Article publié simultanément sur le site de l'Alliance Géostratégique.
La récente offensive rebelle dans le nord de la province de Lattaquié répond à celles du régime dans la montagne du Qalamoun, au nord de Damas, menée par le Hezbollah depuis novembre 2013, et à l'est d'Alep, dans le but d'isoler les rebelles présents au sud et à l'est de la ville. Il s'agit, comme cela s'est souvent produit par le passé, de détourner les autres forces du régime de ces opérations et d'autres secteurs1.
La récente offensive rebelle dans le nord de la province de Lattaquié répond à celles du régime dans la montagne du Qalamoun, au nord de Damas, menée par le Hezbollah depuis novembre 2013, et à l'est d'Alep, dans le but d'isoler les rebelles présents au sud et à l'est de la ville. Il s'agit, comme cela s'est souvent produit par le passé, de détourner les autres forces du régime de ces opérations et d'autres secteurs1.
Une
offensive symbolique en passe de se transformer en guerre d'usure ?
L'opération
Muarakat al-Anfal (du titre d'une sourate du Coran) débute le
21 mars 2014 dans le nord de la province de Lattaquié. Deux jours
plus tard, les insurgés s'emparent du dernier point de passage à la
frontière turque contrôlé par le régime : Kassab, puis de la
ville du même nom, une des dernières localités syriennes habitées
par des Arméniens. Le régime répond d'abord en détournant son
aviation d'autres secteurs et en pilonnant Kassab et al-Sakhra, non
loin du passage frontalier. C'est lors de cet appui aérien qu'un
MiG-23 syrien viole délibéremment l'espace aérien turc avant
d'être abattu par un chasseur F-16 d'Ankara, le 23 mars2 ;
l'appareil s'écrase en territoire syrien, le pilote étant sauf.
Durant les deux premières semaines de l'offensive, les insurgés
progressent, s'emparent de la Tour 45, une éminence qui domine le
secteur du passage frontalier, des villages de Qastal Maa'f, Nabain,
et percent même jusqu'à la côte méditerranéenne le 25 mars, à
al-Samra, une première dans le conflit depuis 2011. Le régime
syrien accuse rapidement la Turquie d'avoir soutenu l'offensive
rebelle, et les insurgés d'avoir lancé l'attaque à partir du
territoire turc. En réalité, ceux-ci semblent plutôt avoir utilisé
une route insuffisamment surveillée par les Forces Nationales de
Défense, le long de la frontière, pour s'emparer du point de
passage frontalier, avant de se rabattre vers l'ouest et de filer en
direction de la côte, emportant la ville de Kassab dans la foulée
(qui n'est pas située au même endroit que le point de passage
frontalier). Depuis, le régime syrien a tiré des roquettes sur le
territoire turc ; la Turquie a répliqué par des salves
d'artillerie.
A
partir de fin mars, le régime accroît le pilonnage sur Kassab,
mobilise des effectifs importants de la milice, les Forces Nationales
de Défense, et achemine des renforts depuis les provinces de Hama,
Idlib, Alep et depuis Tartous. Les insurgés prennent parfois en
embuscade3
les convois de renfort acheminés depuis les autres provinces, comme
sur l'autoroute vers Lattaquié qui passe par le sud-ouest de la
province d'Idlib. Bien que massivement utilisée, l'aviation syrienne
a la partie moins facile que dans le Qalamoun, région très
découverte où la supériorité aérienne joue à plein ; dans
cette partie de la province de Lattaquié, le terrain est à la fois
boisé et montagneux, ce qui donne un avantage aux rebelles4.
Le cousin de Bachar el-Assad, Hilal, qui dirige les Forces Nationales
de Défense de Lattaquié, est tué ; il est remplacé à la
tête des opérations par le colonel Suhail al-Hassan. Hassan
dirigeait jusqu'ici les opérations à Alep, preuve que le régime
accorde beaucoup d'importance à la défense de la bande côtière
alaouite et de la province de Lattaquié, berceau de la famille
Assad.
Les
combats continuent toujours autour de positions stratégiques :
la Tour 45, qui domine tout le secteur ; les villages
d'Al-Nabein (à l'ouest du passage frontalier), Qastal Maa'f et
Samra. Les forces du régime contrôlent le sommet de la Tour 45 mais
les insurgés s'accrochent au pied de la hauteur, et expédient des
roquettes Grad sur la ville de Lattaquié et les villages
alaouites de la région5.
Le front al-Nosra a même utilisé un véhicule blindé BMP kamikaze
(piloté par le "martyr" Abu al-Muthanna Fahd al-Qassem), bourré
d'explosifs, qui a été jeté sur les positions du régime ;
profitant de la désorganisation suite à l'explosion, les insurgés
parviennent à prendre temporairement le contrôle de la Tour 456.
L'explosion aurait tué un colonel ; de son côté, al-Nosra a
perdu plusieurs Saoudiens dans l'assaut consécutif à l'attaque
kamikaze. Le problème est aussi qu'en prenant le contrôle de la
Tour 45, les insurgés s'exposent au feu de l'artillerie et des chars
placés sur les hauteurs environnantes, ainsi qu'au matraquage par
l'aviation du régime.
Hilal
el-Assad : un Assad comme les autres ?
Hilal
el-Assad était le fils du demi-frère de Hafez el-Assad, Anwar, et
donc le cousin direct de Bachar el-Assad. C'est le premier tué
significatif au sein du clan Assad depuis le mois de juillet 2012 et
la mort dans un attentat à la bombe de Assef Shawkat, adjoint du
ministre de la Défense et ancien chef du renseignement militaire,
tout en étant l'époux de la soeur de Bachar, Bushra. Hilal, né en
1967 à Qardaha, était l'un des rares commandants régionaux des
Forces Nationales de Défense (un par province) à ne pas être
militaire de carrière. Hilal dirigeait de fait un conglomérat
mafieux à Lattaquié, lié à la structure militaire (entreprise de
construction de la défense, qu'il contrôle depuis 1998), qui avait
mis la ville pour ainsi dire en coupe réglée. Il fait partie des
premiers « shabiha » et a fait ses armes dans la
contrebande entre la Syrie et le Liban. S'il a été nommé chef des
Forces Nationales de Défense de Lattaquié, c'est en raison de son
argent, de son implantation locale et de sa loyauté au clan Assad,
qui faisait de lui l'homme idéal pour verrouiller cette province
importante sur le plan symbolique7.
Hilal el-Assad. Source : http://image.almanar.com.lb/french/edimg/2014/MoyenOrient/Syrie/Hilal_Assad.jpg |
Avec
le déclenchement de la révolution en mars 2011, le clan Assad
mobilise ses troupes. A Lattaquié, Hilal fait jouer ses liens dans
le monde de la pègre, recrute des jeunes au chômage pour 200
dollars par mois. Les fameux shabiha, groupes mafieux
alaouites, sont ensuite intégrés dans les nouvelles Forces
Nationales de Défense, et troquent les vêtements civils contre les
uniformes militaires. Mais le centre de détention de Lattaquié est
installé dans des étables... anciennement propriété de Hilal,
selon la rumeur. Les Forces Nationales de Défense, qui sont
maintenant soutenues par de l'artillerie et des blindés, doivent
repousser la première offensive rebelle sur la province de Lattaquié
en août 2013. Le rôle militaire joué par Hilal n'empêche pas son
fils Suleiman de poursuivre les activités crapuleuses à Lattaquié
et d'être particulièrement redouté de la population alaouite. Le
journal libanais Al-Akhbar, plutôt proche du Hezbollah et du
régime, révèle même que Suleiman a été temporairement arrêté
en octobre 2013, avant d'être relâché... après avoir tiré dans
le pied d'un cousin ! Le jour de la mort de son père, Suleiman
entre dans état de rage ; quelques jours plus tard, il cause
d'importants dégâts dans un café et d'autres commerces du quartier
sunnite d'al-Slaybeh, près de la vieille ville de Lattaquié ;
il s'enfuit quand les moukhabarrat arrivent sur place8.
On voit bien que le clan Assad, en réalité, est loin d'être
populaire même parmi les alaouites ; la mort de Hilal ne fait
que confirmer la précarité du pouvoir du régime syrien.
Une
contre-offensive menée par les miliciens, mais qui détourne des
forces d'autres secteurs
Côté
régime, le gros de la contre-attaque est mené par des miliciens.
Ceux des Forces Nationales de Défense, bien sûr (renforcés
d'éléments de l'ancienne 11ème division blindée) ; les
brigades du parti Baath9 ;
mais on trouve aussi d'autres formations plus originales. Il y a
ainsi sur le terrain les combattants de al-Muqāwama as-Sūrīya
(Résistance syrienne), un groupe formé et dirigé par Mihrac Ural,
alias Ali Karali, un alaouite turc10.
Ce mouvement s'appelait en fait, avant la révolution de 2011, le
Front Populaire pour la Libération du Sandjak d'Alexandrette, en
référence à la province turque de Hatay cédée par la France à
la Turquie en 1939 -une cession jamais acceptée par le pouvoir
syrien. Depuis 2011, le groupe a servi le régime en étant basé à
Lattaquié. Le discours du groupe est à la fois composé d'emprunts
au marxisme-léninisme et à la « résistance
anti-impérialiste » chère à Bachar el-Assad, sans parler
du nationalisme syrien. En réalité, ce groupe armé défend surtout
les intérêts des alaouites, syriens ou turcs. Il limite son action
à la province de Lattaquié et à celles qui sont voisines :
Idlib, Hama, Homs, et a aussi contribué à la défense des deux
villages chiites isolés au nord d'Alep, Nubl et Zahara, d'où il a
tiré des recrues. Mihrac
Ural, qui avait commis de nombreuses exactions contre des civils en
mai 2013 dans les provinces de Lattaquié et de Banyas, a été donné
pour mort en même temps que Hilal
el-Assad, sous un tir de roquettes Grad, le 24 mars 201411.
La frappe de roquettes a également tué d'autres responsables
militaires ou des services de renseignement syriens. En
réalité, d'après Aymenn Jawad Al-Tamimi, Mihrac Ural n'a même pas
été blessé ; il serait en bonne santé et toujours présent
sur le front.
Autre
formation engagée dans la contre-offensive du régime à Lattaquié :
Suqur al-Sahara (les Faucons du Désert). Ce groupe joue apparemment
un rôle important dans les combats sur la Tour 45. Cette unité
d'élite a entamé sa carrière à Homs puis sur la frontière
irakienne, où elle était chargée d'empêcher la logistique rebelle
de gagner la Syrie. Elle est composée d'hommes ayant une expérience
militaire, d'officiers à la retraite de l'armée syrienne et de
volontaires, qui sont âgés de 25 à 40 ans. Son armement, léger,
correspond en réalité à des missions de forces spéciales. Elle
aurait pris part aussi à des expéditions le long de la frontière
jordanienne. Un de ses officiers, le général Harun, a été tué le
24 juin 2013 à al-Quaryatayn, dans la province de Homs12.
Cette formation, fréquemment engagée en première ligne, aurait
déjà perdu plusieurs dizaines de combattants autour de la Tour 45.
SaveKassab :
un exemple de la propagande orchestrée par le régime
La
prise de Kassab par les insurgés a été en outre le prétexte à
une campagne de propagande du côté du régime, en raison de la
présence de la population arménienne. Le régime syrien a joué la
carte de la mémoire du génocide arménien, qui explique d'ailleurs
que Kassab soit une des dernières villes syriennes habitées par
cette population. Accuser la Turquie d'avoir soutenu directement
l'offensive rebelle est d'autant plus habile que cela rouvre la
question du génocide arménien. En outre, les médias américains
ont fait leurs choux gras, il y a quelques semaines, de vidéos et de
photos postées par un Arménien vivant aux Etats-Unis, lié aux
gangs de Los Angeles, et qui est parti se battre en Syrie du côté
du régime à partir de décembre 201213.
Or, en réalité, les insurgés, cette fois-ci, se sont montrés très
prudents quant au traitement des civils et des édifices religieux.
Pour contrer la campagne médiatique pro-régime baptisée
SaveKassab, des rebelles se sont volontairement photographiés
à côté d'églises arméniennes ou en train de conduire les civils
à la frontière turque. Le Front Islamique, dont certaines
formations ont pris part à l'offensive, a tenu en particulier à
éviter la répétition du drame de la première offensive dans la
province de Lattaquié, en août 201314.
Cette offensive, alors essentiellement menée par des groupes liés à
l'EIIL (désormais chassé de la province depuis les affrontements de
janvier 2014 entre ce mouvement et les autres formations insurgées),
avait conduit à des exactions contre les alaouites, auxquelles avait
probablement pris part aussi le groupe Ahrar al-Sham, devenu ensuite
membre du Front Islamique en novembre 201315.
Une
offensive bien planifiée, menée par des combattants étrangers et
des groupes à fort ancrage local
L'offensive
dans le nord de la province de Lattaquié est menée par une
coalition rebelle de quatre groupes, essentiellement. Les bataillons
Ansar al-Sham, qui font partie du Front Islamique et opèrent
notamment dans la province de Lattaquié, conduisent l'attaque. Leur
chef militaire, Abou Musa ash-Shishani, a manifestement mené
l'assaut contre le poste frontalier de Kassab -c'est un Tchétchène,
et une composante tchétchène dirige à l'évidence cette
formation16.
Il est épaulé par Harakat al-Sham, un groupe essentiellement
composé de Marocains17
et dirigé par le désormais défunt18
Ibrahim bin Shakaran, ancien détenu de Guantanamo. Le front al-Nosra
est également présent avec un contingent dirigé par Abou Ahmed
al-Turkmani. Il aurait aussi fait venir des renforts depuis la
province de Deir-es-Zor afin de soutenir les combats très durs
autour de la tour 45. Enfin, Ahrar al-Sham, autre composante du Front
Islamique, est sur place, dirigé par Abou al-Hassan. Saqr al-Jihad,
l'ancien chef du groupe Suqqur al-Izz, essentiellement composé de
Saoudiens et qui a rallié le front al-Nosra, a apparemment
grandement contribué à la planification de l'opération. Le groupe
Jund al-Sham, une des formations composées de Tchétchènes et de
Nord-Caucasiens et commandée par l'émir Muslim ash-Shishani,
participe aussi aux combats. L'Armée Syrienne Libre, via le conseil
militaire suprême, a essayé de coordoner ses efforts avec cette
offensive, mais elle n'est que peu présente et accuse en outre
al-Nosra d'avoir ouvert le feu sur ses hommes. Plus étonnant, le
président de la Coalition Nationale Syrienne, Ahmed Jarba, est venu
sur le terrain, dans la province de Lattaquié, pour constater les
résultats de l'offensive ; il aurait même proposé 500 000
dollars aux bataillons Ansar al-Sham, du Front Islamique, pour
soutenir les combats. Cela montre que la représentation politique
extérieure tente de fédérer les groupes armés sur le terrain. On
peut également relever que, comme en août 2013, l'offensive dans le
nord de la province de Lattaquié est essentiellement conduite par
des formations comprenant de nombreux volontaires étrangers, dans
l'encadrement comme dans la troupe. Les pertes sont assez lourdes et
concernent en particulier les chefs des différents groupes armés.
Les insurgés, comme le régime, ont fait venir des renforts de
l'extérieur19.
Les
bataillons Ansar al-Sham (« auxiliaires du Levant »)
sont surtout actifs dans les provinces de Lattaquié et d'Idlib. Ils
ont rallié, en novembre 2013, le nouveau Front Islamique, et ont
participé aux combats contre l'EIIL, déclenchés en janvier 2014.
Le groupe a bénéficié localement de l'éviction de l'EIIL du
nord-ouest de la Syrie, ce qui lui a permis de consolider sa présence
sur place. Fondé au départ par réunion de 11 bataillons
différents, Ansar al-Sham regroupe, selon le chef d'une
sous-division, environ 2 500 combattants aujourd'hui. En plus de sa
branche militaire, le groupe semble assurer des tâches humanitaires
à l'égard de la population civile en lieu et place des ONG
traditionnelles. Il assure d'ailleurs la publicité de cet
encadrement social sur Youtube, beaucoup plus que celle sur
ses combats contre le régime, semblant ainsi rejoindre
l'enseignement des Frères Musulmans (« gagner les coeurs et
les esprits »). On ignore qui est le chef des bataillons
Ansar al-Sham. Le sous-chef évoqué plus haut parle d'un natif de
Lattaquié, Abou Omar, vétéran de l'Afghanistan et salafiste
endurci. Cet homme, propriétaire d'une boutique de confiseries à
Lattaquié, serait surtout le chef politique et canaliserait l'aide
extérieure, qui viendrait principalement d'Arabie Saoudite. C'est
donc un Tchétchène, Abou Musa ash-Shishani, qui dirige les
opérations militaires d'Ansar al-Sham. Mais le groupe armé reste
essentiellement syrien : déserteurs de l'armée, commerçants,
ouvriers, artisans, fermiers. Les combattants sont inscrits sur un
registre militaire et sont payés 60 dollars par mois. Ansar al-Sham
plaide pour la création d'un Etat islamique et rejette le
sécularisme politique, mais en revanche, le groupe n'a pas rallié
l'EIIL et a collaboré localement avec des unités de l'Armée
Syrienne Libre. Cependant, les liens n'ont pas été complètement
coupés avec l'EIIL car certains membres de cette formation sont des
Syriens qui ont des liens familiaux et sociaux avec les hommes
d'Ansar al-Sham. Le groupe est proche de l'idéologie du front
al-Nosra et entretient des relations avec des formations djihadistes
comme le groupe Harakat al-Sham, composé de Marocains, et qui a
participé lui aussi à l'offensive sur la province de Lattaquié20.
Aymenn
Jawad Al-Tamimi a pu interroger un combattant de Izz ad-Din
al-Qassam, une sous-division du groupe marocain Harakat al-Sham.
Harakat al-Sham est plutôt resté à l'écart du combat entre l'EIIL
et les autres formations insurgées, dont le front al-Nosra, depuis
janvier 2014, mais il semblerait qu'il soit néanmoins plus proche
d'al-Nosra désormais. Les combats sont particulièrement acharnés
autour de la tour 45, un point dominant stratégique qui domine le
secteur du passage frontalier de Kassab, et qui a déjà changé de
mains plusieurs fois depuis le début des combats le 21 mars. Ce
combattant confirme que le chef de Harakat al-Sham, l'ancien détenu
marocain de Guantanamo, est mort devant cette position, les armes à
la main. D'après lui, c'est Ahrar al-Sham qui dirige l'assaut contre
la tour 45, avec le soutien d'al-Nosra, d'Ansar al-Sham et du groupe
Harakat al-Sham21.
Un
gain surtout symbolique, mais la mise en lumière des faiblesses du
régime
L'offensive
dans le nord de la province de Lattaquié a mis le régime sur la
défensive dans cette province, jugée assez sûre et qui n'était
protégée que par des miliciens des Forces Nationales de Défense,
surtout22.
Damas a dû détourner des forces d'autres secteurs, notamment Alep
et Idlib, où les insurgés ont depuis progressé en profitant des
vides laissés par les départs de troupes. En outre, plusieurs
dépêches, certes non confirmées, font état de problèmes quant au
transfert des miliciens des Forces Nationales de Défense d'Alep vers
Lattaquié, en raison de la situation dans la ville23 :
certains auraient tout simplement refusé d'aller se battre dans
cette dernière province. En dix jours de combats, le régime aurait
perdu 600 tués et blessés24.
La stratégie rebelle parie aussi sur un des points faibles du
régime : son manque d'effectifs, en dépit de l'engagement du
Hezbollah, de miliciens irakiens et la formation accélérée de
miliciens des Forces Nationales de Défense par des conseillers
étrangers, iraniens ou du Hezbollah25.
Côté
rebelle, la planification de l'opération a été tout à fait
remarquable (transferts d'armes depuis Alep26)
et explique les succès initiaux ; en outre, en termes d'image,
elle a été beaucoup mieux conduite que la précédente de l'été
2013. Pour davantager disperser les forces du régime, les insurgés
ont continué leur progression le long de l'autoroute M5, dans le sud
de la province d'Idlib. Ils se sont emparés notamment du village de
Babuleen, au nord de Khan Sheikhoun, renforçant la pression sur les
bases militaires isolées de la province et empêchant d'acheminer
par voie de terre des renforts vers Lattaquié depuis la province de
Hama. Une autre offensive a également été lancée au sud dans la
province de Quneitra27.
Les insurgés s'attaquent ainsi à la fois à des bastions du régime,
jugés intouchables ou presque, et aux lignes de communication de ce
dernier. Ils ont su monter ainsi des attaques coordonnées,
facilitées par l'éviction de l'EIIL du nord-ouest de la Syrie
depuis le mois de février 2014 : ils ont pu se concentrer
contre le régime, et non se disperser face à deux adversaires
différents28.
Le but était aussi, probablement, de marquer une victoire
psychologique pour compenser les revers à d'autres endroits29,
dans le Qalamoun en particulier. L'objectif était le même en août
2013 : les djihadistes avaient cherché à se placer à portée
de tirs de roquettes de Qardahar, le village natal du clan Assad. Et
ils avaient réussi pour un temps30.
Le Front Islamique a renouvelé les tirs de roquettes Grad
contre le berceau des Assad. Le succès initial de l'offensive
rebelle de mars 2014 est donc davantage symbolique que stratégique31.
Mais il met aussi en lumière les faiblesses d'un régime syrien
certes plus cohérent et plus efficace lors de ses attaques locales
sur le plan militaire, mais qui n'a pas les moyens d'emporter la
décision à l'échelle de tout le pays.
Bibliographie :
Mohammad
D., « Who Was Hilal al-Assad? », Syria Comment, 6
avril 2014.
Tam
Hussein, « The Ansar al-Sham Battalions », Syria in
Crisis, 24 mars 2014.
Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « A Case
Study of "The Syrian Resistance," a Pro-Assad Militia
Force », Syria Comment, 22 septembre 2013.
Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « The Latakia Front: An Interview on the Rebel
Side », Syria Comment, 6 avril 2014.
Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « The Desert Falcons: An Elite Pro-Assad
Force », Syria Comment, 8 avril 2014.
Aron
Lund, « The Death of an Assad », Syria in Crisis,
1er avril 2014.
Isabel
Nassief et Charlie Chris, « Rebels Reopen the Latakia Front »,
Institute for the Study of War Syria Updates, 9 avril 2014.
1Isabel
Nassief et Charlie Chris, « Rebels Reopen the Latakia Front »,
Institute for the Study of War Syria Updates, 9 avril 2014.
7
Aron Lund, « The Death of an Assad », Syria in
Crisis, 1er avril 2014.
8Mohammad
D., « Who Was Hilal al-Assad? », Syria Comment, 6
avril 2014.
10Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « A Case Study of "The Syrian
Resistance," a Pro-Assad Militia Force », Syria
Comment, 22 septembre 2013.
12Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « The Desert Falcons: An Elite Pro-Assad
Force », Syria Comment, 8 avril 2014.
13Je
renvoie à la partie correspondante de mon article sur les
combattants étrangers pro-régime :
http://historicoblog3.blogspot.com/2014/01/mourir-pour-assad-les-combattants_27.html
14Sur
cette offensive :
http://www.understandingwar.org/backgrounder/regime-regains-ground
15Rapport
de Human Rights Watch :
http://www.hrw.org/reports/2013/10/11/you-can-still-see-their-blood
17Sur
les groupes rebelles composés essentiellements d'étrangers, je
renvoie à la partie concernée de mon billet sur les volontaires
étrangers côté insurrection :
http://historicoblog3.blogspot.com/2013/12/et-combattez-les-jusqua-ce-quil-ne.html
19Un
convoi de renfort qui passe par la province d'Idlib :
https://www.youtube.com/watch?v=A1uCabc5cJI
20
Tam Hussein, « The Ansar al-Sham Battalions », Syria
in Crisis, 24 mars 2014.
21Aymenn
Jawad Al-Tamimi, « The Latakia Front: An Interview on the
Rebel Side », Syria Comment, 6 avril 2014.
23Les
insurgés, tout en résistant à la poussée du régime dans le
district industriel de Sheikh Najjar à l'est de la ville, ont
avancé ces derniers jours au nord-ouest, resserrant l'étau autour
du bâtiment du renseignement de l'armée de l'air, et au sud-ouest
d'Alep, menaçant d'isoler les forces du régime dans la ville et en
dehors.
http://eaworldview.com/2014/04/syria-daily-insurgents-capture-air-force-hq-near-aleppo/
27Les
insurgés avancent dans les collines de Tel Ahmar, au cente de la
province, le long de la frontière avec Israël. Ces collines
dominent la partie sud de la province et les chars et l'artillerie
du régime peuvent tirer sur les convois de ravitaillement rebelles
qui passent par là.
http://eaworldview.com/2014/04/syria-1st-hand-insurgent-advance-quneitra-southwest/