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[Nicolas AUBIN] Henri DE WAILLY, Le coup de faux, assassinat d'une ville, Copernic, 1980, 255 p.

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Nicolas Aubin nous propose une nouvelle fiche de lecture.


Henri de Wailly est un auteur que j'ai plaisir à lire tant il sait distiller de l'émotion dans ses ouvrages.

"Le coup de faux" constitue le premier tome d'une quadrilogie concernant les batailles d'Abbeville à la fin mai 1940. Il sera suivi de "Weygand, De Gaulle et quelques autres", puis "De Gaulle sous le casque" et enfin "La victoire évaporée". Ecrite sur une vingtaine d'année de recherches tous azimuts, cet ensemble forme une brillante et précise description des événements qui ont frappé Abbeville. Ne nous trompons pas, quand de Wailly se lance dans cette quadrilogie, ce qui l'intéresse, c'est sa ville ; Abbeville mais au fil de ses recherches, l'étude va vite dépasser la petite monographie locale pour brosser remarquablement l'esprit de ce qu'a été la campagne de France.

La première force de De Wailly c'est d'avoir collecté des centaines de témoignages des militaires (à l'exception des Allemands qui tous ont refusé de parler) mais aussi et surtout 150 civils pris dans l'enfer de la bataille, d'avoir consulté de nombreuses archives disponibles tant publiques (SHD, Public Record Office, Archive départementales et communales…) que privées. Cela lui permet de décrire les événements avec une précision et une humanité exceptionnelle.

Cette humanité est à mon sens la 2e qualité de cette série. Jamais la dimension criminelle de la guerre n'est oubliée… cela pourra énerver les amateurs "d'art de la guerre" mais en ces temps de frappe chirurgicale, faire connaitre cette dimension aux jeunes générations me semble indispensable. Les individus y sont happés et broyés.

Qu'en est-il de ce premier volet ? "Le coup de faux" est sous titré "assassinat d'une ville" car l'auteur cherche à décrire et comprendre les causes des violents bombardements qui ont frappé la ville le 20 mai 1940. Parallèlement il décrit avec force détails sa conquête par la Kampfgruppe Von Prittwitz de la 2. Pz-Div. en n'omettant pas la participation anglaise à la bataille.

Le plan de l'auteur est celui d'un enquêteur, il part des faits : l'horreur du bombardement restituée par une description maison par maison, famille par famille plongée dans l'incendie de cette belle journée de mai. Il n'oublie pas les réfugiés, ni l'assassinat sauvage de 21 d'entre eux suspectés d'être des espions. Il passe ensuite à la bataille suivant la montée en ligne de la 35th brigade anglaise, son isolement et sa destruction en fin de journée dans le plus complet anonymat et l'extrême confusion qui anime les états-majors alliés. Enfin il termine par la bavure de la Luftwaffe qui attaque le soir une ville déjà conquise.

Dans un 2e temps il revient sur le coup de faucille, suit la préparation allemande en remontant à la guerre d'Espagne, puis accompagne rapidement les Schützen le long du corridor jusqu'à Abbeville. De Wailly offre donc un contrepoint mais toujours avec le souci de s'effacer derrière le témoignage et l'anecdote, mais l'anecdote bien choisie celle qui apporte, éclaire tout en dynamisant le propos.

Le style est direct, parfois péremptoire et l'auteur ne mâche ni ses mots ("boucherie, assassinat, incompétence, absurdité, horreur, misère…"), ni ses commentaires sur les occasions et les vies gâchées... La guerre n'y est ni fraiche, ni joyeuse… le plus souvent tragiquement absurde. Les amateurs d'ordres de bataille, de cartes détaillées, d'analyse stratégique ou de doctrine en seront pour leur faim car ici on traite de l'humain, de sa grandeur (Le Moyne) et de sa misère (les assassinats de part et d'autre). De Wailly dresse un remarquable tableau de l'ambiance de cette campagne.

Il y a sous la plume de De Wailly une volonté édificatrice indéniable :"L'horreur d'Abbeville n'est pas exceptionnelle. Elle est banale au contraire, dans l'Europe de ces années là. Après celui de Guernica – le prototype -, auprès de Varsovie, Rotterdam, Coventry, Leningrad, Dresde..; le massacre d'Abbeville est une anecdote. Si l'on mesure l'horreur à l'échelle de meurtres collectifs, Abbeville n'arrête pas l'intérêt. L'assassinat industriel de foules anonymes, l'écrasement de villes irremplaçables, la mort lente d'enfants brûlés près du cadavre de leur mère, l'ignominie de ces combats qui n'en sont pas, de ces combats sans adversaires, tout cela va s'étendre. Il n'y a pas de leçon à tirer, ni d'horreur à dénoncer : la guerre nous a appris bien pire". Il y a pourtant bel et bien une leçon de tirée une fois le livre refermé…

N'y cherchez pas des analyses stratégiques, des plaques d'immatriculations, des commentaires abscons sur les comparaisons de blindages, des discussions d'états-majors, des digressions sur les relations entre Hitler et ses généraux, ce n'est pas son propos… le propos est local et humain. Il est clair que la place essentielle accordée au témoignage oblige le lecteur à faire preuve de recul critique sur des points de détails ou en marge du sujet… mais cela ne remet en rien le propos en cause et la ligne directrice de De Wailly est solide.

Bref un livre qui ouvre une quadrilogie que j'adore, indispensable pour sentir les événements même si elle ne se suffit pas.


Nicolas Aubin

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