Nouvelle fiche de lecture proposée par Nicolas Aubin, merci à lui.
Avec
cet ouvrage, le second d’une quadrilogie, Henri de Wailly poursuit
son exploration des combats le long de la Basse-Somme. Le premier
tome (le
coup de faux)
était consacré au bombardement et à la prise d’Abbeville le 20
mai 1940, celui-ci prend davantage de recul et embrasse quinze
journées qualifiées de décisives vues du côté des alliés. ..
D’où le titre «Weygand,
De gaulle et quelques autres».
Il s’agit de suivre une vingtaine d’acteurs allant du général
en chef jusqu’à l’obscur trouffion pour comprendre la difficile
reconstruction du front sur la Somme et les contre-attaques bâclées
qui se succèdent entre Abbeville et Amiens pour espérer rompre
l’encerclement du GA1 victime du coup de faux.
A propos de cette histoire, deux
thèses s'opposent: l'une considère que si les Allemands avaient été
repoussés là, tout aurait pu changer. L'autre thèse considère que
les cartes étaient déjà jouées et qu'il n'était plus possible de
redresser la situation. Henri
de Wailly semble incliner dans le sens des premiers même si à
travers son récit, les autres partisans pourront y trouver aussi de
la matière à fourbir leurs arguments.
A
sa sortie (1983), l’ouvrage comblait une lacune dans la recherche,
cette période étant largement ignorée et les lecteurs ne
connaissaient en général que deux contre-attaques françaises
(Montcornet et Abbeville le 29 mai… légende gaullienne oblige). De
Wailly qui ne semble pas un gaulliste convaincu écorne cette légende
(on le ressentira davantage dans son ouvrage suivant : De
gaulle sous le casque.)
Le livre se présente comme un récit quotidien qui, pour chaque journée, alterne de courts chapitres (1 à 2 pages) consacrés à un acteur. On va et on vient entre l’arrière et le front en permanence, entre le soldat et le chef avec parfois une parole donnée au civil perdu dans la débâcle. Ce choix dynamique donne une véritable dramaturgie et un côté thriller très agréable pour une lecture sous la couette mais il oblige à beaucoup chercher quand on veut suivre l’odyssée d’une seule unité ou reconstruire les étapes d’un engagement sur plusieurs jours. La part belle accordée aux témoignages, le recours aux dialogues directs contribuent aussi à être plongé au cœur de la bataille. L’anecdote s’imbrique à la Grande histoire telle ces tensions entre Julitte, l’officier de liaison auprès de la 1st Arm Div, et le major Ross… anecdote, anecdotique je ne pense pas tant elle illustre à merveille les méfiances réciproques et tant ces méfiances ont ralenti ou affaibli les opérations inter-alliées.
Concrètement, la première partie de l’ouvrage porte sur la tardive prise de conscience du coup de faux par les autorités, la difficulté à reconstituer un front, la dichotomie entre les punaises accrochées sur la carte à Vincennes et la triste réalité sur le terrain où les unités montent en ligne dans le plus grand désordre… puis vient le temps des contre-attaques quand les alliés enchaînent les attaques improvisées contre les têtes de ponts allemandes sur la Somme que de Wailly résume ainsi : « Echec sanglant à Abbeville, attaque blanche à Picquigny, échec au sud d’Amiens : hélas il faut encore avancer d’une station dans ce récit répétitif. Aujourd’hui le 27 mai une autre unité est parvenue sur le front de la Somme et, de la même façon, elle a été jetée instantanément sur l’ennemi invisible, sans aviation, presque sans artillerie avec pour tout soutien, dix chars Hotchkiss du groupement de Langle « Attaquer ! Attaquer ! Attaquer ! avait ordonné le général Besson. ». Il parle ici de la13e DI (p.254). Notez que les attaques de la 4e DCR puis de la 2e DCR ne sont pas abordés ici mais dans les deux tomes suivants.
Henri de Wailly est un enfant de la débâcle (né en 1934), un marin et un ancien combattant de la guerre d’Algérie et il «est hanté par le désolant naufrage de sa nation» (je cite sa présentation), cet itinéraire se ressent et de Wailly cherche à exorciser ce traumatisme. Il n’est donc pas neutre dans sa prose au contraire il fait partager son écœurement face à l’impréparation française, face aux atermoiements ou au contraire au manque de discernement criminel des généraux alliés. Il compare les combats très coûteux de la deuxième semaine (300 chars perdus) à un effort fourni par un homme pour refermer une porte ouverte dans un mur qui s’écroule autour de lui. Il dénonce le gâchis matériel et, bien sûr, humain de contre-attaques menées dans l’anonymat ou le mépris telle celle de la 1st Arm Div le 27 mai qui brise ses reins au Sud d’Abbeville et qui est perçu comme un « épiphénomène regrettable mais à tout prendre sans conséquence » par les autorités françaises… comme si on pouvait se permettre de gaspiller une des dernières unités motorisées alliées. Il dresse un parallèle avec les offensives de la 1ere Guerre Mondiale. Finalement, on ressort avec une impression finalement assez caricaturale ou stéréotypé où les actes héroïques ont été gâchés par l’imbécilité de généraux minables ou imbus d’eux même… et de citer les deux heures perdues par le général Frère et son état-major pour marquer sa sympathie à l’égard de celui de la 2e région militaire qui avait ordre de rester à Amiens alors que Frère évacuait. Deux heures de compassion car, dixit Frère, un départ précipité «me paraissait peu élégant, nous lui tenons donc compagnie jusqu’à 17 h». Un historien aujourd'hui ne se contenterait plus de ce simple constat, il chercherait à expliquer pourquoi les généraux français ont été désarçonnés. Et c'est sur ce point que l'on doit douter des possibilités d'un redressement, tant la détresse de l'état-major est le fruit non d'une conjoncture désastreuse ou d'incompétences individuelles mais traduit l'effondrement de toute une infrastructure mentale et organisationnelle.
Ce style direct parfois vindicatif peut énerver ou, au contraire, séduire par sa faculté à vous projeter au cœur de la bataille, au cœur de la réalité vécue sur le terrain. Il manque aussi le pendant allemand car l’auteur fait le choix légitime de laisser le lecteur dans la peau des Alliés en manque de renseignement sur cet adversaire invisible. Si Henri De Wailly a consulté de nombreuses archives alliées (en particulier anglaises) et collecté des dizaines de témoignages, toute cette documentation ne porte que sur le même camp. Les cartes sont indigentes mais cela est fréquent dans un livre des années 80.
Il n’en demeure pas moins que ce livre reste remarquable : bien écrit, haletant, poignant, avec une documentation solide… indispensable à mon avis dans une bibliothèque sur le désastre de 1940.
Le livre se présente comme un récit quotidien qui, pour chaque journée, alterne de courts chapitres (1 à 2 pages) consacrés à un acteur. On va et on vient entre l’arrière et le front en permanence, entre le soldat et le chef avec parfois une parole donnée au civil perdu dans la débâcle. Ce choix dynamique donne une véritable dramaturgie et un côté thriller très agréable pour une lecture sous la couette mais il oblige à beaucoup chercher quand on veut suivre l’odyssée d’une seule unité ou reconstruire les étapes d’un engagement sur plusieurs jours. La part belle accordée aux témoignages, le recours aux dialogues directs contribuent aussi à être plongé au cœur de la bataille. L’anecdote s’imbrique à la Grande histoire telle ces tensions entre Julitte, l’officier de liaison auprès de la 1st Arm Div, et le major Ross… anecdote, anecdotique je ne pense pas tant elle illustre à merveille les méfiances réciproques et tant ces méfiances ont ralenti ou affaibli les opérations inter-alliées.
Concrètement, la première partie de l’ouvrage porte sur la tardive prise de conscience du coup de faux par les autorités, la difficulté à reconstituer un front, la dichotomie entre les punaises accrochées sur la carte à Vincennes et la triste réalité sur le terrain où les unités montent en ligne dans le plus grand désordre… puis vient le temps des contre-attaques quand les alliés enchaînent les attaques improvisées contre les têtes de ponts allemandes sur la Somme que de Wailly résume ainsi : « Echec sanglant à Abbeville, attaque blanche à Picquigny, échec au sud d’Amiens : hélas il faut encore avancer d’une station dans ce récit répétitif. Aujourd’hui le 27 mai une autre unité est parvenue sur le front de la Somme et, de la même façon, elle a été jetée instantanément sur l’ennemi invisible, sans aviation, presque sans artillerie avec pour tout soutien, dix chars Hotchkiss du groupement de Langle « Attaquer ! Attaquer ! Attaquer ! avait ordonné le général Besson. ». Il parle ici de la13e DI (p.254). Notez que les attaques de la 4e DCR puis de la 2e DCR ne sont pas abordés ici mais dans les deux tomes suivants.
Henri de Wailly est un enfant de la débâcle (né en 1934), un marin et un ancien combattant de la guerre d’Algérie et il «est hanté par le désolant naufrage de sa nation» (je cite sa présentation), cet itinéraire se ressent et de Wailly cherche à exorciser ce traumatisme. Il n’est donc pas neutre dans sa prose au contraire il fait partager son écœurement face à l’impréparation française, face aux atermoiements ou au contraire au manque de discernement criminel des généraux alliés. Il compare les combats très coûteux de la deuxième semaine (300 chars perdus) à un effort fourni par un homme pour refermer une porte ouverte dans un mur qui s’écroule autour de lui. Il dénonce le gâchis matériel et, bien sûr, humain de contre-attaques menées dans l’anonymat ou le mépris telle celle de la 1st Arm Div le 27 mai qui brise ses reins au Sud d’Abbeville et qui est perçu comme un « épiphénomène regrettable mais à tout prendre sans conséquence » par les autorités françaises… comme si on pouvait se permettre de gaspiller une des dernières unités motorisées alliées. Il dresse un parallèle avec les offensives de la 1ere Guerre Mondiale. Finalement, on ressort avec une impression finalement assez caricaturale ou stéréotypé où les actes héroïques ont été gâchés par l’imbécilité de généraux minables ou imbus d’eux même… et de citer les deux heures perdues par le général Frère et son état-major pour marquer sa sympathie à l’égard de celui de la 2e région militaire qui avait ordre de rester à Amiens alors que Frère évacuait. Deux heures de compassion car, dixit Frère, un départ précipité «me paraissait peu élégant, nous lui tenons donc compagnie jusqu’à 17 h». Un historien aujourd'hui ne se contenterait plus de ce simple constat, il chercherait à expliquer pourquoi les généraux français ont été désarçonnés. Et c'est sur ce point que l'on doit douter des possibilités d'un redressement, tant la détresse de l'état-major est le fruit non d'une conjoncture désastreuse ou d'incompétences individuelles mais traduit l'effondrement de toute une infrastructure mentale et organisationnelle.
Ce style direct parfois vindicatif peut énerver ou, au contraire, séduire par sa faculté à vous projeter au cœur de la bataille, au cœur de la réalité vécue sur le terrain. Il manque aussi le pendant allemand car l’auteur fait le choix légitime de laisser le lecteur dans la peau des Alliés en manque de renseignement sur cet adversaire invisible. Si Henri De Wailly a consulté de nombreuses archives alliées (en particulier anglaises) et collecté des dizaines de témoignages, toute cette documentation ne porte que sur le même camp. Les cartes sont indigentes mais cela est fréquent dans un livre des années 80.
Il n’en demeure pas moins que ce livre reste remarquable : bien écrit, haletant, poignant, avec une documentation solide… indispensable à mon avis dans une bibliothèque sur le désastre de 1940.
Nicolas
Aubin