On ne présente plus Tom Cooper, originaire d'Autriche, spécialiste de l'aviation et des combats aériens post-1945, en particulier ceux des pays africains et arabes. Il a écrit 14 livres et plus de 200 articles sur ces sujets. Ce volume est sa première contribution à la collection Africa@War de Helion, de petits fasicules de 64 pages, abondamment illustrés avec photos et profils couleur, mais comprenant un texte fourni : une sorte d'Osprey "amélioré", en somme.
Comme il le rappelle en introduction, la première guerre du Congo (1996-1997), qui voit la chute du dictateur zaïrois Mobutu, est une des conséquences du génocide rwandais de 1994 -et en même temps, elle a aussi été éclipsée par celui-ci. Après une présentation géographique du pays, Tom Cooper revient sur l'histoire du Congo depuis l'indépendance, avec la prise du pouvoir par Mobutu et les nombreuses rébellions auxquelles celui-ci a dû faire face, en particulier dans l'est du pays. La transition démocratique entamée à partir de 1990 jette le pays dans le chaos : une première intervention, franco-belge a lieu en septembre 1991 et jusqu'en février 1992, pour évacuer les ressortissants étrangers. Parallèlement, Museveni a pris le pouvoir en Ouganda, en 1986, avec une force militaire composée pour bonne partie de Tutsis rwandais exilés après la prise du pouvoir par les Hutus. Ces Tutsis, à l'origine du Front Patriotique Rwandais, commencent à lancer des attaques sur le Rwanda en octobre 1990. Le FPR est bloqué par les Forces Armées Rwandaises hutues qui bénéficient du soutien du Zaïre et de la France. L'assassinat du président rwandais Habyarimana, le 6 avril 1994, probablement par des "durs" du régime favorables à un "hutu power" encore plus exclusif, lance la mécanique du génocide contre les Tutsis et les Hutus modérés. L'opération Turquoise, déclenchée ensuite par la France, permet aux génocidaires hutus de se réfugier surtout au Zaïre, mais aussi au Burundi. Le FPR, qui s'installe au pouvoir en juillet 1994 à Kigali, mène aussi sa propre répression. Les Hutus des camps de réfugiés de l'est zaïrois sont encadrés par les génocidaires qui profitent de la faiblesse de l'Etat pour se venger sur les populations locales d'origine rwandaise.
Tom Cooper, avant d'aborder le conflit à proprement parler, fait ensuite une présentation des forces en présence. Les Forces Armées Zaïroises, héritières des éléments policiers utilisés par les Belges, ont été forgées par des conseillers étrangers et, à partir de 1975, Mobutu les oriente pour sa protection politique. Essentiellement tournées vers la contre-insurrection, elles n'ont pas beaucoup de matériel lourd. Les FAZ n'alignent plus que 45 000 hommes dans les années 1990, avec surtout quelques formations d'élite, dont la redoutée Division Présidentielle Spéciale. Elles disposent aussi d'une petite marine lacustre. La Force Aérienne Zaïroise aligne un certain nombre d'appareils (Mirage V, C-130) mais manque cruellement de pilotes. Les FAZ ont une certaine expérience au feu mais les campagnes menées dans le pays ou les déploiements à l'extérieur (comme au Tchad en 1982-1983 ou au Rwanda en 1990) ont mis à jour les graves lacunes de cette armée. L'Armée Patriotique Rwandaise, la branche armée du FPR, se renforce entre 1994 et 1996 et passe de 15 à 40 000 hommes. L'Ugandan People's Defense Force a beaucoup perdu suite au départ des cadres tutsis rwandais mais elle est renforcée par le soutien américain ; par ailleurs, le pays dispose de sa propre industrie de défense. Le Rwanda et l'Ouganda poussent, pour renverser Mobutu, une coalition hétéroclite de rebelles, l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre, dirigée par Laurent Désiré Kabila, et qui recrute massivement dans les Kivus, à l'est du Zaïre, dont de nombreux enfants-soldats. Dans le même secteur, les Hutus génocidaires qui se sont réfugiés au Zaïre, parfois avec des restes d'armements lourds (automitrailleuses, hélicoptères, mortiers), représentent une force non négligeable. On trouve aussi des Hutus réfugiés du Burundi (Forces pour la Défense de la Démocratie). Enfin, les gendarmes katangais du Front National pour la Libération du Congo viennent appuyer l'AFDL de Kabila, même si les tensions seront palpables ; les forces armées angolaises s'engagent également plus tard dans le même camp. C'est également l'époque où les milices maï maï de l'est du Congo vont accroître leur influence.
L'appareil militaire zaïrois, qui n'est plus soutenu par la France et les Etats-Unis, se dégrade considérablement après 1990. Pour Tom Cooper, l'offensive de l'AFDL à partir de 1996 qui entraîne la chute de Mobutu l'année suivante est bien l'oeuvre du Rwanda de Paul Kagame, soutenu par les Américains, et qui cherche à se débarrasser de la menace que fait peser sur le Rwanda les camps de réfugiés hutus de l'est du Zaïre dominés par les anciens génocidaires. Les Etats-Unis installent une mission militaire à Kigali dès juillet 1994 et vont largement contribuer à la formation de l'APR. Des avions de transport convoient armes et munitions pour gonfler les capacités de celle-ci ; le soutien américain se fait par l'intermédiaire de marchands d'armes et autres mercenaires spécialistes de ce genre d'opérations clandestines, comme Viktor Bout. Les Hutus génocidaires utilisent d'ailleurs les mêmes moyens pour maintenir leur potentiel militaire.
Dès 1995, le Rwanda infiltre des unités spéciales pour traquer les anciens responsables du génocide au Zaïre. L'introduction des éléments de l'AFDL dans les Kivus survient en juillet-août 1996. Les premiers commandos rwandais arrivent dans la nuit du 31 août-1er septembre. La tactique de l'APR dans les villes du Kivu consistent à infiltrer des éléments, parfois déguisés en civils, dans les localités, de façon à désorganiser la résistance et à entraîner la fuite des garnisons. L'APR commence à "nettoyer" les camps de réfugiés et à rapatrier des centaines de milliers de Hutus vers le Rwanda -dont beaucoup n'y arriveront jamais. La ligne logistique vers le Rwanda est sécurisée par des mercenaires américains. L'APR progresse vers l'ouest, suivie par l'AFDL, moins puissante et efficace, tandis que les Ougandais attaquent au nord-est du pays en novembre 1996. L'APR s'arrête entre décembre 1996 et janvier 1997 afin de procéder à l'élimination des camps de réfugiés hutus, bien qu'elle ait pris Walikale et Bunia, cette dernière place en dehors des Kivus. Mobutu envoie des renforts dans l'est et profite d'un passage en Europe pour recruter une petite force de mercenaires, surtout français et belges, dirigés par l'ancien colonel belge Christian Tavernier. Celui-ci débauche aussi un certain nombre de Serbes vétérans des combats en ex-Yougoslavie, équipés de MiG-21 et d'avions d'attaque au sol J-21 Jastreb. Les mercenaires arrivent au Zaïre le 2 janvier 1997. Malgré le renfort de Mi-24 pilotés par des Ukrainiens, les mercenaires ne peuvent faire pencher la balance. Si l'offensive dirigée par Kabarebe, maître d'oeuvre de l'opération de l'APR, se heurte à une forte résistance lorsqu'elle reprend sa progression vers l'ouest, celle-ci s'effondre rapidement. L'échec de la contre-offensive des FAZ démoralise la troupe : Kisangani tombe, après un court affrontement, le 15 mars 1997. Entretemps, l'Angola a aérotransporté un régiment mécanisé à Kigali et Bukavu en février, qui est engagé à la mi-mars au Zaïre. La progression de l'AFDL et de ses parrains étrangers continue : le 16 mai, les derniers combats ont lieu près de l'aéroport de Kinshasa. La capitale tombe le lendemain. Le régime a tenté de faire appel à la compagnie privée de mercenaires Executive Outcomes, sud-africaine, qui a bien préparé des plans d'intervention, mais qui, faute de paiement à temps, ne peut procéder à l'exécution.
En conclusion, Tom Cooper rappelle combien la différence d'encadrement au sein des deux forces principales en présence -FAZ et APR- a fait pencher la balance. Le conflit aura connu également l'emploi de mercenaires et surtout l'utilisation d'appareils de transport civils à des fins logistiques. L'effondrement de Mobutu est dû, surtout, à l'incompétence de son armée et de son appareil gouvernemental. L'APR, quant à elle, a su combiner la pratique de guerre traditionnelle du théâtre avec des pratiques de guerre non conventionnelle et de forces spéciales -le rezzou rwandais. Une méthode enseignée par les Américains et expérimentée sur d'autres théâtres, comme au Tchad. Sur le plan politique, le Zaïre redevenu Congo n'en a pas encore fini avec les troubles : il y aura une seconde guerre, encore plus meurtrière probablement, qui commence dès 1998, quand Kabila se brouille avec ses parrains rwandais et ougandais. Sans surprise, la bibliographie est essentiellement anglophone (et germanophone), ce qui est peut-être dommage car plusieurs ouvrages français traitent du conflit (sans parler des articles). Néanmoins, l'ensemble est bien illustré, les profils couleurs ne "mordent" pas sur le texte comme les Osprey (on a bien 64 pages de texte, ou approchant), et l'auteur tente d'inscrire les opérations militaires dans un contexte plus large (génocide rwandais, interventions extérieures, etc), et insiste sur des éléments troublants (le soutien américain à l'APR, etc). L'ouvrage est donc intéressant au vu de la pauvreté bibliographique sur cette première guerre du Congo.