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Philippe RICHARDOT, La fin de l'armée romaine 284-476, Bibliothèque Stratégique, Paris, Economica, 2005, 408 p.

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En 2005, Philippe Richardot, agrégé et docteur en histoire, livre la troisième édition de son ouvrage La fin de l'armée romaine (284-476) chez Economica. Cet ouvrage, paru initialement en 1998, comblait un manque. En effet, rares sont les historiens qui livrent des réflexions sur l'armée romaine des IVème-Vème siècles ap. J.-C., en particulier après le règne de Constantin. Or l'armée, qui a été au coeur de la grande crise du IIIème siècle, l'est aussi des événements qui conduisent à la chute de l'Empire romain d'Occident et à la survie de l'Empire romain d'Orient. L'historien insiste sur le rôle des deux empereurs Dioclétien et Constantin, qui selon lui relève de la même école de pensée. Le livre n'est sans doute pas la référence définitive sur le sujet, mais il est tout de même incontournable.

Le propos suit un plan thématique. Dans le premier chapitre, Philippe Richardot souligne la place de la fonction militaire chez les empereurs romains des IVème-Vème siècle, souvent eux-mêmes soldats de métier. On peut discuter en revanche de l'interprétation la "réforme" de Gallien, au IIIème siècle, qui écarte les sénateurs de la fonction militaire. En revanche, il est vrai que les empereurs du Vème siècle sont progressivement dépossédés de leur fonction militaire. En Occident, des généralissimes, souvent d'origine barbare, dirigent en sous-main les restes de l'Empire derrière un empereur fantoche ; en Orient, en revanche, des personnalités parfois plus fortes maintiennent la continuité.



Evoquant ensuite la chaîne de commandement, Philippe Richardot insiste sur l'importance des protecteurs domestiques, un véritable corps de cadets, selon lui. Il rappelle l'évolution de la hiérarchie militaire, des maîtres de la milice aux simples soldats, qui devient d'ailleurs de plus en plus floue, même si certains termes sont conservés par les Byzantins. Le chapitre suivant, sur la crise du recrutement, est un peu plus faible (bien que difficile) : si l'historien explique la démilitarisation progressive des Romains et la mise en place d'un recrutement héréditaire et fiscal, qui entraîne une importante désertion, les parties sur la composition sociale de l'armée ne sont pas assez développées.

Sur la question des effectifs, Philippe Richardot précise que ceux-ci restent encore importants pendant les guerres civiles de la Tétrarchie, jusqu'à la victoire de Constantin. Les unités ont ensuite un format plus restreint (500-1 000 hommes) et l'armée romaine ne compte plus sur le nombre mais sur la qualité opérationnelle des unités. Le IVème siècle voit encore de grandes armées de plusieurs dizaines de milliers d'hommes s'affronter lors des guerres civiles (Mursa, 351) ou encore plus importantes dans le cadre de grandes expéditions (Perse, 363). Au Vème siècle, l'armée d'Occident s'effondre et se trouve remplacée par des fédérés barbares, tandis qu'apparaissent des milices d'autodéfense, alors que l'armée d'Orient parvient à maintenir une armée régulière moins barbarisée. Les barbares comptent rarement plus de quelques dizaines de milliers de combattants et les seules armées massives auxquels doivent faire face les Romains sont celles des Perses Sassanides en Orient.

L'historien livre ensuite une traduction de la Notitia Dignitatum, malheureusement peu commentée, avant de revenir sur le choix d'une défense mobile. Les Romains hésitent entre l'arrêt des envahisseurs sur la frontière ou une nouvelle réponse, la défense en profondeur. Dioclétien opte pour la première solution, d'où le nombre important de fortifications construites sous son règne. Constantin ne néglige pas la défense en avant, mais occupé par les guerres civiles, il met aussi en place une défense en profondeur, choix entériné sur la fin de son règne. Celle-ci se maintient par la suite et la défense en avant disparaît progressivement. Le choix se prolonge par la bipartition de l'Empire dès 364, une stratégie qui prend le pas à partir de 395 au point d'entraver toute coopération efficace. L'étude de cas de la défaite romaine sur la frontière du Rhin en 388 montre cependant que les deux défenses mobiles, en avant et en profondeur, coexistent encore à la fin du IVème siècle.

Les frontières deviennent progressivement un lieu de surveillance et non plus de barrage contre les invasions : la tâche devient une fonction spécialisée mais elle prend des formes reflétant les différences géographiques de l'Empire. Le terme de garde-frontières apparaît dès 298 mais les mots évoluent au fil des siècles : ripenses/riparienses, limitanei, burgarii/castellani... Les fortifications, plus compactes, évoluent vers un modèle quasi médiéval. Le filtrage des razzias prévaut en Afrique du Nord et en Egypte. Le barrage choisi en Grande-Bretagne se révèle inefficace. Le double barrage sur le Tigre et l'Euphrate prouve en revanche son efficacité contre les Sassanides. On retrouve un barrage filtrant en Arabie et en Palestine, où les fédérés arabes jouent d'ailleurs un rôle de plus en plus grand, remplaçant parfois les limitanei. Le même principe sur le Rhin ne tient pas au Vème siècle, alors que celui sur le Danube, plus longue frontière terrestre de l'Empire, tient bon jusqu'au milieu du Vème siècle. En plus des flottilles fluviales sur les deux fleuves, la marine romaine doit mener la guerre contre les pirates francs puis saxons qui s'en prennent en particulier à la Grande-Bretagne.

Parallèlement, l'intérieur se couvre de fortifications, et d'abord dans les campagnes, en particulier à l'initiative des grands propriétaires terriens. Des lètes et des Sarmates, en particulier en Gaule, servent de garnison. Les Romains développent aussi des fortifications intérieures, comme dans les Alpes Juliennes ou dans les Pyrénées. Les villes se hérissent de remparts et autres moyens de défense. Rome est délaissée par les empereurs qui s'installent dans des cités plus proches des frontières, comme Trèves ou Sirmium. Au Vème siècle, la capitale de l'Occident est à Ravenne, et non à Rome, qui a perdu sa fonction politique et militaire. En Orient, après Antioche, c'est Constantinople qui s'impose, après sa fondation en 330, comme la nouvelle capitale de l'Empire, protégée par les imposantes murailles de Théodose II qui arrêteront tous les envahisseurs jusqu'en 1453.

En Méditerranée, la marine romaine n'assure plus, au IVème siècle, qu'une fonction de transport, rarement de combat. Au Vème siècle, les Vandales, après la capture de l'Afrique du Nord, bâtissent une véritable thalassocratie dont ni l'Occident ni l'Orient ne peuvent venir à bout. Il faudra attendre la campagne de Bélisaire sous Justinien pour que le royaume vandale soit vaincu. La logistique romaine est bien rôdée, même si le cantonnement des troupes chez l'habitant pose problème et que certaines campagnes, comme celles contre la Perse, dépassent, en fait, les capacités de l'Empire. Les camps sont encore bâtis au IVème siècle.

Les Romains portent aussi une grande attention au renseignement. La cartographie se développe. Les agentes in rebus font office de "police politique" de l'empereur. Les exploratores se chargent du renseignement stratégique, tandis que les speculatores, procursatores ou excursatores éclairent la progression de l'armée. Les interrogatoires de prisonniers n'hésitent pas à recourir à la torture puis à l'exécution. Mais le renseignement ne reste valable que lorsqu'il est recoupé, ce qui n'est pas toujours le cas et entraîne parfois des défaites côté romain.

La poliorcétique est encore très présente au IVème siècle : les sièges les plus impressionnants opposent les Perses aux Romains ou les Romains entre eux, à l'occasion des guerres civiles. En Occident, les Barbares n'ont au départ pas de science du siège à proprement parler mais ils apprennent au contact des Romains, comme le montrent plusieurs épisodes du Vème siècle. Les sièges sont toujours coûteux pour l'assaillant. La cavalerie s'est développée au IVème siècle : à côté du scutaire, le plus présent, on trouve aussi les cavaliers ultra-lourds, minoritaires, cataphractaires, et clibanaires, inspirés des Sarmates et des Sassanides. Le rôle de la cavalerie semble plus appréciable en Occident qu'en Orient, où les adversaires des Romains ont par tradition une arme montée plus prononcée. L'infanterie romaine conserve son efficacité au IVème siècle et multiplie les armes de jet. Les fantassins romains restent supérieurs en combat rapproché tout en cherchant à s'adapter à la guérilla barbare. En Occident cependant, les troupes régulières sont évincées par les fédérés dès la fin du IVème siècle.

Philippe Richardot présente, judicieusement, le désastre d'Andrinople dans un chapitre entier. La défaite romaine de 378 n'est d'ailleurs pas due à une invasion mais à une révolte de fédérés. Elle montre surtout que les barbares ont appris au contact des Romains, qui ne bénéficient plus de leur ancienne supériorité. Dès le IIIème siècle, l'armée romaine recrute massivement des Barbares, individuellement ou de manière collective, et les influences sont réciproques. La barbarisation s'accélère entre 376 et 382 ; en Occident, les fonctions supérieures de la hiérarchie militaire sont quasiment monopolisées par des Francs. L'Empire romain d'Occident est détruit par l'ingérence des fédérés barbares qui prennent la place de l'armée régulière, malgré des réactions antibarbares qui au contraire sauvent pour partie l'Empire d'Orient. La bataille des Champs Catalauniques (451), qu'évoque l'historien dans un autre chapitre, n'est d'ailleurs plus qu'une bataille entre fédérés barbares de l'Empire romain.

En conclusion, Philippe Richardot voit trois raisons principales dans l'échec de l'armée romaine à sauvegarder l'intégralité de l'Empire : la démilitarisation des Romains, la barbarisation de l'Empire et sa division. Les guerres civiles accentuent le problème du recrutement par les pertes importantes qu'elles engendrent. Les barbares, au contact des Romains, ont appris et ne craignent plus leur supériorité militaire : le mythe de l'invincibilité des armes romaines à vécu. L'ambition des fédérés, en Occident, envahit le champ militaire puis politique de l'Empire, conduisant à sa disparition. L'Orient, à partir de la bipartition, survit : il est plus riche, la paix avec la Perse protège son flanc est sur une longue période, les barbares ne sont jamais souverains sur le plan militaire car Constantinople réussit à maintenir une armée régulière. La capitale, bien protégée, permet au pouvoir impérial de conserver un certain lustre. Progressivement l'Empire romain d'Orient devient ainsi l'Empire byzantin.

A noter qu'en plus d'une bibliographie (malheureusement non classée par thèmes), l'ouvrage comprend nombre de cartes disposées au fil du texte et des illustrations à la fin de la plupart des chapitres : les cartes ne sont pas forcément très lisibles, mais c'est quand même appréciable.


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