Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.
A la fin de l'année 2012, et contrairement à l'image véhiculée par les médias, le régime de Bachar el-Assad est loin d'avoir été mis sur le tapis. Il contrôle encore une bonne partie de l'économie de la Syrie, les infrastructures de transport et les zones de production d'hydrocarbures. Le conflit s'articule désormais sur les structures traditionnelles du clan et de la communauté. Les minorités soutiennent le régime, en particulier les alaouites qui seront les principaux perdants en cas de chute de Bachar el-Assad. La rébellion se nourrit des classes populaires sunnites mais la bourgeoisie est favorable au régime. Quant aux Kurdes, ils cherchent à créer un Etat autonome en profitant des concessions faites par un Bachar el-Assad affaibli, préférable dans leur cas à une domination sunnite plus forte.
A la fin de l'année 2012, et contrairement à l'image véhiculée par les médias, le régime de Bachar el-Assad est loin d'avoir été mis sur le tapis. Il contrôle encore une bonne partie de l'économie de la Syrie, les infrastructures de transport et les zones de production d'hydrocarbures. Le conflit s'articule désormais sur les structures traditionnelles du clan et de la communauté. Les minorités soutiennent le régime, en particulier les alaouites qui seront les principaux perdants en cas de chute de Bachar el-Assad. La rébellion se nourrit des classes populaires sunnites mais la bourgeoisie est favorable au régime. Quant aux Kurdes, ils cherchent à créer un Etat autonome en profitant des concessions faites par un Bachar el-Assad affaibli, préférable dans leur cas à une domination sunnite plus forte.
L'opposition
est divisée. Si les Frères Musulmans dominent la représentation
extérieure, les groupes salafistes s'imposent de plus en plus à
l'intérieur. L'Armée Syrienne Libre1,
forte de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, est séparée en
factions rivales et ses soutiens étrangers, Arabie Saoudite et Qatar
essentiellement, sont eux-mêmes rivaux. La rébellion n'applique pas
vraiment de stratégie coordonnée à l'ensemble du pays. Les zones
libérées, en particulier rurales, restent exposées aux raids
aériens et à des contre-offensives terrestres. Militarisée à
l'automne 2011, l'insurrection s'est d'abord concentrée sur Damas et
Homs, partant des campagnes sunnites avant de gagner les villes par
les quartiers périphériques de même confession. Mais plutôt de
manière spontanée qu'organisée. Le régime a au départ réagi
modérément car Bachar el-Assad craignait, probablement, une
intervention étrangère. Ce n'est qu'à l'été 2011 que l'armée
syrienne s'engage plus franchement contre les insurgés. Le régime a
ensuite fait le choix de réserver sa masse de manoeuvre, limitée,
pour défendre une Syrie « utile » (la bande
côtière, l'axe Damas-Homs) en abandonnant les campagnes trop
exposées. L'aviation est utilisée pour empêcher les rebelles de
s'organiser dans les zones conquises. Il s'agit aussi de verrouiller
les frontières pour ensuite partir à la reconquête des bastions
rebelles. La guerre civile semble, fin 2012, s'installer dans la
durée : la stratégie de contre-insurrection initiale du régime
ne lui a pas permis d'éliminer la rébellion mais celle-ci n'est
toujours pas en mesure de l'emporter.
Le
contexte stratégique du conflit syrien
Il
est déterminé par plusieurs dominantes2.
La première est le contrôle des routes, des voies de communication.
L'autoroute M4 relie Alep à la bande côtière au nord ;
l'autoroute M5 relie Alep à Damas. Ce sont ces deux routes qui sont
l'enjeu de combats stratégiques. C'est pourquoi l'Armée Syrienne
Libre, par exemple, combat de mars à novembre 2012 à Saraqeb qui
est à la jonction de ces deux autoroutes. La plupart des
affrontements autour d'Alep a d'ailleurs lieu à proximité de
l'autoroute M5 : prise de la base aérienne de Taftanaz, capture
de la base du 46ème régiment à Atareb, bataille de Maarat al
Nu'man, siège de Wadi al Deif. Juste avant la chute d'Atareb en
novembre 2012, les rebelles s'emparent de l'hôpital Al Kindi qui
domine la portion de l'autoroute reliée à la Turquie et qui sert de
cache d'armes au régime. En contrôlant les routes, les rebelles
forcent le pouvoir à dépendre davantage du transport aérien,
susceptible d'être visé par des MANPADS.
Source : http://www.france24.com/static/infographies/carte_syrie_turquie/version02/images/carte_syrie_turquie_fr_v2.jpg |
La
deuxième dominante est le contrôle des frontières, comme le montre
le cas de la frontière libanaise. Homs et al-Qusayr sont des points
essentiels car ces deux villes relient la bande côtière alaouite à
Damas et au ravitaillement venant du Liban par la vallée de la
Bekaa. C'est pourquoi les combats n'ont quasiment pas cessé à Homs
et aux alentours depuis l'automne 2011. Bachar el-Assad n'hésite pas
à y engager des unités d'élite comme la 4ème division blindée.
On retrouve au nord comme au sud du pays cet enjeu autour des lignes
de communication ; mais là où les rebelles cherchent à
s'emparer d'Alep pour en faire leur capitale au nord, ils veulent
isoler Damas au sud et faire tomber la ville. Autour de la capitale,
les rebelles se heurtent à la 1ère division blindée qui protège
l'approche sud, à la 9ème division blindée qui contrôle la
portion d'autoroute vers la Jordanie, et à la 61ème brigade
d'infanterie qui stationne autour du Golan et de Deraa. La guerre en
Syrie a plus tendance à se livrer sur un axe nord-sud (Alep-Damas)
qu'est-ouest. L'insurrection tente d'ailleurs d'infiltrer la capitale
syrienne via les quartiers périphériques pour préparer un siège
en bonne et due forme.
Conflit
de basse intensité, la guerre en Syrie évolue progressivement vers
une forme hybride, qui incorpore à la fois des éléments de guerre
conventionnelle ou irrégulière, le terrorisme, une violence assumée
contre les civils, etc3.
Depuis février 2013, il semblerait que les rebelles reçoivent
davantage d'armement via la frontière avec la Jordanie et la
province de Deraa. Ont été aperçus des lance-roquettes antichars
RPG-22, des lance-roquettes M79 Osa, des canons sans recul
M60, des lance-grenades Milkor. Des RPG-75 auraient été
entre les mains des rebelles à Alep. La présence de MANPADS FN-6
chinois est avérée, de même que celle de roquettes françaises
SNEB de 68 mm avec leurs pods de lancement Matra.
L'enjeu
du conflit est donc bien de contrôler les artères vitales de
communication et les zones frontalières. Pour faire tomber la
capitale, Damas, les rebelles doivent l'isoler en coupant la route
Alep-Damas et celle menant à la bande côtièr -d'où l'importance
de Homs-, tenir les zones frontalières et empêcher ou du moins
perturber sérieusement le ravitaillement par air. C'est pourquoi
l'armée de l'air syrienne, qui contrôle aussi les hélicoptères et
qui a été relativement favorisée sous le règne du clan Assad, est
un élément crucial du conflit. La supériorité aérienne du régime
lui permet de ravitailler les postes isolés et de frapper les
rebelles dans les secteurs perdus. Pour défaire Bachar el-Assad,
l'opposition devra aussi éliminer le noyau d'élite de l'armée, et
ce d'autant plus que les défections ne seront plus abondantes en
raison de la tournure de guerre civile prise par le conflit.
La
chute d'al-Raqqa
Le
4 mars 2013, les rebelles syriens s'emparent d'al-Raqqa, la première
capitale provinciale à être tombée entre leurs mains depuis le
début de l'insurrection4.
L'offensive est pilotée par les groupes salafistes dont l'importance
grandit au sein de la rébellion. La chute de la ville affaiblit
encore le dispositif du régime dans l'est de la Syrie, désormais
limité aux environs de la base aérienne de Deir es-Zour et de
quelques avant-postes dans le nord-est kurde. Avec plus de 200 000
habitants, al-Raqqa était la sixième ville de Syrie avant la
guerre, mais celle-ci, par l'apport de réfugiés, l'a gonflée à
plus de 800 000 habitants. La province avait été relativement
épargnée par le conflit jusqu'ici. Il faut dire que les autorités
tribales de la province étaient pro-Assad et avaient collaboré avec
le régime pendant deux ans. Ce dernier a livré des armes aux
autorités et n'a maintenu sur place que la 93ème brigade de la
17ème division de réserve, une unité qui est l'un des parents
pauvres de l'armée syrienne.
Source : http://www.understandingwar.org/sites/default/files/SyriaUpdate_3-15-13_map.png |
L'offensive
rebelle, qui commence le 11 février 2013, dure moins d'un mois,
puisque la ville tombe le 4 mars. Les rebelles s'assurent rapidement
du rétablissement de l'ordre, collaborent avec les autorités
locales pour garantir l'approvisionnement de la population et
instaurent même des tribunaux pour la justice. Les vainqueurs ne
s'en prennent pas aux autorités locales mais exécutent, parfois en
public, certains membres des forces de sécurité et détruisent
aussi des lieux de culte chiites. Le régime syrien, plutôt que de
chercher à porter secours aux troupes assiégées, a multiplié les
frappes aériennes à partir de janvier 2013 et davantage encore
après la chute de la ville en mars.
Les
succès de la rébellion au sud
La
rébellion conquiert, début 2013, de vastes portions du territoire
syrien dans les régions de Kuneitra et de Deraa, frontalières du
Golan et de la Jordanie5.
Ces opérations montrent la coordination étroite entre les
mouvements rebelles et la capacité à tirer les leçons des échecs
précédents contre le régime.
Source : http://www.understandingwar.org/sites/default/files/Syria%20Map-JD.jpg |
La
brigade des Martyrs du Yarmouk a été largement impliquée dans
cette offensive. Après avoir tenu la ville de Jaml, elle attaque un
complexe du renseignement militaire près de Shagara. Sa chute aurait
affaibli le régime et les shahibas qui, à partir de ce
point, rayonnaient sur la ville. Trois jours plus tard, le 20 mars,
la brigade intervient lors d'une opération au nord du Golan. Le 23
mars, elle capture la base de la 38ème division de défense aérienne
sur l'autoroute Amman-Damas. Aidée par le front al-Nosra6,
la brigade récupère des stocks d'armement dont des missiles Cobra
de l'armée de l'air.
Le
29 mars, la brigade Fajr al-Islam, de l'Armée Syrienne Libre, dirige
un groupement rebelle qui s'empare de la ville de Dael, sur la route
Deraa-Damas. Les rebelles contrôlent alors pas moins de 25 km de
frontière avec Israël, qui n'a pas hésité à répliquer en cas de
tirs dirigés au-delà de la frontière. Le long de la frontière
avec la Jordanie, la brigade Fajr al-Islam, renforcée par la brigade
Moataz Billah, a également mis la main sur des postes frontaliers.
Le régime n'a cependant pas baissé les bras dans la province de
Deraa. Comme elle est frontalière d'Israël, celle-ci dispose,
historiquement, de davantage de troupes. La 61ème brigade mécanisée
est basée près de Nawa, l'armée contrôle encore la base aérienne
de Suwayda et la ville de Deraa. Comme au nord, les rebelles
cherchent à isoler les installations du régime en attaquant leurs
lignes de communications, en nettoyant ensuite les postes avancés,
avant de conduire des attaques concentrées.
L'armée
syrienne brise le siège de Wadi al-Deif
Le
14 avril 2013, le régime lève le siège de Wadi al-Deif, assiégée
depuis six mois, et du complexe militaire d'Hamidiya, autour de la
ville de Maarat al-Numan7.
Ce qui lui permet de redéployer ses forces plus au nord,
particulièrement l'aviation, engagée dans le ravitaillement de ces
deux postes assiégés. L'échec de la rébellion marque les limites
de ses capacités militaires et le choix fait par le régime de
concentrer ses forces sur un certain nombre d'endroits stratégiques.
Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/wadi-map-large.gif |
Le
siège avait commencé en octobre 2012, alors que la ville de Maarat
al-Numan était tombée. Les deux places tenues par le régime sont
alors régulièrement attaquées par les rebelles, dont les assauts
sont coordonnés par le front al-Nosra, qui dirigent les forces du
conseil militaire de la province d'Idlib. Mais des dissensions
éclatent entre les bataillons locaux et les brigades plus
importantes, le front al-Nosra part combattre dans les provinces
d'al-Raqqa et d'Hasaka, et l'approvisionnement en armes et en
munitions devient déficient.
Le
régime avait choisi, faute d'effectifs, de se cantonner à Alep et
Idlib dans le nord et de maintenir des postes avancés ravitaillés
par air, l'aviation servant aussi à harasser les rebelles et à
frapper les centres urbains perdus. Le ravitaillement aérien n'est
pas sans danger puisqu'un hélicoptère est abattu au-dessus de Wadi
al-Deif le 11 avril 2013. Cependant, l'épisode montre bien que les
rebelles, s'ils peuvent aligner des effectifs importants, ne peuvent
l'emporter que quand la cohésion règne à l'intérieur de leurs
rangs. Si leurs forces sont trop étirées, ils ne peuvent venir à
bout des places défendues par le régime. D'autant que celui-ci
utilise abondamment l'atout aérien.
La
reconquête d'al-Qusayr
Avec
l'aide de centaines de combattants du Hezbollah, d'Iran et
d'Irak, Bachar el-Assad marque un de ses plus beaux coups depuis le
début du conflit en reprenant à la rébellion le contrôle de la
ville d'al-Qusayr, dans la province de Homs, elle-même un enjeu
stratégique de par sa position géographique8.
Le régime sécurise ainsi ses lignes de communication entre Damas et
la côte et empêche la capitale d'être isolée9.
On constate d'autant plus de progrès qu'une première offensive
avait été repoussée en mars, notamment parce que les rebelles
étaient ravitaillés via le Liban.
Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/mapBlankMarch.png |
L'offensive
de l'armée, commencée en mai, débouche finalement à la mi-juin.
La chute d'al-Qusayr est un tournant car elle permet au régime de
renforcer sa position dans la province de Homs pour se retourner
contre les bastions rebelles au nord et à l'est. Par ailleurs, la
bataille montre l'internationalisation du conflit avec, notamment, la
participation de nombreux combattants du Hezbollah en soutien
de l'armée syrienne.
La
bataille a fait rage à Homs depuis décembre 2012, après le siège
de février-mars où l'armée avait chassé la rébellion de la
ville. Les rebelles parviennent à réinvestir le quartier de Babr
Amr, notamment grâce aux renforts provenant d'al-Qusayr. Dès le
mois de mars, les rebelles signalent la présence de combattants du
Hezbollah autour d'al-Qusayr, mais en octobre 2012, un
dirigeant de l'organisation y avait déjà trouvé la mort. Au mois
de mars 2013, c'est par unités entières que le Hezbollah
contribue à la bataille, forçant les rebelles à retirer des
troupes de Homs pour tenir leurs positions à al-Qusayr. L'armée
syrienne et le Hezbollah parviennent à isoler les rebelles
dans cette dernière ville pour les assiéger. Les milices pro-régime
nettoient les environs de la cité pour les couper de l'extérieur,
puis l'armée achemine des renforts de Deraa et Damas.
Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/mapBlankMay.png |
Début
mai, l'armée (des unités de la Garde Républicaine), le Hezbollah
et les milices des Forces Nationales de Défense entrent dans
al-Qusayr. Le régime emploie massivement l'artillerie et l'aviation.
Pas moins de 20 brigades rebelles participent au siège : les
brigades Farouq, la brigade al-Haqq, le bataillon Mughaweer, les
brigades Wadi, le bataillon de Quassioun et celui d'Ayman. Le front
al-Nosra est également présent mais son influence diminue après la
mort d'un de ses chefs, Abu Omar. Au départ, les rebelles tiennent
bon et repoussent le Hezbollah qui subit de lourdes pertes.
Les armes viennent du Liban et sont acheminées via Homs, et des
renforts arrivent d'Alep et d'al-Raqqa. Ces renforts, installés dans
les districts de Ratan et Talbissa, attaquent en particulier les
convois gouvernementaux. La brigade Tawhid arrive d'Alep, le
bataillon Nasr Salahaddin d'al-Raqqa et la brigade Usra de Deir
al-Zour. Pour disposer de davantage d'infanterie, l'armée syrienne
pioche dans la Garde Républicaine à Damas et dans les 3ème et 4ème
divisions.
Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/mapBlankJune.png |
Fin
mai, avec l'aide du Hezbollah, l'armée reprend le contrôle
de la base de Dabaa et d'une bonne partie du sud d'al-Qusayr. Elle
coupe les lignes de ravitaillement des rebelles qui se maintiennent
dans le nord, l'ouest et le centre. Un corridor permet cependant aux
défenseurs d'attaquer l'armée et ceux-ci sont bien retranchés,
ayant même creusé des tunnels. Le 3 juin, l'armée pilonne les
quartiers nord et y lance le Hezbollah, de façon à forcer
les rebelles, à court d'armes et de munitions, à s'exfiltrer par un
corridor laissé à leur disposition. L'armée syrienne a donc su
adapter ses tactiques et sa stratégie d'ensemble face à la
rébellion : le Hezbollah a joué un rôle de poids dans
la bataille et contribue d'ailleurs à la formation des milices
pro-régime. Bachar el-Assad engage désormais l'artillerie et
l'aviation, puis les miliciens du Hezbollah ou pro-régime,
enfin l'infanterie et les blindés. Cette tactique sera répétée à
plusieurs reprises pendant les combats suivants.
Le
rôle du Hezbollah
Le
Hezbollah a son propre agenda en ce qui concerne
l'intervention en Syrie, aux côtés de Bachar el-Assad. Certains
spécialistes pensent qu'il pourrait essayer de récupérer des
armements plus sophistiqués ou même de prendre pied sur le Golan
pour ouvrir un nouveau front contre Israël10.
Les miliciens du Hezbollah sont également intervenus plutôt
dans les régions syriennes où l'on trouve des populations chiites :
al-Qusayr, mais aussi la tombe d'Al-Set Zaynab, au sud de Damas, où
se trouve un important lieu de pélerinage. Le Hezbollah est
présent depuis 2012 mais son intervention massive dans la première
moitié de 2013, avec plusieurs milliers d'hommes, montre
probablement que les soutiens extérieurs de Bachar el-Assad
craignaient une défaite. Le Hezbollah intervient d'abord pour
former les forces de sécurité syriennes aux techniques qu'il
maîtrise depuis longtemps : guérilla, sniping,
sabotage, etc. En outre, il collabore à l'oeuvre de renseignement du
régime et sécurise la frontière avec le Liban. Dès l'été 2012,
le Hezbollah prend en charge l'encadrement des milices
alaouites ou chiites, de concert avec l'Iran. Ce sont peut-être 50
000 miliciens qui ont ainsi été formés par le Hezbollah.
Ces miliciens sont engagés dans la région côtière, près de
Lattaquié notamment, et autour de Damas, dans les faubourgs, comme
celui de Zabadani.
Le
19 mai 2013, le Hezbollah est partie prenante, à hauteur de
plusieurs milliers d'hommes, dans l'assaut contre la ville
d'al-Qusayr, où vit une importante minorité chiite. La ville a
surtout connu alors des échanges de tirs d'armes légères, des
poses d'engins explosifs improvisés ou des tirs d'artillerie et
raids aériens du régime. A Damas, sur la tombe Al-Set Zaynab, des
attentats ont lieu dans la seconde moitié du 2012. Mais début 2013,
les groupes salafistes appellent à la destruction des lieux saints
chiites, provoquant une nouvelle vague de violence. Le 2 avril 2013,
le front al-Nosra capture le commandant d'une brigade chiite formée
pour protéger le site. Cette brigade, composée de beaucoup
d'Irakiens, a été formée par le Hezbollah. Au moins 20
combattants de l'organisation ont trouvé la mort dans ces combats ;
en tout, il y a peut-être 250 hommes du Hezbollah dans ce
secteur. Au moins de juin 2013, le Hezbollah a probablement
perdu plus de 100 tués en Syrie, la plupart au siège d'al-Qusayr
(baptisé par certains le « hachoir à viande »),
dont plusieurs responsables importants.
La
bataille d'Alep
Après
la victoire d'al-Qusayr, le régime syrien redéploie ses forces dans
la province d'Alep, de façon à prolonger son succès dans le nord11.
L'armée vise en particulier à déloger les rebelles des alentours
de la base aérienne de Minnakh, au nord d'Alep, ce qui permettrait
d'isoler les bastions rebelles d'Idlib et d'al-Raqqa. Dès le 2 juin,
l'armée entame sa campagne dans la province d'Alep avec des milliers
de combattants du Hezbollah, sans consolider sa présence à
al-Qusayr. Bachar el-Assad cherche manifestement à capitaliser sur
son succès mais la stratégie a aussi ses limites, car l'apport du
Hezbollah n'est pas inépuisable et l'armée manque toujours
d'une masse de manoeuvre suffisante pour à la fois former des
garnisons et reprendre les fiefs rebelles.
Source : http://www.understandingwar.org/sites/default/files/Aleppo%20Map%20graphic.png |
L'opération
Tempête du Nord suit la même stratégie qu'à Wadi al-Deif
et à al-Qusayr. L'armée expédie par air des renforts dans la base
de Minnakh pour briser l'encerclement. En cas de victoire, elle
pourrait pousser au sud sur l'autoroute menant à Alep, ville qui
serait dès lors menacée d'être investie par le nord et par le sud.
Comme précédemment, le régime commence par faire nettoyer les
environs de la base par des irréguliers ou des combattants
étrangers.
Les
villes de Nebul et Zahra ont une importance cruciale car elles
peuvent servir de points de concentration contre Alep. En outre,
elles se trouvent sur l'autoroute Alep-Minnakh qui mène en Turquie.
Les prendre signifie couper l'approvisionnement des rebelles à Alep.
Enfin, dégager la base aérienne de Minnakh permettrait à
l'aviation syrienne d'intervenir plus facilement au-dessus de la
ville. Nebul et Zahra sont défendus par les Comités de défense
populaire, les milices armées par les minorités, soutenues par le
régime et encadrées par l'Iran. L'ensemble est renforcé par des
miliciens alaouites des Forces de Défense Nationale, tandis que près
de 2 000 combattants du Hezbollah se regroupent dans le
secteur pour l'assaut. Les rebelles doivent en outre affronter les
Kurdes des Unités de Protection Populaire (YPG) qui pactisent avec
le régime.
Retour
à Homs
Fin
juin 2013, n'ayant pu emporter la décision dans la province d'Alep,
l'armée syrienne se retourne contre Homs12.
Le résultat montre les difficultés du régime, qui lance des
campagnes séquentielles sans pause opérationnelle, et ses problèmes
à alimenter en parallèle plusieurs offensives simultanées sur la
durée, à Alep, Homs ou Damas.
Après
deux jours de bombardement de la ville, l'armée régulière, appuyée
par les miliciens du Hezbollah, pénètre dans Homs. Comme de
coutume, le régime a procédé au nettoyage des environs avant de se
lancer à l'attaque de la cité. En manoeuvrant pour mettre le siège
devant Alep, l'armée syrienne a en fait permis aux rebelles de
rouvrir une voie de ravitaillement en provenance du Liban pour
poursuivre le combat à Homs, après la chute d'al-Qusayr. Les
survivants du siège ont réussi à se regrouper dans les alentours
de la ville, profitant du départ des miliciens du Hezbollah
et des Forces Nationales de Défense vers Alep. Tal Kalak en
particulier devient le lieu de rassemblement des combattants et des
armes. Pourtant, les rebelles concluent un accord avec le régime,
pressés par la population, qui craint des destructions dans une
attaque et l'emploi de l'arme aérienne, pour évacuer les lieux.
Source : http://www.understandingwar.org/sites/default/files/Homs-Update-Map.gif |
Le
29 juin, l'aviation syrienne commence le bombardement de Homs.
L'artillerie et les chars prennent le relais deux jours plus tard
avant l'entrée des troupes dans la ville. Les rebelles doivent faire
face à ce qui est probablement la plus violente offensive de l'armée
sur place depuis le début du conflit, soutenue par le Hezbollah
et des irréguliers irakiens. Le régime cherche à prendre le
contrôle de cette cité stratégique et à consolider sa mainmise
pour un nettoyage de la province d'Alep. Afin d'empêcher les
réfugiés sunnites de se résintaller, Bachar el-Assad a encouragé
les alaouites à venir peupler les zones occupées de la province,
que l'armée ceinture par des barbelés, de barricades et des champs
de mines. C'est la stratégie inverse du siège de février-mars 2012
où l'armée tentait de reprendre d'abord le contrôle des espaces
urbains, sans s'intéresser davantage aux environs ruraux des grandes
villes.
La
bataille de Damas
L'opposition
au régime est pourtant capable de relancer le combat à Damas, la
capitale, et d'infiltrer de nouvelles zones, preuve que le pouvoir
est incapable d'écraser militairement la rébellion en dépit de
l'aide extérieure de ses alliés13.
Le
24 juillet 2013, les rebelles attaquent dans la capitale à partir de
Jobar, et parviennnent même à s'emparer d'une installation du
régime. Ils prennent une des centrales électriques et pilonnent à
la roquette artisanale un centre de réparation des chars au sud du
Qaboun. A Barzeh, les rebelles progressent vers l'académie militaire
et dans la zone des bâtiments commerciaux. Ils parviennent à
s'approcher du ministère de la Défense et du club des officiers,
des zones réputées alors comme infranchissables.
Source : http://www.understandingwar.org/sites/default/files/Damascus-Aug2013_0.jpg |
Le
26 juillet, l'aviation pilonne tous les quartiers où les rebelles
ont avancé, mais le lendemain, la contre-attaque au sol est bloquée.
Les pertes sont lourdes des deux côtés. C'est la première fois que
les rebelles arrivent à progresser simultanément dans trois
quartiers différents de la ville tout en maintenant la pression
autour de l'aéroport international de Damas et de celui de Mazzeh.
Carte animée : comprendre la bataille de Damas...par lemondefr
Carte animée : comprendre la bataille de Damas...par lemondefr
Pour
mieux coordonner les actions à Jobar, Qaboun et Barzeh, les groupes
rebelles se sont fondus dans le Jabhat Fatah al-Asima, ou « front
pour ouvrir la capitale ». Ce front comprend 23 bataillons
dont le fameux bataillon Farouq al-Sham et la brigade Habib Moustafa.
D'un mouvement clandestin, opérant dans l'ombre pour échapper au
régime, la rébellion se fait plus massive et aussi plus visible.
Parallèlement
les attaques continuent contre les autres endroits stratégiques de
la ville, menées par la brigade Ahrar al-Sham. Le 25 juillet, une
bombe explose près de la prison militaire de Mazzeh, suivie par une
attaque contre l'aéroport. La base aérienne est attaquée depuis un
an, mais c'est seulement récemment que les rebelles ont pu mettre la
pression sur les unités militaires stationnées à proximité. Le
régime réagit cependant. Le 7 août, les forces de sécurité
prennent en embuscade un convoi à Adra, entre Damas le faubourg est
de Ghouta : plus de 60 rebelles sont tués.
Début
août, les rebelles du Liwa al-Islam, du bataillon Mughaweer et du
bataillon des martyrs de Qalamoun s'emparent d'un dépôt de
munitions dans le village de Qaldoun. Ils mettent probablement la
main sur des armes antichars qui servent, quelques jours plus tard, à
détruire une colonne de blindés sur la route de l'hôpital de
Barzeh. Par la suite, une vidéo montre un groupe associé à Ansar
al-Islam utiliser des lance-missiles antiaériens portables SA-16
à Ghouta. Ces armes plus sophistiquées aident les rebelles à tenir
plusieurs positions à Damas.
Liwa
al-Islam, une des brigades les plus importantes de la région de
Damas, a même employé des SA-8. Les deux premiers véhicules ont
été capturés en octobre 2012 avec 6 missiles. Il a fallu presque
une année pour les remettre en état tout en accroissant le stock de
missiles par des prises. Le 29 juillet, les SA-8 auraient abattu un
hélicoptère de l'armée. Les experts pensent qu'il est impossible
d'avoir relancé ces systèmes sans assistance extérieure ou de
personnels ayant servi les engins.
Le
régime conserve la main dans la zone côtière
Comme
le montre la bataille de Lattaquié, le pouvoir a su, dans la zone
côtière, combiner l'emploi de milices paramilitaires et de
l'aviation pour circonscrire la menace rebelle14.
Le 4 août, les rebelles lancent l'opération « Libération
de la côte », une offensive contre la montagne au nord de
Lattaquié à partir du village de Salma. Près de 2 000 combattants
sont engagés.
Source : http://www.understandingwar.org/sites/default/files/Latakia-Map.jpg |
L'offensive
est pilotée par des groupes locaux soutenus par le front al-Nosra et
l'Etat islamique d'Irak et d'al-Sham, ce qui montre par ailleurs le
poids grandissant des groupes salafistes dans la rébellion face aux
groupes séculiers. Lattaquié et la côte ont été relativement
épargnées par la guerre : dès 2011, le régime y a écrasé
les manifestants sunnites et a déplacé cette population, contrôlant
le terrain grâce à des milices recrutées dans les population
alaouites ou chrétiennes dominantes. L'arrivée de 70 000 réfugiés
a cependant augmenté la population sunnite et l'Armée Syrienne
Libre a réussi à maintenir une présence sur place depuis l'été
2012. La zone au nord de Lattaquié est occupé par plusieurs groupes
radicaux.
Le
4 août, l'offensive rebelle s'empare d'une dizaine de villages et
approche à moins de 20 km du village natal des Assad, Kardaha. Deux
jours plus tard, l'armée contre-attaque et affirme avoir repris
quasiment toutes les positions le 18 août. Les rebelles avaient
compté sur la connaissance du terrain montagneux et découpé par
les groupes locaux, soutenus par les connaissances tactiques et le
potentiel des groupes salafistes. Le régime, contrairement aux
autres batailles importantes du conflit, se repose ici
essentiellement sur les groupes paramilitaires qui doivent tenir ou
reprendre les villages pour empêcher les rebelles de s'infiltrer
jusqu'à Lattaquié. Ces miliciens sont sontenus par l'aviation.
L'armée n'a pas besoin d'engager d'effectifs supplémentaires.
Cependant, l'offensive rebelle montre la capacité grandissante des
groupes salafistes qui ont pris l'ascendant dans ce secteur sur
l'Armée Syrienne Libre dès le mois de juillet.
L'année
2013 aura donc vu la guerre civile se poursuivre dans un schéma de
basse intensité, mais l'on assiste de plus en plus à la
fragmentation du pays en plusieurs parties bien distinctes15.
Le régime contrôle la bande côtière alaouite, coeur du pouvoir,
et une zone moins solide qui va de Damas à Homs, disputée par les
rebelles. La base navale de Tartous permet à Bachar el-Assad de
recevoir un flux logistique en provenance de Russie. Les rebelles,
eux, contrôlent une zone en arc de cercle adossée à la frontière
turque et irakienne, organisée autour d'Alep et des provinces nord
et est. Les Kurdes, enfin, contrôlent une partie du nord-est qui
touche à la frontière irakienne. Bachar el-Assad a su rebondir en
2013, notamment grâce à l'intervention du Hezbollah, comme
le montre la victoire d'al-Qusayr. Cependant, il n'a pas été en
mesure de pousser plus loin son avantage, même si l'affaiblissement
supposé de la rébellion face au regain du régime à pousser les
puissances occidentales à hausser de nouveau le ton contre le régime
dès la fin août 2013. A long terme, on peut se demander si Bachar
el-Assad peut tenir face à l'insurrection, alors qu'à moyen terme,
il est probable que sauf changement majeur, la guerre perdure dans sa
configuration actuelle.
Bibliographie :
« Hezbollah
Involvement in the Syrian Civil War », The Meir Amit
Intelligence and Terrorisme Information Center, 17 juin 2013.
René-Éric
Dagorn, « La Syrie déchirée : vers une tripartition ? »,
Sciences Humaines, 11 septembre 2013.
Jonathan
Dupree, « Syria Update: The Southern Battlefronts »,
Institute for the Study of War, 5 avril 2013.
Jonathan
Dupree, « Syria Update: Regime Breaks Siege of Wadi al-Deif »,
Institute for the Study of War, 18 avril 2013.
Liam
Durfee, Conor McCormick, Stella Peisch, « The Battle for
Aleppo », Institute for the Study of War, 13 juin 2013.
Joseph
Holliday, « The Opposition Takeover in al-Raqqa »,
Institute for the Study of War, 15 mars 2013.
Can
Kasapoğlu et F. Doruk Ergun, The Syrian Civil War : A Military
Strategic Assessment, EDAM Discussion Paper Series 2013/6, 2 mai
2013.
Can
Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and
Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin
2013.
Isabel
Nassief, « Regime Regains Ground on the Coast »,
Institute for the Study of War, 22 août 2013.
Elizabeth
O'Bagy, « Syria Update: The Fall of al-Qusayr »,
Institute for the Study of War, 6 juin 2013.
Elizabeth
O'Bagy, « The Syrian Army Renews Offensive in Homs »,
Institute for the Study of War, 5 juillet 2013.
Elizabeth
O'Bagy, « The Opposition Advances in Damascus »,
Institute for the Study of War, 9 août 2013.
1Une
quarantaine de généraux de brigade (sur 1 200) ont rejoint
l'insurrection, et un seul général de corps d'armée.
2Can
Kasapoğlu et F. Doruk Ergun, The Syrian Civil War : A Military
Strategic Assessment, EDAM Discussion Paper Series 2013/6, 2 mai
2013.
3Can
Kasapoğlu et F. Doruk Ergun, The Syrian Civil War : A Military
Strategic Assessment, EDAM Discussion Paper Series 2013/6, 2 mai
2013.
4Joseph
Holliday, « The Opposition Takeover in al-Raqqa »,
Institute for the Study of War, 15 mars 2013.
5Jonathan
Dupree, « Syria Update: The Southern Battlefronts »,
Institute for the Study of War,
5 avril 2013.
6Le
front al-Nosra, né en janvier 2012, est un groupe djihadiste qui
s'est rattaché à Al-Qaïda. Il est considéré comme un des
groupes rebelles les plus efficaces et les plus actifs.
7Jonathan
Dupree, « Syria Update: Regime Breaks Siege of Wadi al-Deif »,
Institute for the Study of War,
18 avril 2013.
8Elizabeth
O'Bagy, « Syria Update: The Fall of al-Qusayr »,
Institute for the Study of War,
6 juin 2013.
9Can
Kasapoğlu, The Syrian Civil War : Understanding Qusayr and
Defending Aleppo, EDAM Discussion Paper Series 2013/8, 28 juin
2013.
10« Hezbollah
Involvement in the Syrian Civil War », The Meir Amit
Intelligence and Terrorisme Information Center, 17 juin 2013.
11Liam
Durfee, Conor McCormick, Stella Peisch, « The Battle for
Aleppo », Institute for the Study of War, 13 juin 2013.
12Elizabeth
O'Bagy, « The Syrian Army Renews Offensive in Homs »,
Institute for the Study of War, 5 juillet 2013.
13Elizabeth
O'Bagy, « The Opposition Advances in Damascus »,
Institute for the Study of War, 9 août 2013.
14Isabel
Nassief, « Regime Regains Ground on the Coast »,
Institute for the Study of War, 22 août 2013.
15René-Éric
Dagorn, « La Syrie déchirée : vers une tripartition ? »,
Sciences Humaines, 11 septembre 2013.