Je ne suis pas complètement absent de la toile, comme je le disais en réponse à de sympathiques commentaires reçus hier, en réaction à mon dernier billet. La preuve avec ce supplément, qui arrive un peu tard, faute de temps, pour le dernier thématique de 2ème Guerre Mondiale. Bonne lecture !
Pour
de nombreux auteurs, la bataille de Stalingrad, un des tournants de
la guerre, est surtout une bataille décisive d'annihilation avec de
profondes conséquences stratégiques. Elle a donc été beaucoup
étudiée sur les plans stratégique et opératif. Pourtant, pour
S.J. Lewis, cette bataille est surtout intéressante au niveau
tactique, en ce sens qu'elle préfigure largement les conflits
contemporains. La bataille voit ainsi le déploiement, de part et
d'autres, d'effectifs imposants, qui subissent de lourdes pertes et
nécessitent des quantités énormes de munitions. Les systèmes
logistiques sont considérables, de même que ceux pour l'évacuation
des blessés. L'aviation joue un rôle certain pour l'interdiction
des lignes de communication. Le plus important est peut-être que le
combat urbain influe grandement sur les décisions opératives et
stratégiques de la bataille.
Comme
il le rappelle, les divisions d'infanterie de la 4. Panzerarmee,
que Hitler réoriente vers le sud de Stalingrad pour aider la 6.
Armee de Paulus qui attaque par l'ouest (la 4. Panzerarmee
arrive dans les faubourgs sud le 10 septembre seulement), ont déjà
perdu 40 à 50% de leur effectif depuis le début de l'opération
Blau, le 28 juin. Le plan de Paulus lui-même ne prévoit pas
de combat urbain dans Stalingrad ; il faut dire qu'en 1941,
Hitler avait écarté la possibilité de combats de rues dans
Léningrad, et même à Moscou. La ville de Stalingrad, étalée en
longueur, est notamment coupée par la balka (ravin aux pentes
très raides) de la rivière Tsaritsa, qui sépare les deux tiers
nord du tiers sud de la ville. Une des caractéristiques majeures de
la bataille est qu'une bonne partie de la population soviétique est
prise au piège dans la ville ; mi-octobre, à peine 25 000
civils ont fui vers Kalatch, à l'ouest. Tchouïkov, pendant la
bataille, fait passer la Volga à l'équivalent de 9 divisions de
fusiliers et 2 brigades de chars.
Le
23 septembre, un officier d'état-major allemand visite les 295. et
71. I.D. engagées dans le combat urbain. Il observe que les
Soviétiques collent au plus près des lignes allemandes pour éviter
d'être pilonnés par l'artillerie ou l'aviation. Dès qu'ils sentent
une faiblesse dans le dispositif allemand, ils contre-attaquent
immédiatement. L'officier remarque que même après un violent
bombardement d'artillerie, les Soviétiques sortent rapidement de
leurs trous pour répliquer. Il est très inquiet de voir deux unités
d'infanterie anciennes, solides, s'effriter, avec des compagnies
réduites à 10 ou 15 hommes. Les pertes en sous-officiers et en
officiers sont problématiques, car les remplaçants, à peine
formés, ne peuvent donner de l'allant à la troupe qui se replie dès
qu'ils sont abattus. Les fantassins rechignent en particulier à
avancer s'ils n'ont pas l'appui d'un StuG. Le moral n'est pas bon,
les hommes sont exténués, il n'y a aucune réserve ; le
fantassin grogne contre les privilèges des tankistes et des
aviateurs. La chaîne logistique n'est pas toujours performante et
les obus de mortiers de 81 mm peinent à être livrés en nombre,
alors que les Landsern en ont besoin pour déloger les
défenseurs des ruines. Dès le mois d'octobre, la Luftflotte
IV commence à perdre la supériorité aérienne : les VVS se
sont renforcées, sous l'effet de la réorganisation de Novikov,
spécialement venu pour les préparatifs de la contre-offensive
soviétique -retardée à sa demande par Joukov car les forces
aériennes ne sont pas encore prêtes.
Le
combat urbain, dans Stalingrad, est très compartimenté. Il comprend
aussi une dimension verticale, en dépit des destructions opérées
au départ par la Luftwaffe, puis par la suite lors des
combats. Paulus emploie ainsi les bataillons de sapeurs, lors de sa
dernière offensive majeure, afin de détruire les immeubles encore
debout pour créer des « couloirs » de progression
-mais il faut protéger les flancs des couloirs et détacher des
troupes pour liquider les poches soviétiques qui ont survécu... La
dépense de munitions pendant la bataille est phénoménale. En
septembre 1942, par exemple, la 6. Armee tire plus de 23
millions de cartouches de fusils ou de mitrailleuses, plus de 575 000
obus antichars, plus de 116 000 obus de canons d'infanterie et et
plus de 752 000 obus de mortiers. Les fantassins posent aussi près
de 15 000 mines et lancent 178 000 grenades à main. Les pertes sont
à l'avenant. La 13ème division de fusiliers de la Garde, jetée
dans la bataille immédiatement après avoir franchi la Volga, perd
30% de son effectif en 24 heures ; à la fin de la bataille, il
ne reste plus que 320 survivants de l'effectif d'origine.
Côté
allemand, on connaît bien l'exemple de la 24. Panzerdivision,
dont de nombreuses archives ont survécu. L'artillerie provoque 50%
des pertes. 11% des pertes seraient dues aux armes d'infanterie -un
chiffre sans doute sous-estimé. Plus intéressant, 38 % des pertes
sont attribuées à l'aviation. C'est peut-être surestimé mais
quand on regarde dans le détail, par unité, on arrive à un taux de
pertes entraîné par l'aviation de 9 à 12%, ce qui n'est pas rien.
La division perd aussi de nombreux blindés et canons automoteurs
pendant la bataille, ainsi que peut le contaster Paulus qui vient la
visiter le 28 septembre ; manifestement, la supériorité
aérienne allemande n'a pas été aussi établie qu'on a bien voulu
le dire. L'aviation soviétique frappe en particulier avec un certain
succès les installations à l'arrière du front, et notamment les
dépôts de munitions. Les rapports après combat de la 24.
Panzerdivision soulignent combien les chars ne sont pas adaptés
au combat urbain, gênés par les ruines et à la merci des canons et
armes antichars soviétiques. L'emploi des StuG conduit les
fantassins à vouloir utiliser les Panzer III et IV de la même
façon, pour se protéger derrière eux ; les rapports
conseillent au contraire de mettre l'infanterie devant et les chars
derrière, en soutien. Ils plaident aussi pour une coopération
interarmes (infanterie, chars, génie) au plus petit niveau tactique,
qui apparemment peine à se mettre en place à Stalingrad.
Les
rapports de la 24. Panzerdivision insistent aussi sur la
nécessité de récupérer les chars endommagés, en particulier par
les mines. Fin septembre, le VIIIème corps allemand compte 62
carcasses de T-34 dans son secteur, tous fabriqués en 1942. Au XIV.
Panzerkorps, il y en a 48, mais les Allemands ne peuvent les
approcher en raison du feu ennemi. Le 30 septembre, ce corps prétend
avoir détruit 24 chars soviétiques et 100 du Lend-Lease,
dont 8 M3 Lee, 47 M3 Stuart et 24 Valentine,
mais seulement 2 T-34, 3 T-60 et 19 T-70. La 24. Panzerdivision
se déclare satisfaite des frappes de l'aviation, les Stukas
plaçant fréquemment leurs bombes à moins de 100 m du but. Mais
pour les fantassins, en revanche, la situation est trop fluide et les
frappes aériennes touchent fréquemment les lignes amies. L'escouade
d'assaut doit comprendre des armes automatiques, des snipers,
des charges explosives et des grenades ; en soutien, des StuGe,
des half-tracks armés de pièces de DCA pour le tir tendu, et
des canons antichars de 37 mm. Des sapeurs avec lance-flammes sont
également recommandés, ainsi que des miroirs et des radios en
nombre.
Les
combats de la 71. I.D. Illustrent assez bien les difficultés du
combat urbain à Stalingrad. Le 24 septembre, l'unité avance près
du théâtre et d'autres bâtiments. Il faut se battre pièce par
pièce. Les prisonniers russes confirment que le combat s'est
décentralisé en très petites unités commandées par des chefs
éprouvés. Les deux camps font peu de prisonniers. L'artillerie de
la division allemande tire sur les bateaux faisant la navette sur la
Volga, réduit au silence deux batteries ennemis et touche un dépôt
de munitions sur la rive est. Pour l'artillerie, l'une des
difficultés majeures est l'observation des cibles. Le 28 septembre,
alors que le LIème corps attaque les usines Barricade et Octobre
Rouge, l'artillerie repère 22 batteries ennemies et en engage 14 en
contre-batterie. La 24. Panzerdivision, en revanche, n'a pas
les moyens organiques pour produire une contre-batterie efficace.
Elle est donc plus tributaire de la Luftwaffe. Quant aux
sapeurs, leur principal problème réside dans les nombreuses mines
conçues avec du bois posées par les Soviétiques. Les pièces
d'artillerie manquent de viseurs téléscopiques pour effectuer des
tirs précision qui auraient permis, souvent, d'éliminer des points
de résistance.
Pour
en savoir plus :
S.J.
Lewis, « The Battle of Stalingrad », William
G. ROBERTSON et Lawrence A. YATES (dir.), Block
by Block : The Challenges of Urban Operations,
U.S. Army Command and General Staff College Press, Fort Leavenworth,
Kansas, 2003, p.29-63.