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David STAHEL, Operation Barbarossa and Germany's Defeat in the East, Cambridge University Press, 2009, 483 p.

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David Stahel est un historien qui s'intéresse particulièrement à l'histoire militaire allemande de la Seconde Guerre mondiale. Il a étudié en Europe, au King's College de Londres puis à Berlin. Il enseigne depuis 2012 dans une université australienne. Ce livre reprend sa thèse doctorale.

La thèse de Stahel est pour le moins iconoclaste : il défend l'idée selon laquelle la défaite allemande sur le front de l'est, après le déclenchement de l'opération Barbarossa, se dévoile de fait au bout de quelques semaines seulement. Stahel utilise pour ce faire les archives militaires allemandes de Fribourg, Potsdam et de l'université Humboldt de Berlin, et y ajoute des sources déjà publiées plus des témoignages parus après la guerre (sans compter les sources secondaires). Son propos se découpe essentiellement en deux parties : la première s'intéresse à la planification de Barbarossa, la seconde (beaucoup plus volumineuse) aux deux premiers mois de la campagne, jusqu'en août 1941. Comme il le souligne en introduction, la recherche sur la planification allemande de la campagne a été relativement pauvre. Stahel montre aussi que les historiens, même parmi les plus sérieux, ayant travaillé sur le front de l'est (dans le monde anglo-saxon notamment), restent confondus devant les victoires initiales de la Wehrmacht, sans prendre en compte l'usure terrible de celle-ci qui obère de fait toute chance de victoire dès la fin 1941. Les travaux des historiens est-allemands et soviétiques, pendant la guerre froide, ont été balayés d'un revers de main par les Occidentaux. Reste les thèses opposées de Fugate et Stolfi, le premier stipulant que les Soviétiques ont préparé un plan, dès février 1941, pour attirer les Allemands sur leur second échelon stratégique ; le second expliquant que le plan allemand a été près de réussir. Mais les deux thèses manquent sérieusement de sources pour être perçues comme valides -d'autant que Stolfi a aussi la fâcheuse tendance à exonérer l'armée allemande de tout crime de guerre. Les historiens allemands commencent à remettre en cause la version "classique" du récit de Barbarossa seulement dans les années 1980. Il faut dire que pendant très longtemps le récit a été dominé par les mémorialistes allemands, parfois en cheville avec les Américains. Mais les recherches se concentrent surtout sur la bataille de Smolensk et la crise entre Hitler et l'OKH. Stahel pense que le point culminant de l'offensive allemande est atteint dès la fin août 1941, ce qui remet en question la trilogie traditionnelle des tournants sur le front de l'est, Moscou, Stalingrad et Koursk. Il explique aussi que l'histoire allemande sous le nazisme explique un certain désintérêt dans le monde universitaire pour les questions proprement militaires, comme celles qu'il se propose de traiter dans son livre.



La planification de l'opération contre l'URSS commence dès juin-juillet 1940, alors que les premières armées allemandes sont redéployées à l'est. Elle est d'ailleurs le fait de la Wehrmacht et non de Hitler, dont les idées sont encore assez vagues sur le sujet. Ce n'est qu'à la fin juillet 1940 que l'opération est envisagée par le Führer comme la destruction de l'Etat soviétique et l'occupation des régions occidentales de l'URSS. Le plan de Marcks, le premier, est marqué par un mépris total des Soviétiques, même si le général allemand anticipe le repli soviétique dans la profondeur de l'espace de l'URSS. Lossberg peaufine le plan de Marcks, développe l'attaque sur trois axes, mais perçoit les difficultés logistiques. Il soulève aussi la question des populations hostiles au pouvoir soviétique. Mais aucun des deux ne doute de la victoire allemande. La directive n°18 de Hitler, en novembre 1940, sanctionne l'amorce de plan. Paulus, chargé de l'évaluer, en voit les limites, mais n'en dit rien à Hitler. Halder est braqué, dans la deuxième phase du plan, sur la prise de Moscou, qu'Hitler ne juge pas forcément indispensable. La directive n°21 de décembre 1940 montre d'ailleurs l'importance des ailes nord et sud pour le Führer.

En janvier 1941, il s'agit encore pour Hitler, en frappant l'URSS, de priver les Anglais d'un allié possible. Halder, et Bock, le commandant du futur groupe d'armées Centre, s'inquiètent cependant des distances et des considérations logistiques. D'autant que les signes alarmants sur le ravitaillement en matières premières de l'Allemagne et la motorisation de l'armée se multiplient. Hitler renforce le groupe d'Armées Sud, au grand désespoir de Halder, qui reste tourné vers Moscou. Bock envoie son officier opérations, Henning von Treschkow, auprès de l'OKH, pour être sûr que le Panzergruppe de Hoth pourra boucler l'encerclement autour de Minsk et non être redirigé trop rapidement vers le nord. Parallèlement, Hitler change de discours et insiste, à partir de mars 1941, sur le caractère idéologique de la guerre ménée contre l'URSS, une véritable guerre d'annihilation. L'armée allemande accepte sans sourciller, et répond même parfois au-delà des espérances du Führer. Elle participe à la rédaction des "ordres criminels", dont le fameux ordre sur les commissaires. Il s'agit aussi pour l'Allemagne de faire main basse sur des ressources économiques, quite à laisser mourir de faim les Soviétiques, tout en exterminant les Juifs et les cadres du parti communiste.

La production de guerre allemande souffre alors de plusieurs défauts, le principal étant de ne pas être convertie pour une production de masse. Au contraire, après la victoire contre la France, celle de l'armée de terre est même restreinte. Les Panzer III, IV et le StuG III, les meilleurs matériels blindés allemands pour Barbarossa, sont moins nombreux que les T-34 et KV-1 soviétiques, mais les Allemands bénéficient des lacunes terribles de l'Armée Rouge dans la phase initiale des hostilités. La Wehrmacht a la chance d'affronter une force peu préparée pour la guerre qui va lui être imposée. Stahel, qui se concentre surtout via ses archives sur les Panzergruppe 2 et 3 du Groupe d'Armées Centre, montre que si le premier est équipé à l'allemande, le second compte de nombreux chars tchécoslovaques et des camions français pour l'infanterie motorisée. L'infanterie allemande, quant à elle, est peu motorisée, mal entraînée pour la guerre qui va se dérouler à l'est.  Elle est mal armée sur le plan antichar. En outre, numériquement, elle ne peut soutenir la comparaison avec l'Armée Rouge. La victoire ou la défaite repose donc sur les formations blindées et la Luftwaffe. Celle-ci est déjà écartelée entre plusieurs fronts, où l'usure se fait sentir. En outre elle a aussi gravement sous-estimé l'adversaire soviétique. Mais le talon d'Achille de la Wehrmacht, selon Stahel, est sa logistique. L'armée allemande manque tout simplement de camions et d'essence pour ses formations motorisées. La voie ferrée ne peut tout simplement pas compenser ce manque en URSS, mais les Allemands négligent cet aspect des préparatifs par leur trop-plein de confiance et la sous-estimation grossière de l'adversaire. Barbarossa était prévue pour commencer le 15 mai 1941. Mais la campagne des Balkans reporte l'opération au 22 juin, en plus d'écarteler davantage encore les forces allemandes. Aucune opposition ne se manifeste parmi les généraux allemands quant au plan de l'opération.

Dès le 22 juin, les Allemands se rendent comptent que la guerre à l'est sera bien différente des campagnes précédentes. Les Soviétiques se défendent avec l'énergie du désespoir. Côté allemand, les pertes sont déjà lourdes, surtout en officiers. On signale même des pénuries d'essence. Si les Allemands percent facilement, la rencontre avec les nouveaux chars soviétiques, T-34 et surtout KV-1 au départ, créent un choc. Le Panzergruppe 2 de Guderian peine, au sud, à refermer la première poche de Bialystok-Minsk. La dichotomie de l'armée allemande, entre ses petites pointes blindées et le gros de l'infanterie à pied, apparaît déjà au grand jour. Halder, pressé d'avancer sur Moscou, ordonne de pousser vers le Dniepr et la Dvina, alors que le commandant de groupe d'armées souhaiterait d'abord liquider correctement les poches formées. Des soldats soviétiques dépassés par l'avance allemande infestent les arrières de la Wehrmacht, attaquant le train logistique déjà hypertendu. Guderian, qui souhaite aller de l'avant, est rappelé à l'ordre par Bock qui veut achever l'encerclement de Minsk dans les formes. Les soldats allemands, victimes d'une logistique déficiente, mettent encore davantage à sac le territoire soviétique. L'URSS, quant à elle, se jette dans une mobilisation totale. Le 3 juillet, la poche de Minsk est liquidée par l'infanterie allemande, déjà épuisée par les marches forcées nécessaires pour suivre les blindés. Quand les Allemands entament le franchissement de la Dvina et du Dniepr, les Soviétiques ont déjà commencé à changer leurs tactiques.

Le Groupe d'Armées Sud progresse moins rapidement que ses deux voisins. Le Groupe d'Armées Nord avance plus, mais ralentit progressivement. Les pertes allemandes jusqu'au 3 juillet se montent déjà à plus de 100 000 hommes, dont plus de la moitié de malades. L'état des routes et le climat entravent l'effort allemand, mais les pertes des Panzergruppe du Groupe d'Armées Centre sont déjà élevées en blindés, pour l'essentiel sur panne, mais avec aussi 10% de pertes définitives. Hoth brise la contre-offensive de Timoshenko vers Lepel, qui a pris les Allemands au dépourvu. Guderian approche avec plus de difficultés du Dniepr. L'Armée Rouge mobilise des millions d'hommes, commence à remplacer sa flotte de chars obsolète décimée dans les premières semaines, évacue vers l'arrière ses usines. Les Allemands voient leurs camions, leurs véhicules à chenilles tomber en panne. Les ponts solides sont rares, tout comme les cartes de l'URSS, peu nombreuses côté allemand. En juillet, Halder commence à comprendre qu'Hitler ne souhaite pas forcément une poussée sur Moscou. Mi-juillet, le Führer lorgne de plus en plus sur l'Ukraine et ses richesses naturelles, qui doivent permettre à l'Allemagne de soutenir la guerre. Les Allemands n'arrivent pas à remettre en état suffisamment vite le système ferroviaire, et les formations soviétiques dépassées par les chars continuent d'attaquer la logistique. Les fantassins allemands s'épuisent à fouiller forêts et marais, remplacés ensuite par des divisions de sécurité et des unités SS.

La pointe blindée allemande s'use, et les commandants de corps opèrent de plus en plus isolément, ce qui n'arrange rien. Hoth ne peut tenir Velikie Luki. Au sud, les choses ne vont guère mieux. Guderian, plutôt que de boucler la poche en formation autour de Smolensk, ne pense qu'à conquérir la tête de pont de Yelnya. Les forces allemandes sont trop peu nombreuses pour des objectifs démesurés. En juillet, la directive 33 d'Hitler réoriente une partie des forces du groupe d'armées Centre vers son voisin du nord. Hitler, devant l'opposition de Halder et de Brauchitsch, renouvelle l'ordre par la directive 33a. Le 23 juillet, les Soviétiques lancent une grande contre-offensive sur Smolensk, qui frustre les Allemands du bouclage de la poche. La division Das Reich et le régiment Grossdeutschland souffrent dans la tête de pont de Yelnya, alors même que les Soviétiques se battent encore à Moghilev, sur le Dniepr ! Hitler tend désormais à vouloir des encerclements plus petits, et hésite encore sur la direction stratégique de la campagne, au grand désespoir de Halder. Non seulement les Allemands s'usent, mais les Soviétiques se renforcent. Leur artillerie pallie le manque de qualité par la quantité de pièces ; les Katyushas entrent pour la première fois en action près de Smolensk en juillet 1941. La Luftwaffe a opéré des coupes sombres dans les VVS mais n'a pu les détruire. Subissant des pertes, tiraillée entre plusieurs missions, elle n'est parfois plus capable d'assurer la supériorité aérienne. En outre Hitler insiste pour conduire des bombardements sur Moscou. La Luftwaffe souffre en fait des mêmes carences que l'armée de terre.

Le Groupe d'Armées Centre manque d'infanterie. A Yelnya, la situation est particulièrement critique devant les assauts répétés des Soviétiques. L'encerclement de Smolensk est réalisé le 27 juillet, mais pour la suite de la campagne, les Allemands doivent prendre en compte l'usure de leur pointe blindée et la résistance renouvelée des Soviétiques. Les Panzergruppe 2 et 3 n'ont plus que 30% de leurs chars, et les pertes en personnel chez Guderian ont été lourdes. Bock perd en outre le VIII. Fliegerkorps de von Richthofen fin juillet. La poche de Smolensk ne peut être hermétiquement close et s'ouvre à l'est, laissant passer des milliers de fuyards soviétiques. L'infanterie allemande ne suffit pas à la tâche. L'Allemagne manque de réserves stratégiques, en hommes mais par exemple aussi en munitions. Goebbels doit d'ailleurs retravailler la propagande auprès de la population allemande, pas forcément dupe de ce qui se passe sur le front. Hitler visite le QG de Bock début août. Les Allemands déclarent la bataille de Smolensk terminée le 5 août, mais en réalité, l'insuccès de leurs manoeuvres stratégiques est patent. Les Japonais d'ailleurs ne s'y trompent pas : ils occupent le sud de l'Indochine française en juillet 1941 et refusent de se jeter dans une guerre contre l'URSS, renforcés dans la course au sud par les embargos américains dont ils sont victimes suite à leurs manoeuvres. Les Allemands bénéficient du concours des Italiens, des Finlandais, des Roumains, des Hongrois, des Slovaques, bientôt d'Espagnols, mais la coalition est trop disparate pour être réellement utile à la Wehrmacht.

Le front se pose un peu début août, permettant aux Allemands de se réorganiser alors que les Soviétiques ne lancent plus que des assauts limités. Les soldats allemands témoigent de la ténacité des soldats soviétiques, alors qu'eux-mêmes sont épuisés physiquement et moralement. Les Allemands n'arrivent pas à retirer leurs formations motorisées du front pour les reconstituer, d'autant plus que le système logistique ne permet pas de les recompléter comme il faudrait. Il faut engager les blindés pour repousser les assauts soviétiques perçant les lignes de l'infanterie, mal soutenue par la Luftwaffe. Les premières unités de partisans continuent d'attaquer la logistiquement allemande, surtout pour des questions de survie. Halder croit toujours la victoire allemande possible. Après une nouvelle directive du Führer, von Bock estime que la Wehrmacht est passée "à une guerre de positions". Le groupe d'armées doit en effet envoyer une partie de ses forces vers le nord tout en attaquant vers le sud, ce qui rend toute défense à long terme impossible. Hitler est alors omnubilé par sa vision idéologique de la guerre à l'est et la politique internationale. Parallèlement, les soldats allemands continuent de souffrir le martyre, notamment dans la tête de pont de Yelnya. Ils constatent le décalage entre la propagande fournie au pays et leur propre situation. Tout repose alors sur la capacité à reconstituer les deux Panzergruppe du groupe d'armées Centre, fer de lance de l'attaque.

Comme Stahel le souligne en conclusion, l'absence de ligne stratégique claire du côté d'Hitler a grandement handicapé les commandants sur le front. Hitler choisit finalement à la fin août de privilégier les axes nord et sud, et non Moscou. Guderian lui-même se rallie à l'option sud pour complaire au Führer. Les opérations allemandes connaissent à nouveau le succès, mais usent encore davantage le potentiel blindé. En réalité, le choix d'Hitler était probablement le meilleur mais cela ne remet pas en question le fait que Barbarossa était mal planifiée et ne pouvait venir à bout de l'URSS. Le Blitzkrieg allemand a été mis en échec. En 1942 l'Allemagne ne peut plus avancer que sur un tiers du front. Les généraux allemands ont montré leurs limites sur le plan stratégique, concentrés qu'ils sont sur les aspects opérationnels et tactiques. Les succès initiaux ont détruit la capacité allemande à remporter la guerre.

Le travail de Stahel, adossé à une bibliographie d'une vingtaine de pages (les notes sont avec le texte, tout comme les illustrations et les cartes, en parallèle du récit, assez nombreuses), se doit d'être lu par tout passionné du front de l'est qui se respecte.



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