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Richard H. SHULTZ, Jr, The Secret War Against Hanoi. The Untold Story of Spies, Saboteurs and Covert Warriors in North Vietnam, Perennial, 2000, 408 p.

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Richard H. Shultz est historien spécialiste des questions de sécurité internationale. Il est professeur de relations internationales à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université de Tufts, où il dirige un programme d'études sur les questions de sécurité internationale. Shultz, dès le début de sa carrière universitaire, s'est spécialisé sur la guerre du Viêtnam, en particulier la question de l'insurrection. Comme il a servi, en tant que civil, au ministère de la Défense, il a des contacts appréciables dans le milieu des militaires américains.

Ce livre, paru en 1999, en bénéficie. Shultz s'attaque en effet à l'histoire de la campagne secrète menée par les Etats-Unis contre le Nord-Viêtnam entre 1964 et 1972. Pour ce faire, il a bénéficié de documents déclassifiés du MACV-SOG en 1995, ainsi que de l'aide du commandant de l'Army Special Operations Command de l'époque, le général Scott, qui a déclassifié des documents et encouragé les officiers vétérans à témoigner. Shultz s'intéresse non seulement au volet militaire de l'opération mais aussi à l'implication des administrations politiques américaines successives dans celle-ci. L'historien, à travers 8 chapitres, explique comment le président Kennedy lance l'opération dès janvier 1961, qui débouche en 1964 sur l'OPLAN 34A, qui forme la base de la campagne clandestine contre le Nord-Viêtnam. Puis il explique la lente mise en oeuvre de cette opération et ses différentes composantes, qui visent deux centres de gravité adverses : la sécurité intérieure du Nord-Viêtnam et la piste Hô Chi Minh. Il évoque également la non intégration ou presque de ces opérations dans la stratégie générale du commandement américain pendant la guerre. Pour conclure, il montre combien Kennedy avait voulu utiliser cette campagne clandestine pour affaiblir le nord, la transférant de la CIA aux militaires ; Johnson y mit pourtant de fortes contraintes politiques. En 1968, malgré les échecs, les Nord-Viêtnamiens s'inquiètent de la proportion prise par la campagne, développent leur contre-espionnage et la protection de la piste Hô Chi Minh.



Dès 1961, Kennedy, féru de contre-insurrection et de l'emploi des forces spéciales, veut mener une campagne clandestine pour empêcher Hanoï de déstabiliser le Sud-Viêtnam. La CIA a alors l'expérience la plus importante, comme le montre certains succès, en Iran (1953), au Guatemala (1954) mais en revanche, elle s'est heurtée à un mur face au bloc de l'est. Contre le Nord-Viêtnam, les opérations débutent dès 1954 mais sur une fréquence irrégulière. Après le désastre de la baie des Cochons, Kennedy délègue cette tâche au Pentagone. En 1962, la "neutralisation" du Laos après un début de guerre civile laisse cependant en état le système logistique nord-viêtnamien baptisé ensuite piste Hô Chi Minh. La CIA n'arrive pas à implanter des agents au Nord-Viêtnam, régime communiste particulièrement imperméable, et mène de petites opérations spéciales maritimes sur les côtes. C'est alors que la situation du Sud-Viêtnam se dégrade, dans la première moitié de 1963, qu'est conçu l'OPLAN 34A, qui n'entre en oeuvre qu'en 1964 après la formation du MACV-SOG pour l'appliquer.

Le colonel Russell, son premier chef, est issu des Special Forces, plus taillées pour la contre-insurrection que pour la guerre non-conventionnelle. Les moyens prêtés par la CIA sont faibles et les Américains ne font pas confiance à leurs homologues sud-viêtnamiens des forces spéciales et du renseignement, de peur de fuites. Et ce alors même que le Nord-Viêtnam accélère l'envoi d'hommes et de matériel au sud. Le commandement américain au Viêtnam ne semble pas prendre au sérieux ces opérations, comme le constate le second chef du MACV-SOG, Don Blackburn. Hormis l'insertion d'agents au Nord, celui-ci mène des opérations maritimes clandestines, de la guerre psychologique et des opérations secrètes contre la piste Hô Chi Minh, d'abord au Laos. Cette dernière branche, commandée au départ par Bull Simons, va progressivement devenir la plus importante. Le MACV-SOG dispose de ses propres hélicoptères, fournis parfois par les Sud-Viêtnamiens, d'une division logistique et d'une autre de communications. L'approbation des missions par le pouvoir politique, en particulier celles au Laos, suit une chaîne particulièrement lourde. Il faut dire que la CIA mène sa propre guerre au nord du Laos avec les Hmongs et rechigne à voir le MACV-SOG empiéter sur ses plate-bandes.

De fait, les Américains n'ont pas l'expérience, comme leur adversaire, des structures clandestines, sans compter que le gouvernement du Sud-Viêtnam a de sérieux handicaps. La CIA insère 40 équipes d'agents entre la période 1961-1963 qui sont quasiment tous éliminés par les Nord-Viêtnamiens. Les quelques équipes qui communiquement encore ont en fait été retournées par les Nord-Viêtnamiens ou manipulées par eux pour intoxiquer les Américains. La CIA avait laissé le recrutement des agents aux Sud-Viêtnamiens. En outre, le pouvoir politique ne veut pas que les militaires établissent un mouvement de résistance au Nord-Viêtnam, ce qui serait considéré comme un degré d'escalade trop risqué... Singlaub, qui prend la tête du MACV-SOG en mai 1966, doit pourtant continuer d'envoyer des agents. Les Américains qui travaillent dans cette branche sont pour la plupart sans expérience de ce genre de mission. Hanoï, rompu à la guerre secrète et disposant d'un appareil de sécurité conséquent, n'a aucun mal à déjouer les tentatives d'infiltration américaines. En mars 1968, les Américains changent enfin de stratégie : ils vont eux aussi mener des opérations d'intoxication en jouant sur la paranoïa prêtée aux communistes. Ils recrutent des prisonniers de guerre nord-viêtnamiens qui sont renvoyés au Nord-Viêtnam, pour jeter la suspicion dans les rangs de l'armée. D'autres prisonniers capturés lors des opérations maritimes secrètes sont emmenés dans l'île du Paradis, au large du Sud-Viêtnam, où on cherche à leur faire croire à l'existence d'un authentique mouvement de résistance au Nord-Viêtnam, la Ligue des Patriotes de l'Epée Sacrée. Un autre projet met en oeuvre de fausses communications radios laissent croire que des agents opèrent au Nord-Viêtnam, avec parachutages associés pour en renforcer la crédibilité. Les équipes Strata, qui effectuent des incursions au Nord-Viêtnam, juste au nord de la zone démilitarisée, laissent sciemment du matériel de guerre psychologique en rapport avec ces opérations d'intoxication. Celles-ci sont stoppées en novembre 1968 alors même qu'elles commencent à sérieusement inquiéter les Nord-Viêtnamiens, qui exagèrent l'effort américain comme cela était prévu.

La guerre psychologique souffre elle aussi du manque de personnel qualifié, même si des Viêtnamiens du Nord ayant fui en 1954 au Sud contribuent aux opérations. Fausse propagande nord-viêtnamienne, lettres factices exerçant des chantages, fausses stations de radios et surtout la Ligue des Patriotes de l'Epée Sacrée sont le lot quotidien de cette branche du MACV-SOG, qui fabrique aussi de la fausse monnaie ou des caisses de matériel piégé. La Ligue des Patriotes de l'Epée Sacrée tire son nom de l'épée légendaire de Le Loi, qui a chassé les Chinois de la dynastie Ming au XIVème siècle, et dont l'épée représente le mandat céleste accordé pour ce faire. Plus d'un millier de prisonniers passe, entre 1964 et 1968, sur l'île du Paradis, au large de Da Nang, pour être persuadés qu'existe ce mouvement de résistance nationaliste au Nord-Viêtnam. Le MACV-SOG crée aussi une fausse radio Hanoï et parasite celle du Viêtcong au sud. Il parachute de la propagande mais aussi de fausses lettres de soldats nord-viêtnamiens au sud, des lettres compromettantes pour des cadres importants (fausses encore une fois). Les Américains achètent aussi des munitions d'AK-47 ou des obus de mortiers de 82 mm dans des pays tiers et les piègent, puis les disséminent sur la piste Hô Chi Minh. Les Américains ne peuvent cependant développer plus avant le programme au Nord-Viêtnam, car le pouvoir politique ne souhaite pas revivre le précédent hongrois de 1956. Le manque de ligne stratégique claire et de système d'évaluation nuit à l'effort. Là encore, avant l'arrêt de novembre 1968, Hanoï s'inquiète et prend des contre-mesures, exagérant la menace.

Dès 1961, un ancien Marine de la CIA, Gougelmann, mène des opérations maritimes secrètes contre le Nord-Viêtnam à partir de Da Nang. Ces opérations restent d'ampleur limitée avec des embarcations légères spécialisées, mais elles sont vues par le pouvoir politique américain comme la composante la plus efficace de l'OPLAN 34A à son lancement. En réalité, la branche maritime souffre des mêmes difficultés que les autres, notamment dans le recrutement sud-viêtnamien. D'autant que les règles d'engagement empêchent les Américains de participer à des missions contre le Nord-Viêtnam. La chaîne d'approbation des missions, là encore, est excessivement lourde. Les résultats des premières opérations, en 1964, sont maigres, mais conduisent néanmoins à l'incident du golfe du Tonkin en août, prétexte que saisit Johnson pour engager les Etats-Unis dans la guerre. Si les opérations maritimes constituent une gêne pour Hanoï en 1965, en interdisant les sorties de bateaux, les Nord-Viêtnamiens réagissent en renforçant les défenses côtières dès l'année suivante ; les Sud-Viêtnamiens, de moins en moins motivés, ne coulent plus que des jonques de pêche... comme le MACV-SOG ne mène plus de débarquements au Nord-Viêtnam, ses moyens maritimes sont engagés contre le Viêtcong au Sud... arrêtées en novembre 1968, les opérations maritimes auront finalement peu produit de résultats alors que le pouvoir politique américain en attendait beaucoup.

Comme le révèle l'ancien colonel nord-viêtnamien Bui Tin en 1995, la piste Hô Chi Minh constitue bien l'un des centres de gravité de Hanoï. La neutralisation du Laos en 1962 se fait au prix du maintien de la piste Hô Chi Minh. Dès 1964, le MACV-SOG envoie des équipes baptisées Leaping Lena dans des incursions au Laos pour sonder ce dispositif logistique, missions périlleuses dont bien peu d'équipes reviennent. En 1965, Bull Simons prend la tête de la branche chargée d'interdire la piste Hô Chi Minh. Il installe sa base d'opérations à Kham Duc. Simons fait appel à des officiers vétérans de ce genre de missions, comme Larry Thorne, un Finlandais qui a combattu contre les Soviétiques aux côtés des nazis avant de passer dans les Special Forcesà la faveur de la guerre froide. Des sergents des Special Forces conduisent les opérations au Laos, comme Dick Meadows, véritable légende du projet Shining Brass (les incursions au Laos). Les équipes sont renforcées de mercenaires nungs chinois et de montagnards. Le MACV-SOG se heurte cependant à la personnalité de l'ambassadeur américain au Laos, Sullivan, qui voit d'un mauvais oeil ces incursions des Special Forces qui risquent de remettre en cause l'accord de 1962. Les missions se développent en 1966, ramènent des prisonniers, pour des pertes encore limitées. Les pénétrations au Laos sont étendues plus loin avec un nouveau nom de code, Prairie Fire. Elles sont de mise aussi au Cambodge, à partir de 1967 (missions Daniel Boone). Les Nord-Viêtnamiens réagissent en 1968, l'année du Têt. Des milliers d'hommes gardent les abords de la piste, surveillée par des guetteurs. Hanoï étudie les modes opératoires du MACV-SOG. Des troupes spéciales, comme l'unique 305ème brigade aéroportée de l'armée nord-viêtnamienne, traquent les équipes américaines, sans pitié. Les Nord-Viêtnamiens plantent des taupes au Sud-Viêtnam pour être prévenus à l'avance des opérations, et pour attaquer précisément les bases de lancement des opérations. Les pertes montent alors même qu'en raison du Têt, les missions se concentrent au Sud-Viêtnam. En 1969, les incursions au Laos provoquent 50% de pertes. Celles au Cambodge sont plus faciles (nouveau nom de code : Salem House) mais apportent peu de renseignements. En 1970, avec le retrait américain en marche, le Laos devient quasiment imperméable. Pour l'opération Lam Son 719, en février 1971, le MACV-SOG tente de mettre en oeuvre des diversions pour aider l'ARVN. Suite à l'échec sud-viêtnamien, les missions Prairie Fire incluent désormais le nord du Sud-Viêtnam investi par les Nord-Viêtnamiens. C'est le manque de renseignements humains fiables qui explique aussi la surprise américaine devant l'ampleur de l'offensive de Pâques 1972.

Pour les chefs successifs du MACV-SOG, les commandants américains au Viêtnam n'ont jamais cherché à intégrer le dispositif dans leur stratégie. Westmoreland le tolère mais ne l'emploie pas à bon escient. Abrams est encore plus hostile. Les militaires américains n'ont jamais tenu en grande estime les Special Forces prisées par Kennedy, ni considéré avec beaucoup d'intérêt l'OPLAN 34A. Westmoreland n'a jamais vu l'utilité du MACV-SOG. Il n'y a en fait aucune stratégie définitive : le commandement de théâtre est divisé entre le Pacific Command (qui ne s'intéresse pas plus aux opérations spéciales) et le MACV, sans compter les ambassadeurs des pays voisins. Lansdale, poussé en avant par Kennedy, est évincé d'un possible commandement de l'ensemble de ces opérations par les militaires réguliers.

Autour de Kennedy, son administration est une fervente supportrice de l'emploi d'opérations spéciales contre Hanoï : Robert Kennedy, Walt Rostow, et même McNamara. Elle ne sait pas en revanche que l'armée américaine a encore moins les moyens de mener ce genre de missions que la CIA. Johnson, lui, poursuit sur la lancée de Kennedy et accroît le volume des opérations spéciales, au Nord-Viêtnam mais également au Laos, tout en posant des bornes strictes pour éviter une escalade redoutée avec la Chine ou l'URSS, ce qui pose les règles des opérations du MACV-SOG jusqu'à la fin de la guerre.

Pour Shultz, tous les présidents américains de la guerre froide ont eu recours aux opérations clandestines. Ils ont tous eu des conseillers qui ont poussé à leur emploi. Ces opérations ont bien été pilotées par la Maison Blanche. Ces opérations passent de la CIA au Pentagone au Viêtnam. Mais l'armée manque de personnel expérimenté et les chefs voient d'un mauvais oeil les adeptes de ces opérations clandestines. La CIA ne collabore pas non plus de manière étroite avec l'armée. Le MACV-SOG connaît certains succès seulement en 1968, après des échecs retentissants comme l'insertion d'agents au Nord-Viêtnam (avec la perte de pas moins de 500 agents). Les Special Forces, comme le reste de l'armée américaine, sortent hagardes du conflit. Il faudra attendre 1986 pour assister à la création d'un Special Operations Command et la décennie 1990 pour voir le potentiel des Special Forcesà nouveau reconnu.

Au final, un livre essentiellement bâti sur des sources primaires, qui offre une bonne analyse de ce qu'a été le MACV-SOG durant la guerre du Viêtnam, ses limites, son échec final mais aussi les quelques succès à son actif. Shultz soutient l'idée qu'Hanoï avait largement infiltré l'armée et le gouvernement sud-viêtnamiens, compromettant nombre d'opérations, et que le recrutement laissait à désirer au Sud-Viêtnam. Il y a effectivement des faits qui corroborent cette hypothèse mais il conviendrait de ne pas en faire forcément le facteur décisif de l'échec américain, comme le font certains vétérans interrogés dans le livre.




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