L'offensive
japonaise de juillet 1939
Les
principaux combats de Nomonhan peuvent être divisés en deux phases.
En juillet, l'armée impériale japonaise lance deux offensives
successives mais n'arrive pas à déloger les Soviétiques de leurs
positions. Les pertes subies par les Japonais les forcent à rester
sur la défensive jusqu'à la fin des combats. Sur les conseils du
major Masanobu et du lieutenant-colonel Takushiro, le général
Komatsubara opte pour un enveloppement. La force principale (71ème
et 72ème régiments d'infanterie de la 23ème division, 13ème
régiment d'artillerie de campagne, 23ème régiment du génie avec
le 26ème régiment de la 7ème division en réserve) doit éliminer
les troupes soviétiques près de la colline 721, traverser la
rivière Halha puis obliquer au sud vers le pont de Kawamata, afin de
détruire l'artillerie et les dépôts soviétiques sur la rive
ouest. Parallèlement, le groupe de Yasuoka (64ème régiment
d'infanterie, 2ème bataillon du 28ème régiment d'infanterie, 3ème
et 4ème régiments de chars, 1ère régiment d'artillerie de
campagne indépendant et 24ème régiment du génie indépendant)
doit attaquer les forces soviétiques sur la rive est, au nord de la
rivière Holsten. La jonction entre les deux pinces doit permettre
d'encercler les unités soviétiques et de les anéantir. Les
Japonais pensent que leur attaque de flanc forcera les troupes de
l'Armée Rouge à évacuer la rive est ; en outre, ils
franchissent pour la première fois la frontière entre le
Mandchoukouo et la Mongolie extérieure soviétique.
La
force nord s'empare comme prévu de la colline 721 le 2 juillet et
traverse la Halha dans la nuit. Les Japonais montent sur la colline
Baintsagan et avancent sur 6 km au sud. Un peu plus loin, ils sont
bloqués par le tir de l'artillerie soviétique qui ouvre le feu
depuis la colline Dungar-Obo. L'Armée Rouge contre-attaque ensuite
sur trois côtés avec 450 chars ou automitrailleuses, réduisant à
néant la pointe japonaise. Les combats exercent rapidement une
attrition sévère sur les troupes nippones. Le seul ponton
transportable que celles-ci ont amené avec elles ne peut être
recomplété sur la rive ouest. Les Japonais doivent finalement se
replier sur la rive est le 5 juillet, alors que Yasuoka a dû lui
aussi faire face à forte partie dans ce secteur. Celui-ci envoie le
2ème bataillon, 28ème régiment couvrir le flanc droit pendant que
les deux régiments de chars attaquent un ennemi que sur la foi de
renseignements erronés, Yasuoka croit en pleine retraite. Il
sacrifie donc la planification à la vitesse d'exécution. Les chars
japonais sont conçus pour le soutien d'infanterie : dans les
opérations de poursuite, ils doivent traquer l'ennemi désorganisé.
Ici la situation est différente car l'artillerie soviétique de la
rive ouest peut viser à loisir les blindés nippons. Yasuoka opte
donc pour une attaque nocturne, mais ceci accroît la difficulté de
coordonner l'action des chars avec l'infanterie, d'autant plus que
les Japonais manquent de moyens de tranmission, de fusées
éclairantes, etc. Les tankistes ne connaissent pas la position
exacte de l'ennemi, ni sa force et le terrain. Ils pensent qu'une
pression continue sur un ennemi en déroute suffira à l'achever.
Dans la nuit du 2 au 3 juillet, les blindés japonais commencent une
charge hasardeuse sous une pluie battante qui se termine en multiples
actions indépendantes où la moitié des véhicules va finalement
être perdue.
Combat
de rencontre
A
l'aube du 3 juillet, les hommes du 2ème bataillon, 28ème régiment
se préparent au combat tout en entendant les bruits de la bataille
dans laquelle est engagée le détachement Yasuoka. L'unité s'est
déplacée sur la colline 726 la nuit précédente : elle doit
couvrir le flanc droit de Yasuoka et sonder le dispositif ennemi sur
la rive est de la Halha. Il s'agit aussi de reconnaître le terrain
en raison du manque de cartes. Pour le protéger des blindés
soviétiques, le régiment a attribué au bataillon une compagnie de
canons antichars de 37 mm. A 6h00, le bataillon avance sur deux
compagnies de front et une en réserve. A gauche, la 6ème compagnie
du capitaine Tsuji, avec deux mitrailleuses lourdes, fait route au
sud-est. La 5ème compagnie du capitaine Aoyagi, avec également deux
mitrailleuses lourdes, suit une route parallèle. Une section de
cette compagnie protège le flanc droit. Le lieutenant Saito dirige
la 7ème compagnie en réserve. Les pièces d'artillerie et antichars
suivent de près les unités de tête pour pouvoir se déployer
rapidement si besoin.
Au-dessus
d'eux, les fantassins japonais peuvent voir une vingtaine de
chasseurs disloquer une formation d'appareils soviétiques, dont un
avion est abattu ce qui provoque le repli des autres. L'infanterie
reprend sa progression, harcelée par quelques tirs, 12 heures après
l'entrée en scène des chars. Or le détachement Yasuoka a besoin
des reconnaissances du bataillon sur son flanc gauche pour savoir
quoi faire. La coordination est mauvaise entre le 64ème régiment
d'infanterie et le 2ème bataillon, aussi Yasuoka ne peut obtenir les
renseignements nécessaires. Quelques nids de mitrailleuses ou
fantassins sont rapidement éliminés par les mitrailleuses lourdes
et canons du bataillon. A la tombée de la nuit, celui-ci forme un
périmètre défensif avec ses trois compagnies en arc de cercle. Il
s'attend à trouver à l'aube en face de lui deux compagnies
soviétiques avec 5 ou 6 chars. Le major Kajikawa envoie des
éclaireurs qui font la jonction avec la 8ème compagnie du 64ème
régiment. Le bataillon progresse d'un kilomètre vers le sud au
matin du 4 juillet et subit sans conséquence le straffing
d'un appareil soviétique isolé.
La
chaleur torride pose davantage de difficulté aux fantassins nippons
que la résistance soviétique, éparse. Les Japonais collectent 8
corps et 1 prisonnier, et découvrent 5 camions et un canon antichar
de 45 mm détruit. Le major Kajikawa et son adjoint, le lieutenant
Muranaka, pensent que les Soviétiques ont fort à faire face à la
23ème division. La nuit même, le major envoie des éléments sur
les arrières de l'ennemi pour détruire l'important pont de
Kawamata. Cette patrouille comprend deux équipes de trois hommes
chacune, l'une menée par le capitaine Aoyagi et l'autre par le
sergent Hirai. Près du pont, Hirai repère une section de
mitralleuses lourdes soviétiques et l'autre groupe découvre des
chars et des véhicules blindés. Incapable de s'approcher, Hirai
pose des mines sur la route à l'est du pont. Un char saute bientôt
sur l'une d'elles, entraînant le tir des mitrailleuses. Hirai et ses
hommes se cachent toute la journée dans la rivière et regagnent
leurs lignes à la nuit tombée. Pendant la nuit du 4 au 5 juillet,
d'autres patrouilles signalent au bataillon que le pont semble peu
défendu, les Soviétiques se reposant sur un montage de barbelé
« en piano » que les Japonais ont déjà rencontré
mais contre lequel ils n'ont pas adopté de contre-mesures.
Le
major Kajikawa ordonne donc une attaque au matin du 5 juillet. Les
5ème et 7ème compagnie mènent l'assaut et font la jonction avec le
64ème régiment. Kajikawa, monté sur un cheval pour mieux diriger
les opérations, prend la tête de la 7ème compagnie. A 2 km au nord
du pont, cependant, la 5ème compagnie est bientôt prise à partie
par l'artillerie lourde soviétique puis par des chars. La 7ème
compagnie perce deux lignes de défense mais est aussi stoppée par
l'artillerie. Les tirs de la rive ouest qui prennent en enfilade le
bataillon le bloquent à 1 800 mètres du pont. De fait, la doctrine
tactique japonaise se heurte à un système défensif soviétique
bâti en profondeur : les premières lignes sont évacuées, le
retrait est couvert par des armes automatiques placées en arrière
et l'artillerie a des réglages pré-enregistrées sur ces zones pour
frapper l'ennemi qui survient. Des renforts soviétiques commencent à
arriver : 149ème régiment de fusiliers motorisés, 36ème
division de fusiliers motorisés. 15 chars attaquent la 5ème
compagnie mais les canons antichars de 37 mm en pulvérisent un :
la chaleur, le caractère volatile du carburant et les compartiments
moteurs exposés vont faire monter, au départ, les pertes en blindés
des Soviétiques. Mais les chars se regroupent hors de portée des
canons de 37 japonais et continuent à ravager les rangs de
l'infanterie.
En
outre, le 2ème bataillon commence à manquer de munitions (il
n'avait que la moitié de la ration normale de 5 jours), de
nourriture et d'eau. Pour conserver les munitions antichars, les
canons de 70 mm tirent sur les chars soviétiques, sans grand
résultat. Les fantassins mettent baïonnette au canon car le sable a
enrayé certains fusils et une mitrailleuse légère sur 5. Les chars
BT, placés en défilement partiel à environ 1500 mètres de
distance, continuent à déverser un feu meurtrier sur les Japonais
en combinaison avec l'artillerie. Le contact est perdu avec le 64ème
régiment. Yasuoka ordonne au bataillon de se replier à la faveur de
la nuit. Mais la contre-attaque survient : 500 fantassins
appuyés par des chars s'en prennent à la 5ème compagnie, renforcée
par une section de la 6ème compagnie, les combats se terminant au
corps-à-corps. Les 4 canons antichars de 37 mettent hors de combat 3
chars soviétiques mais d'autres arrivent sur les positions
japonaises. Une escouade tentent de jeter sur les blindés des
cocktails Molotov ou des mines mais elle est anéantie par les
mitrailleuses. Sur le point d'être débordée, la 7ème compagnie
est sauvée par l'apparition d'avions nippons qui attaquent les chars
et provoquent leur retraite, suivie de celle de l'infanterie. La 5ème
compagnie doit toujours faire face à la pression soviétique et son
commandant, le capitaine Aoyagi, est tué. L'unité emmène ses morts
et ses blessés sous le couvert des obus explosifs des canons de 37
et des mitrailleuses lourdes, et le bataillon regagne sa base de
départ du 3 juillet, au nord de la colline 731.
A
23h30, la pluie commence à tomber et les soldats japonais récoltent
de l'eau avec leurs casques. De temps à autres, les fusées
éclairantes tirées par les Soviétiques révèlent un champ de
bataille désolé, rempli de carcasses de chars et de corps dévorés
par les mouches. A 1h30, le 6 juillet, le major Kajikawa tient un
discours à la troupe pour lui faire comprendre que le repli tactique
n'est que temporaire : il opère dans la tradition du 28ème
régiment et selon ce que les tacticiens attendent de tout officier.
En trois jours, le bataillon estime avoir éliminé 300 soldats
ennemis, détruit 4 chars (2 autres seront ajoutés par les
éclaireurs le lendemain) et 5 mitrailleuses. Les Japonais ont
retrouvé les tactiques soviétiques du manuel de 1936, qu'ils
avaient traduit : les chars opèrent en soutien de l'infanterie,
ouvrant la marche et manoeuvrant rapidement pour éviter le feu.
L'artillerie soviétique a été efficace mais les Japonais savaient
qu'elle était centrale dans le dispositif de l'Armée Rouge. Le
soldat soviétique a montré de la ténacité mais peu d'initiative,
confirmant les stéréotypes japonais. Pourtant, l'échec du 2ème
bataillon est avant tout lié à des faiblesses intrinsèques.
La
coordination entre le bataillon et l'artillerie du régiment a été
inexistante. Les unités d'infanterie ont combattu isolément sans se
soutenir. Le 2ème bataillon, en perdant la jonction avec le 64ème
régiment, a failli être détruit par une attaque de chars. Les
communications sont mauvaises tout comme l'est la logistique :
le soldat japonais souffre rapidement de la soif, de la faim et du
manque de munitions. La 23ème division ordonne, cependant, de
reprendre l'attaque le 6 juillet. L'armée du Kwantung, mal
renseignée, pense que les Soviétiques ne pourront alimenter
indéfininement leur artillerie. L'attaque du bataillon vers le pont
de Kawamata, le 6 juillet, est à nouveau stoppée par les obus
soviétiques. Les Japonais réalisent alors qu'un avion ennemi règle
le tir de l'artillerie... tout un symbole. Après avoir avancé d'un
kilomètre, l'escouade de tête constate que l'ennemi se retranche.
Malgré la présence d'une ligne de téléphone maintenant les
communications avec l'artillerie, les Japonais ne peuvent déboucher.
Le bataillon est pilonné par l'artillerie et les chars à longue
distance. Le 7 juillet, dans l'après-midi, les avant-postes
signalent que 150 Soviétiques avec deux mitrailleuses et des pièces
d'artillerie tentent d'infiltrer les arrières du bataillon après
avoir passé la Halha. Le lieutenant Saito prend deux sections de la
7ème compagnie pour contrer la menace avec une autre en réserve.
Saito
coordonne le tir de l'artillerie régimentaire et des mitrailleuses
lourdes grâce au téléphone de campagne et jette la confusion parmi
les assaillants. Les Japonais chargent à la baïonnette et laissent
102 cadavres adverses sur le terrain, récupérant 20 fusils, deux
mitrailleuses et deux canons. Les Soviétiques reçoivent cependant
des renforts et réparent leurs barbelés. Les pluies diluviennes
gonflent le niveau de la Halha mais n'empêche pas son passage à gué
par les chars : aussi les Japonais laissent-ils des avant-postes
pour surveiller le cours d'eau. Kajikawa, sur la foi des déclarations
d'un prisonnier qui annonce une attaque imminente, veut attaquer
lui-même puis se ravise, ordonnant de renforcer les défenses. La
nuit se passe sans incident. A 10h00, le 8 juillet, Yasuoka avertit
Kajikawa que les Soviétiques retraitent par le pont et lui ordonne
d'attaquer. Le lieutenant Sawada, qui commande la section d'armes
lourdes de la 5ème compagnie, mène la poursuite avec 2
mitrailleuses lourdes, 2 canons de 37 mm et 2 de 70 mm en soutien. A
11h00, Sawada découvre que l'ennemi, loin de retraiter, a au
contraire reçu des renforts. Il s'empare d'un avant-poste et estime
que 300 soldats, 5 chars et une douzaine de canons lui font face.
Attaque
de nuit et contre-attaque soviétique
Sawada
et ses hommes passent un après-midi entier pilonnés par
l'artillerie soviétique. Cependant, Sawada estime être en bonne
position pour une attaque de nuit et le fait savoir au major
Kajikawa, qui décide à son tour d'engager tout le bataillon dans
une attaque de flanc. Vers 22h30 cependant, les hommes de Sawada
repèrent 2 compagnies soviétiques qui avancent dans leur direction.
Sawada place ses hommes en embuscade, dont une partie pour un tir en
enfilade, et surprend les Soviétiques par ses feux avant de charger
à la baïonnette. Cependant les Japonais ne sont pas capables
d'exploiter le désarroi des assaillants. En poussant jusqu'aux
lignes ennemies, ils sont victimes de nombreux jets de grenades à
main. Les tirs de fusils forcent les fantassins nippons à s'abriter,
malgré l'exploit du sergent Iwakoshi qui élimine 12 adversaires à
la baïonnette. Les Japonais, sans objectifs précis, perdus dans le
noir, butent sur des retranchements et certains se cassent même
jambes ou poignets en tombant dans des tranchées. Ils perdent un
tiers de leur effectif pour nombre estimé de 150 ennemis tués.
Sawada, de son côté, regagne sa position avec plus de 30 morts et
blessés au matin du 9 juillet. Les fantassins nippons fortifient les
hauteurs de Hinomaru.
Les
Soviétiques, mécontents des pertes subies durant la nuit, lancent
au matin 300 hommes appuyés par 5 chars et un barrage roulant
d'artillerie contre les positions japonaises. Les fusiliers stoppent
au pied des hauteurs et commencent à creuser des retranchements
pendant que les chars avec des groupes de 5 à 6 fantassins, dont une
paire de snipers, avancent un peu plus loin pour couvrir les travaux.
Une fois les trous individuels et positions de mitrailleuses lourdes
creusées, la moitié des fantassins soviétiques charge sur les
hauteurs avec les chars. Les Japonais les repoussant à coups de
grenades et de mortiers Knee, malgré la présence d'officiers
du GRU qui surveillent l'infanterie soviétique. Plus de 100 cadavres
et 2 épaves de blindés restent sur le terrain. Mais les Japonais
ont repoussé plusieurs assauts à la limite de la rupture.
Redéploiement
Kajikawa,
quant à lui, a reçu nouvelle du désastre de Yasuoka : il
dépend désormais du colonel Sumi Shinichiro, commandant le 26ème
régiment d'infanterie de la 7ème division, qui a remplacé Yasuoka
sur son flanc gauche. Cette première défaite a par ailleurs
fortement entamé l'allant du général Komatsubara, dont le
pessimisme se reflète jusque dans la troupe : désormais les
Japonais ne rechercheront plus le contact avec les Soviétiques. Tout
la journée du 10 juillet, le 2ème bataillon repousse des attaques
soviétiques avec ses mitrailleuses et ses canons. De fait, les
Soviétiques tiennent un saillant depuis le pont jusqu'aux positions
du 2ème bataillon : la prise des hauteurs tenues par celui-ci
permettrait à l'Armée Rouge de couper en deux le dispositif
japonais et d'acculer l'unité contre la rivière Halha. Pour
améliorer sa position, Kajikawa ordonne une attaque nocturne dans la
nuit du 10 juillet contre les troupes soviétiques stationnées à
proximité. La 7ème compagnie parvient à faire passer du
ravitaillement et des munitions à l'unité stationnée sur les
hauteurs d'Hinomaru.
Le
11 juillet, l'artillerie japonais met hors de combat une mitrailleuse
lourde soviétique et s'attire le feu de l'artillerie soviétique
qu'elle fait taire par une contre-batterie efficace. Les deux camps
renforcent leur défense, les Japonais ajoutant un camouflage à
leurs positions. De 9h00 à 10h00, les Soviétiques bombardent
intensément le bataillon, en partie avec des canons de 45 mm amenés
au plus près. Le scénario se répète le lendemain 13 juillet et
les fantassins échangent aussi des tirs. Kajikawa reçoit bientôt
l'ordre de Sumi, venant de Komatsubara, de se replier au nord-est
vers la colline 731 pour évacuer les hauteurs d'Hinomaru. Le 64ème
régiment a perdu 77 tués, 29 disparus et 160 blessés, et selon le
général, son esprit combattif. Le repli commence au crépuscule et
il est facilité par les pluies. Le lendemain 14 juillet, Sumi envoie
un messager annonçant une contre-attaque sur le pont car les
Soviétiques se replierait en ne laissant qu'une arrière-garde. En
fait, le 603ème régiment de fusiliers de la 82ème division,
fraîchement arrivé à l'est de la Halha le 12, a été pris de
panique sous le feu de l'artillerie japonaise avant d'être repris en
main par l'officier politique et le commandant de régiment. Dans la
nuit, le régiment est replié à l'ouest de la Halha. Sumi veut
profiter de la confusion pour reprendre le terrain. Le bataillon fait
demi-tour mais ne peut occuper à temps les hauteurs d'Hinomaru.
Finalement, le 26ème régiment de Sumi constate que les Soviétiques
ne se replient pas et le général Komatsubara arrête à nouveau
l'offensive. Le 16 juillet, le 2ème bataillon est mis en réserve.
Les 17-18 juillet, il occupe la colline 731 et fortifie la position
sous le feu de l'artillerie soviétique, avant de revenir en réserve
de la 23ème division du 20 au 27 juillet.
Impasse
et attrition
Les
64ème et 72ème régiments d'infanterie japonais sont en pointe de
l'attaque sur le pont de Kawamata, le 23 juillet 1939. De
l'artillerie supplémentaire a été expédiée du Japon : 15
000 obus seront tirés le premier jour en soutien mais l'Armée Rouge
réplique par un contre-barrage et une contre-batterie encore plus
puissants. En deux jours, les canons de campagne japonais consomment
la moitié du stock de munitions, ce qui n'est pas pour rien dans la
décision d'arrêter l'assaut dès le 25 juillet. Le général
Komatsubara a ordonné aux unités sur la rive est de la Halha de se
retrancher pour briser l'attaque ennemie, après quoi une
contre-attaque suivra. Les deux régiments se retranchent au sud de
la rivière Holsten. Le terrain surplombe la rive est de la Halha ce
qui permet aux Japonais d'observer les positions adverses. Pour
couvrir le flanc sud, le général Komatsubara envoie le 71ème
régiment d'infanterie. Le 2ème bataillon, 28ème régiment, est
envoyé là le 28 juillet pour fortifier les environs de la colline
742. Face à lui, la 82ème division de fusiliers qui attaque le
détachement Nagano, que le bataillon est venu renforcer. L'attaque
est repoussée.
La
colline 742 est la clé du secteur mais le 2ème bataillon doit
défendre 4 km de front soit le double de ce qui est prescrit dans le
manuel. Pour boucher les trous, les armes lourdes couvrent les
espaces dans la journée et des patrouilles les parcourent de nuit.
Dans la nuit du 1er au 2 août, une cinquantaine de Soviétiques
attaquent de nuit l'une des sections japonaises de la colline, mais
sont repoussés et laissent 30 morts sur le terrain. Les Soviétiques
ont compris l'importance de la colline et sondent à nouveau la place
le 2 août. Dans les jours suivants, ils expédient 2 000 obus par
jour sur la hauteur, contraignant les Japonais à une guerre
d'attrition que ceux-ci ne peuvent remporter. Les Japonais renforcent
leurs défenses, de même que les Soviétiques, qui tentent encore
une attaque le 4 août. Le 7 août, à 4h00, après un violent
bombardement d'artillerie, les fantassins de l'Armée Rouge passent à
nouveau à l'assaut. L'attaque s'arrête cependant vite. Un nouveau
bombardement, encore plus violent, reprend à 18h30 jusqu'à 20h30.
Les Soviétiques utilisent aussi des canons de 45 mm en tir direct.
Puis 500 fantassins et 5 chars montent à l'assaut. Après des
combats au corps-à-corps, les mortiers Knee et les canons de 70 mm
utilisés en tir tendu contraignent les Soviétiques à se replier,
en ordre, emportant 300 tués et blessés. Les Japonais ne sont
cependant guère en meilleur état : privés d'eau et de nourriture,
ils doivent en outre faire leurs besoins dans leurs trous
individuels, et sont parfois contraints de manger de l'herbe. Les cas
de dysenterie et même de typhus déciment la troupe. Le moral reste
cependant élevé : le système régimentaire japonais fait que
chaque unité est recrutée dans le même secteur, la même ville, le
même village.
Le
ravitaillement s'effectue de nuit mais il est dangereux car les
Soviétiques sont attentifs : il faut veiller en particulier à
contrôler le hennissement des chevaux ou autres animaux de trait. A
la fin de la bataille, un homme sur quatre des services arrière
japonais aura été tué ou blessé. L'infanterie japonaise conserve
aussi du mordant : le lieutenant Saito anéantit lors d'une
charge à la baïonnette une équipe d'observation d'artillerie
soviétique escortée d'un détachement de protection qui tentait de
s'infiltrer au plus près des lignes nipponnes. Le 9 août, tandis
que l'Armée Rouge renforce son dispositif face au 71ème régiment,
200 recrues arrivent au bataillon pour combler les pertes. Le 10
août, du bois est collecté pour renforcer les fortifications. Mais
le 11, on retire au bataillon ses canons de 37 mm pour les expédier
au 71ème régiment, alors que les canons soviétiques de 45 mm se
manifestent de plus en plus. La moitié des pertes japonaise est en
fait provoquée par l'artillerie, contre 37% en 1938. L'attrition se
poursuit aussi en raison des patrouilles soviétiques comme celles du
13 août. Le 14, l'artillerie bombarde les positions japonaises
méthodiquement. Des mouvements de camions et de chars sont observés
qui font partie d'une tromperie organisée par les Soviétiques pour
leurrer les Japonais. Le lendemain, ceux-ci emploient pour la
première fois des mortiers.
Deuxième
attaque de nuit
Des
éclaireurs observent les lignes soviétiques et constatent des
bruits de travaux de fortification. En fait, c'est là encore une
opération de tromperie de la part des Soviétiques qui ont placé
des émetteurs répandant de tels sons ; en outre les Japonais
constatent à nouveau que l'Armée Rouge laisse peu garnie la
première ligne et déploie une défense en profondeur avec des feux
d'artillerie préétablis. Le capitaine Tsuji obtient le 18 août la
permission de Kijikawa de conduire une attaque préventive. Les
fantassins s'enveloppent pour être plus silencieux, Tsuji arbore une
croix blanche sur l'épaule pour guider ses fantassins dans
l'obscurité. Il bute sur un avant-poste soviétique non décelé et
le combat s'engage. Les Japonais éliminent les fantassins disposés
dans les premières tranchées mais sont bloqués par les tirs
d'armes lourdes postées plus en arrière. Les mortiers Knee tentent
de réduire ces positions mais progressivement, tous les officiers
sauf Tsuji sont tués ou blessés. A 2h30, quatre heures après le
départ du raid, Tsuji ordonne le repli en emportant ses 7 tués et
22 blessés. Tsuji pense avoir éliminé 80 soldats ennemis mais en
fragmentant ses sections pour éliminer des positions fortifiées, il
a manqué de l'ampleur d'un assaut de la taille de la compagnie. La
guerre de positions se poursuit jusqu'au 20 août. Incapable de
déloger l'adversaire, l'armée du Kwantung, pour sauver la face, a
dû se résoudre à une coûteuse lutte d'attrition, dont le parcours
du 2ème bataillon est un bon exemple.
A
6h30, le 20 août, une large formation d'appareils soviétiques
bombarde les positions du 2ème bataillon. Elle fait partie des 250
appareils -dont 150 bombardiers- engagés par l'Armée Rouge en
préparation de l'offensive tant attendue. Les Japonais interceptent
depuis juillet des messages allant dans ce sens. En premier échelon,
l'Armée Rouge a en fait déployé 2 divisions de fusiliers, 2
brigades de chars ou motorisées, 7 régiments d'artillerie et 3
divisions de cavalerie. En deuxième échelon, on trouve une autre
division de fusiliers et 5 brigades de chars ou motorisées. Ces
forces sont étalées sur 50 km et représentent le double de
l'estimation du renseignement japonais. Celui-ci a également
gravement sous-estimé l'effort logistique soviétique pour alimenter
les combats autour de Nomonhan. L'Armée Rouge a mis en ligne 2 600
camions dont 1 000 pour le transport d'essence. Pour ravitailler les
troupes à 750 km de distance, il faut cependant 5 000 véhicules.
Mi-août, Joukov reçoit 1 625 camions supplémentaires de Russie
d'Europe ce qui lui permet de mettre au point son offensive pour le
20 août. Des reconnaissances aériennes nippones détectent des
concentrations de véhicules sur la rive ouest de la Halha mais les
Japonais pensent pouvoir briser l'offensive soviétique et
contre-attaquer ensuite...
Après
le bombardement aérien, le 2ème bataillon subit encore 45 minutes
de pilonnage de l'artillerie soviétique. 12 chars commencent à
manoeuvrer autour de la colline 742. L'infanterie et les blindés
soviétiques testent les positions japonaises : lors d'une
attaque de 4 chars vers 17h00, l'un d'entre eux est incendié par une
équipe antichar japonaise. En fait, ces coups de sonde servent à
fixer les défenseurs nippons pendant qu'ils sont enveloppés par les
chars des 6ème et 11ème brigades de chars et la 8ème brigade
motorisée qui ont progressé du sud-est au nord-est pour couper les
arrières des Japonais. Kajikawa comprend la manoeuvre et envoie des
éclaireurs qui rapportent la présence de 1 000 camions et 500 chars
ou automitrailleuses sur le flanc gauche du bataillon. Le 71ème est
régiment est attaqué par les fusiliers des 80ème et 127ème
régiments soutenus par les chars de la 6ème brigade de chars, à
l'essence moins volatile et dont les compartiments moteurs sont
désormais protégés contre des jets de cocktail Molotov. Le 21
août, à 8h00, le barrage d'artillerie reprend et les canons ciblent
désormais les positions repérées la veille. Les fantassins
soviétiques s'infiltrent dans les positions japonaises mais les
Nippons les surclassent au corps-à-corps. Les Japonais notent
cependant la bonne coordination ennemie entre infanterie et
artillerie. Le lendemain, 22 août, le bombardement reprend et les
premiers signes de désintégration dans le bataillon apparaissent
suite aux assauts d'infanterie répétés des Soviétiques. Les
Japonais manquent désespérement d'eau et de munitions. Dans la nuit
du 23 au 24 août, des chars arrivent à passer à travers le
dispositif nippon lors de violents combats.
L'encerclement
du 2ème bataillon et la retraite
Au
matin du 24 août, le major Kajikawa découvre avec stupeur que le
71ème régiment s'est finalement replié s'en l'en aviser, alors
même que le tir d'enfilade des obusiers soviétiques provoque de
plus en plus de pertes. Plus de 30 chars apparaissent en bas des
positions japonaises et l'infanterie suit un officier portant un
drapeau rouge. Les Soviétiques sont repoussés au sabre et à la
baïonnette. Les blindés détruisent un dépôt de munitions sur les
arrières du bataillon et leur infanterie débarquée attaquent les
Japonais par l'arrière. Le pilonnage d'artillerie est
particulièrement intense entre 12h00 et 14h00. Les Soviétiques
infiltrent les position nippones et tirent au fusil et à la
grenade : l'état-major de Kajikawa et le major lui-même
prennent part au combat, avant d'être contraints de décrocher. A
17h00, les survivants reçoivent le renfort du colonel Morita et de
40 hommes. Kajikawa reçoit pourtant l'ordre de tenir à tout prix.
Le lendemain, l'artillerie soviétique reprend son pilonnage, puis
l'infanterie suit derrière un drapeau rouge. Les Japonais n'ont plus
de munitions pour leur artillerie. Le lieutenant Tahara, de la 5ème
compagnie, tue trois adversaire au sabre : blessé par un coup
d'arme automatique, il se tire une balle dans la tête pour éviter
d'être capturé en criant « Longue vie à l'empereur ! ».
A
15h00, les Japonais n'ont plus de munitions et sont pilonnés par les
mortiers, les chars complètant l'encerclement. Les Soviétiques ont
emporté les positions d'artillerie et de mitrailleuses. Les blessés
ne peuvent plus être soignés et les docteurs leur confient des
grenades. Dans la nuit, Kajikawa ordonne une percée avec tous les
éléments valides. A 2h00 le 26 août, il n'y a plus que 55 hommes
en état de se battre avec un ou deux mitrailleuses légères et une
mitrailleuse lourde. Mais il faut encore traverser la rivière
Holsten, ce que les survivants ne font qu'au prix d'une véritable
anabase. Sur 28 officiers et 854 hommes, 13 officiers et 264 soldats
sont morts, 11 officiers et 367 hommes sont blessés et 47 sont
portés disparus. Mis en réserve, le bataillon doit encore se
déplacer dans la nuit du 30 au 31 août en raison du tir
d'artillerie qui le vise encore à 10 km des lignes.
Conclusion
L'attaque
blindée de Joukov tourne par le sud les positions de la 23ème
division d'infanterie japonaise. Au nord, la progression est plus
lente mais les chars lance-flammes soviétiques viennent à bout de
la résistance et les deux pinces se rejoignent à Nomonhan,
encerclant la 23ème division. Les Soviétiques se contentent ensuite
de se retrancher à la frontière. Un cessez-le-feu est conclu le 16
septembre. La doctrine de combinaison des armes soviétique a fait
ses preuves alors que la doctrine japonaise d'infanterie a failli, ce
qui ne va pourtant pas entraîner un changement radical côté
nippon.
Les
Japonais ont privilégié leur infanterie en connaissance de cause de
leur infériorité matérielle et technologique. Sous-estimant
l'ennemi, ils pensaient que les qualités intrinsèques du combattant
japonais permettraient de venir facilement à bout du fantassin
soviétique. Pourtant, dès le mois de juillet, là où la doctrine
valorise l'initiative, le commandement japonais s'enferme dans une
posture défensive et joue le jeu de la guerre d'attrition des
Soviétiques, montrant peu de souplesse. Mais les Japonais manquent
tout simplement d'artillerie et de blindés et les fantassins ne
peuvent souvent pas atteindre leur véritable objectif, l'infanterie
ennemie. En sous-estimant l'Armée Rouge, les Japonais ont précipité
leur défaite, étant incapables de voir que les Soviétiques
apprenaient à leur contact et s'adaptaient.
Les
Japonais ne savent pas bâtir des positions défensives aménagées
correctement car ils pensent bientôt être à nouveau sur
l'offensive. Le renseignement fait également défaut car presque
jusqu'au bout, l'état-major de l'armée du Kwantung croit avoir à
faire à un ennemi démoralisé et qui retraite. L'infanterie
japonaise excelle dans les attaques nocturnes au niveau de la section
ou de la compagnie, mais elle affronte des divisions de fusiliers de
seconde ligne qui ne représentent pas l'ensemble du système de
combat soviétique, malgré des assauts frontaux coûteux et des
tactiques peu originales. Contre les chars et l'artillerie, la
doctrine japonaise est de peu d'utilité. Aussi courageux que soient
les officiers, ils ne peuvent rien faire contre les blindés.
Le
2ème bataillon du 28ème régiment en paie le prix : 86% de
pertes contre 73% en moyenne pour les unités japonaises engagées.
Bien que dépourvus de l'apport logistique, les fantassins tiennent
en raison de la valeur du commandant d'unité et des officiers
subalternes. Cependant, après la bataille, le commandement de la
7ème division lui-même reconnaît qu'il sera difficile de restaurer
le moral qui existait précédemment. Or le moral est central dans la
doctrine japonaise, et paradoxalement, il a accentué les pertes, qui
atteignent des taux records à Nomonhan.
L'armée
impériale japonaise ne change pourtant rien à la suprématie de
l'infanterie, et ne développe pas les chars, mais plutôt les
avions. Elle conclut que la bravoure de l'infanterie reste la qualité
suprême du combattant japonais sur le champ de bataille.
L'infanterie nipponne reste un adversaire formidable mais dans la
guerre devenue moderne, elle tourne à l'anachronisme, comme le
montrera bientôt la guerre du Pacifique.
Pour
en savoir plus :
Edward
J. DREA, Nomonhan : Soviet-Japanese Tactical Combat, 1939,
Leavenworth Papers n°2, 1981.