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Au commencement était la guerre...24/Bérets bleus. Un rapide aperçu des forces aéroportées russes

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Article publié simultanément sur le site de l'Alliance Géostratégique.
 

Curieux destin que celui des forces aéroportées soviétiques, puis russes. Alors que l'URSS est une pionnière de l'emploi des troupes parachutistes et aéroportées, toutes les opérations d'envergure menées pendant la Grande Guerre Patriotique se terminent en désastre, faute de moyens aériens suffisants et de planification, le plus souvent. Pendant la guerre froide, les VDV deviennent une réserve stratégique destinée à des missions dans la profondeur du dispositif adverse. Mécanisées et dotées de moyens lourds, les troupes aéroportées soviétiques ne disposent pourtant pas, là encore, de suffisamment d'avions de transport pour jouer leur rôle stratégique. Elles sont engagées comme infanterie d'élite en Afghanistan, aérotransportées ou par le biais des hélicoptères, dont elles sont l'une des premières bénéficiaires au sein de l'Armée Rouge. Après la chute de l'URSS, les VDV doivent batailler pour trouver leur place au sein d'une armée russe en pleine restructuration. Mais grâce à des connexions avec le politique et à la personnalité de certains de leurs commandants, les « bérets bleus » conservent leur image d'une élite, un véritable modèle pour l'armée russe dont on nie trop souvent les capacités. Or celles-ci, et en particulier depuis le conflit en Géorgie d'août 2008, ne cessent d'évoluer et de se peaufiner.


L'URSS, pionnière des troupes aéroportées... jusqu'à la litanie des désastres de la Grande Guerre Patriotique


Les Soviétiques ont été des précurseurs dans l'emploi de troupes et de moyens aéroportés durant l'entre-deux-guerres. La première unité aéroportée est formée, après des expérimentations, dans le district militaire de Léningrad, en 1931. En 1932, il existe déjà quatre unités et l'année suivante, celle de Léningrad devient la 3ème brigade spéciale aéroportée, comprenant des parachutistes et des troupes transportées par planeurs. Les premières manoeuvres d'envergure ont lieu dans le district militaire de Biélorussie en 1934. 2 500 parachutistes soviétiques sautent l'année suivante devant un parterre d'observateurs étrangers lors de nouveaux exercices près de Kiev, qui impressionnent fortement les Allemands1. La Wehrmacht développe alors ses propres formations aéroportées, promises à l'avenir que l'on sait.



Rattachés à l'armée de l'air, les paras de la 212ème brigade aéroportée sont envoyés en Extrême-Orient et combattent comme simple infanterie lors de la bataille de Khalkhin-Gol contre les Japonais, en 1939. De la même façon, les paras des 201ème, 204ème et 214ème brigades sont réduits à un rôle de fantassins durant l'invasion de la Pologne à partir du 17 septembre 1939. Le premier saut opérationnel a eu lieu, en fait, en 1929, contre des rebelles d'Asie Centrale. Mais le premier lâcher d'envergure est réalisé en novembre 1939 près de Petsamo, lors de la guerre d'Hiver contre la Finlande : il n'est pas concluant, de même qu'un autre un peu plus tard contre la ligne Mannerheim. Trois brigades de paras sont alors à nouveau engagés au sol comme infanterie d'élite. Lors de l'occupation de la Bessarabie, en juin 1940, les 201ème et 204ème brigades sont parachutées ou aérotransportées, la 214ème étant maintenue en réserve.

Parachutistes soviétiques durant les manoeuvres de Kiev, en 1935.


Fin 1940, l'Armée Rouge, au vu des succès allemands à l'ouest en la matière, monte le nombre des brigades à 6 et regroupe en 1941 les 5 stationnées à l'ouest de l'URSS dans un premier corps aéroporté. Chaque corps comprend en fait 3 brigades et s'assimile plus à une division de type occidental. Mais les moyens aériens font largement défaut : il faut 120 vieux TB-3 pour larguer une seule brigade... mais les Soviétiques n'en ont alors pas plus de 200 en service ! Avec l'invasion allemande, le nombre est encore réduit. Les forces aéroportées récupèrent tout de même 50 PS-84 (la copie du DC-3 américain), mais cela reste nettement insuffisant. Les parachutistes soviétiques vont donc être utilisés par l'Armée Rouge, à nouveau, comme infanterie de choc.

Assez étrangement, les VDV sont étendues à dix corps en septembre 1941 et deux régiments aérotransportés indépendants sont encore rajoutés en août 1942. L'Armée Rouge procède à des largages au moment de la contre-offensive soviétique devant Moscou : la 201ème brigade est jetée derrière les lignes allemandes dans la nuit du 2 au 3 janvier 1942, puis dans un saut raté autour de Vyazma le 18 janvier ; la 204ème tombe elle autour de Rjev les 14-22 février. Le plan le plus ambitieux prévoit le largage du 4ème corps aéroporté derrière les lignes allemandes, autour de Vyazma. Mais il n'y a pas assez d'appareils de transport : 22 TB-3 et 40 PS-84, là où il faudrait au bas mot 500 avions. Un quart du corps seulement est donc parachuté entre le 27 janvier et le 2 février 1942 (2 100 hommes) en plusieurs rotations, dans un temps épouvantable. L'opération est un échec total et les survivants rejoignent un corps de cavalerie. Le reste du 4ème corps aéroporté est pourtant employé pour soutenir une autre contre-attaque et il est largué entre la nuit du 17 au 18 février et celle du 22 au 23 février derrière les lignes allemandes. Dispersé, les paras combattent comme unités de partisans avant de rejoindre les lignes soviétiques en juin.

Vue d'artiste de la bataille de Vyazma, où des formations aéroportées soviétiques sont en vain gaspillées sur les arrières allemands.


Le 4ème corps aéroporté est reconverti en divisions de fusiliers de la Garde. Mais l'armée de l'air soviétique recrée des divisions aéroportées de la Garde entre septembre 1942 et février 1943 et 6 autres sont ajoutées après l'été 1943. Cependant, ces paras sont utilisés comme infanterie de choc par l'Armée Rouge, entre autres lors de la bataille du saillant de Koursk, en juillet 1943, dans la phase défensive en particulier. Le dernier grand saut est organisé en septembre 1943 pour aérotransporter les 10 000 hommes des 1ère, 3ème et 5ème brigades au-delà du Dniepr, afin de créer une tête de pont de l'autre côté du fleuve derrière lequel les Allemands se sont retranchés tant bien que mal. Le saut de Kanev, du nom de la localité près de laquelle il a lieu, est encore une fois un échec complet. Paradoxalement, les seules opérations aéroportées réussies sont celles de faible envergure menées par des unités spéciales de fusiliers marins en Crimée et par des détachements improvisés de l'armée, en Mandchourie, contre les Japonais, en août 1945 !


Les VDV, réserve stratégique de l'Armée Rouge pendant la guerre froide... et infanterie de choc


Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les VDV sont dans une situation pour le moins paradoxale. Elles ont fait preuve d'une combativité exceptionnelle -pas moins de 196 desantniki ont été faits Héros de l'Union Soviétique- mais toutes les opérations aéroportées de grande ampleur se sont terminées en fiasco. C'est surtout dû à un manque d'appareils, mais aussi à une absence évidente de planification et de préparation des sauts et des opérations aéroportées de manière générale. En 1946, les VDV passent au ministère de la Défense pour servir de réserve stratégique. L'étude des opérations de la Seconde Guerre mondiale n'est guère encourageante. Les Soviétiques constatent que des troupes aéroportées ne peuvent réussir, sur le plan tactique, que contre un ennemi déjà affaibli. En revanche, elles conservent leur utilité pour désorganiser les arrières d'un adversaire devant faire face à une attaque conventionnelle mécanisée.

En 1956, les VDV sont transférées aux forces terrestres et sont commandées par le général Margelov, un héros des fusiliers marins de la Grande Guerre Patriotique, qui va entamer la modernisation des troupes aéroportées. L'année précédente, l'An-8 est entré en service et offre au VTA, l'aviation de transport militaire, son premier appareil moderne. L'An-12 suit en 1964. Un autre problème auquel sont alors confrontées les VDV est le manque d'armes antichars, bien qu'elles aient été les premières, dans les années 1930, à employer des canons sans recul. Dans les années 1950, elles commencent à recevoir le canon sans recul B10 de 82 mm, puis le B11 de 107 mm. Pour le combat rapproché contre les chars, une étude du Panzerfaust allemand débouche sur la fabrication du RPG-1, bientôt suivi du RPG-2. Des véhicules aérotransportables sont rapidement conçus : l'ASU-76 et surtout l'ASU-572, armé d'un canon antichar de 57 mm, qui entre en service en 1955 à raison de 9 par régiment. Il peut être largué par container depuis les ailes d'un Tu-4, puis on met au point un système de freinage par fusées. L'ASU-85, développé à partir du char léger amphibie PT-76, entre en service en 1960 à raison d'un bataillon de canons d'assaut de 31 véhicules par division : il est conçu pour être largué depuis l'An-12.


 


En 1964, les VDV reviennent sous l'autorité du ministère de la Défense comme force spéciale à disposition du haut-commandement soviétique. Pour s'adapter à la doctrine nucléaire et à un champ de bataille « vitrifié »3, les VDV reçoivent un véhicule léger inspiré du BMP leur pemettant d'évoluer sur un terrain atomisé, le BMD, à partir de 1970. Les VDV passent d'une infanterie parachutée ou aérotransportée à une force d'assaut mécanisée. Progressivement, au lieu d'un régiment, c'est toute la division aéroportée qui est équipée de BMD, à raison de 320. Le véhicule fournit une bonne mobilité et une puissance de feu appréciable aux « bérets bleus ». Le BMD-1 entre officiellement en service en 1973 et le BMD-2 en 1979 : chacun se décline en plusieurs versions. Autre innovation de taille : le début de l'emploi tactique des hélicoptères par l'Armée Rouge, à partir de 1967. Jusqu'ici, les VDV ont été conçues comme force aérotransportée ou parachutiste, ce qui suppose parfois de disposer de terrains pour un déploiement en avant, comme lors de l'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 ou du coup sur Kaboul en 1979 précédent l'invasion de l'Afghanistan. L'arrivée de l'hélicoptère change un peu ce postulat. Avec l'entrée en service du Mi-8, les premières brigades aéromobiles sont formées dès les années 1970. Puis, des brigades d'assaut aérien leur succèdent dont deux des quatre bataillons d'infanterie comprennent des BMD, transportés par Mi-6 puis Mi-26.

A la fin de la guerre froide, les divisions aéroportées soviétiques alignent 6 500 hommes, sensiblement moins que leurs homologues américaines, mais leur vocation est différente : ce sont des unités d'assaut aérien mécaniséées avec leurs 320 BMD, en particulier. Le transport des 7 divisions aéroportées soviétiques est cependant limité par le nombre d'appareils du VTA, qui aligne alors 600 avions environ : 370 An-12, 170 Il-76 et 50 An-22. L'An-12 a un rayon d'action de 1 400 km et peut transporter un ou deux BMD. Un régiment équipé de BMD nécessite donc de 90 à 115 An-12. L'Il-76, lui, a un rayon d'action de plus de 5 000 km et embarque 3 BMD ou 120 paras. Un régiment de BMD serait alors convoyé par 50 à 65 Il-76. L'An-22, qui peut aller jusqu'à plus de 4 000 km, peut contenir 4 BMD ou 175 paras. En outre, le VTA peut incorporer si besoin les 200 An-12 et Il-76 d'Aeroflot, bien qu'ils ne soient pas configurés pour le transport militaire. On voit donc que le VTA ne peut embarquer qu'une seule division aéroportée à longue distance, ou deux ou trois divisions allégées sur courte distance. 


 


De la survie après la fin de la guerre froide au statut de « vitrine » de l'armée russe


Les VDV demeurent, après la fin de la guerre froide, une grande source de fierté pour la Russie. Auréolés de leur participation intensive à la guerre en Afghanistan (1979-1989), les « bérets bleus » sont dépeints comme des troupes dures, agressives, bien entraînées et efficaces. Ils sont censés avoir le meilleur équipement, être mieux payés que d'autres branches de l'armée et aussi recevoir les meilleurs conscrits. Les VDV sont donc un modèle face à l'image traditionnelle qui s'attache désormais à l'armée russe, celle d'une torpeur ambiante, de la corruption et d'un criant manque d'efficacité.

Pourtant, avec la chute de l'URSS, on s'est interrogé sur l'éventuel maintien des VDV, prévues pour des opérations en profondeur dans le dispositif ennemi. Depuis 1991, les VDV se sont cherchées un nouveau rôle pour ne pas disparaître des tableaux d'effectifs de l'armée russe. Il faut dire que cette force bien entraînée, avec un esprit de corps, des moyens mobiles et un vrai potentiel de combat, était convoitée par beaucoup. La vulnérabilité des VDV vient alors du fait qu'elles constituent une branche séparée : les formations ne dépendent pas du district militaire où elles sont basées. Les VDV constituent la réserve stratégique à disposition du commandant en chef de l'armée, autrement dit le président lui-même.

En outre, la mission des VDV a disparu et les bérets bleus sont employés à nouveau, comme cela avait été le cas pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi en Afghanistan, comme une infanterie d'élite, pendant les guerres en Tchétchénie. Les longues périodes d'engagement affaiblissent d'autant les entraînements au saut ou aux opérations aéroportées. Devenue une infanterie de choc, les VDV sont menacées d'être absorbées par l'armée de terre, surtout à partir du moment où, en 2005, les derniers éléments quittent la Tchétchénie. Les derniers à partir sont les paras du 45ème régiment indépendant de reconnaissance spetsnaz.

Ce débat sur le rôle des VDV s'inscrit sur la toile de fond des coupes sombres portées à l'armée russe depuis la chute de l'URSS. Les VDV y échappent en partie sous Eltsine car Pavel Grachev, ministre de la Défense entre 1992 et 1996, est un ancien des forces aéroportées soviétiques. Grachev ajoute même un régiment de chars lourds à la 104ème division aéroportée : il souhaite maintenir l'indépendance des VDV et augmenter leur puissance de feu, car ils les voient comme les troupes de choc de l'armée russe. En outre, le président russe aime avoir sous la main cette réserve facile à contrôler. Le successeur de Grachev, Rodionov, qui vient de l'arme blindée, tente au contraire de réduire les prérogatives des VDV. Celui-ci est remplacé en 1997 par le général Sergeyev, un ancien des forces stratégiques soviétiques, qui prône une armée plus réduite et plus flexible, basée en particulier sur l'arme nucléaire, ce qui correspond à la volonté politique du moment. Il réduit les effectifs à 1,2 millions d'hommes en janvier 1999. Mais les mesures prises sont particulièrement impopulaires au sein de l'armée et des pressions aboutissent à son remplacement, en mars 2001, par Sergei Ivanov, nommé par le président Poutine.

Ivanov est le premier non-militaire à prendre les commandes du ministère de la Défense : comme Poutine, c'est un ancien du KGB. Mais cela signifie aussi qu'il n'a pas d'appuis dans l'armée et suit la moindre ligne de résistance : il arrête les coupes et ne peut véritablement mettre au point les réformes pour une armée plus réduite et plus flexible. Poutine le remplace en mars 2007 par Anatoliy Serdyoukov, un autre civil, qui doit tout au président : celui-ci espère qu'il saura s'attaquer à la taille de l'armée et à sa corruption.

Après la chute de l'URSS, les VDV avaient été réduites de 7 à 5 divisions, soit 35 000 hommes environ. Les deux divisions perdues se trouvaient sur les territoires de républiques devenues indépendantes. Une autre division parmi les 5 restantes, la 104ème, est dissoute -elle renaît plus tard dans sa base d'Oulyanovsk sous le nom de 31ème brigade aéroportée indépendante. Reste donc 4 divisions : la 7ème à Novorossiysk, la 76ème de Pskov, la 98ème d'Ivanovo et la 106ème de Toula. Chaque division perd un régiment aéroporté et n'en compte plus que deux. Elle comprend donc, désormais, environ 5 000 hommes. Au même moment est créé le 45ème régiment indépendant de reconnaissance spetsnazà Kubinka, près de Moscou, fort de 700 hommes, destiné aux opérations spéciales sous la houlette de GRU (le renseignement militaire). Les centres d'entraînement des VDV demeurent à Riazan (maison-mère des forces aéroportées russes) et Omsk.

En 2006, une réorganisation aboutit à des changements structurels. Les 98ème et 106ème divisions conservent une capacité aéroportée, mais les 7ème et 76ème divisions, ainsi que la 31ème brigade indépendante, s'intitulent désormais divisions d'assaut aérien, ce qui signifie qu'elles sont aérotransportées sur la zone des combats, par avion ou hélicoptère. Cependant, un bataillon des 7ème et 76ème divisions reste formé au saut. La 7ème division reçoit en plus le qualificatif de division d'assaut aérien « de montagne », purement pour la forme, d'ailleurs, car aucun entraînement particulier à la guerre en montagne n'est programmé. Les deux divisions reçoivent des unités de canons automoteurs pour renforcer leur puissance de feu. En revanche, la 31ème brigade indépendante perd ses véhicules blindés et son artillerie organique et, comme ses homologues occidentales, opère désormais à pied.

La professionnalisation de l'armée russe commence dès le milieu des années 1990. Cette exigence répond à la fois à des critères militaires, politiques et sociaux. L'armée russe compte embaucher des volontaires sous contrat (3 ans) relativement bien payés, dans la mesure du possible. A l'intérieur de l'armée, des généraux sont opposés cependant à abandonner le modèle soviétique d'une armée de masse, craignant notamment un possible conflit avec la Chine. Néanmoins, en 2002, le 104ème régiment de la 76ème division est choisi pour être le premier de l'armée russe entièrement composé de contractuels, ou kontraktniki. Fin 2007, à l'exception de la 106ème division, toutes les formations des VDV devront être composées, en théorie, de plus de 90°% de kontraktniki. Les VDV sont donc en pointe du processus de professionnalisation.

Formant la réserve stratégique à disposition du président, les VDV ont construit une relation particulière avec l'exécutif russe. Le commandant des VDV bénéficie ainsi du soutien politique du président pour éviter l'absorption dans les forces terrestres et peut se permettre de glisser ses propres idées au pouvoir politique au regard des réformes en cours. Ces atouts sont accentués par la forte personnalité des commandants des VDV et par la bonne image dont jouissent les bérets bleus au sein de l'opinion publique du pays. Le général Shpak, qui a commandé les VDV entre 1996 et 2003, devenu gouverneur régional, a ainsi empêché avec succès les tentatives les plus marquées pour assigner les VDV aux forces terrestres, mises en oeuvre par le chef de l'état-major général de l'époque, le général Kvashnin.

Le général Vladimir Shamanov, commandant des VDV.

Shpak est suivi par Kolmakov, jusqu'en 2007, puis celui-ci est remplacé par Yevtukhovich jusqu'en 2009. Ce dernier à fort faire face au nouveau chef de l'état-major général, Makharov, qui cherche encore à faire passer les VDV sous son contrôle. Yevtukhovich est remplacé en mai 2009 par le général Shamanov. Celui-ci a eu un rôle important dans le changement organisationnel des VDV et mérite une attention particulière. Nommé deux fois Héros de la Fédération de Russie, Shamanov est un personnage haut en couleurs, à la fois adulé et contesté. Né en 1957, il a rejoint l'armée soviétique en 1974 et a commandé une section d'artillerie de la 76ème division, puis une compagnie à l'école de Riazan, jusqu'en 1985, où il forme les cadets au commandement au niveau de la section et de la compagnie. Le commandant de la 76ème division, le général Shpak, note qu'il est un bon chef de compagnie. Shamanov devient finalement commandant de bataillon dans cette unité4. Il ne sert pas en Afghanistan, ce qui est plutôt rare dans le vivier des officiers des VDV de l'époque : le fait de ne pas être un Afghantsy sera d'ailleurs, pour lui, un handicap. Il sort diplômé du collège d'état-major de Frunze en 1989. En 1990, il est commandant adjoint du 300ème régiment aéroporté de la 98ème division basée à Kishinev,/Chisinau, en Moldavie, alors commandée par le frère du général Alexander Lebed. Le commandant du régiment est Kolmakov, qui prendra plus tard la tête des VDV. En dépit du fait qu'il ne soit pas un Afghantsy, il commande en 1991 le 328ème régiment de la 104ème division, stationnée en Azerbaïdjan. Il essaye de rejoindre l'académie Frunze de l'état-major général, mais son supérieur refuse de le transférer : Shamanov le frappe alors en plein visage !

Pendant la première guerre de Tchétchénie, il occupe le poste de chef d'état-major de la 7ème division. En mars 1995, il commande un détachement opérationnel. Son style de commandement « en avant » lui vaut d'être blessé lorsque son BTR saute sur une mine. On l'accuse, en octobre 1995, d'avoir pris d'assaut l'aéroport de Sleptovsk en Ingouchie, qu'il croyait être tombé aux mains des rebelles, assaut qui a entraîné la mort d'un civil. Ce même mois, il est devenu commandant adjoint des forces russes en Tchétchénie et commandant adjoint de la 58ème armée du district militaire du Nord-Caucase. Au mois d'avril 1996, il commande les forces de l'armée russe engagées en Tchétchénie. En juillet 1996, il entre enfin à l'académie de l'état-major général, ce qui lui évite accessoirement de prendre part au retrait russe de Tchétchénie après les accords d'août 1996. Diplômé en 1998, Shamanov devient chef d'état-major et commandant adjoint de la 20ème armée combinée de la Garde stationnée à Voronej. Mais rapidement, il reprend la tête de la 58ème armée du Nord-Caucase et devient chef du Groupe Ouest du contingent russe engagé dans la deuxième guerre de Tchétchénie : Shamanov est considéré comme l'un des artisans du succès de 1999-2000, où les rebelles sont écrasés de manière plus rapide mais aussi plus brutale que lors du premier conflit. Le succès de Shamanov lui vaut l'estime du président Poutine, qui a été le principal bénéficiaire de ce renouvellement de la guerre en Tchétchénie, en plus d'en être son principal promoteur. Shamanov ne s'embarrase guère de scrupules et utilise la puissance de feu sans discrimination contre combattants et civils. Son supérieur, le colonel-général Trochev, qui commande le groupe des forces du ministère de la Défense engagé en Tchétchénie, reproche à Shamanov sa brutalité. Le général Alaskhanov, conseiller du président Poutine, le surnomme tout simplement « le boucher ». Quand son supérieur, le colonel-général Kazantsev, qui commande le district militaire du Nord-Caucase, tente de le freiner, Shamanov réplique : « Ce n'est pas à toi de me faire la leçon ! » . Shamanov est mis en cause dans un massacre survenu à Alkahn-Yurt, en 1999 ; plus tard, il prend la défense du colonel Budanov, un de ses surbordonnés, accusé d'avoir étranglé et peut-être violé une jeune fille tchétchène.

Il est protégé jusqu'à un certain point par Poutine, mais ses adversaires obtiennent son retrait anticipé de l'armée et de Tchétchénie en août 2000. Le président propose alors à Shamanov le poste de gouverneur de l'oblast d'Oulyanovsk. Mais le rôle n'est pas fait pour lui : il conduit l'oblast comme un régiment de parachutistes. En novembre 2004, il devient donc l'adjoint du Premier Ministre Fradkov, et le conseille sur les questions sociales en rapport avec les engagés volontaires de l'armée. En 2006, il conseille le ministre de la Défense Ivanov. Mais lors d'une rencontre avec G.W. Bush à la Maison Blanche en mars 20075, Shamanov fait encore une fois scandale en comparant les Etats-Unis à l'Allemagne nazie ! En novembre, Poutine le nomme responsable de la branche de l'entraînement de l'armée, visiblement pour soutenir le nouveau ministère de la Défense, Serdyoukov. C'est Shamanov qui organise, entre autres, le défilé de la commémoration de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai 2008, qui est le premier depuis la chute de l'URSS à inclure des engins blindés et autres véhicules lourds : un symbole du retour de la puissance russe, en quelque sorte. Le président place en fait un homme qui lui est redevable en tout, d'où la nomination suivante de Shamanov à la tête des VDV en mai 2009. Celui-ci incarne à merveille le modèle que sont devenues les troupes aéroportées pour l'armée russe et le grand public. Mais il continue ses frasques : en octobre 2009, il envoie une section de paras du 45ème régiment indépendant spetsnaz pour empêcher une descente de police visant son gendre, accusé de meurtre... et il conserve son poste. En octobre 2010, il est victime d'un grave accident de voiture alors qu'il part de Moscou pour visiter la 106ème division à Toula ; son chauffeur est tué dans l'accident. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à exercer ses fonctions.

 


Les réformes depuis la guerre en Géorgie d'août 2008


Le conflit en Géorgie en août 2008 met en lumière les forces et les faiblesses de l'armée russe face à un adversaire conventionnel, une configuration qui n'avait pas été vue depuis longtemps. Les VDV vont plutôt bien se comporter durant la guerre où elle joue un rôle-clé : les 104ème et 234ème régiments de la 76ème division et le 217ème régiment de la 98ème division sont engagés en Ossétie du Sud. Yetukhovich, le commandant des VDV, supervise les opérations. Deux bataillons de la 76ème division ont mis moins de 24 heures pour être aérotransportés depuis Pskov jusqu'à Beslan, en Ossétie du Nord : leur déploiement a été plus rapide que celui des unités des 19ème et 42ème divisions de fusiliers motorisés basées à proximité des lieux. Par ailleurs, des hommes du 45ème régiment indépendant de reconnaissance spetsnaz sont impliqués dans la défense de Tskhinvali contre les Géorgiens, aux côtés du contingent russe de maintien de la paix présent sur place, dès le début des hostilités. Les VDV, toujours en pointe du dispositif russe, manque cependant de protection aérienne contre d'éventuel raids géorgiens, ou de moyens antiaériens, ainsi que de reconnaissance. En Abkhazie, 8 bataillons de paras sont déployés en 5 jours, mais pas en brigade ou division constituée : ils opèrent donc plus ou moins indépendamment. Les VDV constituent pratiquement l'intégralité de l'effectif russe au sol en Abkhazie, sous les ordres de Shamanov. Celui-ci doit affronter des problèmes de transmission (manque de radios) et constate aussi l'absence de moyens de vision nocturne, de sniping et de reconnaissance -drones en particulier. Les véhicules des VDV sont vulnérables aux mines, aux blindés et aux armes antichars géorgiens, des faiblesses qui auraient pu coûter cher face à un adversaire plus efficace.

La performance de l'armée russe pendant la guerre en Géorgie permet au ministre de la Défense Serdyoukhov de vaincre la résistance des généraux les plus conservateurs et de commencer à mettre en chantier un certain nombre de réformes. Une nouvelle structure district militaire-commandement opérationnel-brigade est mise en place. L'instauration du niveau brigade est une grande première pour l'armée russe et montre un alignement sur des pratiques occidentales survenues dès les années 1990 pour accroître la flexibilité du dispositif militaire face aux nouvelles formes d'intervention survenues avec la fin de la guerre froide. Les 203 divisions de l'armée russe sont progressivement fondues dans 83 brigades. Les VDV n'échappent pas à la règle : elles doivent perdre d'ailleurs leur indépendance en tant qu'arme séparée, et la 106ème division est choisie pour être dissoute en premier, puisqu'elle compte le plus faible nombre de kontraktniki. Les paras seront redistribués dans les autres divisions ou formeront le noyau des nouvelles brigades d'assaut aérien des districts militaires, une par district (6 en tout). Les 7ème, 76ème et 98ème divisions seront dispersées dans les districts militaires au niveau brigade, de façon à ce qu'une force de réaction rapide soit présente partout, et non plus seulement à l'ouest où étaient traditionnellement basées les divisions aéroportées. Ce rééquilibrage couperait aussi le lien politico-militaire créé avec le président, mais montrerait également que l'OTAN n'est plus forcément considéré comme l'ennemi principal par la Russie, la Chine étant également sur les rangs.

Cependant Shamanov s'oppose à ces réformes à son arrive à la tête des VDV en mai 2009. Il argue que les changements structurels demandés ont déjà été accomplis par son prédécesseur Kolmakov, qui avait renforcé les bataillons aéroportés avec des moyens de reconnaissance et d'artillerie. En outre, les paras ont toujours combattu depuis la Tchétchénie sous un format de bataillon renforcé. Shamanov souligne que les VDV sont en avance en termes de réorganisation et, avec la protection de Poutine, parvient à stopper les réformes prévues. Les divisions ne sont pas converties en brigades, la 106ème division est maintenue. La structure des 4 divisions comprend désormais deux régiments aéroportés, un régiment d'artillerie, un régiment de SAM, un régiment de sapeurs, un bataillon de transmissions, un bataillon de maintenance, un bataillon de soutien logistique et une compagnie médicale. Shamanov a renforcé la composante antiaérienne et a rajouté aussi un bataillon de reconnaissance par division, tirant les leçons de ses observations en Abkhazie.

D'autres changements sont intervenus suite aux leçons du conflit géorgien. En mars 2010, la 76ème division a testé un nouveau système de commandement et de contrôle tactique, baptisé Sozvezdiye. La 106ème division conduit des opérations aéroportées où des véhicules BMD sont largués, parfois avec leurs équipages à l'intérieur, ce qui n'avait pas été vu depuis longtemps. Shamanov veut absolument remplacer le BMD-4 dont la performance l'a déçu en Géorgie. Les VDV reçoivent, en attendant, quantité de véhicules standards ; plus de 700 rien qu'en 2009. L'absence de drones a été criante pendant la guerre. Les VDV commencent à s'entraîner sur des modèles israëliens, et Shamanov pense même à employer des planeurs bardés d'électronique pour la reconnaissance et des modèles armés pour abattre les drones ennemis -qui ne peuvent être engagés par les ZSU-23 ou les SA-18. L'entraînement est renforcé : la 7ème division, qui avait connu des problèmes d'embarquement sur les navires de la flotte de la mer Noire pendant le conflit, mène désormais trois exercices par an et a renforcé la coopération avec la marine. Les VDV entraînent également les sous-officiers de l'armée de terre à l'école de Riazan. Si elles ne sont pas entièrement professionnalisées et comportent encore des conscrits, le principal problème reste l'absence pénalisante d'un vivier de bons sous-officiers. Chacune des 5 grandes unités des VDV doit fournir un bataillon parachutiste ou d'assaut aérien disponible sous 24 heures ; mais ceux-ci « pompent » les moyens des divisions et réduisent parfois les autres bataillons à des formations de seconde ligne... Les 7ème et 76ème divisions d'assaut aérien ne disposent toujours pas de suffisamment d'hélicoptères pour remplir leur véritable fonction.


 


Pour en savoir plus :


Ray FINCH, One Face of the Modern Russian Army: General Vladimir Shamanov, The Journal of Slavic Military Studies, 24:3, 396-427, 2011/

Rod THORNTON, ORGANIZATIONAL CHANGE IN THE RUSSIAN AIRBORNE FORCES : THE LESSONS OF THE GEORGIAN CONFLICT, Strategic Studies Institute, décembre 2011.

Steven ZALOGA et Ron VOLSTAD, Soviet Elite Forces, Elite 5, Osprey, 1985.

1Relu récemment dans le tome 2 de la trilogie de l'ancien SS Paul Carell, Opération Terre brûlée, après l'évocation du désastre de Kanev, p.308 : « Parmi les documents qu'a laissés le général Köstring, qui fut longtemps attaché militaire à Moscou, nous lisons : C'est au cours de cette manoeuvre, dans les montagnes du Caucase [en 1932], que j'ai assisté pour la première fois à un engagement de troupes parachutées. J'avais pris plusieurs photographies de ce premier lâcher et d'autres sauts postérieurs, et je les avais envoyées à Berlin. Or, il m'a été dit, des années plus tard, au ministère de l'Air allemand, que c'étaient mes photos qui avaient incité Göring à créer des formations allemandes de parachutistes. » .
2En mars 1978, plusieurs ASU-57 sont utilisés par les conseillers militaires soviétiques lors d'une opération héliportée d'envergure pendant l'offensive finale de la guerre de l'Ogaden (1977-1978). Les véhicules sont probablement transportés par des Mi-6.
3Pour une analyse plus fine de la doctrine militaire soviétique de l'époque et notamment de l'emploi des troupes aéroportées et des hélicoptères, je renvoie au n°13 du magazine Histoire et stratégie.
4On s'est beaucoup interrogé sur l'ascension fulgurante de Shamanov au sein des VDV. Certains auteurs pensent qu'il avait attiré l'attention, à Riazan, du commandant des VDV, le général Soukhoroukov, ou bien que le nouveau commandant de l'académie, Slusar, Héros de l'Union Soviétique et vétéran d'Afghanistan, ne voulait pas à Riazan de commandant de bataillon qui ne soit pas un Afghantsy.
5Shamanov fait alors partie de la commission jointe russo-américaine à propos des prisonniers et disparus de la guerre froide.

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