Antony Beevor, ancien officier de l'armée britannique, est un historien spécialisé sur les conflits du XXème siècle, la Seconde Guerre mondiale en particulier. Il a été l'élève du grand historien John Keegan, disparu l'an passé. Il est connu en particulier pour les quelques ouvrages qu'il a consacrés au front de l'est, son Stalingrad et son Berlin. Je les ai pour ma part lus il y a longtemps, mais je m'en souviens comme d'une lecture qui avait suscité mon intérêt pour le sujet. Ceci étant dit, pour aussi vivant qu'il soit, le récit de Beevor n'est pas sans poser problèmes quant à la présentation et à l'interprétation des faits, notamment en ce qui concerne les violences commises par l'Armée Rouge en Allemagne en 1945, par exemple. L'historien avait le mérite d'en parler, car le sujet reste encore aujourd'hui difficile à aborder, surtout en Russie, mais je ne suis pas persuadé qu'il apportait les bonnes réponses, à l'époque (je vais relire d'ailleurs les deux ouvrages en question).
Ce pavé consacré au débarquement en Normandie et à la bataille consécutive, jusqu'à la libération de Paris, ne déroge pas trop au style d'Antony Beevor. C'est une longue description des événements depuis le 6 juin jusqu'au 25 août 1944. Le tout est précis et vivant par l'inclusion de nombreux témoignages, du côté allié ou du côté allemand. Les cartes, nombreuses et placées au fil du texte, permettent de suivre le déroulement des opérations. Le but est clairement de fournir au grand public une narration abordable de la campagne de Normandie, et l'objectif semble, de ce point de vue, atteint.
Pourtant, on ressort un peu désabusé de cette lecture. D'abord, les coquilles sont nombreuses dans le lexique militaire, sans que l'on puisse savoir si elles relèvent de la traduction (ça semble être le cas pour beaucoup) ou du texte original lui-même. Ensuite, Beevor se cantonne strictement à la narration sans proposer de questionnement véritable ou d'interprétation, sauf pour quelques cas très précis (sur 800 pages...), comme le problème du "battle fatigue" et du traitement des chocs post-traumatiques au combat. Il y a un très bon passage sur l'épisode des crimes de guerre commis par la Hitlerjugend contre les Canadiens (ou comment justifier des massacres en prétendant que l'adversaire a commencé et fait pareil, ce qui est au départ manifestement faux). Autre idée intéressante et un peu développée : celle selon laquelle les Alliés ont bien préparé le débarquement, mais pas la bataille de Normandie. Enfin, Beevor montre bien les conséquences terribles de la bataille sur la Normandie et la population française, qui ne sont pas épargnées et qui sauvent, par leur "martyr", le reste de la France des mêmes affres.
Il n'y a pas véritablement de problématique, ni même "d'historique", pour ainsi dire, de la conception de l'opération Overlord, Antony Beevor se contentant de démarrer son récit début juin 1944, avec parfois quelques petits retours en arrière -mais il fait pâle figure, côté allié en tout cas, avec l'ouvrage de l'historien français O. Wieviorka sur le débarquement en Normandie. Certains jugements, comme ceux portés sur les officiers généraux alliés, comme Montgomery ou Eisenhower, semblent un peu à l'emporte-pièces, insuffisamment étayés, comme si l'historien laissent le pathos dominer l'écriture. Il compare fréquemment la Normandie au front de l'est pour l'intensité des combats, mais la comparaison n'est pas suffisamment poussée pour être définitivement convaincante. C'est dommage car cela gâche un peu le fil d'un récit qui se lit bien.
Au final, c'est donc plutôt un livre destiné à des personnes qui ont quelque bases, souhaitant en savoir plus sur le débarquement et la campagne de Normandie. Les connaisseurs ou spécialistes n'y apprendront sans doute pas grand chose de neuf et pourront être un peu déçus, comme moi, du propos globalement descriptif. Ceci étant dit, c'est un pavé de vulgarisation qui a aussi son utilité, il ne faut pas le bouder.