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Giusto TRAINA, Carrhes 9 juin 53 av. J.-C.. Anatomie d'une défaite, Histoire, Paris, Les Belles Lettres, 2011, 238 p.

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Dans l'introduction à cet ouvrage, l'historien Giovanni Brizzi souligne que la bataille de Carrhes, contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, ne montre pas la supériorité décisive des Parthes sur les Romains. Les archers montés restent l'arme principale des Parthes, combinés aux lanciers cuirassés, le tout avec une supériorité numérique recherchée face à l'adversaire romain. La défaite de Carrhes est donc exceptionnelle, et les Romains imputeront leur défaite à la mollesse des légionnaires orientaux, un lieu commun promis à un brillant avenir dans leur littérature. La défaite donne ainsi naissance à une légende, celle de l'invincibilité des Parthes.

Giusto Traiana, historien italien à Paris-Sorbonne, rappelle quant à lui que le récit de Plutarque dans sa vie de Crassus, qui reste la source principale sur la bataille, a été écrite à la veille de l'expédition de Trajan contre les Parthes. Crassus est donc le modèle à ne pas suivre pour l'empereur romain. Les sources écrites sont quasiment, pourtant, les seules à notre disposition, et seulement du côté romain, même si les sources iraniennes parlent d'un "Démon blanc" qui pourrait bien être Crassus.



L'empire parthe naît vers 250 av. J.-C. mais il n'entre en contact avec Rome que vers 90 avant notre ère, à la faveur des guerres contre Mithridate. Les Romains envisagent plusieurs fois de lancer une campagne contre les Parthes, notamment sous le proconsulat de Gabinius en Syrie, mais l'expédition avorte à chaque fois. Crassus, homme de l'aristocratie, rendu riche par les affaires, fait partie du triumvirat conclu avec César et Pompée. En 56, il est élu avec Pompée consul pour l'année suivante. Crassus reçoit comme province la Syrie et prépare une expédition contre les Parthes. Il rassemble 7 légions, soit 30 à 40 000 hommes, plus les troupes laissées en garnison en Syrie. Les troupes romaines partent d'Italie et arrivent en Syrie. Crassus fait une première incursion couronnée de succès en Mésopotamie, puis se replie en Syrie. César lui envoie ensuite 1 000 cavaliers gaulois commandés par le fils de Crassus, Publius. Pour financer sa guerre, Crassus n'hésite pas à prélever les richesses des sanctuaires de Syrie. Le plan de Crassus est de prendre la route la plus courte, via la Haute Mésopotamie, pour s'emparer de Ctésiphon et Séleucie, puis se retirer via l'Arménie. L'armée parthe se divise en deux contingents : le roi Orode part bloquer le roi arménien Artavesdès, allié des Romains, tandis qu'un second corps doit contenir Crassus. Les Romains commettent plusieurs erreurs dues au manque de renseignements, en outre ils sont ralentis par leur train logistique.

Carrhes est alors un importante centre commercial et religieux. Le roi Orode a place à la tête du contingent mésopotamien celui que les sources romaines appellent Suréna, un membre important de la famille aristocratique des Suren. Celui-ci dispose de 10 000 hommes, qui ne sont d'ailleurs pas forcément tous des combattants. Les Romains retiendront de Carrhes la figure de l'arché monté parthe et de son arc composite, et la fameuse expression de la "flèche du Parthe". Ce mythe cache en fait l'utilisation combinée d'archers montés et de lanciers cuirassés. En combat rapproché, les Parthes utilisent la dague, le sabre, le poignard. Les Romains connaissent donc mal leur adversaire et sont mal équipés pour l'affronter.

Le 9 juin 53 av. J.-C., l'irruption de l'armée parthe surprend les Romains, qui avancent en formation carrée. Précédés par des cataphractes, les archers montés parthes se déploient et noient les légionnaires sous une pluie de flèches. Publius Crassus tente d'entraîner les Parthes à l'écart avec ses cavaliers gaulois, mais son contingent est détruit et lui-même tué. A la fin de la journée, les cataphractes enfoncent les légions romaines affaiblies. Crassus, désespéré, reste prostré pendant la nuit, alors que les Parthes se sont retirés. Le préfet Egnatius prévient la garnison de Carrhes de la défaite puis s'enfuit vers la Syrie avec 300 cavaliers. Crassus, lors d'une négociation avec les Parthes qui tourne à l'escarmouche, est finalement tué. Son corps, selon la tradition mazdéenne, aurait été abandonné aux bêtes sauvages, prélevé de la tête et de la main droite envoyées au roi Orode. On lui aurait aussi versé de l'or fondu dans la bouche. Les prisonniers romains rassemblés par les Parthes sont envoyés dans l'est de l'empire ; une hypothèse en fait même des mercenaires contre les Chinois. 7 aigles romaines sont consacrés par suréna dans un temple de Ctésiphon. Les conséquences de la bataille sont nombreuses. D'abord, les pertes sont lourdes : 20 000 morts et 10 000 survivants à peine. Ensuite, les Romains sont obligés de reconnaître la valeur d'un adversaire égal à leur propre empire. Enfin, la mort de Crassus ouvre la voie à la guerre civile entre César et Pompée. Cassius, survivant de l'expédition de Crassus, parvient à protéger la Syrie, mais la Mésopotamie reste entre les mains des Parthes. La défaite de Carrhes restera isolée. Les Romains réengagent rapidement les hostilités.

En 50, à la veille de la guerre civile entre César et Pompée, le Sénat demande deux légions au premier pour une expédition contre les Parthes, légions qui restent finalement en Italie. En réalité, comme le montrent les écrits de Cicéron, l'idée se répand au Sénat que Crassus ne mérite pas d'être vengé, car il a commis trop d'erreurs, voire a conduit une guerre illégitime. César prépare néanmoins une expédition avant d'être assassiné aux ides de mars 44. C'est Antoine, un de ses successeurs, qui reprend l'offensive contre les Parthes. Si Decidius Saxa est battu en 40, Ventidius est vainqueur en 38 et tue Pacorus, le fils d'Orode. L'expédition d'Antoine, qui passe par l'Arménie, est un échec. Auguste, en 20, choisit la solution diplomatique pour se faire restituer des enseignes (qui ne sont probablement pas celles de Carrhes, d'ailleurs, mais celles des défaites ultérieures). On compare ensuite Carrhes au désastre de Teutoburg, en 9 ap. J.-C. . C'est alors que les auteurs romains et grecs commencent à construire la légende noire de Crassus. Plutarque présente un portrait de héros tragique : c'est Trajan qui réussit à imiter Alexandre le Grand, non Crassus. C'est près de Carrhes qu'est assassiné Caracalla en 217, et non loin de là que l'empereur Valérien est capturé par les Perses en 260. Le souvenir de la bataille s'estompe dans l'Antiquité Tardive, les auteurs chrétiens n'y accordent pas grand intérêt.

Carrhes, finalement, est-elle une exception ? Traina souligne combien la défaite est embarrassante pour un V.D. Hanson et son "modèle occidental de la guerre". On a même fait de Carrhes un choc de civilisations entre monde occidental et monde oriental (!). En réalité, il nous manque les sources iraniennes pour être complet, mais l'on peut simplement constater qu'un général parthe a appliqué une recette tactique qui lui a permis de vaincre la légion romaine, un des outils guerriers les plus efficaces de son temps. Rien d'exceptionnel, donc, contrairement aux récupérations qui peuvent être faite de l'épisode pour des comparaisons bancales avec la situation en Irak ou ailleurs aujourd'hui.

Un travail plutôt court, mais stimulant, et servi par une abondante bibliographie (plus de 30 pages) et de non moins abondantes notes (plus de 30 pages également). On peut tout juste regretter que les quelques cartes présentes en début d'ouvrage et les schémas tactiques ne soient pas plus nombreux (l'auteur me précise que c'est justement la pauvreté des sources, comme souvent dans les batailles antiques d'ailleurs, qui empêche de reconstruire correctement le déroulement de la bataille... il est vrai que pour l'Antiquité, c'est souvent vrai) mais il faut noter la présence d'un livret d'illustrations central avec plusieurs documents en couleur. Assurément l'ouvrage comble un vide à la fois parce que la bataille n'a quasiment pas été traitée en français, mais aussi parce que l'approche est tout à fait pertinente, dans la ligne des dernières avancées historiographiques.




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