Cet ouvrage collectif, qui se divise en 15 chapitres, réalisé sous la direction de R. McMahon, et constamment mis à jour en fonction des avancées de la recherche, se destine d'abord aux étudiants ou aux passionnés de la guerre du Viêtnam. Il s'agit d'un recueil de documents ayant trait au conflit, classés par thèmes et précédés de textes d'historiens spécialistes de chaque point abordé dans les différents chapitres. L'ensemble est parfois inégal en fonction des contributions mais reste globalement très intéressant notamment pour qui veut s'initier aux problématiques de la recherche sur la guerre du Viêtnam. Cette édition date d'une dizaine d'années et ne prend donc pas forcément en compte les avancées récentes, mais l'essentiel est là.
On notera d'ailleurs que le volume donne la parole à tous les courants de l'historiographie de la guerre du Viêtnam (parfois, même souvent, via des extraits d'ouvrages de ces historiens, avec autorisation des auteurs), puisque Michael Lynd, un historien du courant révisionniste, apparaît dès le premier chapitre.
David Marr aborde l'impact du colonialisme français en Indochine puis Mark Philip Bradley parle des relations entre les nationalistes viêtnamiens et les Américains. Le premier montre combien la structure sociale et le regard intellectuel au Viêtnam ont changé avant 1945 et le second explique de quelle façon une image mythifiée des Etats-Unis a façonné le nationalisme viêtnamien.
Patrick Hearden souligne combien les intérêts économiques des Etats-Unis, et notamment le redressement du Japon, ont conduit les Etats-Unis à soutenir la France en Indochine. David Anderson présente l'engagement de l'administration Eisenhower aux côtés du régime Diêm, qui jette les bases de nombre de problèmes qui mèneront à l'intervention directe américaine. Ronald Spector rappelle combien la mission de conseillers militaires américains a mal préparé l'armée sud-viêtnamienne qu'elle encadrait à affronter une insurrection et non une menace conventionnelle.
Michael Hunt souligne que Kennedy et son administration, quant à eux, n'ont jamais envisagé une solution diplomatique sérieuse, braqués sur un anticommunisme virulent et l'emploi de la force. A contrario, David Kaiser explique que Kennedy a cherché jusqu'au bout à ne pas intervenir directement et que le président était persuadé, jusqu'à sa mort, que l'effort militaire portait ses fruits. Robert Dallek, un spécialiste de Johnson, montre que le président américain a choisi l'intervention en raison d'une combinaison de facteurs domestiques, internationaux et personnels, sans compter une volonté permanente de compétition et de vouloir à tout prix l'emporter qui caractérisait sa personnalité. Fredrik Logevall quant à lui pense que Johnson et ses conseillers ont sciemment choisi la guerre en 1965 alors qu'ils avaient la possibilité de l'éviter.
Le chapitre sur la stratégie militaire américaine au Viêtnam n'est pas le meilleur de l'ensemble. Le colonel Summers, un révisionniste, critique à la fois la stratégie militaire et la direction civile : il est convaincu qu'une autre stratégie aurait permis la victoire des Américains. George Herring en doute fortement mais n'est pas moins critique sur la stratégie américaine, et notamment quant aux déficiences de Johnson sur le plan de la direction militaire du conflit. Le chapitre sur les Américains au combat, en revanche, est parmi les plus intéressants. Christian Appy démontre que les 2,5 millions d'Américains qui ont combattu au Viêtnam ne sont pas représentatifs de leur genération : 80% d'entre eux proviennent des classes populaires, ce qui fait de la guerre du Viêtnam "la" guerre de classe de l'histoire américaine. Il souligne aussi la démoralisation des soldats américains quand ceux-ci constatent le décalage entre les justifications officielles de l'intervention américaine et ce qu'ils voient sur le terrain. Gerard deGroot rappelle que les conditions du combat déstructurent l'armée américaine, victime des tensions raciales, de l'abus de drogues et de l'insubordination rampante.
Le chapitre sur l'ennemi, Nord-Viêtnam et Viêtcong, est l'un de ceux méritant d'être mis à jour car les travaux récents ont été nombreux sur le sujet depuis quelques années. William Duiker explique que les dirigeants du Nord n'ont jamais dévié de leur ambition de réunifier les deux Viêtnams, même s'ils ont préféré au départ, selon lui, la tactique politique plutôt que militaire. Qiang Zhai souligne que la Chine communiste a surtout soutenu Hanoï entre 1965 et 1968, mais que les tensions ont été vives jusqu'à la rupture sur fond de conflit soviéto-chinois. Sur le Têt, Robert Buzzanco décrit combien derrière le mythe de la défaite militaire communiste se cache une vraie déroute stratégique et politique pour les Sud-Viêtnamiens et leurs alliés américains. William Hammond montre combien la couverture du Têt par les médias a pu influencer les décisions de l'administration Johnson, et notamment celle fatidique du président de ne pas se représenter en mars 1968.
Le chapitre sur l'allié sud-viêtnamien mériterait là encore une actualisation en raison de travaux récents. Gabriel Kolko souligne combien le régime sudiste était tributaire de l'aide américaine et fonctionnait aussi beaucoup par la corruption, ce qui était de mauvais augure. Bui Diem, ancien ambassadeur du Sud aux Etats-Unis, défend lui l'idée selon laquelle le régime aurait pu évoluer, mais que les Etats-Unis n'ont pas accédé à cette démarche. Pour Melvin Small, Nixon n'a jamais eu de véritable stratégie au Viêtnam et n'a fait que prolonger l'oeuvre de Johnson, retardant d'ailleurs une paix qui a coûté de nombreuses vies américaines. Lewis Sorley, un révisionniste, soutient quant à lui que le général Abrams a virtuellement remporté la guerre en 1970 grâce à la pacification, et que ce sont les contraintes politiques et budgétaires aux Etats-Unis qui ont ruiné ce résultat...
Charles DeBenedetti démontre que les opposants à la guerre du Viêtnam, au départ, sont issus de contestataires aux essais nucléaires atmosphériques. Puis le mouvement se développe à partir de l'intervention directe en 1965. Paradoxalement, il n'a pas atteint beaucoup de ses objectifs mais a profondément impacté la société américaine. Rhodri Jeffrey-Jones raconte comment les femmes ont été une composante essentielle du mouvement anti-guerre, aidant en particulier à le faire entendre dans l'opinion publique. Adam Garfinkle soutient que le mouvement anti-guerre n'a pas réussi à la stopper mais à contribuer à la prolonger, même s'il partait d'une bonne intention (!).
Pour Larry Berman, les accords de Paris sont une véritable trahison du Sud-Viêtnam : Nixon et Kissinger promettent un soutien au Sud qui s'avère en réalité défaillant. Robert Brigham rappelle que ni le Nord-Viêtnam, ni le Viêtcong n'ont abandonné l'objectif de réunification après les accords de Paris, quand bien même des divergences ont existé sur la stratégie à suivre. Paul Kennedy montre dans le dernier chapitre l'impact de la guerre du Viêtnam, sur le plan internationale, pour les Etats-Unis, tandis que Marilyn Young décrit combien les mémoires du conflit restent divisées, ce qui désespère Arnold Isaacs.
Malgré la qualité inégale des contributions, on appréciera le stock de documents fournis ; surtout, l'ensemble constitue une bonne entame aux grandes problématiques du travail historien sur le conflit, aux Etats-Unis. Deux reproches peut-être : le manque de cartes et d'illustrations, et surtout des orientations bibliographiques en fin de chapitre parfois un peu légères ou un peu datées, même pour 2003. On aurait aimé que cet aspect soit plus travaillé pour disposer d'un véritable outil de travail.