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Jean LOPEZ, Opération Bagration. La revanche de Staline (été 1944), Paris, Economica, 2014, 409 p.

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En janvier 2012, alors que je rencontrais Jean Lopez au siège des éditions Mondadori à Paris, pour l'encadré « blog » du n°5 de Guerres et Histoire, j'avais posé une question à propos de l'écriture d'un possible ouvrage traitant de l'opération Bagration. Jean Lopez m'avait répondu que l'ouvrage était dans l'ordre des possibles, mais pas encore à l'ordre du jour. Or à peine deux ans plus tard, voici venu Opération Bagration. La revanche de Staline (qui emprunte son sous-titre à un ouvrage anglo-saxon), paru six mois après le Joukov de Jean Lopez.

Le Joukov, que j'avais commenté en détail ici, manifestait probablement l'ambition de Jean Lopez de sortir de son rôle réel : celui d'un vulgarisateur en français et d'un compilateur des meilleures sources anglo-saxonnes, allemandes, voire russes (avec l'aide précieuse de plusieurs traducteurs), de l'histoire militaire du front de l'est, ce qui se vérifie ici. Avec ce Bagration, Jean Lopez appuie sur la même ambition et poursuit sa série de volumes dans la collection Campagnes et Stratégies, chez Economica, quasiment au rythme d'un ouvrage par an, si l'on fait exception du Joukov, donc, et d'un autre ouvrage consacré à des témoignages soviétiques. J'avais commenté, avant le Joukov, certains ouvrages parus chez Economica, mais pas avec la distance critique nécessaire que j'ai maintenant. Pour le dire clairement, j'étais victime, moi aussi, d'une certaine « fascination » pour le travail de Jean Lopez, qui s'est dissipée depuis plus de deux ans et demi, à partir de mon propre travail, notamment pour les articles de magazines, de nombreuses lectures et d'un retour aux sources, pour ainsi dire, de la méthode historienne, le tout appliqué à l'histoire militaire. Cette fiche sera donc le premier ouvrage de la collection que je recense de manière critique, dans le bon sens du terme. Autant le dire tout de suite, Jean Lopez réalise encore, à nouveau, un bon travail de compilation/vulgarisation en français sur le sujet : rien de plus.



A tout seigneur tout honneur : encore une fois, Jean Lopez est quasiment le premier à écrire en français sur le sujet, si l'on excepte l'édition reliée des hors-série Historica du magazine 39-45 sur le même thème, écrits par François de Lannoy, et qui proposent surtout une vision germanocentrée (et en relayant les biais allemands, aussi, il faut bien le dire) de la campagne. En dépit de l'énorme effort de rédaction (pas loin de 400 pages pour ce volume), le travail de Jean Lopez ne doit pas induire en erreur le lecteur, tout comme il ne surprend pas la personne qui connaît un tant soit peu la bibliographie et l'historiographie du front de l'est, en particulier sur le plan de l'histoire militaire. Car même si Jean Lopez, ici, fait davantage oeuvre d'histoire politique et diplomatique, je persiste et je signe : son propos se classe d'abord et avant tout dans une histoire militaire très classique et se présente comme une simple compilation/vulgarisation.

Comme le dit l'auteur en introduction, Bagration a souffert de sa proximité avec le débarquement de Normandie et d'autres événements liés à ces deux opérations importantes du conflit à l'été 1944 : l'attentat contre Hitler, l'insurrection manquée de Varsovie en particulier. Côté soviétique, Bagration a peut-être été un peu moins oubliée par l'Armée Rouge que ne le prétend Jean Lopez, notamment comme forme de modèle pendant la guerre froide, pour certaines opérations (ce qu'il dit un peu plus loin, d'ailleurs). En revanche, côté allemand, on nuancera l'affirmation de l'auteur, car de nombreux officiers fait prisonniers, en particulier, et relâchés jusqu'en 1955, ont écrit sur Bagration et leur expérience dramatique ; seulement, ces publications se sont faites en allemand et sont restées pour bonne partie assez confidentielles. Il a fallu attendre les années 1980 et le renouveau historiographique sur l'histoire militaire du front de l'est, initié en particulier aux Etats-Unis, pour que les historiens occidentaux se penchent un peu plus sur ce qui fait figure de seconde catastrophe pour la Wehrmachtà l'été 1944. Jean Lopez se propose aussi d'étudier Bagration avec les autres opérations montées avec elles à l'été 1944. On peut déjà dire qu'il en oublie une ou deux, comme celle contre la Finlande, déclenchée avant Bagration. Surtout, il présente comme un « aperçu nouveau » (p.4) le fait de traiter ensemble Bagration et les opérations Kovel-Lublin et Lvov-Sandomir, ce qui est au mieux inexact. Cet aperçu « nouveau » est en fait tiré d'un article précis, qui n'est pas cité en introduction mais qui apparaît un peu plus loin dans le corps de texte : j'y reviendrai tout à l'heure. Comme à son habitude, Jean Lopez joue des questionnements « what if » (l'Armée Rouge a-t-elle donné le meilleur d'elle-même, n'y avait-il pas une autre solution pour remporter une victoire plus écrasante, etc). On note au passage que comme pour le Joukov, Jean Lopez a reçu l'aide précieuse d'auxiliaires pour disposer de sources russes, ce qui est plutôt intéressant.

L'ouvrage se divise en trois grandes parties. La première (environ 150 pages) traite de la genèse politico-militaire de Bagration. Dès le premier chapitre, Jean Lopez reprend sa casquette de « chasseur de mythes » pour expliquer que les fameuses « 10 frappes » soviétiques de l'année 1944 ne sont qu'une construction postérieure de l'historiographie de l'Armée Rouge. Staline annonce aux alliés occidentaux à la conférence de Téhéran, en novembre 1943, qu'il appuiera l'ouverture du second front, prévue en mai 1944 initialement, par une offensive simultanée. Jean Lopez accorde beaucoup de crédit, p.17-18, à la vieille idée selon laquelle Churchill, en particulier, se réjouissait de laisser l'URSS et l'Allemagne s'entretuer à l'est, du moins jusqu'à la bataille de Koursk, où l'Armée Rouge prend définitivement l'ascendant. En revanche, l'idée selon laquelle Staline planifie des opérations ambitieuses pour l'été 1944, en raison du débarquement allié à l'ouest, séduit davantage : le débarquement est considéré par le Vojd comme une opportunité militaire et une pression politique (prendre le maximum de territoires avant de faire la jonction avec les Anglo-américains). A noter que, dès la p.20, un premier livre apparaît en note qui n'est pas cité dans la bibliographie finale. Ce n'est pas qu'un point de détail, j'y reviendrai plus loin. Sur la pression et l'opportunité fournies par le débarquement s'ajoute la question polonaise : il s'agit pour Staline d'arracher la Pologne, notamment au gouvernement en exil à Londres, car les Anglo-Américains sont déjà plus ou moins résignés, selon lui, à abandonner le territoire aux Soviétiques. Pour Jean Lopez, l'idée communément admise selon laquelle l'axe central aurait été privilégié très tôt par Staline est à revoir. L'URSS avance en effet ses pions en Bulgarie, suit de près les hésitations hongroises. Surtout, une première incursion ratée en Roumanie, en avril-mai 1944, laisserait penser que Staline envisageait aussi une stratégie balkanique. Ici Jean Lopez se sert bien sûr de l'ouvrage du colonel D. Glantz dédié à la question (paru en 2007), mais aussi, probablement, d'un article daté de 2008 de la revue créée par Glantz, The Journal of Slavic Military Studies, qu'il ne cite pas en note et en bibliographie (pour le côté allemand). La fin du premier chapitre revient sur la formation du balcon biélorusse et les opérations « ratées » du Front de l'Ouest contre ce balcon à l'hiver 1943-1944, qui pour Jean Lopez illustrent une Armée Rouge datée, telle qu'on pouvait la voir en 1941-1942. Une nouveauté par rapport à ses précédents ouvrages : un résumé de fin de chapitre, calqué sur ce que peuvent faire certains autres historiens militaires français, comme Yann Le Bohec sur l'histoire romaine. Pour conclure, Jean Lopez affirme que Bagration est issu d'un triple échec militaire soviétique (au nord, au sud, et au centre) qui a paradoxalement créé les conditions de l'opération en formant le « balcon biélorusse ».

Dans le deuxième chapitre de la première partie, Jean Lopez s'interroge, à nouveau, sur la possibilité pour les Soviétiques de faire mieux que ce qu'ils ont fait. Ce qui introduit une autre question, en réalité liée : Bagration est-elle la plus importante des opérations successives déclenchées à l'été 1944 ? P.41 et 43, un même ouvrage apparaît en notes, mais là encore, pas dans la bibliographie récapitulative en fin d'ouvrage. Il s'agit d'un livre allemand de K.-H. Frieser, célèbre dans le milieu de l'histoire militaire pour avoir présenté l'idée selon laquelle la Blitzkrieg n'a été qu'une construction a posteriori, très exagérée. Cet ouvrage inspire l'idée de Jean Lopez selon laquelle les Allemands s'attendaient, eux, à une offensive contre Kovel, à la jonction entre le Groupe d'Armées Centre et le Groupe d'Armées Nord-Ukraine, pour encercler les Groupes d'Armée Nord et Centre en filant vers la Baltique. P.46, Jean Lopez cite enfin l'article, toujours issu du Journal of Slavic Military Studies, qui lui donne son idée maîtresse dans l'ouvrage, et qui n'a donc rien de neuf, puisqu'il n'y change pas une virgule (ce sera la seule fois qu'il est cité, même s'il apparaît aussi dans la bibliographie) : celui de Robert Watt, paru en 2008. Cette idée est simple : l'offensive principale de l'été 1944 n'est pas Bagration mais une opération associée dans la cascade d'opérations prévues par l'Armée Rouge, qui survient après celle-ci, Lvov-Sandomir. Comme Watt, Jean Lopez se base sur la composition des fronts concernés par les deux opérations pour appuyer l'hypothèse. Il s'agit donc de « trouver » une opération phare pour l'été 1944. Pour autant, deux éléments à sont à observer. Le premier est que, comme à son habitude, Jean Lopez se place encore une fois volontairement contre le colonel Glantz, ce qui, à force, semble relever d'une véritable posture, pour se démarquer. Ensuite, n'est-il pas un peu vain de vouloir déterminer une offensive principale par rapport aux autres, quand on songe que le fameux art opératif soviétique tant vanté par Jean Lopez réside justement dans la séquence d'opérations simultanées ou en cascade ? C'est ainsi que dès la p.51, l'auteur écarte l'offensive contre la Finlande, qui commence avant Bagration, le 9 juin 1944, et dont il ne parlera quasiment plus. Dommage, car il y aurait beaucoup à en dire, là aussi. Jean Lopez explique que Bagration n'est qu'un leurre géant, pour dégarnir le front allemand devant Lvov-Sandomir. Ici, on en est droit de s'interroger : Jean Lopez ne pousse-t-il pas le révisionnisme (au sens littéral du terme), inspiré de travaux anglo-saxons, un peu trop loin ? D'autant que l'hypothèse retenue entre en contradiction avec la présentation de l'art opératif par l'auteur... et c'est négliger que la planification soviétique prévoit justement une combinaison d'offensives, sur l'ensemble du front, de la Finlande à la Roumanie, échelonnées dans le temps, pour profiter de la situation qu'elle espère voir créée par Bagration. Selon Jean Lopez, Staline aurait hésité, tranchant finalement en faveur de Bagration pour protéger Moscou des raids aériens (et laver le désastre de la coopération aérienne stratégique soviéto-américaine), mais aussi pour enchaîner en cascade Bagration avec Lvov-Sandomir et Iassy-Kichinev, plus au sud, contre la Roumanie, dans une sorte de retournement de l'opération Barbarossa, même si la cascade d'opérations est conçue bien différemment de l'opération allemande. Les Soviétiques, a contrario des Allemands, n'envisagent pas d'encerclements géants mais des opérations planifiées, qui visent le système adverse, où l'encerclement est parfois utilisé (comme à Vitebsk). Le plan d'opération d'origine subit des modifications sur interventions de Rokossovsky, qui commande le 1er Front de Biélorussie, et Bagramian, qui commande le 1er Front de la Baltique. La géographie biélorusse pose en effet de nombreuses difficultés. Staline, qui ne veut prendre aucun risque, renforce d'ailleurs l'axe central, 3ème et 2ème Fronts de Biélorussie, en affectant au premier la seule armée de chars engagée dans Bagration, la 5ème de la Garde de Rotmistrov.

Le chapitre 3 de la première partie est censée démêler les vrais et faux atouts soviétiques : aviation, partisans et maskirovka. Pour Jean Lopez, l'aviation reste le maillon faible du système militaire soviétique. Au niveau qualitatif cependant, il note un saut avec la reconquête de la Crimée (avril-mai 1944). L'aviation soviétique va pourtant participer à l'opération en profondeur que constitue Bagration avec d'incontestables qualités : équipée de radios et d'appareils efficaces, elle va y jouer un rôle non négligeable. Le vrai problème de ce passage n'est pas tant le contenu, que l'on peut probablement discuter, mais les sources. Aucun ouvrage n'est cité en note, et le passage n'est pas tiré de la fameuse synthèse de Von Hardesty rééditée et actualisée en 2012 (Jean Lopez utilise encore l'ancienne version de 1982, cf la bibliographie p.401), qui est une des références sur le sujet. On peut donc s'interroger : d'où viennent les hypothèses et les faits présentés par Jean Lopez (du Bersgtröm, quasiment la seule autre référence en anglais, mentionné en bibliographie mais pas en note ici ? Des sources russes?) ?... Même problème pour la courte présentation des groupes de cavalerie-mécanisée, ceux d'Oslikovsky et Pliev, engagés respectivement avec les 3ème et le 1er Fronts de Biélorussie. Sur les partisans soviétiques, en revanche, Jean Lopez cite ses sources, cette fois. Ici, en se basant seulement sur un ouvrage en presque (il cite p.83-84, seulement deux ouvrages jugés par lui intéressants, mais sans expliquer pourquoi : argument d'autorité...), il remet en question le rôle joué par les partisans, très valorisé par l'historiographie soviétique, mais en appuyant peut-être un peu trop. L'historien Bogdan Musal, un Germano-polonais que cite Jean Lopez, a certes fait un travail intéressant mais desservi par une hostilité marquée à l'encontre de l'URSS. En outre Jean Lopez néglige peut-être un peu trop, également, le rôle des partisans, après le déclenchement de Bagration, et surtout la confusion entre opérations anti-partisans allemandes et stratégie d'occupation du sol et d'élimination des populations (civiles) voulues par les nazis. Quelques références supplémentaires, comme celle du livre de Christian Ingrao sur la division Dirlewanger, lui auraient été profitables. Si Bagration réussit, selon Jean Lopez, cela tient aussi à l'excellence des chefs de fronts ou d'armées, comme Rokossovsky ou Tcherniakhovsky. Logistique, entraînement et maskirovka sont d'autres clés de réussite importantes pour Bagration. La logistique est surmenée, c'est d'ailleurs elle qui entraîne le report de Bagration aux 22-24 juin. Mais l'effort est considérable. L'Armée Rouge se dote enfin, grâce au Lend-Lease, de transmissions modernes. Les troupes s'entraînent à franchir les coupures, notamment les cours d'eau, nombreux en Biélorussie. La maskirovka joue à plein : non seulement le renseignement allemand ne croit pas à une offensive principale en Biélorussie, mais il n'identifie pas les armées les plus puissantes acheminées dans le plus grand secret pour renforcer les fronts concernés par l'attaque.

Quelles sont les intentions allemandes, face aux ambitions soviétiques ? Hitler est relativement confiant car il croit que le débarquement à l'ouest, par une victoire allemande, va lui permettre de renverser le cours de la guerre. La directive n°51 donne priorité à ce front dès novembre 1943. Le renseignement allemand à l'est, dirigé par Gehlen, ne dispose plus des reconnaissances aériennes ni des interceptions radios nécessaires à une vision correcte, l'Armée Rouge ayant renforcé sa sécurité dans ce dernier domaine. Gehlen essaie de lire les intentions soviétiques à l'aune de ses propres conceptions (on remarque d'ailleurs que Jean Lopez a une vision un peu trop monolithique de l'art de la guerre allemand, dans la lignée d'un Citino ; il ne semble pas être à jour, par exemple, sur le plan Schlieffen, cf le récent ouvrage de Christophe Béchet que je fichais il y a peu) et envisage une percée dans le secteur de Kovel-Lvov pour foncer soit vers la Baltique (première hypothèse), soit vers le sud et les Balkans (deuxième hypothèse). Les armées du Groupe d'Armées Centre, ont identifié les préparatifs de Bagration mais ne réussissent pas à convaincre leur hiérarchie. Le maréchal Busch, patron du groupe d'armées, est avant tout aux ordres d'Hitler (p.115, Jean Lopez cite le travail d'un jeune historien militaire allemand, Johannes Hürter, sans indiquer l'ouvrage ou la référence en note). Or Hitler a instauré, en mars 1944, les fameuses festen Plätze (places fortes) pour tenir le terrain coûte que coûte. L'attaque est attendue devant le groupe d'armées Nord-Ukraine, auquel on confie, peu avant Bagration, le LVI. Panzerkorps, détaché du groupe d'armées Centre qui va la recevoir de plein fouet... dans ce chapitre, Jean Lopez a peut-être utilisé un autre article du Journal of Slavic Military Studies, celui-ci, qui n'est cité ni en notes ni en bibliographie. A la p.104 apparaît par contre, en note, un ouvrage fondamental pour l'écriture du livre de Jean Lopez, mais qui est mentionné en bibliographie p.400 : Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg, volume VIII, dirigé par K.-H. Frieser. Il faut s'arrêter sur cet ouvrage qui est l'une des sources principales pour la vision allemande de la campagne dans le livre de Jean Lopez et qui donne la matière de nombreuses pages. Ce pavé de 1 350 pages fait partie d'une somme énorme, un travail collectif de nombreux historiens militaires allemands issus de la Bundeswehr (dont Frieser), commencé en 1979 et achevé en 2008, pour la version allemande. L'ensemble représente 12 000 pages, en pas moins de 13 volumes : le volume VIII, consacré au front de l'est sur la période 1943-1944, est l'un des plus imposants. Le livre est en tout cité 5 à 10 fois au maximum dans le Bagration de Jean Lopez, en notes : or il est à l'origine de la plus grosse partie, probablement, du récit du côté allemand de la campagne, comme je le disais ; si on le couple avec le récit de G. Niepold, un ancien officier de la 12. Panzerdivision qui a couché par écrit sa propre vision de la bataille (et qui lui est souvent cité en notes, car c'est un classique), on a probablement les deux sources majeures de Jean Lopez de ce côté. Ce dernier aurait gagné à indiquer davantage dans les notes, qu'il doit beaucoup à cette somme imposante des historiens militaires allemands du Militärgeschichtlichen Forschungsamt de Fribourg. On observe ainsi que dès le début de ce chapitre, le texte de Jean Lopez reprend de nombreuses conclusions de l'article de Frieser au sein du volume consacré à Bagration (à partir de la p.499 : même citation tirée de Speer p.102 du livre de Jean Lopez, mêmes notes renvoyant à des ouvrages allemands...), ou que le passage sur l'évaluation double de Gehlen (p.108-113) est de la même façon inspiré de l'article de Frieser, pour bonne partie (p.501-506).

Le dernier chapitre de la première partie est consacré aux ordres de bataille. Jean Lopez identifie le 3ème Front de Biélorussie comme le plus puissant, le 2ème Front de Biélorussie étant le plus faible et les 1er Front de la Baltique et 1er Front de Biélorussie dans une position intermédiaire. Le 3ème Front de Biélorussie est clairement le pivot de l'attaque avec le 1er Front de Biélorussie de Rokossovsky (dommage d'ailleurs qu'encore une fois, Jean Lopez ne s'attarde pas plus sur les commandants d'armées de chars, comme Rotmistrov, vite expédié p.138). L'auteur revient un peu plus, contrairement à son habitude, sur les Allemands. Le Groupe d'Armées Centre est pauvre : densité de moyens faible, peu de réserves, manque de munitions d'artillerie, d'avions et de mobilité pour son infanterie. Jean Lopez écrit beaucoup de lignes sur les officiers allemands commandants d'armée ou de corps (importantes digressions en notes) mais ce chapitre, lui aussi, comprend fort peu de notes pour indiquer les sources de ces remarques. On constate que la présentation générale du Groupe d'Armées Centre (p.142-147), s'inspire du Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg, volume VIII (p.527-535) qui n'est pourtant jamais cité.

La deuxième partie du livre de Jean Lopez, qui constitue le coeur de l'ouvrage avec environ 130 pages, est consacrée à l'opération Bagration elle-même. Cette partie se signale d'abord par la faible présence de notes, où seulement quelques ouvrages sont indiqués. Il est également manifeste que Jean Lopez s'inspire d'ouvrages non cités, ni en notes ni peut-être en bibliographie, mais dans ce dernier cas, à moins de les connaître précisément, il est difficile de les repérer. L'auteur divise Bagration en trois phases : la rupture, durant la première semaine, avec la prise des villes du balcon biélorusse ; l'exploitation du 29 juin au 4 juillet pour marcher sur Minsk et anéantir les forces allemandes prises au piège de la première phase ; l'avance à l'ouest, plus lente, jusqu'au 28 juillet. Jean Lopez choisit d'aborder les opérations secteur par secteur, sur toute la chronologie. Dans le récit des opérations menées par le 1er Front de la Baltique, on note un ouvrage cité en note et non en bibliographie, un témoignage allemand intéressant puisqu'il est cité également par un autre article du Journal of Slavic Military Studies, qui n'apparaît ni dans les notes ni dans la bibliographie du livre, mais dont on peut supposer que Jean Lopez l'a utilisé (c'est le même que celui que je citais plus haut). Le Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg volume VIII est là encore employé sans être cité, comme on peut le voir sur les opérations du 1er Front de la Baltique (mêmes notes de bas de page, p.162 du Jean Lopez et p.540 de ce volume par exemple), avant d'être finalement mentionné p.181, près de 30 pages après le début du chapitre, dans une seule note. Le livre inspire aussi nombre d'autres pages, comme l'assaut soviétique sur Moghilev. Une fois cela précisé, on peut résumer le chapitre ainsi : les Soviétiques parviennent initialement à réaliser les encerclements de Vitebsk et Bobruïsk, comme prévu. La 3. Panzerarmee et la 9. Armee sont détruites aux trois quarts dans la rupture, la 4. Armee doit se replier sur la Bérézina dans les pires conditions. Le Groupe d'Armées Centre explose dès le 28 juin, face la combinaison des armes mise en oeuvre par les Soviétiques : chez Rokossovky, le groupe Pliev a déjà progressé de 70 km vers l'ouest, et la 5ème armée de chars de la Garde de 40 km chez Tcherniakhovsky.

Le chapitre 2 de la deuxième partie, sur l'exploitation de la rupture initiale, contient le même manque concernant les sources, déjà évoqué précédemment. Le Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg volume VIII fournit à nouveau une bonne partie de la matière sur les opérations et leurs résultats côté allemand (p.538-547 de l'article de Frieser). Le chapitre vaut surtout par le long passage que Jean Lopez consacre à Model, le Feldmarschall qui remplace Busch à la tête du Groupe d'Armées Centre le 28 juin 1944, à la fin de la première phase soviétique, donc. L'auteur a déclaré dès que l'introduction que Model est l'un des deux meilleurs officiers allemands de la Seconde Guerre mondiale (pour la défense, son équivalent offensif étant Manstein, selon Jean Lopez). Encore une fois, on retrouve, comme dans le Joukov (cf la conclusion), cette tentation de décerner les lauriers à tel ou tel capitaine, ce qui semble un peu futile au regard des problématiques plus importantes parfois soulevées par l'auteur. Model, pour Jean Lopez, se révèle sur le front de l'est, notamment quand il commande la 9. Armee du Groupe d'Armées Centre, de janvier 1942 à novembre 1943. Mis en repos à cette dernière date, il est appelé d'urgence en 1944 pour redresser des situations catastrophiques, à l'est comme à l'ouest. Jean Lopez dresse un portrait-robot de la « méthode Model » : il glane ses propres renseignements, privilégie la défense linéaire, concentre l'artillerie en un seul groupe pour l'avoir à disposition sur les points chauds, bâtit une défense en profondeur, ne montre aucun scrupule pour favoriser ses ambitions, en réfère directement à Hitler, parle avec ce dernier comme à un « soldat du front » tout en cultivant les liens avec le parti et la SS. Model commande, en 1944, successivement le groupe d'armées Nord, puis le nouveau groupe d'armées Nord-Ukraine à partir de la fin mars, enfin le Groupe d'Armées Centre à partir de la fin juin. C'est lui qui va en partie rétablir une situation calamiteuse. Tout ce passage est extrêmement intéressant, et l'on regrette d'autant plus que Jean Lopez ne se fasse pas plus précis sur l'historiographie de Model. P.215, il affirme de but en blanc en note que la biographie de M. Stein est la meilleure (sans préciser pourquoi d'ailleurs : argument d'autorité, à nouveau), mais il cite aussi les autres, celles de Newton ou de Görlitz. Pourquoi ne pas s'être arrêté un peu plus sur la question ? On est obligé de le croire sur parole. Or la biographie de Marcel Stein n'est peut-être pas suffisante, à elle seule, pour cerner complètement le personnage. D'ailleurs le passage sur le style de Model emprunte aussi au Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg volume VIII (p.558-560). Quand Jean Lopez évoque la fameuse opération d'intoxication Scherhorn (p.236-238), montée par le NKVD et le Smersh pour récupérer les agents allemands, il ne mentionne pas non plus que les Allemands ont continué à croire au succès de l'opération bien après la fin de la guerre, ainsi que l'indiquent, par exemple, les mémoires de Skorzeny (il a fallu attendre la publication de documents soviétiques, bien plus tard, pour lever le secret sur cette opération). Au final, dans cette deuxième phase d'exploitation, l'Armée Rouge progresse sur Minsk, anéantit quasiment intégralement la 4. Armee qui a retraité de 200 km vers l'ouest et qui est tronçonnée en poches à l'est de la capitale biélorusse. Model privilégie une défense en profondeur tandis que Staline réoriente le 1er Front de la Baltique vers la Prusse-Orientale et non vers Riga comme le voulait son commandant, Bagramian. Les 2ème et 3ème Front de Biélorussie doivent pousser vers le Niémen et le 1er Front de Biélorussie jusqu'à Brest-Litovsk. Hitler s'entête à vouloir conserver les pays baltes et le contrôle de la Baltique orientale pour une hypothétique contre-offensive en 1945. La discussion sur les pays baltes et leur conservation par les Allemands, ainsi que sur le « plan » Zeitzler, s'appuie d'ailleurs sur le Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg volume VIII, pour une fois cité en note par J. Lopez, p.247.

Rien à dire de particulier sur le troisième chapitre de la deuxième partie, qui se caractérise lui aussi par un récit très détaillé des opérations, et confirme les hypothèses formulées ci-dessus concernant les sources : l'ouvrage de G. Niepold est le plus cité dans les notes présentes. Au mois de juillet 1944, Model parvient à débloquer des divisions blindées et d'infanterie aux groupes d'armées Nord et Nord-Ukraine pour mener des combats retardateurs, ce qui n'empêche pas l'Armée Rouge de se propulser 250 km plus à l'ouest, aux portes de Bialystok et de Kaunas. Les Soviétiques atteignent les limites de l'exploitation de la percée en raison de problèmes logistiques et des pertes en chars subies depuis le début de l'opération. Cependant, Bagramian atteint le 30 juillet la mer Baltique à l'ouest de Riga, profitant de l'attaque des 2ème et 3ème Fronts de la Baltique qui fixe le Groupe d'Armées Nord, qui se retrouve ainsi lui-même coupé du Reich. Deux jours plus tôt, les 2ème et 3ème Fronts de Biélorussie se sont vus attribuer comme objectif la Prusse-Orientale.

Dans la troisième et dernière partie du livre (un peu moins de 100 pages), Jean Lopez aborde les offensives soviétiques vers la Vistule, Kovel-Lublin et surtout Lvov-Sandomir, dont on a dit l'importance dans le cadre de l'hypothèse retenue par l'auteur et tirée de l'article de Watt. Pour Jean Lopez, le choix de Staline de diriger l'effort sur la Vistule, et donc la Pologne, doit se lire à l'aune du succès du débarquement en Normandie. Il s'agit d'installer au plus vite un régime communiste « ami » en Pologne (Jean Lopez évoque, sans les citer précisément, les travaux de Lev Bezymenski, journaliste soviétique/russe qui a beaucoup écrit sur les questions sensibles de l'histoire de l'URSS). Le groupe d'armées Nord-Ukraine est passé en revue, sans que l'on sache trop quelles sont les sources (les mémoires de Raus sont citées une fois en note) et en dépit de formules chères à Jean Lopez et répétées à l'envie (tel général allemand « connaît le Russe par coeur », qui apparaît au moins deux fois en peu de pages). Les informations viennent en partie, encore une fois, du Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg volume VIII, d'autant que le côté allemand est là encore mieux servi que le côté soviétique (Jean Lopez expédie encore très vite les commandants d'armées de chars soviétiques, pourtant des plus importants pour cette opération, p.300-301 : Katoukov et Rybalko sont jugés meilleurs que Lelyoushenko, qui vient tout juste de reprendre la 4ème armée de chars, ce qui peut se défendre, mais pas en si peu de mots...). L'hypothèse se confirme puisque l'ouvrage allemand est de nouveau cité p.313 dans une note, les autres références étant à nouveau les mémoires de Raus et celles de von Mellenthin, un autre officier allemand de Panzer. L'attaque du 1er Front d'Ukraine démarre entre les 12 et 15 juillet 1944. Le succès est rapide au nord de Brody, lieu choisi pour l'attaque, moins évident au sud de la ville. La 1ère armée de chars de Katoukov franchit le Boug le 18 juillet puis la Vistule le 1er août. Rybalko et sa 3ème armée de chars piétinent devant Lvov, qui ne tombe que le 27 juillet. Le Groupe d'Armées Nord-Ukraine est tronçonné en deux morceaux : la 4. Panzerarmee se replie derrière la Vistule tandis que la 1. Panzerarmee s'adosse aux Carpathes. Une tête de pont solide est créée sur la rive ouest de la Vistule.

L'opération Kovel-Lublin est menée par l'aile gauche du 1er Front de Biélorussie de Rokossovsky, qui n'a pas bougé pendant Bagration puisque seule son aile droite a été impliquée. Cette opération attaque à la jonction du Groupe d'Armées Centre et du Groupe d'Armées Nord-Ukraine, un endroit idéal vu les circonstances. Elle relance Bagration, en perte de vitesse, et couvre l'opération Lvov-Sandomir à sa gauche (ce qui d'ailleurs plaide pour la faiblesse de l'hypothèse de Watt : les opérations soviétiques cumulent leurs effets les unes aux autres et elles ont été conçues pour profiter d'une dynamique initiée principalement par Bagration). Son intérêt, selon Jean Lopez, tient à ce qu'elle se déroule en parallèle de l'insurrection de Varsovie, déclenchée le 1er août, et du changement d'objectifs décrété par Staline, le 28 juillet, car l'opération vise à établir une tête de pont sur la rive ouest de la Vistule, au sud de Varsovie. L'attaque démarre le 18 juillet vise au premier chef Lublin, transformée en Fester Platz. Une semaine plus tard, la 2ème armée de chars est maîtresse de la ville et découvre le premier camp d'extermination, Maïdanek. Les Soviétiques, qui prennent consicence progressivement de l'ampleur des crimes commis par les Allemands en libérant leur territoire puis en entrant en Pologne, font une intense publicité sur cette découverte, mais les Occidentaux la rejettent comme une fausse propagande. Or les premiers récits soulignent la particularité de l'extermination des Juifs ; quand les Anglo-Américains découvrent à leur tour les camps de concentration, en avril 1945, les Soviétiques auront largement procédé à la « déjudaïsation » des camps, et le caractère particulier de l'extermination en est oblitéré pour longtemps dans l'historiographie occidentale. Après avoir franchi le Boug, Rokossovsky voit ses objectifs modifiés par Staline : établir une tête de pont sur la Vistule, au sud de Varsovie, mais surtout la reprise du grand projet craint par les Allemands avant Bagration, à savoir une poussée vers le nord pour isoler complètement le Groupe d'Armées Centre, ou ce qu'il en reste, et le Groupe d'Armées Nord, ainsi que la Prusse Orientale. En réalité, la mission est bien trop ambitieuse pour le front de Rokossovsky, qui ne dispose que de la 2ème armée de chars pour s'installer, dans un premier temps, correctement sur la rive est du fleuve, près de Varsovie. Cette armée de chars, déjà fatiguée, et dont le chef, Bogdanov, a été blessé à Lublin (son chef d'état-major Radzievsky le remplace), se fait étriller par une savante contre-attaque montée par Model, à l'est de Varsovie, avec quelques Panzerdivisionen d'élite rameutées à la hâte. Jean Lopez, dans une note de la p.344, se permet de critiquer les excès de Frieser sur le sujet (celui-ci exagère les mérites de Model), alors que les ouvrages écrits par ce dernier ou auxquels il a participé sont pourtant une de ses sources majeures, parmi lesquels l'article du Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg, utilisé d'ailleurs ici et qui n'est pas cité (p.570-572 et 581-584 pour la bataille de chars devant Varsovie), tout comme deux articles du Journal of Slavic Military Studies, celui-ci, dont on a déjà parlé plus haut, et un autre de David Glantz qui figure pourtant dans la bibliographie de Jean Lopez mais qui n'est pas cité dans ce passage. Sans évoquer les ouvrages spécialisés sur le sujet, en particulier du côté allemand, sortis ces dernières années que l'auteur n'a pas employés ici. En ce qui concerne l'insurrection de Varsovie, déclenchée le 1er août, les conséquences sont importantes. Varsovie n'est pas l'objectif de Bagration ; Staline a espéré pouvoir s'emparer rapidement de la ville entre la modification des objectifs le 28 juillet et le 4 août, mais la correction infligée à la 2ème armée de chars fait s'envoler cet espoir. En outre, le Premier Ministre polonais du gouvernement en exil séjourne à Londres depuis le 27 juillet et refuse de plier devant les exigences de Staline. Celui-ci n'a donc guère de scrupules à laisser l'insurrection se faire écraser par les Allemands. Le problème est que les insurgés vont tenir deux mois, bien au-delà de ce que Staline avait prévu. En septembre, au vu de la réaction des Occidentaux, qui tentent eux-mêmes d'aider les insurgés, il fait plusieurs gestes en accentuant les largages de matériels et en envoyant des éléments de l'armée polonaise formée par les Soviétiques pour soutenir les insurgés au-delà la Vistule, opération mal préparée qui échoue. L'insurrection dépose les armes le 2 octobre. En réalité, Staline n'avait aucun intérêt politique à intervenir, et ce d'autant plus que militairement, il dispose déjà de têtes de pont sur la Vistule. Mais le fait est que son attitude achève de ruiner une possible entente entre Polonais et Soviétiques, et rajoute au passif déjà très chargé entre les deux peuples depuis 1939. Là encore cependant, une des faiblesses du chapitre tient au manque de sources, dans les notes, pour étayer les arguments de Jean Lopez, qui d'ailleurs n'apportent pas grand chose de neuf à ce que l'on savait déjà sur le sujet. Notons encore l'utilisation du Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg (p.584-587) pour les considérations sur l'insurrection de Varsovie et notamment les références à Joukov et Besymenski. Ce qui renforce l'impression que je répétais dès le début de cette fiche, selon laquelle l'auteur ferait davantage oeuvre d'histoire militaire que d'histoire politique, diplomatique ou sociale, et plutôt dans le sens d'une compilation et d'une vulgarisation en français qu'autre chose.

Le dernier chapitre de la troisième partie évoque le redressement allemand du mois d'août 1944. Malgré les énormes succès de l'été 1944 pour les Alliés, dont Bagration, la guerre n'est pas terminée à la fin de l'année. Fin août, Model réussit à rétablir le contact terrestre avec le Groupe d'Armées Nord, coupé par Bagramian un mois plus tôt (le passage est notamment inspiré du Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg, p.587-591, qui n'est pas cité) et le 29 août, les Soviétiques mettent officiellement fin à Bagration. L'Armée Rouge arrête de progresser, sauf au sud avec l'opération Iassy-Kichinev. Les Allemands, plus proches désormais de leur base arrière, reçoivent un matériel important fourni par une industrie qui tourne à plein régime. Les hommes sont plus difficiles à trouver, et la qualité de l'armée allemande continue de décliner. Le passage sur les opérations dans les pays baltes manque à nouveau de sources en nombre suffisant (il est probablement inspiré d'ouvrages ou d'articles, mais lesquels ? Ceux en russe?). En ce qui concerne le redressement allemand, Jean Lopez ressort en partie le tableau qui ouvre son Berlin et fait appel, ici de manière explicite car cité pour un tableau et en note, au Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg. Au niveau des conséquences de l'opération Bagration, Jean Lopez attribue me semble-t-il trop d'importance à cette offensive dans l'action de la résistance militaire qui commet l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Les conjurés sont en effet surtout focalisés sur la situation à l'ouest, issue du débarquement en Normandie. Là encore, l'absence de sources en quantité suffisante montre que Jean Lopez peut encore mieux faire en dehors de l'histoire militaire pure. Plus intéressantes sont les pages consacrées au général Müller, qui commandait le XII. Armee Korps de la 4. Armee, qui est fait prisonnier et récupéré par les Soviétiques pour leur propagande. Par contre, la reprise en main suite à l'attentat du 20 juillet et le sursaut moral provoqué par l'attentat n'ont qu'un temps, contrairement à ce qu'affirme Jean Lopez qui reste encore une fois très proche de ce qu'il avait écrit dans son Berlin en 2010. Un historien comme Ian Kershaw a bien montré que cet effet avait été temporaire, la mécanique se grippant dès la fin de l'année 1944 et surtout dans les premiers mois de 1945.

En conclusion, Jean Lopez souligne que le succès de Bagration illustre d'abord les progrès de l'Armée Rouge, et d'abord dans la planification militaire (état-major général). L'exécution, au niveau stratégique et opératif, est brillante. La combinaison des armes, soutenue par les fournitures du Lend-Lease, fait merveille. Les objectifs sont raisonnables, le corps des officiers compétent, les troupes mobiles. Les VVS jouent un rôle jamais vu jusque là, de l'aveu des Allemands eux-mêmes. Malheureusement, p.386, Jean Lopez retombe à nouveau dans ses vieux travers des préjugés sur l'URSS, en affirmant que « la peur motive plus encore que l'ethos professsionnel » dans l'Armée Rouge (à noter toutefois que cette affirmation est quasiment la seule de cet ordre dans le livre, contrairement aux ouvrages précédents comme le Joukov). Bagration se distingue dans la Grande Guerre Patriotique par deux caractéristiques : l'ampleur de la progression en kilomètres et surtout le nombre de pertes infligées aux Allemands (400 000 au moins), les Soviétiques perdant deux fois moins d'hommes au regard des pertes définitives. L'Ostheer ne se remettra pas de la saignée, et perd aussi par la même occasion un certain ascendant moral, même si on pourrait discuter de ce point (il y a eu de sérieux coups portés avant Bagration). Les gains stratégiques sont immenses. Pour Jean Lopez, les Allemands ont commis cinq erreurs : faillite du renseignement sur les objectifs adverses, sous-estimation de l'ennemi, impossibilité de céder du terrain, non-prise en compte gravissime de l'efficacité des VVS, et rejet d'une option qui aurait permis, peut-être, de briser une partie de l'offensive soviétique. Le soldat allemand ne s'est pas toujours montré à la hauteur de sa réputation supposée. Bagration tient donc bien son rang aux côtés d'Overlord, même si l'absence de stratégie commune précise permet pour partie le redressement allemand de la fin de l'été-début de l'automne 1944. D'après Jean Lopez, Staline, en choisissant la solution la plus prudente, a déjà un pied dans la guerre froide, pour constituer un glacis stratégique en avant de l'URSS. Au final, ce Bagration se présente, une fois de plus, comme un ouvrage de vulgarisation des travaux étrangers en la matière, même s'il est bien écrit, reconnaissons-le (le style de J. Lopez est efficace) et abondamment illustré par de nombreuses cartes, ce qui est plus qu'appréciable. L'hypothèse de Watt, reprise par Jean Lopez et qui constitue l'argument principal de l'ouvrage, n'est pas originale, et elle est plus que contestable : elle entre même en contradiction avec la présentation de l'art opératif que présente l'auteur depuis son Berlin. En outre, comme de coutume, le livre reste centré sur l'histoire militaire, et les hypothèses de Jean Lopez en dehors de ce domaine sont moins appuyées (partisans soviétiques, question polonaise, etc). Il y a aussi le problème de ces ouvrages et articles pour le moins importants et qui n'apparaissent que trop peu souvent en notes, et parfois pas dans la bibliographie, notamment le Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg, volume VIII, qui, bien que cité quelques fois en notes, sert en fait de base à une bonne partie du texte pour le côté allemand (cela se compte en dizaines de pages). L'auteur n'apporte rien de véritablement nouveau à la connaissance du lecteur averti. Malgré la mention de l'utilisation de documents d'archives et de sources russes traduites, le travail de Jean Lopez reste avant tout une compilation de sources secondaires et une vulgarisation des acquis récents de la recherche étrangère en français.





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