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Colette BRAECKMAN, Rwanda. Histoire d'un génocide, Paris, Fayard, 1994, 343 p.

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Le vingtième anniversaire du génocide rwandais, commis entre avril et juillet 1994 à l'encontre des Tutsis, puis des Hutus modérés, a suscité un débat passionné en France, comme on était en droit de s'y attendre. Le génocide a rapidement fait l'objet de controverses dans notre pays, et d'abord quant à sa réalité. Une cohorte de chercheurs ou de "pamphlétaires", d'ailleurs souvent marginalisés sur le plan académique ou contestés pour leur travail (Bernard Lugan, Stephen Smith, Pierre Péan) ont fourni des interprétations qui dénigrent ou relativisent le génocide. C'est une particularité française, sur ce sujet, qui a même donné lieu à une typologie par des chercheurs : la négation du génocide ; l’euphémisation en "guerre civile" et plus souvent en "guerre tribale" ; et, enfin, l’hypothèse d’un double génocide. Si ces idées trouvent un écho plus important en France, c'est en raison du rôle de l'Etat français au Rwanda mais aussi parce que la grille de lecture "ethnique" est utilisée à foison, dans l'Hexagone, pour qualifier les crises et conflits du continent africain. La recherche se focalise donc sur ces problématiques, ce qui est logique.

L'ouvrage de Colette Braeckman, journaliste de l'équipe de Le Soir, l'un des premiers à paraître sur le sujet, l'année même du génocide, marque une étape. Loin de céder aux explications "ethniques" qui s'imposent dans les médias, la journaliste belge cherche à comprendre les causes historiques du génocide et s'intéresse aussi, par exemple, aux répercussions des événements au Rwanda dans le Burundi voisin, ce qui est rarement fait par les autres personnes qui écrivent sur le sujet, dont les pamphlétaires mentionnés ci-dessus.




Les Européens, via les Allemands, ne prennent contact avec le royaume installé dans l'actuel Rwanda qu'à la fin du XIXème siècle. Les ethnographes et les membres de l'Eglise qui arrivent pour procéder à une administration indirecte, reposant sur les pouvoirs locaux, séparent artificiellement les populations entre cultivateurs et pasteurs, alors qu'elles sont en réalité, on s'en doute, beaucoup plus complexes. En outre, l'Eglise impose la foi et ses corvées, ce qui n'est pas du goût des paysans et du souverain. Le colonisateur, pour appuyer son autorité, favorise les Tutsis au détriment des Hutus. Cependant, les élites tutsies et hutus n'ont pas accepté de bonne grâce la domination coloniale. Ce n'est qu'à la veille de l'indépendance, dans un pays passablement transformé, que l'Eglise commence à se retourner vers les Hutus. Le colonisateur belge décalque des idées européennes, sur fond de guerre froide, au Rwanda. Le Manifeste des Bahutus, en 1957, en est la traduction, avec un parti, le Parmehutu. Les Hutus, marginalisés lors de l'indépendance en 1959 en raison de l'organisation politique des Tutsis, n'hésitent pas à persécuter ces derniers, les forçant à l'exil, le tout avec la bénédiction du colonisateur belge. Dès la proclamation de la république du Rwanda, en juillet 1962, la haine des Tutsis cimente la conscience nationale des Hutus au moment de ce que l'on a appelé la "révolution sociale". Au Burundi voisin, la révolte des Hutus après un coup d'Etat raté de militaires, en 1965, est sauvagement réprimée par l'armée, qui tue encore plusieurs centaines de milliers de Hutus en 1972. Les Hutus du Rwanda voisins, qui observent ces événements, multiplient les exactions contre les Tutsis, effrayés du sort réservé à leurs congénères du Burundi.

Dès que les Tutsis lancent des opérations de guérilla sur les frontières, à partir du Burundi, les Hutus rwandais réagissent en massacrant leurs compatriotes tutsis : 10 000 en décembre 1963, sans compter le flot d'exilés que provoque chacun des massacres. Plus de 150 000 au total, qui viennent gonfler ceux déplacés par volonté du colonisateur au Zaïre, et qui seront eux aussi victimes de persécutions, ayant choisi de s'intégrer dans l'élite locale, tout comme le font les Tutsis restés au Rwanda. Les exilés hors Afrique abandonnent vite le rêve d'un retour au pays, contrairement à ceux réfugiés dans un pays voisin. Marginalisés en Ouganda par le président Obote, les Tutsis rwandais accueillent avec soulagement l'arrivée au pouvoir d'Imin Dada, renversé en 1979, et qui cède la place à Obote, de retour. Mais celui-ci est bientôt évincé par Museveni, auprès duquel Fred Rwigyema et Paul Kagame font leurs premières armes. En 1986, la National Resistance Army victorieuse qui entre dans Kampala comprend 3 000 Banyarwandas, sur 14 000 hommes. C'est en Ouganda que le Front Patriotique Rwandais naît, en décembre 1987, remplaçant une ancienne structure apparue en 1979. Le FPR s'organise, noyaute l'armée ougandaise, dont les membres sont formés aux Etats-Unis, fait appel à la diaspora. Museveni est pressé de se débarrasser de ces alliés encombrants, qui reçoivent bientôt le soutien de Banyarwandas du Zaïre et même d'opposants hutus en exil, ce qui inquiète le pouvoir de Kigali. La négociation échoue. Le FPR lance son offensive en octobre 1990. Dirigés par Rwigyema et Kagame, les Tutsis rwandais volent de succès en succès. Mais dépourvu d'armement lourd, le FPR se heurte bientôt à des forces gouvernementales appuyées par la France, la Belgique, et Mobutu, qui du Zaïre envoie des éléments de sa division spéciale présidentielle. Les pertes sont lourdes parmi les Tutsis, Rwigyema est tué par un éclat de mortier. Le FPR est soutenu par l'Ouganda, sans qu'il faille y voir un complot anglophone ou autre, comme certains l'ont fait : il cherche à s'imposer sur la scène rwandaise pour obtenir le partage du pouvoir, ce qui mène d'ailleurs aux accords d'Arusha en août 1993. Le FPR comprend désormais des Tutsis exilés, mais aussi des Tutsis du Rwanda qui l'ont rejoint, et des Hutus ; cependant le premier bataillon qui arrive dans la capitale, en décembre 1993, doit s'enterrer dans un camp retranché, la population est inquiète, les soldats gouvernementaux très hostiles.

Habyarimana est alors aux commandes du Rwanda, après avoir pris le pouvoir en 1965. Il est marié à Agathe Kanziga, d'une puissante famille hutu du nord, dont le rôle sera important dans les événements conduisant au génocide. Le président dirige un régime de parti unique. Marginalisés socialement, les Tutsis réussissent à contourner certaines barrières, par exemple par le recours aux écoles privées. La Deuxième République de Habyarimina, où s'échinent les payans, fait figure de modèle aux yeux des Occidentaux, surtout comparée aux pays voisins, plus instables ou déséquilibrés. L'accent sur l'agriculture et la démographie galopante du pays conduisent à une saturation de l'occupation du sol cultivable. La hiérarchie de l'Eglise catholique est très liée au régime. Les services de renseignement de ce dernier sont omniprésents, encouragent la délation. Pas de contraception et une reconnaissance bien tardive des ravages du sida (30% de la population active des villes à la veille du génocide). Habyarimana fait assassiner les journalistes trop indépendants, torturer les opposants : les prisons rwandaises sont de sinistre mémoire. Le président se rapproche, dans les années 80, du Zaïrois Mobutu, rapprochement qui correspond aussi à la dérive affairiste du régime. C'est surtout la belle-famille du président qui profite du phénomène, même si Habyarimana reçoit de Mobutu deux immenses domaines dans le Masisi et le Walikale, à l'est du Zaïre. Le clan du président, en réalité de sa belle-famille, l'Akazu, ne rêve que de pouvoir et de fortune démesurés. Dans la forêt de Nyungwe, près de Butare, le régime fait cultiver du cannabis. On trafique aussi les gorilles du parc de Virunga, défendus jusqu'au sacrifice suprême par Diane Fossey. Le trafic d'armes, surtout, permet l'enrichissement de l'Akazu jusque pendant la guerre civile qui démarre en octobre 1990.

Dès le début du conflit, Habyarimana fait arrêter 10 000 personnes, bientôt relâchées, mais l'on commence alors à définir un "ennemi intérieur" dans une logique qui va mener tout droit au génocide. Dès octobre 1990, on massacre localement des Tutsis, parfois en masse, parfois de manière plus sélective, pour intimider, le tout avec l'encouragement tacite ou plus prononcé des autorités. Les premiers partis d'opposition qui se créent alors reflètent moins une séparation ethnique que la volonté de partage du pouvoir et des différences régionales (le président vient du nord et est honni par les Hutus du sud). Le FPR ne rencontre cette opposition intérieure qu'à l'été 1992, à Bruxelles, où les premiers contacts se nouent. Les accords d'Arusha, à l'été 1993, sanctionnent un prochain partage du pouvoir que Habyarimana et l'Akazu ne peuvent accepter. Pour reprendre la main, le président cherche à diviser l'opposition en jouant de la carte ethnique : c'est le début du hutu power, forgé par les intellectuels comme Ferdinand Nahimana. Car les accords scellent aussi, par la fusion des armées, la supériorité militaire du FPR, qui se retient de trop en jouer par peur des massacres du régime et par la présence française aux côtés de celui-ci.

L'armée du régime, pendant la guerre civile, voit ses effectifs passer de 7 000 à 40 000 hommes. Elle participe aux massacres de Tutsis, prisonniers civils et autres, et à celui des Bagogwes, en février 1991. Et elle attribue ses crimes au FPR. Elle achète de nombreuses armes, qui viennent d'Afrique et surtout d'Egypte, le tout financé essentiellement... par l'Etat français. La France fournit aussi ses propres armes. Les quantités sont énormes, à tel point que plusieurs hypothèses se cumulent quant à l'utilisation de ces armes : ce trafic vise à armer des civils, mais probablement aussi à réexporter une partie des équipements (trafic au bénéfice de l'Akazu). Du côté du FPR, les armes viennent d'Ouganda et sont surtout financées par la diaspora. Au Rwanda, dès 1959, les Hutus commencent à jeter le bases de ce qui deviendra "l'ennemi intérieur" tutsi. Dès septembre 1991, le régime rwandais arme des groupes d'autodéfense ; les radicaux de l'armée, l'Amasasu, veulent encore aller plus loin : ce sera la naissance des Interahamwes, pilotés par l'Akazu et les officiers de l'armée, garde présidentielle et services de renseignement. Dès la fin 1993, on commence à distribuer grenades, fusils d'assaut et machettes aux civils. Les Interahamwes ont été encadrés, notamment, par des Français, en 1991-1992 ; des militaires français participent également aux interrogatoires de prisonniers du FPR. La Radio des Mille Collines, lancée à l'été 1993, financée par l'Akazu, parachève le processus de planification du génocide. La machine à exterminer est en place.

Au 6 avril 1994, le président Habyarimana est contesté dans son propre camp, les radicaux militaires s'alliant avec l'Akazu. Au point qu'il craint pour sa vie. Les ultras du hutu power ont préparé une liste de 1 500 personnes à éliminer immédiatement. Après avoir rendu visite à Mobutu, Habyarimana et le président du Burundi s'envolent pour Dar es-Salaam, en Tanzanie, pour participer aux négociations qui doivent déboucher sur un accord pour un gouvernement de transition. C'est au retour de ce déplacement que l'appareil présidentiel est abattu, au-dessus de Kigali, par un tir de missile sol-air, le 6 avril 1994. La garde présidentielle et les coopérants militaires français font rapidement le ménage autour de l'épave. Les massacres de Tutsis commencent, en dehors de la capitale, dès l'après-midi (l'avion est abattu en soirée). Les génocidaires mettent la main sur 10 paras belges, membres de la force d'interposition de l'ONU, et les coupent proprement en morceaux. La Belgique ne songe plus alors qu'à se retirer du pays. Colette Braeckman souligne, à propos de l'attentat déclencheur du génocide, des faits troublants, notamment la possible présence, près du camp de la garde présidentielle dont sont partis les missiles sol-air, de coopérants français restés au Rwanda après l'opération Noroît, qui auraient peut-être tiré les fameux missiles. On sait en tout cas que deux spécialistes des transmissions, dont un ancien du GIGN, ont été massacrés peu après à proximité pour avoir recueilli des Tutsis... ou parce qu'ils en savaient trop. Braeckman propose ici une hypothèse que l'on sait aujourd'hui irrecevable, mais elle écrit à chaud, juste après l'événement, et ne dispose pas de toutes les informations connues à ce jour.

Les paras belges qui servent au Rwanda entre décembre 1993 et mars 1994 auront l'impression de n'avoir servi à rien : on les empêche en effet de désarmer les militaires rwandais... et ils assistent aux distributions d'armes aux civils. Les Interahmawes se préparent, le FPR infiltre certains quartiers. Après le départ de Belgique, la Minuar prend fin. Les Français commencent à encadrer, dès le 9 avril, l'évacuation de leurs ressortissants et d'autres Européens... et même des membres de l'Akazu. De nombreux coopérants rwandais, en revanche, sont abandonnés et livrés à leur triste sort, peu de temps après. La faillite de l'ONU, plus au niveau des structures que des forces présentes sur le terrain, est quasi complète.

Alors que la carcasse de l'avion fume encore, les génocidaires entrent en action. Les opposants tutsis et les modérés hutus sont les premiers à succomber. Les miliciens, sous l'oeil complaisant des militaires, établissent des barrages à Kigali et massacrent à tour de bras, tandis que le FPR sort de son cantonnement, lance des commandos nocturnes pour sauver les rescapés. Bourgmestres, universitaires, personnel médical participent aux tueries, qui ne durent pas et ne se déclenchent pas partout au même moment. Les églises deviennent des pièges mortels. A la fin mai, en plus de 350 000 réfugiés en Tanzanie, on compte déjà probablement plus de 500 000 victimes. Vient alors le moment où le FPR est sur le point de conquérir le pays. Les Hutus sont hantés par les événements du Burundi voisin : le président Ndadaye, assassiné en octobre 1993, ne suivait pas les radicaux de la minorité tutsie qui contrôle le pays. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on va enfin commencer à parler de génocide, définition laborieusement acceptée, d'ailleurs.

Jusqu'à pendant le génocide, les ultras hutus peuvent encore compter sur le soutien de certains Belges, notamment ceux de l'Eglise catholique. En outre, des militaires belges sont encore présents pour encadrer l'armée du régime, jusqu'en 1994, avec toutes les conséquences que cela implique. A ce moment-là, cette présence est plus un héritage du passé qu'une véritable volonté politique. La France ne prend le relais de la Belgique qu'en 1990, un lien très étroit unissant Habyarimana à Mitterrand. Dès lors, elle y envoie ses troupes pour bloquer la progression du FPR, dont de nombreuses unités relevant des forces spéciales -1er RPIMa, mais aussi 13ème RDP. Le Détachement d'assistance militaire et instruction (Dami) est commandé par le lieutenant-colonel Chollet, conseiller personnel de Habyarimana ; trop voyant, il est remplacé par le lieutenant-colonel Maurin. Les militaires français constatent les dérives du régime ; ils en forment les recrues, et peut-être même les milices levées pour le génocide. Certains mènent des interrogatoires "musclés" sur les prisonniers du FPR. Après l'attentat du 6 avril, Mitterrand choisit clairement son camp, exprime ses condoléances à la veuve du président, fait évacuer des membres de l'Akazu. La France livre des armes aux FAR, l'armée du régime, jusqu'au mois de mai, via Goma, au Zaïre. La situation change à la mi-juin : le FPR est sur le point de l'emporter. Contrairement aux attentes, il n'a pas foncé sur Kigali, mais a contourné et isolé les villes, les a infiltrées de l'intérieur pour les faire tomber plus facilement. Si la France lance l'opération Turquoise, c'est pour défendre des intérêts, stratégiques et surtout militaires.

Au Rwanda, l'Etat a entraîné toute la population, notamment les jeunes, dans un massacre où les techniques barbares disputent la vedette aux méthodes de manipulation des foules. Les intellectuels ont forgé les armes pour mettre en place la machine du génocide. Dès 1990, le contrôle des populations est un enjeu-clé du conflit. Les génocidaires hutus prennent ainsi en otage les populations réfugiées au Zaïre. Les Hutus du Burundi chassés après avoir commis des massacres contre les Tutsis burundais avaient fait de même au Rwanda, et participent d'ailleurs aux massacres de Tutsis rwandais. C'est l'afflux massif de réfugiés à Goma, suivis par les génocidaires, qui relance l'intérêt international pour le Rwanda... et provoque l'opération Turquoise. Cette opération française vise d'abord à créer, si possible, un "Hutuland"  dans le sud-ouest du pays : d'où l'emploi d'unités dépendant du Commandement des Opérations Spéciales (COS), le tout sous contrôle de la Direction du Renseignement Militaire (DRM). Il s'agit de barrer la route au FPR. Mais comme les FAR sont en pleine déconfiture, la mission se transforme en sauvetage humanitaire : 10 à 15 000 survivants tutsis en bénéficieront, ce qui n'est pas rien, mais représente une goutte d'eau dans l'océan. Surtout, l'armée française, fort mal équipée d'ailleurs pour sa mission humanitaire, laissée aux ONG, permet aux génocidaires de se replier au Zaïre sans être inquiétés. L'armée française forme même une gendarmerie parmi les rescapés des FAR...

La comparaison entre le Burundi et le Rwanda voisin est plus qu'intéressante. Le président Ndadaye, avant d'être assassiné, avait promu le partage du pouvoir, une transition démocratique, un Etat de droit. Autant dire qu'il dérangeait les dictateurs voisins et les trafiquants associés. Il est assassiné par les militaires de son armée, qui n'instaurent pas une dictature militaire, mais un pouvoir civil. Les paysans hutus commencent alors à massacrer les Tutsis. Cependant, l'armée ne reste pas l'arme au pied et exécute 50 à 100 000 Hutus, en chassant 350 000 au Rwanda, propulsant le pays dans une purification ethnique. En réalité, des groupes qui n'acceptaient pas le partage du pouvoir ont joué la carte de l'ethnicité, tout simplement. Au Zaïre, après la fin de la guerre froide, dès 1990, Mobutu en joue aussi pour tenter de conserver le contrôle de cet immense pays. Les Banyarwandas des Kivus vont en faire l'amère expérience : 7 000 morts et des dizaines de milliers de déplacés. Et le déchaînement de violence qui suivra sera à l'avenant.

On l'aura compris, le livre de Colette Braeckman est fondamental dans la quête d'une histoire du génocide rwandais. Comme le dit René Lemarchand, c'est la première tentative sérieuse d'histoire globale de l'événement. La meilleure preuve en est qu'il a tout de suite été confronté à leurs travaux par les tenants de la lecture "ethnique", comme Pierre Erny ou Bernard Lugan, lesquels pensent que l'opposition entre Hutus et Tutsis doit immanquablement déboucher sur un massacre interethnique (la fameuse théorie du double génocide), par une sorte d'atavisme raciste. Ceux-ci écartent toute analyse des événements ayant mené au génocide. Cette posture est en partie l'héritière de l'anthropologie raciste du XIXème siècle : à partir, en gros, du dixième anniversaire du génocide, elle postule aussi que les Tutsis ne seraient pas africains, sans preuves solides. Elle refuse donc de penser le racisme comme une construction politique et sociale. Mise en équivalence des acteurs, banalisation des événements, relecture de l'action du FPR entre 1990-1994 à la lumière de ce qui s'est passé au Zaïre en 1996 sont fréquents dans cette littérature. Sans compter que celle-ci se rapproche opportunément de la thèse officielle défendue par la France à l'époque. Il faut dire aussi que la mission d'information parlementaire de 1998, dirigée par Paul Quilès, en France, contrairement à sa consoeur belge, n'avait pour mission que d'informer, là où la mission belge a pu aller jusqu'au fond du dossier, interroger, enquêter, poser des questions, jetant la lumière sur le rôle de la Belgique au Rwanda. La mission française a exonéré la France de toute responsabilité, même si des erreurs ont été reconnues. La parcimonie dans les informations délivrées et l'ambiguïté de cette mission expliquent certainement pour beaucoup que le rôle de la France au Rwanda soit encore sujet à débat. Et si Colette Braeckman n'évoque pas dans ce livre les crimes commis par le FPR durant sa progression, au moment du génocide, elle s'est rattrapée dans ses ouvrages plus récents. A la lumière du débat qui a encore fait rage en avril dernier à l 'occasion du vingtième anniversaire du génocide, il semble donc tout à fait opportun de découvrir cet ouvrage qui est sans doute le premier à poser les bases d'une histoire authentique du troisième génocide du XXème siècle.





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