Avril 1964. La Grande Allemagne, pour le 75ème anniversaire d'Adolf Hitler, s'apprête à accueillir le président américain Joe Kennedy. Dans ce futur uchronique, les nazis ont rejeté à la mer la tentative de débarquement du 6 juin 1944, provoquant le retrait américain de la guerre en Europe. Le Japon est cependant vaincu par le lâcher des bombes atomiques. Winston Churchill, exilé au Canada, meurt en 1953 tandis que l'ancien roi Edouard VIII remonte sur le trône. Les pays d'Europe occupée, rassemblés sous la bannière de la nouvelle Germanie, affrontent encore, à l'est, l'URSS. La rencontre entre Kennedy et Hitler doit raffermir les relations germano-américaines et ouvrir la Germanie aux médias d'Outre-Atlantique. Mais de nombreuses questions restent sans réponses, notamment le déplacement des Juifs à l'est pendant la guerre... à la veille de la rencontre historique, un cadavre est retrouvé flottant dans lac près de Berlin. Le major SS Xavier Marsch (Rutger Hauer) mène l'enquête et retrouve bientôt un témoin qui a vu des hommes se débarrasser du corps. Le mort est Joseph Buehler, un ancien membre important du parti nazi à la retraite, qui s'est entre autres occupé du "déplacement" des Juifs pendant la guerre...
Le Crépuscule des Aigles (mauvaise traduction française du titre du roman à l'origine du téléfilm, et qui entretient la confusion avec le film de 1966 dédié aux combats aériens de la Grande Guerre) appartient à un genre cinématographique assez peu courant, l'uchronie, qui fait florès ces derniers temps dans la bande dessinée historique.
C'est donc l'adaptation du roman de Richard Harris,Fatherland (1992), qu'a réalisée ici HBO, bien connu depuis pour ses séries à thème historique, dont certaines ont rencontré un grand succès. Par rapport au roman, le téléfilm insiste beaucoup moins sur l'arrière-plan politico-militaire : il y a d'ailleurs des changements, puisque le point de départ de l'uchronie pour Harris est le succès de Barbarossa en 1943, et d'ailleurs il ne précise pas le sort de Staline alors que le téléfilm, lui, le maintient à la tête de l'URSS en 1964 (à plus de 80 ans !). En outre, les nazis installent une sorte d'UE sous direction allemande et non pas un Etat à l'échelle de l'Europe appelé Germania, comme dans le téléfilm.
Celui-ci privilégie donc l'enquête policière à l'arrière-plan uchronique, sans doute faute de moyens -assez limités il est vrai. L'officier SS et sa comparse d'opportunité, une journaliste américaine venue pour couvrir la rencontre à Berlin, vont donc s'attacher à mettre au jour un des secrets les plus enfouis de l'Allemagne nazie qui fera capoter ce moment historique. Tout cela dans un Berlin peuplé d'habitants privés d'informations autres que celle d'une propagande omniprésente, et où les délires architecturaux d'Albert Speer sont devenus réalité (grâce à quelques images de synthèse !). Les SS sont devenus une force de maintien de l'ordre, une simple police, qui patrouille nonchalamment dans les rues aux côtés des braves citoyens allemands (!). In fine, c'est l'occasion pour le réalisateur d'évoquer un sujet rebattu, celui de la responsabilité des Allemands quant à l'arrivée au pouvoir des nazis et de leur consentement au régime. Mais ici, les preuves des crimes ont disparu, soigneusement éliminés par les organes policiers du IIIème Reich : seuls restent les souvenirs d'une bande de vieillards qui ont participé au processus, et qui commencent à devenir gênants à l'heure de la réconciliation avec les Etats-Unis... c'est donc à la révélation de la Solution Finale qu'aboutit le téléfilm, avec ce moment phare qu'est le discours complètement nazifié de l'actrice Anna von Hagen (Jean Marsch), maîtresse de l'un des barbons, et qui évoque l'extermination des Juifs comme elles le feraient à propos de la destruction de cafards (!). Effrayant. De même que la conversion du bâtiment de Wannsee, où s'est décidé la Solution Finale, en maison de convalescence pour les soldats aveugles : une parabole, encore une fois, du comportement des Allemands face à la suppression des Juifs.
Certes, on peut trouver à redire sur les moyens plutôt faibles, sur le jeu des acteurs, pas forcément extraordinaire (ça reste un téléfilm...), sur les voix françaises qui ne sont pas des meilleures, mais Le Crépuscule des Aigles vaut quand même le détour.