Laurent Olivier, conservateur en chef du patrimoine, est en charge des collections celtiques et gauloises au Musée d'Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye. En 2008, il avait publié un ouvrage, issu d'un dossier pour une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), où il s'attaquait, visiblement, à une archéologie pour lui dépassée mais qui était en réalité celle des années 1960-1970, manifestant ainsi un décalage avec la réalité de la discipline actuelle.
Dans cet ouvrage paru en 2012, Laurent Olivier se propose de revenir sur un moment méconnu de l'archéologie, qui n'a été mis au jour que récemment : sa compromission avec le nazisme, en France comme en Allemagne. L'archéologue a fouillé dans les archives du Musée d'Archéologie Nationale pour retrouver les liens existants entre les Français et les nazis, l'Ahnenerbe de Himmler en particulier, mais il a aussi cherché à Metz, et en Allemagne. Il se serait heurté, ce faisant, à l'hostilité de la profession en France, qui refuserait d'ouvrir les yeux sur la période, contrairement à son homologue allemande, beaucoup plus ouverte selon lui à la question depuis la chute du mur de Berlin. Ce qui est d'autant plus regrettable, toujours d'après ses dires, parce que l'héritage de cette archéologie nazie a survécu à la disparition du régime.
Dans la première partie, Laurent Olivier montre comment l'archéologie est utilisée par le nazisme pour mettre le passé au service de la cause. Cette réalité a longtemps été refoulée, car les acteurs ont encore sévi dans l'archéologie de l'après-guerre. Le phénomène n'est devenu un objet d'histoire que dans les années 1990. La première rencontre scientifique en France, sur le sujet, date de 2004. La présence des anciens acteurs dans la discipline a évidemment influencé pendant longtemps le regard porté sur la période. Et pourtant les archéologues allemands se sont massivement compromis avec le nazisme. 86% des préhistoriens au moins ont été membres du NSDAP, soit un des corps professionnels les plus nazifiés du IIIème Reich. La germanisation raciale et culturelle de l'Europe voulue par les nazis se traduit par la création de l'Ahnenerbe, qui vise à renouveler le savoir occidental en fonction de ces critères. Ce qui n'a pas empêché une féroce concurrence entre Himmler et Rosenberg, parrain du Reichsbund für Deutsche Vorgeschichte, illustrée par les deux archéologues phares, un par organisation : Hans Reinert et Herbert Jankuhn. L'archéologie raciale germanique est issue en ligne directe du pangermanisme : son outil et sa méthode lui sont donnés par son père fondateur, Kossina, qui réalise une lecture raciale et ethnique des vestiges archéologiques. C'est lui qui crée en particulier le concept de "race des Seigneurs" ou race nordique, qui s'impose ensuite -Reinert est un disciple de Kossina. Jusqu'à la prise de pouvoir par les nazis, l'archéologie allemande est considérée comme excellente sur les plans classique et oriental. Rosenberg récupère et instrumentalise l'archéologie au sein des luttes de pouvoirs des coteries nazies. C'est une archéologie politique qui fouille, après les victoires de 1940, en dehors de l'Allemagne. L'Ahnenerbe de Himmler, lui, envisage, surtout à partir de 1937, une archéologie véritablement scientifique et pluridisciplinaire. Himmler y rajoute les théories de l'ésotérisme allemand et austro-hongrois. La SS récupère l'Institut Archéologique Allemand et remplit l'université de chercheurs politiquement sûrs. Le territoire du Reich se couvre d'instituts archéologiques régionaux.
Avec l'annexion de l'Alsace, après la défaite de la France en juin 1940, l'archéologie doit prouver que ce territoire est bien d'origine germanique. On développe des instituts spécialisés comme en Allemagne, reproduits d'ailleurs aussi en Lorraine. L'archéologie nazie efface alors complètement le travail des sociétés savantes françaises. Des fouilles spectaculaires doivent corroborer l'ascendance germanique de la population, et les résultats sont abondamment diffusés par différents moyens de vulgarisation - expositions notamment. Autre discipline, la Westforschung, l'idée, développée sous la République de Weimar, selon laquelle les territoires de l'ouest doivent revenir à l'Allemagne, car ayant été habités par des populations germaniques. Les chercheurs allemands multiplient les contacts en France pour valider leur théorie, et le phénomène s'accentue après 1933. Pour trouver les traces de la race des seigneurs, ils s'intéressent en particulier à la fin du Néolithique et aux runes, et conduisent même des missions d'exploration en France, notamment en Bretagne. Les archéologues nazis sont ensuite chargés de déterminer la localisation de la frontière ouest du Reich, là où s'arrêtent les traces de peuplement germanique, de façon à éventuellement redécouper la France vaincue. Le Bureau archéologie et préhistoire du commandement militaire en France doit faire face à la rivalité entre Rosenberg et l'Ahnenerbe, qui se tranche finalement en faveur du second, plus puissant, dès la fin 1940. Les deux organisations se disputent les sites critiques et les opérations de fouilles. Les Allemands trouvent parfois des archéologues français, notamment dans l'est de la France, pour les seconder. Ils cherchent à prouver que la civilisation mégalithique de Bretagne est d'origine germanique, de même que les Celtes seraient à l'origine des Germains. L'archéologie nazie tente de coloniser son homologue française en favorisant les mouvements identitaires.
Les nazis soutiennent ainsi les nationalistes bretons, alsaciens et lorrains, pour fragmenter le territoire français, voire anglais dans le cas des bretons. Mais pour des raisons stratégiques liées à l'emplacement de la Bretagne sur l'Atlantique, les Allemands mettent rapidement le hola dès 1940. Certains nationalistes font aussi les frais de leur association avec Rosenberg quand Himmler prend le dessus. La Bourgogne est un cas plus indécis, les Allemands ne revendiquant son origine germanique qu'à partir de 1942 seulement. Ils peuvent compter sur Jean-Jacques Thomasset, chantre de l'indépendance de la Bourgogne. Celui-ci devient vite lié aux nazis après 1933 et aura même l'honneur de prononcer une conférence à Berlin, en 1942. Jusqu'en 1944, les Allemands fouillent et publient pour faire accepter l'idée d'une Bourgogne germanique. Thomasset avait incorporé dans ses écrits le pangermanisme völkisch, mais il reste aussi marqué par d'autres héritages (régionalisme, géographie de Gaston Roupnel, tradition de l'extrême-droite française proche de Vichy). L'archéologie de Vichy, contrairement aux Allemands, ne s'intéresse qu'assez peu à la Préhistoire, davantage à la période gallo-romaine. Il faut glorifier le passé gaulois pour refondre l'identité nationale. On fouille en particulier Gergovie. La réorganisation de l'archéologie française par Vichy a été en grande partie conservée après la Libération. Les archéologues allemands ne sont pas trop inquiétés après la guerre. Reinerth, arrêté par la police française, est rapidement relâché et continue d'exercer. Le congrès de Regensburg, qui refonde l'archéologie allemande en 1949, sanctionne facilement Reinerth et quelques autres, mais ne remet pas en cause les fondements de la discipline. Jankuhn, l'archéologue en chef de l'Ahnenerbe, qui avait suivi un Einsatzgruppe en 1941 puis la division Wiking en 1942 dans le Caucase, avant de s'y engager directement en 1944, terminera professeur émérite de l'université allemande. Les historiens allemands ne se penchent véritablement sur le sujet qu'à partir des années 90. Les Français ayant collaboré ne sont pas non plus beaucoup inquiétés. Thomasset, condamné en 1945, est libéré dès 1948. La plupart des chercheurs poursuivent leur carrière après la guerre. L'influence de l'archéologie nazie est très importante sur la discipline en Alsace-Lorraine, moins dans les autres régions. Pour la Protohistoire et le haut Moyen Age, c'est cette archéologie qui jette les bases d'une discipline moderne en France, beaucoup moins pour d'autres périodes. L'archéologie nazie, pour ainsi dire d'avant-garde, lègue un héritage important dans la fonctionnement de la discipline, avec notamment le souci de vulgariser les recherches.
En conclusion, Laurent Olivier rappelle que l'archéologie allemande s'est, de fait, massivement compromise avec le nazisme. Pour lui, celle-ci a de fait contaminé l'archéologie contemporaine. Les archéologues français, notamment, refouleraient cette période en dégageant l'archéologie de toute contingence politique ou idéologique. Laurent Olivier souligne que personne, en Europe, avant la guerre, n'a critiqué, ou presque, les méthodes allemandes, et même après la guerre, son héritage, à l'exception des Américains à partir des années 1960-1970.
L'ouvrage comprend parfois des répétitions, mais il montre comment s'est forgé l'archéologie nazie et comment elle a appliqué ses principes aux territoires occupés en France. Ironie du sort, l'archéologie de Vichy, qui poursuivait d'autres buts, s'est réorganisée sur le modèle allemand. L'auteur s'attache surtout à montrer la continuité de certaines pratiques après la guerre, du fait du maintien en place de nombre d'acteurs et d'un héritage méthodologique finalement peu contesté, la dimension raciale en moins. Mais le livre semble aussi refléter certains défauts reprochés par la fiche de lecture à l'ouvrage que je citais en tête du billet ; Laurent Olivier, par exemple, accorde peut-être trop d'importance à Thomasset, archéologue hors service actif et relativement isolé en Bourgogne dans sa proximité avec le nazisme. On peine à croire aussi que toute l'archéologie antérieure à la guerre ait été complètement balayée, et l'auteur s'arrête d'ailleurs, à la fin de l'ouvrage, à la période de l'archéologie américaine des années 1960-1970, sans aller au-delà, ce qui rejoint la critique d'une vision peut-être un peu datée de la discipline aujourd'hui. Il semble bien au contraire que les travaux se multiplient depuis quelques années sur la question, et Laurent Olivier semble profiter de l'ouvrage pour régler quelques comptes, probablement entre chapelles archéologiques. Reste la démonstration d'une histoire de l'archéologie embrigadée au service du nazisme, de manière volontaire, et non contrainte.