Pierre Cosme, professeur d'histoire ancienne à l'université de Rouen, est un spécialiste de l'armée romaine. Dans ce volume de la collection L'histoire en batailles, il invite à s'interroger, à travers Actium, sur le concept de bataille décisive et sur une histoire écrite par les vainqueurs -ici Octavien bientôt devenu Auguste. Le tout en évitant la téléologie ou l'uchronie. Il cherche aussi à cerner quand Cléopâtre et Marc-Antoine ont perdu la bataille d'Actium.
Au moment de la bataille, César a déjà été assassiné depuis plus de dix ans. Le triumvirat entre Lépide, Octavien et Marc-Antoine se réduit en fait à un duumvirat des deux derniers. Marc-Antoine voit son prestige diminuer après ses campagnes désastreuses contre les Parthes ; Octavien ne se prive pas de s'en servir pour sa propagande, à Rome, où tout se joue. D'ailleurs Marc-Antoine célèbre son triomphe à Alexandrie en 34, reconnaît Césarion et fait de Cléopâtre sa reine.
La situation se tend entre les deux personnages en 33. Octave remodèle déjà le paysage urbain de Rome alors qu'Antoine s'inspire de plus en plus du cérémonial des Lagides et, derrière, d'Alexandre le Grand. En janvier-février 32, les débats sont houleux au Sénat entre partisans d'Antoine et d'Octavien.
De nombreux sénateurs rejoignent alors Marc-Antoine à Ephèse ; ce dernier dispose de forces importantes et d'une flotte conséquente. Mais comme les sénateurs, cette armée est hétérogène dans sa composition. En outre, Cléopâtre constitue une vraie pomme de discorde au sein de son "parti". Octavien, dont la flotte, plus réduite, dispose de navires peut-être plus efficaces, bénéficie rapidement du ralliement d'anciens antoniens. Cependant Octavien est obligé de déployer une intense propagande à Rome et en Italie car Marc-Antoine compte encore des partisans.
La guerre est déclarée à l'été 32 : une "drôle de guerre" s'installe jusqu'au printemps 31. Marc-Antoine doit organiser un plan de campagne et ponctionner des ressources sur un Orient déjà bien sollicité par les guerres civiles. Il tente de débarquer en Italie mais échoue. Octavien doit contrer l'action des partisans en Italie mais aussi lever des impôts pour financer l'effort de guerre, ce qui n'est pas sans provoquer des troubles. Il obtient un serment de fidélité de l'Italie et de l'Occident romain à l'automne 32, davantage pour des motifs de propagande. Surtout, en agitant la "menace orientale", il offre l'Egypte en pâture aux Romains.
Octavien conforte sa défense de l'Occident tandis que Marc-Antoine reste à Patras. Celui-ci cherche en fait à attirer son adversaire dans les Balkans, pour profiter d'une certaine profondeur stratégique et couper Octavien de l'Italie. Mais Agrippa, qui dirige la flotte d'Octave, attaque le point faible de Marc-Antoine : ses lignes de communication. Octavien débarque bientôt, avec sénateurs et chevaliers qu'il estime peu sûrs, en Epire, puis gagne avec son armée le golfe d'Ambracie. Marc-Antoine se fait enfermer dans le golfe avec sa flotte, malgré la construction de deux camps de part et d'autre de celui-ci ; à l'été 31, le ravitaillement est coupé, la malaria se déclare, les défections se multiplient. En août, Caius Sosius tente une sortie sur mer, qui échoue ; la cavalerie de Marc-Antoine est battue à terre. Celui-ci n'a le choix qu'entre une sortie en force par mer ou un repli vers la profondeur stratégique à terre.
Marc-Antoine décide probablement de ne pas risquer la bataille décisive mais simplement de sortir par mer et de forcer le blocus -sans que Cléopâtre ait joué le rôle de mauvais génie qu'on lui attribue souvent. Octavien peut aligner 400 navires là où Marc-Antoine n'en a probablement qu'un peu plus de 200. L'armée de terre antonienne, confiée à Publius Canidius Crassus, doit gagner la côte égéenne. A la veille de la bataille, Marc-Antoine harangue ses soldats en évoquant des troubles en Italie et sa supériorité sur mer, alors qu'Octavien choisit d'insister sur la fuite de son adversaire. Quintus Dellius, un officier antonien, a fait défection et a apporté avec lui la connaissance du plan de bataille à Octavien. Le 2 septembre, les deux flottes se font face, renforcées aux ailes. Les antoniens attaquent leurs adversaires qui commencent par se dérober ; s'ensuit un tir de barrage à distance, où les vaisseaux antoniens, plus hauts, ont l'avantage. Mais Agrippa réussit ensuite à isoler le centre et les ailes adverses. Après deux ou trois heures de combat, Cléopâtre prend la fuite avec une soixantaine de navires, bientôt rejointe par Marc-Antoine. Le reste de la flotte est incendié ou se retire dans le golfe. Les pertes sont difficiles à évaluer mais la flotte antonienne et les troupes embarquées ont évidemment beaucoup souffert.
Reste à défaire l'armée de terre de Marc-Antoine. Canidius s'enfuie au bout d'une semaine et celle-ci se rend donc à Octavien. Mais celui-ci doit gérer l'intégration des anciens ennemis, alors qu'aucun signe de fraternisation n'a eu lieu pendant la campagne. A Rome, Mécène déjoue une conspiration du fils de Lépide à l'automne 31 ; en outre, Octavien doit revenir pour s'occuper du mécontentement des vétérans. Passant par le Péloponnèse, les deux amants débarquent ensuite en Egypte : Marc-Antoine sait que le proconsul de Cyrénaïque a livré son armée à Octavien. Des négociations ont lieu, sans résultat. A l'été 30, Octavien marche sur Alexandrie. Marc-Antoine remporte un dernier combat de cavalerie devant la ville puis se jette sur son épée. Cléopâtre, capturée, se suicide finalement par une morsure d'aspic ou une aiguille empoisonnée. Octavien met à mort Césarion et les enfants des deux amants tragiques, ainsi que certains de leurs partisans. Il cherche à réconcilier l'Occident et l'Orient fracturés par cette guerre civile mais réduit l'Egypte à une simple province propriété de l'empereur, dont le gouverneur est un chevalier. On ferme les portes du temps de Janus, à Rome, le 11 janvier 29.
Pour Pierre Cosme, la défaite de Marc-Antoine et Cléopâtre est consommée quand leur flotte se fait enfermer dans la golfe d'Ambracie. L'historien va plus loin : le partage de 42 entre les triumvirs a été défavorable à Marc-Antoine, qui reçoit un Orient bien entamé par les guerres civiles ; il ne peut s'appuyer que sur l'Egypte, alors qu'Octavien reste à Rome, centre du monde romain, et obtient l'Italie, où se recrutent encore les légions. Ce dernier bénéficie d'opportunités de conquête en Occident, alors que Marc-Antoine, en prenant l'Arménie, ouvre un conflit malheureux avec les Parthes. Les deux adversaires étaient de fait plus complémentaires que différents.
Ce court volume (un peu plus de 100 pages seulement) fournit une approche très synthétique de la bataille d'Actium, un affrontement antique, ce qui est toujours plus difficile à traiter au vu des sources. P. Cosme s'intéresse surtout à l'histoire politique de l'affrontement, à ses représentations. Sur le plan de l'histoire militaire à proprement parler, on peut rester un peu sur sa faim, car l'historien n'aborde pas la dimension technique du combat -particulièrement sur mer, ce qui est un peu dommage, surtout au vu de sa spécialisation. On aurait aimé en savoir plus sur ce sujet sur les manoeuvres au cours de la bataille. Paradoxalement, l'ouvrage néglige en quelque sorte l'histoire-bataille pour se concentrer sur d'autres aspects, politiques, diplomatiques et culturels.