Xavier Hélary, maître de conférences en histoire médiévale à Paris IV-Sorbonne, est l'un des spécialistes français de l'histoire militaire du Moyen Age et de Jeanne d'Arc. Il revient dans ce volume de la collection L'histoire en batailles sur la "bataille des Eperons d'Or" : le 11 juillet 1302, à Courtrai, les fantassins flamands écrasent la chevalerie française : le jugement de Dieu a parlé, pour les contemporains, les prétentions de Philippe le Bel sont vaincues, et des deux côtés, la bataille sera l'un des ferments d'un sentiment national encore en devenir.
Le comté de Flandres est alors l'un des grands fiefs du royaume de France. Mais avant les événements menant à Courtrai, le comte a souvent été fidèle au roi de France. Le comté englobe de nombreuses villes, qui ont développé une activité proto-industrielle autour de l'activité textile. A partir du dernier tiers du XIIIème siècle, une crise commence à se faire jour, provoquant des troubles urbains, tandis que la noblesse flamande s'efface de plus en plus.
Sur ces problèmes vient se greffer la guerre entre le roi de France Philippe le Bel et le roi d'Angleterre Edouard Ier, à partir de 1294. Guy de Dampierre, le comte de Flandres, rejoint le parti anglais en 1297. Le roi de France envahit le comté et vient facilement à bout de la résistance cette même année. Edouard Ier s'est retiré en Angleterre et une paix est signée avec la France en 1299. Philippe le Bel met en coupe réglée la totalité du comté. Veut-il l'annexer au royaume ? Rien n'est moins sûr, mais les dépenses entraînées par son voyage sur place, en 1301, provoquent encore des troubles urbains. Jacques de Châtillon, le gouverneur royal, s'est pourtant montré conciliant. La révolte éclate d'abord à Gand, en mars 1302, pour des raisons fiscales, et les insurgés pactisent avec ceux de Bruges. Châtillon, venu à Bruges pour prévenir le soulèvement, se retrouve face à l'insurrection des meneurs, qui massacrent les Français : ce sont les "mâtines de Bruges" (18 mai 1302). La guerre est désormais inévitable.
Philippe le Bel est à ce moment-là aux prises avec le conflit de prééminence contre le pape Boniface VIII. L'armée de Flandres est commandée par Robert d'Artois, un noble proche du roi, qui a l'expérience de la guerre et de l'administration et qui semble être partisans d'une ligne dure à l'égard du comté. La levée de l'armée en 1302 est la première à bien être connue grâce au développement de l'administration royale. A côté des grands officiers militaires, on trouve aussi des responsables civils, comme Pierre Flote, le "chancelier". Au total, quelques milliers de cavaliers, dont plusieurs centaines de chevaliers, et quelques milliers de fantassins. La chevalerie française tient encore le haut du pavé, mais Robert d'Artois lui, bien qu'ayant pris part à de nombreux combats, n'a pas l'expérience de la bataille rangée. En face, les milices communales flamandes sont bien rôdées : celle de Bruges, en particulier, comprend des hommes bien équipés. Elle est complétée par celle du Franc de Bruges (le territoire de la ville) et un autre corps de Flandre orientale. Les Gantois ne sont pas présents. Bien protégés, les fantassins flamands disposent du fameux goedendag. Ils sont renforcés par des Hollandais. Ils sont commandés par Guillaume de Juliers, qui n'a pas l'expérience de la guerre, contrairement à Jean Rénesse, habile tacticien. L'armée flamande est peut-être plus nombreuse, mais ce n'est pas un avantage décisif, pas plus que la connaissance du terrain : les Français sont bien renseignés et le connaissent pour l'avoir déjà fréquemment parcouru.
Les Flamands assiègent alors la garnison française de Courtrai, retranchée dans le château. L'armée royale arrive sur place le 8 juillet 1302. Xavier Hélary fait le choix de rendre compte de la bataille à travers la source la plus détaillée, celle du curé brabançon Van Velthem, qui écrit dans la décennie 1310. L'armée française se décompose en "dix batailles" que Robert d'Artois regroupe en quatre corps : l'infanterie devant, deux groupes de cavalerie sur les ailes et une réserve de cavaliers. Les Flamands, adossés à la Lys, retranchés derrière deux ruisseaux, ont mis les piquiers et les arbalétriers devant, et les hommes armés de goedendag derrière. L'infanterie française engage le combat et semble avoir le dessus. La cavalerie française lance alors une première charge sur les deux ailes. Elle parvient à franchir les ruisseaux et entre en contact avec les fantassins flamands, mais les lignes de ceux-ci ne cèdent pas. Les cavaliers français ne peuvent se replier pour se reformer et sont pris au piège par les fossés des ruisseaux, dans lesquels ils viennent probablement s'écraser et où ils sont achevés par les fantassins adversers. Robert d'Artois intervient alors avec sa bataille, mais trouve aussi la mort de la même façon. Le récit de sa fin devient un enjeu pour les chroniqueurs, français ou flamands : a-t-il combattu jusqu'au bout ou a-t-il cherché à se rendre ? Pierre Flote tombe aussi dans les combats. Robert d'Artois a-t-il chargé pour sauver l'honneur de la chevalerie française ? En réalité, le fameux épisode des chroniqueurs semble tiré d'un précédent remontant à Saint Louis et à la fin de l'ancêtre de Robert à la Mansourah, pendant la croisade en Egypte.
La réserve française s'enfuie et les Flamands restent maîtres du champ de bataille. L'armée française, qui n'a pas été complètement engagée, perd sans doute plusieurs centaines d'hommes, dont 200 chevaliers, et une soixantaine de grands personnages du royaume. Les Flamands prennent l'offensive. Philippe le Bel doit reconstituer l'armée, souder les énergies, d'où le récit pour expliquer la défaite : les fantassins flamands ont piégé la chevalerie avec des fossés, des chausse-trappes. L'énorme armée de Philippe le Bel -10 000 cavaliers, des milliers de fantassins- ne fait qu'une démonstration de force. Mais les Flamands se heurtent au dispositif français, bien établi sur ses forteresses. Après la mort de Boniface VIII, le roi de France peut se concentrer uniquement contre le comté et finit par remporter la victoire de Mons-en-Pévèle (18 août 1304). Le traité d'Athis (1305) règle le conflit mais la question de Flandre n'est pas terminée pour le royaume de France.
Courtrai, la bataille des Eperons d'or (du nom des éperons des chevaliers français suspendus dans l'église de Courtrai), est l'objet, au XIXème siècle en particulier, d'un affrontement mémoriel entre historiens français (comme Brentano, proche de l'Action Française) et belges (tel Henri Pirenne). L'enjeu est de savoir si les Flamands ont piégé ou non la chevalerie française avec des fossés. Comme le montre Xavier Hélary, il faut se méfier des chroniques, qui tirent fréquemment leur substance d'une source commune. Un texte flamand produit juste après la bataille joue probablement ce rôle pour Courtrai. La bataille a connu ainsi, en Europe, un grand retentissement, jusqu'en Angleterre où l'on moque les malheurs du roi de France. A Roosebecke, en 1382, l'armée de Charles VI s'en souvient et met à sac après sa victoire sur les Flamands l'église Notre-Dame de Courtrai où avaient été suspendus les éperons. On se rappelle de Courtrai plus que des victoires françaises de 1304 ou 1382. Les historiens du XIXème siècle en font un moment national important car juste après la bataille, le sentiment national en a profité pour s'épanouir. Paradoxalement, ce sont les Flamands, au XXème siècle, qui reprendront ce symbole pour servir, parfois, leur volonté indépendantiste.
Un ouvrage très intéressant et incontournable pour tout amateur ou passionné de l'histoire militaire du Moyen Age.
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