Depuis
les combats contre l'EIIL déclenchés le 3 janvier 2014, les
annonces de décès de combattants azéris parmi les insurgés
syriens se sont multipliées. Le 16 janvier, l'étudiant Tural
Ahmadov est déclaré mort au combat. Deux autres Azéris, Rauf
Khalilov et Najaf Karimov, âgé de 14 ans, avaient péri deux jours
plus tôt. Deux autres sont morts le 4 janvier. Début août 2013, un
combattant azéri appelait ses compatriotes à rejoindre le djihad.
On estimait alors que 60 Azéris étaient déjà partis et que 20
avaient trouvé la mort en Syrie1.
L'Azerbaïdjan, bien qu'il ait dénoncé la politique du régime
syrien, n'a pas soutenu ouvertement les rebelles. Ses services de
sécurité auraient déjoué plusieurs tentatives de djihadistes
visant à commettre des attentats dans le pays. Les estimations
varient de 100 à 400 Azéris, salafistes radicalisés, qui seraient
partis pour le djihad. Le salafisme a pris pied en Azerbaïdjan, pays
de tradition chiite, à Bakou et dans le nord du pays. Le 15 décembre
2013, la police a arrêté 15 personnes lors d'une rixe à Sumgaït,
apparemment entre deux groupes salafistes qui discutaient des
modalités du djihad en Syrie et qui en sont venus aux mains2...
Les
Azéris ont rejoint le front al-Nosra et l'EIIL, mais ils combattent
visiblement surtout avec le groupe d'Omar ash-Shishani, composé de
Tchétchènes et également de nombreux Caucasiens. Les Azéris du
groupe sont commandés par Abou Yahya al-Azeri et viennent pour
l'essentiel du nord de l'Azerbaïdjan, plus proche du Nord-Caucase.
Mais les Azéris, contrairement aux Tchétchènes par exemple, ne
voient pas le combat comme la continuation de celui contre la Russie
(qui soutient Assad). D'ailleurs des Azéris combattent aussi,
probablement, parmi les miliciens étrangers pro-régime -le pays
comprend 65% de chiites. Le voyage se fait probablement via la
Turquie3.
L'imam de la mosquée Abou Bakr à Bakou, Haji Gamat Suleiman, a été
approché par des jeunes souhaitant partir faire le djihad soit pour
défendre la communauté sunnite de Syrie, soit pour résoudre des
problèmes personnels. Les volontaires sont pour la plupart des
adolescents ou des hommes jeunes d'une vingtaine d'années, venant
souvent de familles pauvres et assez pieuses4.
Au
total, au moins 7 Azéris ont été tués les 3-4 janvier 2014 lors
du déclenchement des combats contre l'EIIL, dont un jeune garçon de
14 ans originaire du Nakhitchevan5.
Les Azéris ont une longue tradition de djihadisme, puisqu'un certain
nombre d'entre eux avaient participé à la guerre en Afghanistan et
à celles en Tchétchénie. Près de 70 Azéris ont été arrêtés
entre 2001 et 2003 par le Ministère de la Sécurité Nationale en
tentant de rejoindre la Tchétchénie. Entre 1999 et 2013, au moins
33 Azéris y ont trouvé la mort, surtout pendant la période la plus
intense des combats (jusqu'en 2005). 23 Azéris ont péri en
Afghanistan dont au moins un kamikaze. 200 à 250 Azéris seraient
encore en Afghanistan et au Pakistan. En 2009, les autorités ont
arrêté 13 hommes à la frontière avec l'Iran qui revenaient de ces
pays. Azer Misirxanov, tué par une frappe aérienne américaine,
était même l'un des membres importants de Taifetul Mansura.
Il avait également combattu dans le Nord-Caucase.
Dès
la mi-août 2012, un journaliste français à Alep prétend avoir vu
des combattants azéris, ce qu'un journaliste turc enlevé avait déjà
affirmé en mai. A l'automne 2012, un premier combattant est
identifié : Zaur Islamov, 37 ans, originaire de Qusar,
province frontalière du Daghestan. Au moins un des membres du groupe
afghan de Misirxanov a été tué en Syrie : Araz Kangarli,
arrêté plusieurs fois par les autorités azéries, dont la mort est
annoncée en novembre 2012. Un journal turc évoque la mort de 4
autres combattants et la présence de nombreux autres. Depuis la fin
2012, on comptabilise en tout 100 tués annoncés, mais l'auteur de
North Caucasus Caucus a recensé, lui, 41 combattants dont 30
ont été tués, échantillon bien sûr incomplet.
Les
djihadistes azéris, sans surprise, viennent de régions connues pour
avoir fourni des combattants en Tchétchénie ou en Afghanistan et
sujettes aux opérations contre-terroristes des autorités. Sumgaït
revient fréquemment. En 2007, les autorités annoncent avoir
démantelé un groupe Abou Jafar, mené par un Saoudien, Naielm
Abdul Kerim al-Bedevi, présent dans le pays depuis 2001 et qui a
voyagé dans le Nord-Caucase. En 2008, Ilgar Mollachiyev aurait fait
essaimer les « Frères de la forêt » du Daghestan
en Azerbaïdjan en créant deux cellules à Sumgaït et Quba/Qusar.
En juillet, l'un des membres aurait reçu pour mission d'attaquer la
mosquée Abou Bakr, provoquant une réaction virulente du
gouvernement contre la communauté sunnite pieuse. Le groupe de
Sumgaït devait braquer des banques pour fournir des fonds aux
opérations, afin d'acheter les armes et le matériel. En
septembre-novembre, ses membres visitent un village du district de
Balakan, à la frontière avec la Géorgie, où on leur donne des
armes et des munitions à acheminer à Sumgaït. Quand la police
intervient, en janvier 2009, deux caches d'armes sont trouvés avec 3
vestes explosives et 5 kg de plastic.
Au
nord de l'Azerbaïdjan, on trouve beaucoup de Nord-Caucasiens dont
beaucoup sont sunnites. En 2001, des groupes liés à ceux du
Nord-Caucase tuent 10 policiers dans les districts de Balakan et
Zaqatala. En 2005, des caches d'armes sont découvertes près de la
ville de Qusar. Vuqar Padarov, un Azéri de Zaqatala, combat dans le
Nord-Caucase avant de revenir dans son pays en 2011 ; il est
parrainé par la jamaat de Derbent, dans le sud du Daghestan.
A partir de juillet 2011, il commence à recruter des militants et à
rassembler des armes. Padarov est tué en avril 2012 lors d'un raid
sur sa place forte à Gence, dans l'ouest du pays.
Un
des aspects intéressants pour les volontaires au djihad est le
faible coût du transit pour la Syrie. Les volontaires prennent un
billet d'avion sur Azerbaijan Arlines au départ de Bakou pour
à peine 200 dollars. Mais la plupart prennent même le bus jusqu'en
Géorgie puis jusqu'à la frontière turque, trajet qui peut revenir
à seulement 96 dollars. Malgré les rumeurs selon lesquelles les
Azéris seraient payés 5 000 dollars par mois, l'argent ne semble
pas être le principal facteur de départ. Nijat Hacizade, tué en
janvier 2014, était étudiant en première année à l'université
de Méditerranée orientale de la république du nord de Chypre.
Rahman Shikhaliyev était un ancien boxeur semiprofessionnel de
Sumgaït. Najaf Karimov, 14 ans, était le fils d'un propriétaire de
3 magasins dans le district de Seler, au Nakhitchevan. Après s'être
converti au salafisme, le père ferme ses magasins et emmène toute
sa famille en Syrie en août 2013. Anar Mahmudov, un jeune volontaire
revenu dans son village après six mois, prétend avoir été
radicalisé par un Saoudien, Sheikh Saleh Al-Fawzan, un an plus tôt.
A
l'été 2013, une enquête montre que le groupe d'Omar ash-Shishani,
avant la rupture suite à l'allégeance à l'EIIL, comprend un fort
contingent d'Azéris entraîné par Salahuddin al-Shishani. Celui-ci
prend les passeports, entraîne pendant deux mois les volontaires,
puis les Azéris participent aux combats pendant six mois, après
quoi ils peuvent retourner voir leurs familles. Au départ, à
l'automne 2012, les volontaires azéris rejoignent plutôt, en effet,
le groupe de Shishani ou al-Nosra. Les Azéris sont en bonne place
dans la vidéo qui annonce la formation de Jaysh al-Muhajirin wa
Ansar, en mars 2013. Abu Yahya al-Azeri, l'un des membres importants
du groupe, est tué par un éclat d'obus en septembre 2013. Un autre
Azéri, Ebu Muhammed, fait fonction d'adjoint de Seyfullakh, qui
dirige une scission du groupe de Shishani depuis août 2013, et qui a
fait allégeance à al-Nosra le 31 décembre 2013. On prétend que le
chef du contingent azéri de Shishani serait Abu Usama, originaire de
Zaqatala.
Les
Azéris qui partent ne reçoivent probablement pas de financement
extérieur car le gouvernement a verrouillé beaucoup des
possibilités dès 1996. En revanche, l'argent vient de collectes
internes aux communautés et à la vente des biens avant le départ.
Une page Facebook, fermée en janvier 2014, a même été créé
dans ce but. Pourtant, la majorité de la communauté sunnite salafie
d'Azerbaïdjan reste opposée au départ pour le djihad en Syrie.
L'incident du 11 décembre dernier à Sumgaït est révélateur :
un Azéri revenu de Syrie a provoqué une bagarre par des propos
outranciers sur le djihad, deux hommes dont lui-même sont
poignardés, et le fautif appelle des amis depuis l'hôpital qui font
usage d'armes à feu et de grenades. Depuis le début 2013, Qamet
Suleymanov, l'imam le plus écouté du pays, prêche contre le
djihad. Puis, après le début des combats contre l'EIIL, il fait
volte-face et annonce que son ancien bras droit, Alixan Musayev, et
un autre membre de la mosquée Abou Bakr, Mubariz Qarayev, ont
participé aux filières d'acheminement, ce que le premier a
violemment démenti. Suleymanov cherche peut-être aussi à obtenir
la réouverture de la mosquée, fermée depuis 2009.
Fin
janvier 2014, Rasim Badalov, un vétéran du djihad syrien, est
arrêté à Sumgaït, où il était revenu depuis six mois. Il a été
appréhendé avec Ilkin Bashirov, Elekber Zeynalov, Samir
Mammedkerimov, Hamlet Talibov et Alinur Atayev dans la maison de thé
« Champion » d'un faubourg de la ville. Rafael
Aghayev, le propriétaire des lieux, quatre fois champion du monde de
karaté, s'est converti au wahhabisme et l'endroit est devenu le lieu
de rencontre de certaines personnes radicalisées. La fouille de
l'appartement de Badalov livre un AK-74, deux grenades, 22 cartouches
et du matériel de propagande. Visiblement, de nombreux Lezguiens du
nord du pays, notamment à Sumgaït où le chômage est très
important, sont facilement attirés par le radicalisme religieux. Les
organisations en question ont l'avantage de bien payer -jusqu'à 384
dollars par mois6.
En
avril 2014, 12 djihadistes azéris sont déclarés morts au combat.
Parmi eux, Nijat Ashurli, un chef d'unité du groupe d'Omar
ash-Shishani. D'autres appartenaient au front al-Nosra et à l'EIIL à
proprement parler7.
En mai, un Azéri de la ville de Sumgaït livre son témoignage à
propos de la mort de son frère, tué sur le front d'Alep en 2013.
Zaur, 32 ans, travaillait précédemment dans une compagnie
d'électricité publique de la ville. Il a commencé à se montrer
plus religieux en 2009, puis disparaît brutalement fin 2012. Les
médias locaux évoquent alors 200 à 400 Azéris partis se battre en
Syrie, dont une centaine qui y auraient trouvé la mort. 40
viendraient de Sumgaït et 230 personnes seraient surveillées par la
police locale. Sumgaït serait devenue l'un des bastions du
salafisme, en particulier au sein de la communauté kharidjite. On
appelle également les femmes à faire le djihad. Les autorités ont
doublé, en mars, les peines pour le combat à l'étranger (11 ans de
prison) et l'aide au recrutement (15 ans de prison). Ce qui encourage ceux
qui reviennent de Syrie à se montrer particulièrement discrets8.
Les
Azéris recrutés pour se battre en Syrie toucheraient parfois 2 à 5
000 dollars, reversés à leurs familles le plus souvent. Parmi les
principaux motifs de départ invoqués, les mauvais traitements subis
de la part des autorités. La plupart des Azéris présents en Syrie
se trouveraient dans le bastion de l'EIIL à Raqqa, d'où Muhammad
Azeri, qui dirige une Jamaat azérie, met en ligne des vidéos
appelant au djihad9.
Le 21 juin, Ilgar Chingiz Aliyev, un Azéri de 33 ans, est tué lors
d'un raid aérien du régime syrien sur Raqqa, le bastion de l'EIIL,
alors que le mouvement progresse en Irak. Il était arrivé pour
combattre avec l'EIIL un mois auparavant10.
Le 27 juin 2014, la police arrête Ruslan Abdullayev et Sabuhi
Jafarov. Le frère du premier a combattu aux côtés de l'EIIL en
Syrie. Le second a également fait le djihad et il est revenu dans
son pays natal en février 201411.
2ZAUR
SHIRIYEV, « Who are Syria's Azerbaijani fighters? (1) »,
Today's Zayman, 15 janvier 2014.
3ZAUR
SHIRIYEV, « Who are Syria's Azerbaijani fighters? (2) »,
Today's Zayman, 23 janvier 2014.
5North
Caucasus Caucus, « Azerbaijani Foreign Fighters in Syria »,
Jihadology.net, 28 janvier 2014.
6Glen
E. Howard, Leyla Aslanova, « Azerbaijani City of Sumgait
Emerges as Recruitment Center for Syrian Fighters », Eurasia
Daily Monitor Volume: 11 Issue: 23, 5 février 2014.