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Krisztian UNGVARY, Battle for Budapest. 100 Days in World War II, I.B. Tauris, 2011, 366 p.

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Ce livre, paru en anglais en 2003, est en fait la traduction d'un ouvrage hongrois écrit par K. Ungvary, sorti initialement en 1999. Istvan Deak, le préfacier, souligne combien le siège de Budapest, pour une capitale européenne, a été long et coûteux. Il commence en novembre 1944 et dure jusqu'au 13 février 1945, avec un million de civils pris au piège dans la ville, dont plus de 100 000 Juifs. 40 000 d'entre eux, au moins, y sont tués. Le traducteur, Ladislaus Löb, est lui-même un survivant du massacre des Juifs hongrois. Comme le rappelle Deak, on peut déjà noter que l'un des atouts principaux du livre est sa volonté de dépasser la simple "histoire bataille" du siège de Budapest, pour fournir quelque chose de plus profond, un essai d'histoire globale du siège en quelque sorte. Loin de s'épancher sur la défense "héroïque" des forces germano-hongroises et sur les crimes de l'Armée Rouge, comme de nombreux articles de magazines, l'historien raconte au contraire les faiblesses et tiraillements de la défense, le traitement des civils par les deux camps, et offre ainsi un portrait plus nuancé des Soviétiques -bien que le manque de sources ne lui permette pas d'être définitif. On le sent néanmoins déterminé à balayer les enjeux d'une bataille qui vit périr au bas mot 160 000 personnes, combattants et civils mêlés. Comme il le dit lui-même, Ungvary s'est surtout reposé sur les témoignages hongrois (en plus des documents d'archives) pour illustrer son propos, les témoignages allemands étant sujet à caution, souvent, et les témoignages soviétiques étant difficilement accessibles.

Dans l'introduction, il revient sur l'engagement de la Hongrie de l'amiral Horthy aux côtés de l'Allemagne, avec la montée en puissance des Croix Fléchées dès 1938. La Hongrie participe à la campagne contre la Yougoslavie puis à l'invasion de l'URSS ; mais l'Angleterre, par exemple, ne déclare la guerre à la Hongrie, sous la pression soviétique, que le 7 décembre 1941. La Hongrie entame pourtant des négociations secrètes avec les alliés occidentaux dès 1942, à tel point que les Allemands finissent par occuper le pays, le 19 mars 1944, pour prévenir toute défection. Les nazis en profitent pour déporter la communauté juive hongroise -plus de 400 000 personnes, sur 700 000, le sont jusqu'en juin. Le 15 octobre, alors que les Soviétiques se rapprochent des frontières de la Hongrie, Horty annonce son intention de conclure une paix séparée avec les Alliés. Il est immédiatement déposé par la réaction allemande qui installe à sa place Szalasi, le chef des Croix Fléchées. L'aviation alliée commence alors à bombarder la Hongrie, ce qu'elle avait  fait de manière limitée jusque là.



Après l'effondrement de la Roumanie et son revirement en août 1944, la Hongrie se retrouve fortement exposée à l'invasion soviétique. Un coup d'arrêt temporaire survient en octobre lors des combats de chars autour de Debrecen, mais l'Armée Rouge n'est plus qu'à 100 km de Budapest. Staline charge le 2ème front d'Ukraine de Malinovsky de s'emparer de la capitale hongroise. Les Allemands ont commencé à transférer des renforts en Hongrie. Mais en réalité, les hommes et le matériel manquent cruellement. La ville n'est mise en état de défense qu'en septembre-octobre par les Hongrois. Une première pointe blindée soviétique arrive à 10-15 km au sud/sud-est de Budapest le 2 novembre, avant d'être détruite. Malinovsky reçoit alors de Staline le renfort du 4ème front d'Ukraine, alors que les Allemands comme les Hongrois sont bien démunis en armes antichars pour repousser les T-34. Le 3ème front d'Ukraine de Tolboukhine arrive par le sud-ouest de la ville, tandis que Malinovsky cherche à la déborder par le nord et par le sud. En réalité, les Hongrois ne tiennent pas à mener un combat de rues dans Budapest, contrairement à Hitler, qui exige que la ville soit tenue dès le mois d'octobre, et en charge le III. Panzerkorps de Breith. Quand il fait de Budapest une forteresse, le 1er décembre, le commandement est déjà confus : à la Werhmacht se rajoute la Waffen-SS, le général Pfeffer-Wildenbruch commandant la garnison, mais aussi l'aile diplomatique de la SS avec Winkelmann, qui commande les forces de police. La situation se clarifie début décembre avec le retrait de Winkelmann et de la Werhmacht, ce qui laisse la Waffen-SS seule aux commandes. Mais face à un ennemi très supérieur, le moral des Hongrois est chancelant, les désertions se multiplient.

Si Pest, la ville récente, a fait l'objet de préparatifs de défense, il n'en est rien pour Buda, la vieille ville. Or, le matin du 24 décembre, la veille de Noël, les T-34 font irruption aux lisières du centre ancien. Il faut battre le rappel d'unités improvisées, hongroises et allemandes, pour les rejeter hors de la ville. Les Soviétiques, pour se prévenir de tout problème, bâtissent un anneau d'encerclement extérieur autour de Buda et un autre intérieur, tourné contre la ville elle-même. L'encerclement est complété le 27 décembre 1944. Le nombre de défenseurs est difficile à établir avec précision. Peut-être 50 000 Hongrois et 45 000 Allemands au 31 décembre. L'armée hongroise loyaliste a déjà souffert de sérieuses pertes, même si l'artillerie est en bon état. Les Allemands tendent à se décharger de leurs revers sur les Hongrois ; en réalité, ils manquent d'infanterie et la valeur de leurs unités est inégale. Le ravitaillement par air est insuffisant et les soldats ne peuvent même pas se préoccuper des civils, de ce point de vue. Les Soviétiques, renforcés des Roumains, ont la supériorité numérique et matérielle, mais la valeur des formations est également disparate -même si l'effectif combattant est beaucoup plus élevé dans les divisions de fusiliers, comparativement aux divisions allemandes. Pfeiffer-Wildenbruch, le commandant allemand, est avant tout un général politique, pas forcément très compétent sur le plan militaire. Il entretient les plus mauvaises relations avec Hindy, l'officier supérieur hongrois, qui a joué un rôle clé le 15 octobre précédent pour appuyer les Croix Fléchées. En face, Malinovsky et Tolboukhine, un tandem de généraux soviétiques moins connus, mais qui n'en feront pas moins preuve d'une réelle efficacité. Dans Budapest se forment des unités spontanées de volontaires, comme le bataillon Vannay, presque aussi solide que les formations régulières, mais décimé en décembre à Buda. Les formations des Croix Fléchées sont de valeur douteuse, au contraire du bataillon des étudiants de Budapest, très motivé.

Malinovsky pense emporter Pest avec trois corps de fusiliers, dès le 23 décembre. L'attaque commence en réalité le 25 décembre. La 8ème division de cavalerie SS a été rapatriée à Buda la veille. Les combats continuent jusqu'au 28 décembre, date à laquelle les Soviétiques envoient des émissaires pour entamer des négociations. Deux capitaines sont dépêchés, à Buda et à Pest, le lendemain. Mais les deux sont tués, dans des circonstances peu claires, qui apparemment doivent autant à la non-préparation soviétique qu'au mépris de l'adversaire par les Allemands. Le 30 décembre, les Soviétiques repartent à l'assaut de Pest, avec une débauche de puissance de feu. Les Allemands parviennent temporairement à se ravitailler grâce à une barge qui remonte le Danube. Dans le combat de rues, l'Armée Rouge met en pratique le savoir hérité de Stalingrad. Les corps soviétiques ne coordonnent par contre pas assez leur action entre eux. Les Allemands sont mixés avec les Hongrois pour prévenir les défections. Le général Schmidhuber, commandant la 13. Panzerdivision, commande les forces à Pest. Les Soviétiques lancent une nouvelle offensive le 5 janvier 1945. Le 7ème corps d'armée roumain, qui combat avec l'Armée Rouge, souffre particulièrement dans les combats de rues. Le 17 janvier, les Allemands évacuent Pest, font sauter les ponts sur le Danube, tandis que l'Armée Rouge met encore deux jours à nettoyer les dernières poches de résistance. A Buda, les Soviétiques, fin décembre, ne sont qu'à 2 km du Danube. Le bataillon Vannay se sacrifie littéralement dans la défense des lignes. Les Soviétiques subissent des pertes importantes, en particulier, en essayant de prendre les hauteurs qui dominent Buda, au sud. Le transfert des unités venant de Pest soulage un peu la défense. Les Soviétiques s'emparent aussi, à partir du 19 janvier, de l'île Margit, sur le Danube. Malgré les trois tentatives de dégagement extérieur, à partir du 1er janvier, Hitler ordonne, le 27, de tenir la ville jusqu'au dernier homme. L'Armée Rouge tente de tronçonner Buda en deux morceaux. La vieille ville tient jusqu'au 11 février.

Les Allemands engagent leurs maigres réserves blindées, dont ils auraient eu bien besoin ailleurs, non pour secourir la garnison mais pour rétablir un corridor et expédier des renforts dans la ville. Otto Gille, vétéran de la percée de Tcherkassy, emmène le IV. SS-Panzerkorps et quelques autres unités pour mener à bien la mission. Les Soviétiques n'auront que plus de facilité à percer le front pendant l'opération Vistule-Oder en Pologne. Pour dégager Budapest, l'option nord (opération Konrad) est sélectionnée. L'opération Konrad I, lancée le 1er janvier, démarre alors même que l'ensemble des forces n'est pas encore arrivé. Or, Malinovsky et Tolboukhine ont conservé des réserves en cas de contre-attaques allemandes, qui interviennent rapidement. En outre le terrain choisi pour l'attaque est difficile. L'opération Konrad II privilégie cette fois l'option sud, le 7 janvier. Les Allemands progressent mieux, mais au bout d'une semaine, la contre-attaque est arrêtée. La troisième contre-attaque, Konrad III, déclenchée le 17 janvier, prend les Soviétiques par surprise, entre le lac Balaton et Szekesfehervar. Les pointes blindées atteignent le Danube, mais ne peuvent s'y maintenir.

La garnison, pendant ce temps, a préparé une sortie. Il ne reste quasiment plus d'artillerie et de blindés, les survivants étant détruits pour bonne partie avant le départ. Les Soviétiques se doutent de quelque chose et ont préparé des défenses sur les axes possibles de sortie, même s'ils ignorent la date. La première vague attaque au soir du 11 février, et parvient à percer les lignes soviétiques. Mais les pertes sont lourdes. Schmidhuber, le commandant de la 13. Panzerdivision, est tué. Au matin du 12 février, environ 16 000 personnes, dont des civils, se sont extirpés de Buda. Certains Waffen-SS se suicident pour ne pas tomber aux mains des Soviétiques, parmi ceux restés dans la ville. Sur les 28 000 soldats qui ont pris part à la percée, 700 à peine atteignent les lignes allemandes à l'ouest. Environ 5 000 hommes sont restés autour du château de Buda, où s'entassent, dans les bunkers souterrains, plus de 2 000 blessés. Des incendies tuent plusieurs centaines de ces derniers. Au 11 février, la garnison comptait 43 900 soldats ; 22 350 sont prisonniers le 15, 17 000 ont été tués.

Les civils sont pris au piège des combats de rues. Le 2 novembre 1944, au début même du siège, un pont entre Pest et l'île Margit explose, dans la confusion, tuant peut-être 600 personnes. 100 000 personnes seulement quittent la ville avant l'encerclement. Les civils restants sont requis pour préparer les défenses. La situation alimentaire s'aggrave dès le mois de novembre, forçant au rationnement. Les civils s'entassent par centaines ou milliers dans des abris. Les rixes sur la nourriture, l'approvisionnement en eau, la lessive, sont fréquentes. Les relations entre les Croix Fléchées, qui font régner la terreur dans la ville, et l'armée hongroise, sont tendues, bien meilleures avec les Allemands. Les animaux du zoo sont dépecés, d'autres s'échappent et sont abattus ensuite. Un lion se cache dans les tunnels souterrains, avant d'être capturé par le commandant soviétique de Budapest. Dès le 15 octobre, la persécution contre les Juifs reprend. Eichmann est de retour dans la ville le 18. Rassemblés, les Juifs sont préparés à la déportation ou exécutés en masse le long du Danube. Les survivants, confinés dans un ghetto, sont victimes des exactions des Croix Fléchées. Parallèllement, des mouvements de résistance se sont développés dans Budapest. De nombreux officiers hongrois ayant fait défection sont renvoyés par les Soviétiques derrière les lignes pour organiser des réseaux. Les communistes réalisent des attentats à la bombe, les Juifs luttent pour leur survie. L'OSS parachute un lieutenant d'origine hongroise et les Britanniques 22 Canadiens de même origine, dont un seul échappe à la capture. Les Soviétiques eux-mêmes conduisent des opérations de reconnaissance dans Budapest. L'Armée Rouge envoie plus de 700 soldats hongrois pour provoquer d'autres défections, avec un certain succès. Des unités entières finissent par passer à l'ennemi. Les volontaires sont rattachés aux corps de fusiliers soviétiques et se voient confier les missions les plus dangereuses, entraînant de 50 à 80% de pertes. Plus de 2 500 Hongrois ont combattu du côté soviétique, dont 600 ont été tués. Les Soviétiques, de leur côté, exécutent souvent les Waffen-SS faits prisonniers, les auxiliaires russes de la Wehrmacht, et même les blessés. Ces exécutions n'ont rien d'organisé, elles sont spontanées, même si le commandement soviétique en est bien conscient. Mais il y a aussi des cas où les soldats soviétiques laissent s'enfuir des prisonniers hongrois. Durant la dernière phase du siège, les Allemands ont commis de nombreux pillages et des destructions de biens. Pour les Soviétiques, les exactions sont parfois organisées d'en haut : pillage des biens de valeur (oeuvres d'art, etc), nettoyage paraoïaque, notamment face aux communistes hongrois ou aux Juifs, dont beaucoup étaient résistants. Les Soviétiques se sont parfois servis des civils comme boucliers humains et Malinovsky, après la chute de Budapest, accorde trois jours de pillage. Les déprédations sont plus importantes là où la résistance a été la plus forte, comme dans certains secteurs de Buda. Il n'y a aucune statistique fiable sur les viols à Budapest. En extrapolant à partir du cas allemand -lui aussi mal documenté- et de chiffres plus établis pour d'autres villes hongroises, Ungvary penche pour 10% de la population. Mais les Soviétiques ne touchent pas les enfants, et ont un grand respect pour les docteurs et même les écrivains. Les déserteurs soviétiques continuent cependant de semer l'insécurité dans Budapest au moins jusqu'en février 1946 (8 braquages avec meurtre en un seul jour !). Les Soviétiques rétablissent progressivement l'ordre et le ravitaillement, rouvrent un cinéma à Pest dès le 6 février 1945 (en pleine bataille). La population tombe à 830 000 habitants en avril.

Le siège de Budapest, en tout, a probablement entraîné 80 000 tués et plus de 240 000 blessés côté soviétique. La moitié des pertes soviétiques en Hongrie a été subie dans la capitale, dont 55% dans les combats de rues. Les Allemands ont consommé des ressources importantes pour tenter de sauver la Hongrie : la moitié des divisions de Panzer s'y trouve en mars 1945, alors que l'Armée Rouge est à 60 km de Berlin. Les Allemands et les Hongrois perdent dans la ville 3 000 hommes par semaine. Le siège a duré longtemps car la garnison, sensible à la propagande nazie, n'a pas voulu baisser les armes devant l'Armée Rouge, de peur de son sort.

L'ouvrage, assez complet, si l'on excepte le côté soviétique moins documenté, est appuyé par pas moins de 16 cartes dispersées au fil du texte, pas toujours très lisibles, mais utiles pour suivre les opérations. D'autant que des illustrations complètent le tout, et certaines fort peu connues. Il y a également en fin d'ouvrage plus d'une vingtaine de tableaux statistiques, sur les forces en présence, les pertes subies, etc. Très utiles pour avoir des chiffres importants sous la main. La bibliographie suit les tables. On apprécie en particulier que l'auteur ait cherché non pas mal à livrer un simple récit de la bataille uniquement germanocentré, ou focalisé sur les tentatives de dégagement, comme souvent, mais bien une appréhension globale du siège, comme le montre la dernière partie sur le sort des civils et la vie dans la cité en guerre.




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