Idée très intéressante que celle des éditions Glénat, partenaire ici des éditions Fayard, pour cette nouvelle collection, Ils ont fait l'histoire, dont les premiers tomes sont sortis en début d'année. Celle-ci associe scénaristes et dessinateurs de BD et historiens universitaires (sérieux) pour retracer la vie de grands personnages ayant marqué l'histoire.
Le tome consacré à Charlemagne bénéficie ainsi du concours de Geneviève Bührer-Thierry, ancienne élève de l'ENS Saint-Cloud, agrégée d'histoire, professeur d'histoire médiévale à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, codirectrice de la revue Médiévales. En tant que spécialiste des relations de pouvoir dans le monde franc et germanique du Haut Moyen-Age, j'avais eu l'occasion de la lire pour mon sujet d'histoire médiévale à l'agrégation.
Outre les 48 pages de BD, l'historienne signe aussi en fin de volume un encart avec 5 pages racontant l'essentiel sur Charlemagne -le tout bien illustré et légendé. La partie la plus intéressante, qui vient ensuite, est sans doute le "making of" de la BD. Geneviève Bührer-Thierry explique ainsi que les sources sur la vie de Charlemagne sont nombreuses juste après sa mort : la vie d'Eginhard, bien sûr, mais aussi le Livre des papes pour les relations avec la papauté et les nombreuses correspondances épistolaires. L'historienne a fait le choix de ne pas s'appuyer sur les sources tardives comme le texte du moine de Saint-Gall, de la fin du IXème siècle, d'où est tirée la légende républicaine d'un Charlemagne inventaire de l'école. En revanche, elle souligne dans la BD le rôle d'Alcuin pour promouvoir l'instruction. Elle écarte d'autres aspects de la légende, comme la reconstruction de la bataille de Roncevaux par La chanson de Roland et le mythe de l'empereur à la barbe fleurie, alors qu'en réalité, on est bien en peine de retrouver une représentation fidèle de Charlemagne. La reconstitution des décors est rendue difficile par l'absence de vestiges monumentaux, hormis Aix et quelques églises ; c'est particulièrement vrai pour Rome. Si on connaît bien les éléments de la culture matérielle par l'archéologie, il est difficile en revanche de restituer les couleurs exactes. Le parti pris narratif choisit d'arrêter l'album avec le sacre en 800 ; la narration fait aussi des raccourcis pour introduire des personnages sur un temps plus resserré qu'en réalité. Le propos de l'historienne se complète d'une chronologie et d'une bibliographie indicative, ce qui est une excellente chose.
Le dessin de Gwendal Lemercier, qui a déjà traité des séries de BD médiévales-fantastiques, cadre bien avec le propos. Le défi consistait ici dans le traitement d'une vie bien remplie, celle de Charlemagne, que les auteurs ont choisi de cisailler pour ne l'aborder que dans la partie la plus intense, finalement, jusqu'en 800. Néanmoins, on n'évite pas les cases explicatives pour bien situer l'action et pour la personne qui découvre le sujet, il peut être utile de commencer la BD par les 5 pages du dossier de l'historienne Geneviève Bührer-Thierry, pour ne pas être perdu. L'avantage de ce dernier est aussi que l'historienne souligne les limites de l'exercice, mené pourtant par une universitaire : le lecteur est prévenu. Ce qui est important ici, c'est que la collaboration entre auteurs de BD et historiens universitaires permet à l'outil qu'est la bande dessinée de devenir un moyen de vulgarisation crédible sur un sujet d'histoire sérieux, ici la vie de Charlemagne. La finalité est aussi pédagogique et il est clair que cette collection de BD se destine à être utilisée par les enseignants du secondaire, les CDI et autres acteurs de l'Education Nationale concernés. Un beau et sérieux travail de vulgarisation historique à destination du grand public.