Max Hastings, journaliste britannique et auteur de nombreux livres d'histoire, en particulier sur la Seconde Guerre mondiale, mais pas seulement, signe en 1981 cet ouvrage consacré au parcours sanglant de la division Das Reich depuis le sud-ouest de la France jusqu'en Normandie, en juin 1944, réédité aujourd'hui par Tallandier (et qui a déjà fait l'objet de plusieurs éditions françaises). Son travail est avant tout basé sur des archives officielles et de nombreux témoignages d'acteurs, français, allemands, britanniques, américaines. Hastings est parfaitement conscient, dès l'époque, des limites de son étude, qu'il qualifie de "description de certains drames en une phase critique des hostilités" (p.17).
La 2. SS-Panzerdivision Das Reich est rapatriée du front de l'est, décimée, en avril 1944, pour être cantonnée dans la région de Montauban. Hastings exagère l'efficacité des divisions de la Waffen-SS (p.30), que plusieurs ouvrages ont relativisé depuis la date de parution du livre, même si l'auteur colle à l'historiographie du moment (encore malheureusement présente, cette fois-ci sans raison, dans une certaine littérature spécialisée) ou qu'il ne critique pas systématiquement les témoignages d'anciens Waffen-SS (comme à la p.38). Néanmoins, il montre bien comment les nouvelles recrues, comme ces Alsaciens, sont très vites prises en main par les cadres survivants de l'unité vétérans des années de guerre, en particulier en URSS. Ces cadres sont complètement pervertis par le nazisme et par l'idéologie des SS, sans parler de la brutalité du front de l'est. Ils trouvent cependant la population française beaucoup plus hostile que lors d'un premier séjour quelques années plus tôt. La Das Reich participe à des opérations contre la Résistance dès le mois de mai 1944, multipliant exécutions sommaires, incendies de maisons et déportations d'habitants. Les réflexions de Hastings sur les Waffen-SS, p.42-45, sont plus convaincantes : perversion due au nazisme, l'accusation de lâche ou de faible qui pousse à choisir les solutions les plus brutales, et décourage les choix de l'intelligence ou même de l'initiative -d'ailleurs les officiers supérieurs brillants chez les Waffen-SS sont l'exception, comme l'illustre Lammerding, le commandant de la Das Reich à ce moment-là.
Sur place, la résistance, comme souvent est divisée, notamment entre ceux se réclamant de l'Armée Secrète, du général De Gaulle, et des FTP, avec des postures pour le moins différentes. Le SOE, créé en 1940, a surtout opéré en Yougoslavie, et sa liberté d'action en France a été entravée par des instances qui ne le voyaient pas d'un bon oeil, comme le MI6, en dépit du soutien de Churchill. Le SOE dispose de 5 réseaux concernés par le retardement de la montée en ligne de la Das Reich vers la Normandie. Cependant les chefs militaires et politiques alliés ne croient pas, pour l'essentiel, que les résistants français puissent interdire les déplacements de troupes allemandes et privilégient l'option aérienne. Mais des quantités d'armes plus importantes sont parachutées au deuxième trimestre 1944 dans l'espoir qu'après le débarquement, les résistants puissent constituer une gêne pour l'occupant -et c'est bien ce qui se produira, les Allemands réagissant de manière disproportionnée en détournant leurs troupes contre les résistants.
Les agents du SOE parachutés en France découvrent une résistance fragmentée, divisée, qui compte aussi de nombreux réfractaires au STO qui ont gagné le maquis mais pas forcément pour combattre. Dès l'annonce du débarquement, la Résistance s'attaque aux voies ferrées -avec des résultats mitigés, les réparations étant assez rapides- et s'empare aussi de localités. Or les Allemands ont édicté, dès le début de l'année 1944, des consignes de répression particulièrement féroces qui vont être reprises par les Waffen-SS et le haut-commandement en France devant la menace posée par les maquisards. Dès que la division Das Reich se met en marche, le 8 juin, elle est accrochée par de petits groupes de l'AS ou des FTP vite dispersés voire anéantis par la puissance de feu de la division allemande. Néanmoins la Das Reich perd probablement une quinzaine de tués et une trentaine de blessés en quelques jours, et arrivée à Brive, découvre les autorités allemandes locales prostrées en état de siège. La division, au vu de la situation locale dramatisée par le commandement allemand, a reçu l'ordre de "nettoyer" une région considérée comme infestée par les "bandes de partisans", ce à quoi elle va s'employer selon des méthodes habituelles pour elle.
En Corrèze, les maquisards sont particulièrement nombreux (2 000 à l'hiver 1943, bien plus après le débarquement) et les FTP dominent largement l'ensemble, même s'ils sont peu armés. Les communistes veulent s'emparer de Tulle, localité dont ils sous-estiment gravement le nombre de défenseurs -700 Allemands d'un bataillon de sécurité, 500 miliciens sans parler de membres du SD, de la police militaire allemande et autres administrateurs. L'assaut est lancé le 7 juin : désordonné, mené par des maquisards absolument pas préparés au combat urbain, il tourne à la confusion, même si les résistants parviennent progressivement à réduire les bastions adverses, prenant l'ascendant au soir du 8 juin malgré le manque de munitions. Il suffit de l'arrivée, peu après, du bataillon de reconnaissance de la Das Reich pour mettre en fuite les maquisards. Les Waffen-SS, prenant prétexte de la découverte supposée de 40 corps de soldats allemands mutilés (exécutés après s'être rendus, information que Hastings ne peut confirmer et qui ressemble par ailleurs à certaines justifications de massacres utilisées par les Waffen-SS sur le front de l'est ; de manière générale, Hastings passe assez vite sur les détails et les polémiques), pendent 99 hommes aux lampadaires et à certains balcons de Tulle. Lammerding, le patron de la Das Reich, a prétendu après la guerre ne pas avoir été au courant de l'action de ses hommes, ce qui est manifestement faux, d'après l'auteur : c'est bien lui qui a donné les ordres.
Les équipes Jedburgh parachutées sur place pour semer la destruction sur les moyens de communication allemands se retrouvent confrontés à la même situation que leurs collègues du SOE face à la Résistance. La plupart tentent de collaborer avec tous les mouvements, ignorant la situation politique -Hastings évoquant d'ailleurs plus facilement les maquis AS et autres que FTP. La Das Reich, qui continue sa progression vers le nord, continue de semer la mort sur son passage. Une cinquantaine de personnes perdent ainsi la vie, le 9 juin, à Argenton-sur-Creuse, qu'une compagnie de Waffen-SS reprend aux maquisards. Alors que la Das Reich entre dans Guéret, le 9 juin au soir, le major Kampfe, qui commande le 3ème bataillon du régiment Der Führer et qui regagne Limoges, est intercepté et capturé par des maquisards, et selon toute vraisemblance, abattu peu après. Le lendemain, le régiment Der Führer râtisse le Limousin à la recherche de l'officier que les Waffen-SS pensent encore en vie. C'est à cette occasion qu'est capturée Violette Szabo, membre éminent du SOE.
Le lendemain, le chef du 1er bataillon, le major Dickmann, dont le parcours a également été mouvementé de par la résistance rencontrée en route, monte une expédition punitive avec la 3ème compagnie à Oradour-sur-Glane, sur base d'informations erronées selon lesquelles Kampfe aurait été transporté à travers le village. Les Waffen-SS arrivent à 14h15 dans ce petit bourg à la population gonflée par les réfugiés mais qui avait jusqu'ici relativement préservé par la guerre. Le récit du massacre par Max Hastings est beaucoup plus détaillé que pour celui de Tulle, notamment parce qu'il dispose de bien plus de témoignages français en particulier. Les actes du major Dickmann causent un certain trouble du côté allemand, et jusqu'au commandement de la division, qui estime que l'officier a quelque peu dépassé les bornes - ce qui n'empêche nullement la Das Reich de tuer ailleurs ce même jour, ni de faire déporter quelques jours plus tard les otages non pendus à Tulle... et Dickmann reste à la tête de son bataillon.
Les hommes de l'escadron D du 1er régiment du SAS ont également été largués dans la région juste après le débarquement, après que leur mission ait fait débat à Londres. Or les SAS se retrouvent eux aussi confrontés aux divisions de la Résistance, et mal préparés à opérer dans ce milieu : leur indiscrétion cause en partie leur perte, malgré quelques résultats, notamment la destruction d'un train transportant du carburant pour la Das Reich. Arrivée en Normandie le 13 juin, la division -qui n'est au complet que bien après- subit rapidement la puissance aérienne alliée et les effets de l'artillerie -le régiment Der Führer perdant 960 hommes en 4 jours. La campagne de Normandie voit d'ailleurs disparaître les protagonistes les plus importants du drame d'Oradour-sur-Glane, Dickmann et le capitaine Kahn, ce qui évite opportunément aux Allemands de revenir sur cette affaire... les Alliés reconnaissent dès le mois d'août le rôle de la Résistance dans la perturbation de l'acheminement des renforts allemands en Normandie, certes chèrement payé. Pour la Résistance, l'épisode entre dans le rang du mythe. Il ne faudrait pas cependant minimiser l'action de résistants intrépides, mal armés, peu rompus à la discipline militaire, mais qui, comme le soulignent Max Hastings, aidèrent quelque part la France "à retrouver son âme" (p.327). L'auteur souligne pour terminer que le comportement de la Das Reich à l'égard des civils en armes n'était pas forcément répréhensible au regard du droit international de l'époque (convention de La Haye en particulier), même si l'attitude de la division lors de sa remontée vers le nord a été abominable, mais pas seulement de manière gratuite : il s'agissait aussi de décourager les maquisards et de faire cesser la panique des troupes allemandes locales, complètement paniquées par la "menace" de la Résistance. Les procès de l'après-guerre ne sont guère satisfaisants, d'autant qu'à celui d'Oradour, on trouve 14 Alsaciens de la Das Reich, ce qui provoqua de sévères déchirures. Lammerding, que les Britanniques n'ont jamais voulu extrader, meurt dans son lit en 1971. On aurait aimé que l'auteur développe un peu plus cette partie que de finir sur des considérations quasiment morales et non plus historiques, comme il le reconnaît lui-même (p.336).
Près de trente ans après sa parution, le livre de Max Hastings, malgré ses défauts, continue d'être une référence sur le sujet. Le journaliste britannique -et peut-être parce que britannique- présente les faits en essayant de les replacer dans leur contexte : l'accélération de la répression allemande en France au printemps 1944, le profil de la division Das Reich, l'évolution de la Résistance après le débarquement en Normandie. Il souffre certes d'une vision maintenant datée de ce qu'était la Waffen-SS, et certainement aussi, de se focaliser, origine de l'auteur oblige, sur les interventions des Britanniques et moins sur les Français. On note aussi qu'il est probablement dépassé par plusieurs ouvrages français postérieurs, dont certains néanmoins très récents -je pense à celui de F. Grenard sur le massacre de Tulle qu'il me reste à lire. Le journaliste britannique expédie également assez rapidement les questions sur la mémoire et l'historiographie du sujet, sur lesquelles il y avait beaucoup à dire : là encore, il est tributaire de son époque. Mais on se plonge toujours avec intérêt dans une lecture qui garde, comme celle-ci, un certain attrait.