En
2013, la police danoise enquête sur Abou Ahmed, la mosquée Quba
d'Amagen et l'organisation charitable Hjælp4Syrien1.
Le lieu et l'organisation serviraient en effet de base de recrutement
et de collecte de fonds pour le djihad syrien. Copenhague surveille
en fait depuis le mois de mars l'activité de cette organisation qui
semble appuyer le front al-Nosra. Ahmed est bien connu des services
de police pour avoir parrainé spirituellement deux jeunes Danois qui
avaient voulu organiser des attentats à Copenhague. Le groupe aurait
apporté un soutien financier à un ancien détenu danois de
Guantanamo tué en Syrie en février 2013, Slimane Hadj Abderrahmane.
En août, un autre Danois, Abu Omar Altunes, trouve également la
mort en Syrie. A ce moment-là, la police estime que 65 Danois au
moins sont partis pour le djihad syrien, dont 6 ont déjà trouvé la
mort. Le 16 août 2013, un djihadiste, Abu Khattab, poste une vidéo
où il appelle des Danois à se joindre au djihad2.
Quelques jours plus tard, une autre vidéo montre Khattab et trois
autres combattants tirer sur 6 photos de personnes perçues comme
« ennemies de l'islam » (un agent de police, des
ministres, un avocat, un dessinateur de caricatures, l'imam Ahmed
Akkari, qui s'était violemment impliqué dans l'affaire des
caricatures de Mahomet en 2006, avant de dire qu'il le regrettait)3.
En
mai, la brigade des Muhajireen annonce la mort, deux mois plus tôt,
d'un djihadiste danois, Sørensen. Celui-ci aurait voyagé en Egypte,
au Yémen, au Liban et en Libye avant de rejoindre le groupe armé.
Il a été emprisonné au Yémen et au Liban et, selon ses dires,
torturé dans le premier pays. Il suit au Yémen les cours de
l'université Imam de Sanaa, avec l'imam Abdulmajid al Zindani, lié
à Ben Laden. Sørensen a ensuite vécu trois ans en Egypte avant de
partir faire la guerre en Libye, puis de rejoindre la Syrie. Il
trouve la mort dans la province de Lattaquié4.
En octobre 2013, les salafistes danois de Kaldet til Islam
intensifient leur effort de propagande dans les prisons après la
mort de leur chef, Shiraz Tariq, en Syrie. Tariq serait mort le 25
septembre dans la province de Lattaquié : lui aussi faisait
partie du groupe d'Omar ash-Shishani, lié à l'EIIL. Tariq
commandait probablement le contingent danois du groupe5.
Le 17 novembre 2013 survient l'annonce de la mort de deux Danois
supplémentaires, dont un jeune de 17 ans, tués à Alep6.
Le 13 janvier 2014, les insurgés confirment que Abou Khattab, dont
le sort était en suspens depuis plusieurs mois, a bien été tué en
novembre dans les combats, pendant que deux autres Danois étaient
blessés. Depuis l'été 2012, ce serait plus de 80 Danois, selon les
autorités, qui seraient partis en Syrie, dont 7 au moins, jusqu'ici,
ont été tués7.
Abou Khattab.-Source : http://cphpost.dk/image/box/25351/1920/1080.jpg |
Kenneth Sorensen.-Source : http://www.longwarjournal.org/images/Kenneth-S%C3%B8rensen-Muhajireen-Brigade.png |
Les
motivations des volontaires danois semblent assez variées. Certains
partent pour aider des frères sunnites, d'autres pour renverser une
dictature jugée ignoble. D'autres partent pour établir la charia,
voire un califat islamique, ou tout simplement pour subir le martyre.
Enfin, des volontaires recherchent tout simplement l'aventure. La
plupart sont des hommes de 16 à 25 ans, majoritairement issus de
l'immigration musulmane, mais il y a aussi des convertis danois. Le
groupe est donc plus jeune et diversifié que les contingents
précédents (Afghanistan, Somalie, Irak). Parmi les immigrés,
certains sont liés aux milieux criminels. Le recrutement se fait
notamment par la sensibilisation via les vidéos et les réseaux
sociaux. Il semble, encore une fois, que certains criminels partent
pour le « rachat des fautes ». La majorité des
volontaires a rejoint le front al-Nosra ou l'EIIL. La moitié des
personnes est déjà retournée au Danemark, et plusieurs ont
effectué des aller-retour8.
Big
A est l'un des chefs de gangs les plus connus du Danemark, à
Copenhague. De son vrai nom Abderozzak Benarabe, il a rejoint le
djihad en Syrie et a été approché par un journaliste du Guardian,
qui a suivi son parcours en 2012. Big A franchit la frontière en
rampant sous les barbelés turcs, puis une voiture le conduit dans la
province d'Idlib, à Sarjeh. Avec un autre Danois avec lequel il a
fait le voyage, il intègre une brigade d'Ahrar al-Sham qui comprend
25 hommes, dont un Canadien d'origine irakienne et 4 Ouzbeks -les
autres sont des Syriens. Il n'est pas engagé dans le combat près de
la ville d'Ariha : au contraire, son commandant de brigade le
renvoie au Danemark pour collecter des fonds, tâche où il estime
qu'il sera plus utile. Il retourne en Syrie après avoir collecté de
l'argent et du matériel, puis retourne à Copenhague où la guerre
des gangs fait rage. Après s'être exilé au Maroc car recherché
par les autorités danoises, il est arrêté et emprisonné à
Copenhague9.
Fin
juin 2014, une étude du Centre d'Analyse Terroriste danois estime
que plus de 100 personnes sont parties pour la Syrie, que 15 au moins
y ont été tuées et que de plus en plus de femmes gagnent également
ce pays. Certains Danois combattent aussi avec l'Etat Islamique en
Irak. La plupart des Danois qui font le djihad en Syrie proviennent
des cercles islamistes de Copenhague, Aarhus et Odense. Quelques-uns
sont liés aux milieux criminels. Le recrutement se fait surtout par
la propagande menée par les islamistes. La moitié des personnes
concernées est revenue au Danemark et, selon le centre, la plupart
tentent de tracer un trait sur leur expérience combattante en Syrie
et de reprendre leur vie d'avant10.
Le
Danemark est le pays scandinave où se trouve les cercles islamistes
radicaux les plus établis historiquement parlant. Hizb-ut-Tahrir y
est bien implanté et des prêcheurs radicaux opèrent dans certaines
mosquées. De nombreux candidats au djihad syrien sont cependant
proches d'une autre organisation, Kaldet til Islam, calquée sur
Sharia4UK et qui est en contact avec le fondateur de celle-ci,
Omar Bakri, réfugié au Liban. En 2012, les sympathisants de Kaldet
til Islam s'étaient rassemblés sur Kongens Nytorv, la grande place
de Copenhague, pour écouter les slogans de Bakri au téléphone,
depuis le Liban. Ces manifestations peuvent sembler
contre-productives mais en réalité, les vides dans la législation
danoise permettent au mouvement de se faire connaître et de recruter
plus facilement11.
En
septembre 2014, le Danemark, relativement à sa population musulmane,
est le deuxième pays d'Europe occidentale à envoyer le plus de
combattants en Syrie12.
Les Danois sont particulièrement radicalisés et rejoignent en masse
l'Etat Islamique pour participer à la construction du califat. Les
volontaires sont majoritairement des hommes de moins de 40 ans ;
le Danemark ne compte pas encore un contingent féminin très
important, contrairement à la Suède où selon les spécialistes
jusqu'à 30% des recrues sont des femmes. Le Danemark privilégie,
pour les combattants de retour au pays, des séances avec des
psychiatres, parfois en présence de la famille. Le programme a déjà
traité 30 djihadistes dont plusieurs de retour de Syrie : il
s'agit de les réinsérer dans la vie sociale au Danemark. La plupart
des sujets ont perdu leurs illusions au contact de la réalité en
Syrie ou en Irak, mais beaucoup refusent aussi de rejoindre ce
programme13.
Talha,
un jeune homme qui a combattu en Syrie, est devenu l'idole des jeunes
candidats au départ dans la ville d'Aarhus. Il a fait partie d'un
groupe islamiste pendant 9 mois avant de revenir au Danemark en
octobre 2013. Il condamne les exécutions d'otages étrangers par
l'Etat Islamique mais approuve la mise à mort des soldats syriens et
irakiens. Talha ne comprend pas pourquoi les Danois ont peur des
djihadistes qui reviennent au Danemark. Pourtant, la plupart se
radicalisent très rapidement : à Aarhus, ils viennent parfois
des gangs et notamment du quartier ghetto de Gellerupparken. Le
quartier a accueilli les immigrants à partir des années 1960 :
le chômage y est très important et les ambulances ne peuvent plus
s'y rendre sans une escorte policière. Talha, lui, a été influencé
par les vidéos montrant les exactions commises par le régime syrien
contre les sunnites. Il a rejoint la Syrie en octobre 2012, servant
d'abord dans l'humanitaire, puis ralliant très vite un groupe lié à
Ahrar al-Sham. Il a servi dans des batteries d'artillerie autour
d'Alep, et d'après lui, Ahrar al-Sham entretenait de bonnes
relations avec l'EIIL (ancêtre de l'EI). Pour les autorités
danoises, la majorité des 30 Danois d'Aarhus partis en Syrie sont
liés à la mosquée Grimhojvej, ce que dément son porte-parole,
Oussama el-Saadi. La police a entamé un dialogue dans la mosquée
pour dissuader les jeunes de partir : les responsables refusent
de condamner l'Etat Islamique et soutiennent toujours l'idée d'un
califat islamique au Moyen-Orient14.
En
novembre 2014, le service de renseignements danois affirme que l'Etat
danois a versé à 28 combattants danois de l'Etat Islamique des
allocations chômage, alors que ceux-ci étaient déjà partis en
Syrie15.
Le système social danois procure 108 euros par jour à ces
combattants, même si certaines ont touché des allocations moins
élevées. En octobre, al-Monitor raconte l'histoire de Araby
Ibrahim, un Danois arrêté au Liban qui a combattu en Syrie, d'abord
avec Ahrar al-Sham, puis avec le front al-Nosra pour enfin rejoindre
l'Etat Islamique. Son cousin Munzer al-Hassan, un Suédois, a été
tué par les forces de sécurité libanaises. Capturé par Ahrar
al-Sham en janvier 2014 alors qu'il combattait avec l'EIIL, il a été
arrêté en juin au Liban alors qu'il était rapatrié par son père,
qui participerait depuis le Danemark à l'acheminement de combattants
en Syrie. Allan Sorenson, un journaliste danois, estime que 200
Danois au moins sont partis faire le djihad, deux fois plus que
l'estimation des services de renseignement. Pour Magnus Rangstrop,
les motivations sont de l'ordre de la sortie du gang criminel,
l'attrait de l'aventure et aussi la croyance au Jugement Dernier et à
la fin des temps16.
8Truslen
mod Danmark fra personer udrejst til Syrien, PET, Center for
Terroranalyse, 24 novembre 2013.