On ne présente plus Paul Claval, célèbre géographe français qui a largement contribué à modifier l'appréhension de cette discipline en France, depuis plusieurs décennies.
Claval est également un des spécialistes de l'historiographie de la géographie. Comme il le dit lui-même dans l'introduction de son Que Sais-Je, se pencher sur l'histoire de la géographie comme discipline scientifique, c'est faire un effort de décentrement. Géographie pratique et géographie scientifique ne sont pas antinomiques. La seconde s'est construite depuis l'Antiquité. Elle situe les observations et repère leurs positions relatives ; elle décrit les réalités concrètes du paysage ; elle reporte ses résultats sur des cartes, qui peuvent se lire à plusieurs niveaux ; elle corrige les fausses perceptions individuelles ou collectives ; elle s'inscrit dans un contexte intellectuel, politique et administratif à chaque époque.
La géographie naît au VIème siècle av. J.-C. en Grèce antique. Les Grecs sont surtout intéressés par la description de la Terre habitée. Plus tard, Eratosthène et Hipparque bâtissent les premières cartes, à une époque où l'on considère la Terre comme une sphère. Strabon réalise une géographie régionale tandis que Ptolémée et Denys d'Alexandrie résument le savoir acquis et donnent ainsi un cadre théorique qui manque par exemple aux géographes chinois de la même époque. La géographie décline au Moyen Age occidental alors qu'elle explose dans l'islam médiéval, avec Ibn Battuta et surtout Ibn Khaldoun. Les progrès de la navigation, la traduction de Ptolémée et les Grandes Découvertes relancent la géographie en Europe. La Renaissance remet à l'honneur la cartographie et fait de la géographie une science indispensable.
L'Etat moderne, avec ses guerres et son administration, nécessite une géographie véritablement scientifique. La France de Louis XIV est d'ailleurs la première à lancer une expérience de cartographie à l'ensemble d'un pays. Les cartes marines progressent et la géographie physique se renouvelle de par l'intérêt porté aux sciences naturelles. Rousseau réhabilite l'expérience de terrain, Turgot réfléchit à une géographie politique. Kant affirme que la géographie doit saisir la différenciation régionale de la Terre ; pour Herder, elle doit au contraire expliquer l'histoire de chaque peuple et la marche vers le progrès.
Au XIXème siècle, les transformations économiques et sociales conduisent aussi à l'institutionnalisation de la discipline. Pourtant, Alexandre de Humboldt, grand voyageur naturaliste, rattache plutôt la géographie aux sciences naturelles que sociales. Carl Ritter prolonge les réflexions de Herder et installe une certaine téléologie de la géographie. La parution du De l'origine des Espèces de Darwin et l'exploration du monde, pour les conquêtes coloniales, rendent plus que nécessaire l'évolution de la discipline. Friedrich Ratzel entame la géographie humaine mais dans une perspective qui se rapproche au départ d'un darwinisme social.
Avec la construction des nations en Europe, la géographie prend diverses formes. Celle physique se divise en plus sous-écoles, écologique ou thématique. L'Ecole allemande se construit avec la construction nationale, ce qui explique un penchant pour l'étude du paysage et une association précoce avec la révolution conservatrice. Son association avec le nazisme la discrédite après 1945. L'Ecole française est marquée par Elisée Reclus, grand spécialiste de la description aux idées parfois à contre-temps, et par Vidal de La Blache, qui en s'inspirant des Allemands, jette les bases de la discipline universitaire et lance les thèses régionales de description des milieux habités par l'homme. La géographie américaine connaît des hauts et des bases, sans pouvoir atteindre l'influence des deux autres. Les géographies économique et politique sont négligées comme toute la géographie humaine. Les études urbaines sont d'ailleurs surtout le fait d'historiens et de statisticiens.
Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que le contexte change pour la géographie. La discipline, renouvelée par un apport surtout anglo-saxon, passe dès le début de la décenie 1970 à la "Nouvelle géographie". Inspirée par l'économie spatiale, elle se heurte pourtant à une farouche résistance de la géographie traditionnelle et tombe vite en déclin. C'est pourtant là que la géographie devient vraiment une science sociale ; la géographie physique d'ailleurs décline également.
Dès les années 1970, de nouvelles orientations se font jour. La critique des injustices sociales a le vent en poupe. La géographie dite humaniste, la géographie du temps, et même la géographie politique, avec en France Yves Lacoste, reviennent sur le devant de la scène. Le postmodernisme, le postcolonialisme stimulent le renouveau de la géographie. Un tournant culturel a lieu entre 1995 et 2000.
Aujourd'hui, les géographes font face à la globalisation, s'intéressent aux questions d'identité, à la crise des idéologies politiques, à l'équilibre des dissuasions entre Etats, à la crise de l'environnement global. La géographie est devenue plus modeste. C'est une introduction aux sciences de l'homme.