Barbarossa, offrant des cibles massives aux frappes allemandes ; enfin, les matériels sont en train d'être remplacés par une génération d'avions plus modernes, en particulier après le choc de la guerre contre la Finlande. Les bombes employées sont cependant trop petites et les VVS ne peuvent former suffisamment de pilotes pour manoeuvrer tous leurs appareils. Les contraintes politiques réduisent l'entraînement. Le plan soviétique est décalé pour rapport aux capacités réelles de l'aviation et Staline s'est laissé intoxiquer par les Allemands en ce qui concerne les possibilités de l'industrie aéronautique allemandes, que les nazis gonflent volontairement. Or la Luftwaffe, formidable arme d'appui tactique autonome, est adaptée à une guerre courte : bien que mieux armée et plus expérimentée au déclenchement de Barbarossa, elle met à peine plus d'avions en ligne que lors de la bataille d'Angleterre et moins que pendant la campagne de France. Elle bénéficie certes de l'appoint des alliés finlandais et roumains. Mais elle a sous-estimé d'une part l'effectif total des VVS, et la capacité de production de l'industrie soviétique ; d'autre part, elle ignore le rééquipement en cours, tout en partageant le préjugé raciste sur l'effondrement rapide d'un peuple slave dégénéré, sans parler du souvenir de l'armée tsariste de la Première Guerre mondiale.
La deuxième partie expose la bataille aux frontières au début de Barbarossa. Si le succès est foudroyant au centre, au nord, la Luftflotte 1 a certes détruit les unités de première ligne mais se retrouve en infériorité numérique devant les réserves du front Nord et de la flotte de la Baltique. Même situation sur le flanc sud où la Luftflotte 4 se trouve temporairement inférieure en nombre aux VVS. Dans la région militaire d'Odessa, les VVS ont même moitié plus d'appareils. Mais leur utilisation n'est pas bonne, entraînant de lourdes pertes. Au 10 juillet, elles ont perdu 5 000 avions (la moitié des pertes de 1941) dont 60 à 65% détruits au sol. Et pourtant, avec les réserves, les VVS sont capables de mettre en ligne autant d'appareils à cette date, soit plus que les Allemands ! Et tous les équipages n'ont pas été perdus. La Luftwaffe perd dans le même temps un millier d'avions, ce qui n'est pas rien, dont 78 le premier jour, taux jamais atteint jusque là. 12 Experten tombent aussi entre le 22 juin et le 10 juillet.
La troisième partie détaille la poussée sur Léningrad et Moscou. Au nord, l'aviation soviétique, au prix de terribles pertes, se jette littéralement sur les Allemands, dépassés en nombre, et qui sont obligés de prélever des unités à la Luftflotte2 au centre pour renforcer la Luftflotte 1. Au centre, les VVS se montrent moins efficaces notamment en raison d'énormes problèmes de coordination avec les forces terrestres. Même constat au sud où les pertes sont très lourdes, en particulier pendant la bataille d'encerclement titanesque autour de Kiev.
La quatrième partie s'intéresse aux évolutions des deux forces aériennes pendant Barbarossa. Si les pertes soviétiques sont colossales, l'industrie parvient à compenser les pertes pour moitié. Et 4 830 appareils sur les 7 300 produits sont de la nouvelle génération (LaGG-3, MiG-3, Yak-1, Il-2, Pe-2). Point méconnu, les Soviétiques déploient de grands efforts dans la récupération et la remise en état des avions endommagés. A l'automne, le déménagement dans l'urgence des usines de production entraîne un tassement des livraisons, mais qui n'est que provisoire. En raison des pertes, les structures sont réorganisées et la taille des unités est réduite. Des groupes aériens de réserve sont formés pour être engagés dans les secteurs critiques. Côté allemand, l'industrie ne suit pas : paradoxalement, après avoir écrasé au sol une bonne partie de VVS, de nombreuses escadres allemandes doivent être retirées du front pour être reconstruites à l'arrière ! A la veille de l'offensive sur Moscou, les moyens manquent donc cruellement à la Luftwaffe.
Les cinquième et sixième parties présentent justement l'ultime poussée allemande sur Moscou. Ce n'est pas seulement le froid qui arrête les Allemands : les VVS opèrent plus près de leurs bases en dur, certes, mais elles ont aussi acquis la supériorité aérienne. On retrouve la même situation sur le front nord au moment de la contre-offensive à Tikhvineet sur le front sud, pendant la contre-offensive de Rostov.
La septième et dernière partie examine les batailles périphériques. Dans la région de Mourmansket en Carélie, les VVS conservent la supériorité numérique mais ne sont pas forcément plus efficaces que la Luftwaffe ou son alliée finlandaise, malgré l'apport du Prêt-Bail et des Hurricanes britanniques. Les Allemands, en revanche, obtiennent facilement la supériorité aérienne au-dessus de la mer Baltique et interdisent les mouvements de la flotte de surface soviétique par la pose de mines. Au sud, les VVS montent des raids contre la Roumanie et sont constamment présentes au-dessus des Allemands à Odessa, en Crimée, à Sébastopol. La Luftwaffe attaque Moscou de manière trop décousue et dispersée pour être efficace et le constat est le même en ce qui concerne les raids soviétiques sur Berlin.
En conclusion, l'auteur évoque les pertes subies par les deux camps : près de 18 000 avions perdus côté soviétique contre 2 500 pour les Allemands et leurs alliés... mais pour les VVS, "seuls" 6 à 6 500 appareils sont détruits en l'air ,et pas seulement en combat aérien. La Luftwaffe n'a cependant pas été capable de venir à bout de l'énorme potentiel soviétique en raison de la faiblesse de ses moyens. La piètre performance russe est avant tout liée aux problèmes des transmissions, car les VVS sont très actives et la détermination ne manque pas, comme le montrent les abordages en l'air (taran). Dès octobre 1941, laLuftwaffe n'a tout simplement plus assez d'avions pour soutenir les trois axes de progression. Et les VVS entament une réorganisation qui va commencer à produire ses effets dès 1942 en termes d'efficacité. Six mois après le déclenchement de Barbarossa, on pourrait presque dire que l'Allemagne avait déjà perdu la guerre aérienne.