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[Nicolas AUBIN] PRIGENT Alain, Histoire des Communistes des Côtes du Nord (1920-1945), St Brieuc, Chez l'auteur, 2000, 286 p.

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 Nicolas Aubin, qui m'avait déjà proposé une fiche de lecture sur un livre que j'avais précédemment commenté, fournit encore une fois un compte-rendu sur un autre ouvrage. Du coup, j'inclus sa présentation dans la page des collaborateurs ponctuels du blog, ici.


Avec cet ouvrage brossant l'histoire des communistes dans le département des Côtes du Nord entre 1920 et 1945, Alain Prigent, professeur dans le secondaire et militant communiste, s'est lancé un défi difficile : essayer de concilier démarche scientifique et œuvre de militant. Cette démarche est légitime, exercer un regard critique sur son passé étant le meilleur moyen de dépasser l'immobilisme dogmatique. Cette attitude intéresse également l'historien en lui ouvrant des perspectives de collaboration avec des communistes acceptant l'ensemble de leur passé. En outre, derrière ce voeu, nous notons une réelle volonté d'apaisement, l'auteur utilise régulièrement Communisme et Stéphane Courtois n'est pas traité en paria. Pour autant, cette démarche risquait de masquer une hagiographie locale en la cautionnant par un pseudo crédit scientifique. Qu'en est-il au final ?

Il faut saluer cette initiative d'une histoire au niveau local, détour indispensable pour cerner globalement le communisme et en particulier sa dimension sociétale. Le choix des Côtes du Nord se révèle ici judicieux. C'est un département rural longtemps réfractaire au communisme qui a connu une adhésion tardive mais décisive à partir des années trente surtout dans la région du Trégor. C'est un département breton, ce qui pose les problématiques des relations entre communisme et régionalisme. Enfin, c'est la terre natale de Marcel Cachin ce qui introduit la question de l'influence des personnes dans les relations Centre-périphérie.

 

Pour étudier ce cadre privilégié, l'auteur a mobilisé l'ensemble de l'arsenal documentaire disponible : archives municipales et départementales, fonds privés de l'union départementale de la CGT, de la Bibliothèque Marxiste de Paris et du Centre d'Histoire du Travail de Nantes... Il ne manque que les archives de Moscou. Ainsi armé, Alain Prigent avait les moyens de ses ambitions.

L'auteur a pris le parti de nous proposer un récit chronologique, choix logique du fait du lectorat grand public ciblé. Alain Prigent cherche cependant à comprendre les causes de l'implantation communiste dans un département à l'origine rétif. L'auteur va même plus loin en voulant démontrer l'influence des directions locales dans la définition de la politique nationale, "on peut penser que les luttes menées dans le Trégor et dans le pays de Guingamp ont pesé lourd au plan national pour définir "l'innovation stratégique" du PCF en 1934" (p.11).

Récit donc, les chapitres égrènent les périodes dans le plus grand classicisme : le mouvement ouvrier avant 1914, le choc de la guerre, la scission, la bolchevisation, le Front populaire, la seconde guerre mondiale et ses conséquences sur le PCF en 44-45. Un dictionnaire biographique de plus de 1000 militants des Côtes du Nord clôt l'ouvrage de belle manière, c'est un outil déjà indispensable pour tout chercheur travaillant sur la Bretagne. Les chapitres concernant le Congrès de Tours et la bolchevisation se révèlent instructifs. On y découvre, grâce à l'étude de la correspondance entre 2 militants socialistes locaux Augustin Hamon et Paul Vaillant, les enjeux de la scission perçus par la base. On suit les vicissitudes d'un parti réduit à quelques unités qui ne survit que de l'impulsion donnée par les descentes du Centre. Les années trente demeurent cependant la partie essentielle, correspondant à la rencontre entre le PCF et les masses (40 militants en 1930, 1850 en 1937). Selon l'auteur, "c'est la crise de la petite paysannerie qui offre au PCF l'occasion de relever la tête, [...] cette nouvelle orientation politique, accompagnée de pratiques plus unitaires, permet à ce parti qui pèse seulement 1% des voix dans le département de se lancer à la conquête des masses" (p. 11). Dans la région du Trégor où le PCF est inexistant, la résistance aux ventes-saisies est initiée par les nationalistes bretons en 1932, relayée par les socialistes puis récupérée par les communistes suite à l'injonction donnée par les délégués de la direction centrale. Le parti va alors participer aux comités paysans aux côtés des socialistes et des régionalistes. Plus actifs, sachant s'adapter aux attentes (l'Internationale est chantée en breton), profitant d'une SFIO portée plus à gauche que dans le reste du pays, les communistes décollent. Malheureusement l'auteur reste elliptique sur les causes de cet essor. En particulier, on eut souhaité plus de détails sur les pratiques concrètes de luttes contre les ventes-saisies, sur la réception de cette nouvelle politique dans un parti essentiellement ouvrier, sur les moyens d'influencer des paysans pour un parti absent des campagnes ou sur l'acculturation politique des ruraux.

Malheureusement pour le reste, cet ouvrage se révèle décevant pour quatre raisons.

Tout d'abord, le récit en s'épuisant dans les descriptions des campagnes électorales, délite les analyses de fond. L'auteur aborde une foule de problèmes : spécificité de la culture bretonne, importance du catholicisme dans ce milieu rural, relations avec la SFIO, influence de Marcel Cachin et rapports Centre-périphérie, mais il n'en traite aucun. L'ensemble se révèle superficiel. Le lecteur doit seul tirer les conclusions. Des titres alléchants comme celui sur "les matrices d'adhésions" (p. 77) masquent des passages décevants. Cet aspect est renforcé par l'absence de commentaire des documents fournis, par exemple cette pyramide des âges des communistes en 1939 (p. 132) révélant un parti dans la force de l'âge (entre 25 et 45 ans). Plus gênante est cette courbe des effectifs entre 1920 et 1940 (p. 133) qui annonce 700 militants en 1940 soit 1/7è du total national à l'heure du pacte germano-soviétique, de la répression et de la débâcle. L'importance de ce chiffre, qui laisse dubitatif, aurait mérité une référence et un commentaire.

Ensuite, il ne s'agit pas d'une histoire intérieure du PCF. Alain Prigent parle souvent des militants mais il ne les montre pas dans leur vie quotidienne : d'où viennent-ils, sont-ils du cru, pourquoi adhèrent-ils, suivent-ils les écoles du parti, comment s'organisent leurs vies tiraillées entre le militantisme, la vie familiale et la vie professionnelle...? Dans le même temps le PCF apparaît un bloc uni, l'auteur traite peu de l'organisation interne, il ne s'attarde pas sur les fractions et n'aborde pas les questions des luttes internes et des départs. Une description de la contre-société et de l'évolution de la culture politique communiste n'est qu'esquissée.

Les chapitres portant sur la seconde guerre mondiale n'évitent pas l'écueil hagiographique malgré une chronologie fine de l'activité communiste (propagande antivichyste et antigaulliste, connotation anti-allemande au printemps 1941, 1er sabotage en septembre 1942, 1ère exécution de soldat de la Werhmacht le 9 mars 1943). Il s'agit d'un simple récit des activités sans analyse. L'auteur parle sans chiffrer de "dommages considérables infligés à l'occupant" (p. 176), "d'état d'insurrection" (p. 178). L'interception le 29 juillet 1944 d'une colonne allemande devient "une bataille rangée" (p. 182) sans précisions, ni sur les effectifs, ni sur le combat lui-même. Il explique l'avance foudroyante de l'armée Patton en Bretagne par l'action de la résistance en omettant les deux causes principales, le fait que le repli de l'armée allemande se transformait en débâcle après sa défaite en Normandie et l'ordre reçu de se fortifier dans les Festungs côtiers. L'auteur ne distingue donc pas entre la portée militaire quasi nulle et la portée symbolique essentielle du sacrifice des communistes. Les différences entre la stratégie attentiste gaulliste et l'action immédiate communiste sont présentées simplement comme une forme de lutte des classes : "l'entrée sur la scène de l'Histoire du peuple lui-même, et qui de surcroît s'investit dans la lutte armée, a bien entendu de quoi empêcher certains de dormir" (p. 178). Ici le militant prend nettement le pas sur le scientifique.

Sur la méthode, l'auteur, malgré son abondante bibliographie, s'appuie essentiellement sur des sources imprimées (publications communistes et socialistes), leur accordant un crédit parfois trop généreux, oubliant de les critiquer, confondant propagande et volonté politique et ne définissant pas un vocabulaire pourtant polymorphe telles les notions de démocratie ou d'unité. Il glisse sur certains sujets évitant les questions qui fâchent. Surtout, en omettant de comparer son objet d'étude avec d'autres régions (par exemple le sud-ouest pour les mouvements paysans), Alain Prigent s'interdit toute conclusion générale et garde un regard uniquement local.

Au final, l'auteur n'a qu'imparfaitement réussi son défi. Le livre apparaît trop sage et malheureusement superficiel. Reste le récit d'une fédération communiste qui contentera les militants communistes locaux, les amateurs d'histoire de la Bretagne et les chercheurs en quête d'exemples ponctuels.


Nicolas Aubin

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