Peter Caddick-Adams est un spécialiste des questions de défense, officier de l'armée britannique qui a enseigné à l'académie de défense du Royaume-Uni. Il livre ici une synthèse sur la bataille de Monte Cassino, pendant la campagne d'Italie. Le monastère de Saint Benoît, fondé en 529, visité par Dickens en 1845 -visite qui fournit une entame originale à l'auteur-, a vu s'affronter près d'un demi-million d'hommes dans les premiers mois de 1944. Cinq mois de boue et de froid dans un hiver italien bien loin du soleil des cartes postales. Sans aller jusqu'à dire, comme l'auteur, que la bataille rejoint l'intensité du front de l'est, il faut bien reconnaître que Cassino est l'un des affrontements les plus acharnés de la guerre en Italie.
L'invasion de l'Italie continentale suit la conquête de la Sicile par les Alliés. Celle-ci fait partie d'une stratégie méditerranéenne qui a pour conséquence de faire tomber le régime fasciste de Mussolini. Hitler crée en août 1943 la 10. Armee avec les rescapés de l'évacuation de la Sicile. Le 3 septembre, les Britanniques débarquent en Calabre. Immédiatement, les Allemands procèdent au désarmement des Italiens, parfois non sans mal. Le débarquement à Salerne, le 9 septembre, se heurte à une farouche résistance, les Allemands attendant de pied ferme les assaillants, alors qu'Hitler procède au sauvetage de Mussolini, retenu prisonnier au Gran Sasso. Von Vietinghoff, le commandant de la 10. Armee, mène une série d'actions de retardement pour permettre à Kesselring, devenu chef du théâtre d'opérations le 6 novembre, de bâtir une série de lignes fortifiées afin d'arrêter les Alliés. Kesselring peut compter sur la 1ère division de parachutistes, des chasseurs alpins, mais ses troupes comprennent aussi Volksdeutsche, Osttruppen et Hiwis. "Albert le Souriant" lui-même n'est pas dépourvu de qualités : il a organisé de main de maître l'évacuation de la Sicile. Son chef d'état-major, Westphal, est tout aussi compétent. Wolfram von Richthofen, un officier de la Luftwaffe hors-pair, est aux commandes de la Luftflotte 2. Ces commandants reflètent l'excellent entraînement et l'expérience accumulés par la Wehrmacht, les officiers allemands dirigeant d'ailleurs plus que les autres depuis le terrain. Ce n'est pas pour rien qu'un raid de B-17 vise le QG de Kesselring le 8 septembre, avant le débarquement à Salerne. En revanche, Hitler s'immisce de plus en plus dans la conduite des opérations et les Alliés disposent de renseignements que n'ont pas les Allemands, fournis par Ultra. Mais après le franchissement du Volturno, le 12 octobre 1943, les Alliés vont se heurter aux premières lignes défensives allemandes. Ces lignes sont bâties via les obstacles naturels, les constructions humaines disponibles -comme le Monte Cassino- et sur des rajouts du génie, comme les mines.
Le temps est exécrable de la mi-octobre à la mi-décembre. Il empêche l'intervention efficace de l'aviation. La guerre mécanisée n'a pas lieu d'être en Italie. Au contraire, les Alliés doivent en urgence créer un corps de muletiers, tenu pour bonne partie par des Italiens, qui formeront d'autres nationalités. Les Italiens de l'armée co-belligérante connaissent leur baptême du feu fin 1943. Plus de 500 000 Italiens servent aussi sur les arrières des Alliés. Après l'armistice du 8 septembre, certains ont fait le choix de rejoindre des unités co-belligérantes comme le 1er groupe motorisé, la formation la plus conséquente. Le 8 décembre, cette formation de la taille de la brigade est lancée contre le mont Lungo, tenu par des Panzergrenadiers, tandis que la 36th Infantry Division de la Garde Nationale du Texas se jette sur le village de San Pietro, donnant l'occasion à John Huston de signer un documentaire devenu célèbre.
En janvier 1944, s'inspirant du débarquement à Termoli en octobre, les Alliés lancent l'opération Shingle : un débarquement à Anzio, au sud-ouest de Rome, pour contourner la ligne Gustav articulée sur Cassino. Malheureusement, Clark a donné des consignes contradictoires à Lucas, échaudé par le quasi fiasco de Salerne. L'occasion de foncer sur Rome n'est pas exploitée. C'est également en janvier 1944 que le Corps Expéditionnaire Français de Juin commence à arriver en Italie. Amalgame de FFL, de troupes de l'armée de Vichy et d'éléments coloniaux, l'armée française reconstituée a encore à faire ses preuves aux yeux des Alliés. D'autant que les exactions contre la population italienne iront en s'aggravant au fil de la campagne. Les Français, déployés à l'extrême-droite de la Vth US Army, connaissent leur baptême du feu. Pendant la première bataille de Cassino, alors que les Britanniques tentent de franchir le Garigliano et les Américains le Rapido, les Français attaquent sur le mont Cifalco, puis les tirailleurs tunisiens s'emparent du Belvédère, en subissant 1 400 pertes mais en attirant de nombreux bataillons allemands.
Côté allié, Alexander, le commandant en chef de théâtre, est assisté par deux chefs d'état-major remarquables, McCreery puis Harding. Les Britanniques, au moment de la première bataille de Cassino, qui est combinée avec le débarquement à Anzio, attaquent sur le Garigliano, soutenus par leurs pionniers et leurs homologues italiens ainsi que 200 000 civils qui mènent les travaux de terrassement. L'assaut dans la vallée du Liri se heurte à la 94. Infanterie Division, et la 36th Texas, côté américain, n'est pas non plus en mesure de prend pied de l'autre côté du Rapido. Les pertes sont causées, en Italie, à 75% par l'artillerie. La désertion augmente dans l'armée britannique, particulièrement dans l'infanterie, arme déjà à court d'effectifs. Il faut dire que les chocs post-traumatiques n'en sont encore qu'à leurs balbutiements dans la médecine militaire, ce qui encourage le phénomène.
Clark, qui commande la Vth US Army, se préoccupe surtout de sa publicité personnelle, ce qui n'empêche pas un certain courage au feu. Pendant la premère bataille de Cassino, il est avant tout soucieux du débarquement à Anzio, prélude à celui de Normandie : Clark sait que bientôt la campagne d'Italie n'intéressera plus. D'où les ordres contradictoires donnés à Lucas. La traversée du Rapido tout comme l'opération Shingle échouent : la 36th Texas se casse les dents sur le franchissement du cours d'eau et la tête de pont de Lucas, bientôt cernée de troupes allemandes, est pilonnée par l'artillerie jusqu'en mai. La 34th Infantry Division américaine, soutenue par les Sherman de la 1st Armored Division, parvient enfin à se glisser jusqu'à la ville de Cassino avant d'être arrêtée net par les Allemands. Les Nippo-Américains recrutés dans l'US Army sont d'ailleurs engagés dans ces combats. La bataille s'arrête début février : la 34th Division a perdu un tiers de son infanterie.
Les Américains sont relevés par les Indiens, dont 100 000 servent en Italie -le quatrième plus gros contingent. La 4th Indian Division a fait toute la guerre du désert sous les ordres de Tucker. Venue de l'Adriatique, elle est rejointe par la 78th Infantry Division britannique et la 2nd New Zealand Division de Freyberg, qui va chapeauter la prochaine bataille. Tuker, malade, est évacué et remplacé : il préconisait, comme Juin, une attaque d'enveloppement de Cassino, à travers les montagnes. Freyberg, de peur d'être court sur la logistique, va à nouveau privilégier une attaque frontale. Tucker recommande alors, pour ne pas envoyer ses hommes à l'abattoir, de faire détruire le monastère par des chasseurs bombardiers avec une frappe "de précision". Or les Allemands n'occupent pas encore le monastère, ils en ont même fait évacuer les trésors historiques -certains officiers se servant au passage. Freyberg trouve l'approbation de Eaker, qui veut exécuter la première opération d'appui tactique par le bombardement stratégique en Méditerranée. En dépit de l'opposition de Clark, Alexander donne son accord et le monastère est pilonné par l'artillerie, puis par l'aviation, le 15 février 1944. Le monastère est réduit en ruines et n'est pas complètement détruit, les Alliés subissant un revers en terme de propagande, puisque la destruction est immédiatement exploitée par les Allemands.
Les Indiens se heurtent aux paras allemands retranchés dans les ruines et sur les hauteurs environnant l'abbaye. Parallèlement, le 16 février, Kesselring lance une contre-attaque majeure contre la tête de pont d'Anzio. Un mois plus tard, le 15 mars, Freyberg met en route l'opération Dickens, qui deviendra la troisième bataille de Cassino : un bombardement pulvérise la ville au pied du monastère, puis les ruines sont investies par les Indiens et les Néo-Zélandais. Des combats acharnés ont lieu sur et autour de Castle Hill, la colline du château qui domine la ville de Cassino.
Freyberg, qui avait été critiqué pour l'évacuation de la Crète en 1941, s'est refait une santé dans la campagne du désert. Les Néo-Zélandais, qui ont subi de lourdes pertes depuis El Alamein, ne participent pas à la campagne de Sicile et reviennent sur le terrain méditerranéen avec le débarquement en Italie continentale. Ils souffrent durant la deuxième bataille de Cassino, combattant quelques jours après les Indiens contre les Fallschirmjäger. Le bombardement du 15 mars, avec plus de 450 bombardiers lourds et moyens et plus de 1 000 canons, pulvérise la ville de Cassino. Mais il ne vient pas à bout des défenseurs : c'est seulement après cette troisième bataille que l'aviation alliée se concentre massivement sur l'interdiction, avec des résultats plus probants. Pour ajouter au malheur du temps, le Vésuve entre à nouveau en éruption, entre les 17 et 23 mars.
Dans les ruines de la ville, les chars néo-zélandais ne peuvent suivre l'infanterie. Un régiment perd les deux tiers de ses blindés. Néanmoins, après trois jours de combat, les deux tiers de la ville sont nettoyés, mais les "diables verts" s'accrochent au reste. Une attaque de chars par l'arrière de l'abbaye échoue également, manquant de peu de réussir cependant. Freyberg est contraint de jeter l'éponge. Dès le 22 février cependant, Harding, le chef d'état-major d'Alexander, a commencé à jeter les bases de Diadem, la quatrième bataille de Cassino.
Harding propose de concentrer toutes les forces, y compris la masse de celles sur le flanc adriatique, autour de Cassino, pour enfin mener une offensive à l'échelle du corps d'armée, au niveau opératif et non plus au niveau tactique. Les Polonais, nouvellement arrivés, auront la charge d'emporter le monastère. Les 50 000 hommes d'Anders, rescapés des camps soviétiques, font partie d'un ensemble de 300 000 combattants qui doit lancer une série de coups pour désorganiser le dispositif allemand. Juin, en particulier, a suggérer d'attaquer par la gauche, via les monts Aurunci, plutôt que dans la vallée du Liri, directement sur Cassino. Une opération d'intoxication vise à endormir la méfiance des Allemands. L'attaque démarre le 11 mai 1944, couverte par le feu de plus de 1 600 canons alliés.
Les Polonais montent à l'assaut de Cassino le 12 mai, face au 1. Fallschirmjäger Regiment. Ils subissent 4 000 pertes le premier jour mais les Allemands, eux aussi secoués, ne peuvent remplacer les leurs. Ils plantent le drapeau polonais au sommet le 17 mai, et ne réussissent pas seulement parce que les Allemands sont en train de se retirer : ils enterrent d'ailleurs 900 cadavres retrouvés dans les ruines après la bataille.
Dans la vallée, les Britanniques de la VIIIth Army jettent des ponts Bailey sur le Liri et, non sans mal, repoussent les vétérans allemands des trois batailles précédentes. La percée obtenue, Leese, qui commande l'armée, injecte de manière précoce ses réserves, pour rattraper les Français partis en avant sur sa gauche. Conséquence : des embouteillages énormes autour des ponts Bailey. Les Allemands, et en particulier les paras, font cependant payer chèrement chaque pouce de terrain conquis.
Le Ier corps canadien, à partir du 13 mai, va assurer la poursuite des défenseurs repliés de la ligne Gustav, enfoncée. Trois jours plus tard, la fin des embouteillages permet aux Canadiens de faire la jonction avec les Polonais, avec de lourdes pertes. Canadiens et Polonais s'attaquent ensuite à la ligne Hitler, bâtie en arrière de la ligne Gustav, et qui comprend notamment de très nombreuses tourelles de Panther fixes, les Pantherturm. Leese vient finalement à bout de la ligne Hitler et engage, fin mai, la 6th Armoured Division sud-africaine. Le but est maintenant de faire la jonction avec le VIth Corps sorti d'Anzio. Mais les Britanniques, s'ils ont percé dans la vallée du Liri, n'ont pas su anticiper la poursuite : un défaut déjà constaté à El Alamein.
C'est l'attaque française sur la gauche qui est la plus menaçante pour les Allemands. Le succès de Juin qui garantit le succès de Diadem. Préparé par l'artillerie, l'attaque commence le 11 mai. Bientôt le XIV. Panzerkorps de von Senger und Etterlin s'effondre, les Français occupent la position dominante du mont Maio, abandonné, et chassent les Allemands de Castelforte. La 88th Infantry Division américaine progresse à gauche des Français, qui mêlent astucieusement mouvements mécanisés, soutien d'artillerie et progression à pied et à l'aide des mules. C'est par cette trouée sur la côte que la jonction est faite avec les troupes sorties d'Anzio, le 25 mai. Clark réoriente alors la poussée du VIth Corps de Truscott, qui a pris la suite de Lucas, vers Rome. Ce faisant, les divisions allemandes ont le loisir de filer vers le nord. Rome est libérée, après avoir souffert des représailles suite aux attentats de la résistance contre les Allemands (massacre des Fosses Ardéatines en mars). Le 5 juin, à la veille du débarquement en Normandie, Clark peut célébrer son triomphe, de courte durée.
En réalité, depuis le début de l'année 1944, le front d'Italie est devenu secondaire, l'état-major allié préparant le débarquement dans le sud de la France, censé se dérouler en même temps qu'Overlord, mais retardé. Il ne semble pas avoir pris la mesure des possibilités offertes par le front italien. Dès la fin août 1944, les généraux alliés recommencent des attaques tactiques contre la ligne Gothique. Le nombre de divisions allemandes en Italie reste sensiblement le même jusqu'en mai 1945. Un des principaux mérites de la campagne, côté allié, aura été cependant d'apprendre aux différentes nationalités à collaborer ensemble. Cassino reste la bataille emblématique de la campagne d'Italie en raison de sa durée, de la controverse autour de la destruction du monastère et des pertes importantes. Certains participants à la bataille n'en recueillent pas les lauriers : ainsi les troupes françaises nord-africaines, marginalisées, ou les Italiens co-belligérants, l'armée étant dissoute en 1946, ou bien encore les Polonais, qui voient leur pays vassalisé par l'URSS. La bataille a pourtant fait l'objet d'une abondante littérature de la part des vétérans, mais pas d'un film. John Irvin, le réalisateur de Hamburger Hill, est en train d'en tourner un, en Pologne, sur la bataille de Cassino.
Le livre est construit à partir de documents d'archives et d'une bibliographie secondaire essentiellement anglo-saxonnes, avec quelques titres étrangers (les livres ou articles français sont peu nombreux et anciens, et pas forcément des meilleurs, comme les Militaria d'Y. Buffetaut). Assez descriptif, reposant sur de nombreux témoignages d'acteurs des "dix armées" qui donnent un caractère vivant au récit, le livre pèche parfois par manque d'analyse un peu plus fine et surtout par une construction un peu brouillonne : l'auteur fait des retours en arrière, ne respecte pas la chronologie des opérations, en privilégiant une approche "nationale" des contingents en présence et de leur intervention dans la bataille, côté allié. Il est par contre assez clair sur la controverse de la destruction de l'abbaye, alors qu'il est finalement peu prolixe, par exemple, sur le rôle important des Français -et pour cause, vu les sources. Enfin, on peut aussi regretter que les six cartes, plutôt bien faites, du livre, soient placés au début du livre et non au fil du texte, ce qui aurait été plus pratique pour suivre. En revanche, deux livrets photos accompagnent le récit.