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Jean-Louis TRIAUD, Tchad 1900-1902. Une guerre franco-libyenne oubliée ? Une confrérie musulmane, la Sanusiyya, face à la France, Racines du Présent, Paris, L'Harmattan, 1987, 203 p.

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Jean-Louis Triaud écrit ce livre suite à la découverte d'une quarantaine de lettres de la Sanusiyya, écrites entre 1898 et 1902. Des lettres qui montrent la vision très claire de l'adversaire français, de sa puissance, de ses intentions. Les Français, qui déclenchent une guerre qui durera 12 ans, chassent la confrérie dans son bastion de Libye orientale, fixant ainsi une partie des frontières du Tchad contemporain.

La Sanusiyya est une confrérie musulmane née en 1837 à La Mecque, créée par un Algérien exilé. C'est une structure lignagère, qui contrôle progressivement le commerce transsaharien entre la Cyrénaïque en Libye et le Ouaddaï, à l'est du Tchad. C'est pour cette raison qu'elle se heurte aux Français, mais aussi aux Anglais et aux Italiens, plus tard. La confrérie a une dimension mystique mais aussi missionnaire : elle s'implante bien dans les zones à faible encadrement politique et religieux. Mais elle a une installation sédentaire à travers les zawiya, véritables points fortifiés, entrepôts, lieux d'études et d'accueil. L'art de la guerre de la Sanusyya comprend d'ailleurs l'érection de fortifications. La confrérie arrive sur les bords du lac Tchad en même temps que les missions d'exploration françaises : la zawiya de Bir Alali est créée en 1899, un an avant la défaite du Soudanais Rabah devant les troupes françaises. Les deux camps s'observent, puis, en novembre 1901, les Français attaquent Bir Alali, ouvrant 12 années de guerre qui ne se terminent qu'avec la prise de la zawiya d'Aïn Galakka, près de Faya, en 1913, par le colonel Largeau. La Sanusiyya, à l'époque, est en pleine transition. Son centre de gravité se déplace au sud : le chef de la confrérie s'installe à Gouro, dans le Tibesti. Elle cherche à maintenir son alliance avec les Touaregs et avec les Awlad Suleyman, qui ont migré de Libye. Elle défait une première expédition française mal préparée, mais un second assaut à raison de Bir Alali en janvier 1902. La défaite aux Français va repousser la confrérie vers le nord et identifier la Sanusiyya à la Libye, ce que l'on verra contre les Italiens de Mussolini.

Le lieutenant-colonel Destenave, qui prend la suite de l'explorateur Emile Gentil, et qui arrive à Fort-Lamy en juillet 1901, liquide les derniers fils de Rabah et s'attaque à la Sanusiyya. Une première reconnaissance avec 200 tirailleurs et 25 spahis, contre Bir Alali, en novembre 1901, se heurte à la résistance sous-estimée de la confrérie. Humilié, Destenave constitue ensuite une colonne de 600 hommes qui repart à l'assaut le 20 janvier 1902. Le combat est sévère : les troupes françaises, en carré, se heurtent à des défenseurs (touaregs) postés en avant dans une tranchée camouflée, puis subissent des assauts au corps-à-corps. La zawiya est emportée, mais au prix de quelques dizaines de tués dont plusieurs officiers. Bir Alali se trouve certes au débouché de deux routes venant de Tripoli et Benghazi, mais l'agression française a surtout été motivée par la personnalité de Destenave et par des motifs de vengeance après l'échec de la première attaque. C'est pour justifier son action que Destenave fait traduire des lettres de la confrérie par Neigel, son interprète, et interroge un prisonnier survivant d'une caravane senoussiste prise en embuscade, Yusuf.

Ces lettres permettent de mieux connaître la Sanusyya. Elles mettent en avant Muhammad al-Mahdi, le fils du fondateur et chef de la confrérie, installé à Gouro depuis 1899. Ahmad al-Riffi est son homme de confiance. 6 autres personnages importantes apparaissent autour du chef. La route principale de la confrérie est l'axe Benghazi-Koufra-Abéché. Bir Alali est un poste avancé. La Sanusiyya tente de s'allier les Touaregs venus du Niger, qui sont très hostiles aux Français et qui font aussi de bons combattants. Ils font du renseignement pour la confrérie. Ils contrebalancent aussi les Awlad Sulayman, arabes nomades installés au Kanem depuis la Libye et qui sont déchirés par des querelles intestines. Depuis la mort de Rabah, la Sanusiyya tente de nouer des relations avec l'empire du Baguirmi et continue d'essayer de convertir les sociétés noires païennes. La Sanusiyya connaît bien les Français pour les avoir observés en Algérie et au Sahara, mais opte pour une prudente défensive, en fortifiant ses positions : elle manque d'armes et de soldats. La confrérie n'a pas beaucoup de fusils modernes ni de cartouches. Bir Alali a surtout été créée pour ravitailler Gouro. La circulation des cadeaux, des aumônes, constituent une bonne part de l'activité commerciale, ainsi que le trafic d'esclaves. La Sanusiyya est une confrérie religieuse, mais c'est aussi un appareil politique, basé sur l'implantation d'un élément exogène, fortement hiérarchisé et centralisé. Elle contribue à diffuser l'idée d'un Etat moderne, en se constituant un glacis stratégique vers le sud, ce qui répond aussi à l'oeuvre missionnaire en direction du coeur de l'Afrique.

Le livre de J.-L. Triaud, écrit en 1987, alors que Kadhafi est en train d'être battu au Tchad, prend un tour particulier (le sous-titre, une guerre franco-libyenne, reflète d'une certaine façon l'affrontement contemporain, que l'auteur semble décalquer en 1900-1902 : peut-on vraiment parler de Libye ? ). Cependant, les lettres sont présentées de manière critique, avec notes et explications. Le livre montre bien, à partir de ce corpus, que les Français ont mené une attaque préventive, comme souvent lors de la colonisation, croyant faire face à un adversaire redoutable. Après le premier échec, il fallait sauver la face. Et c'est ainsi que la Sanusiyya est chassée du Tchad. Et ce même si Gentil, comme le rappelle B. Lanne, ne s'est pas au final montré moins belliqueux que Destenave.



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