Pour terminer la liste des suppléments gratuits aux articles récemment parus, voici deux extraits de deux témoignages d'artilleurs soviétiques engagés dans l'offensive de l'Armée Rouge contre l'isthme de Carélie, à partir du 10 juin 1944... bonne lecture !
Témoignage
de Vasily Davidenko
Vasily
Davidenko sert dans le 7ème régiment d'infanterie, qui est envoyé
en garnison sur la péninsule de Hanko, après la guerre d'Hiver. Le
régiment a été retiré à sa division de fusiliers pour rejoindre
la 8ème brigade d'infanterie indépendante. Davidenko devient
commandant d'un peloton d'artillerie, puis d'une batterie, avec de
vieux canons de 76 mm à canons court. Les positions soviétiques
sont attaquées par les Finlandais dès le 1er juillet 1941.
Finalement, les Soviétiques sont évacués par mer par une flotte de
petits navires. Davidenko assiste, le 3 décembre 1941, au naufrage
du navire de transportJoseph
Staline (VT-521), endommagé
par trois mines, pilonné par l'artillerie côtière finlandaise, et
qui finit par s'échouer sur la côte estonienne – les 3 000 hommes
encore à bord étant capturés par les Allemands. La 8ème brigade
est dissoute et devient la 136ème division de fusiliers ; le
régiment de Davidenko est rebaptisé 269ème de fusiliers. En
janvier 1943, au moment de l'offensive pour lever le blocus de
Léningrad, Davidenko est devenu commandant d'un régiment
d'artillerie. Pour ses exploits, la 136ème division de fusiliers
devient ensuite la 63ème division de fusiliers de la Garde, et le
269ème régiment le 188ème régiment de fusiliers de la Garde.
Davidenko
est major en 1944 et commande l'artillerie de ce régiment. Il est
blessé pendant l'assaut sur les hauteurs qui surplombent la ville de
Léningrad. Son unité est ensuite transférée pour l'offensive dans
l'isthme de Carélie. Le premier jour, elle perce le front finlandais
sur 19 km. Lui-même, après avoir reçu l'ordre de Souvorov 3ème
classe, est blessé à nouveau le 1er juillet 1944 près de Vyborg,
où son unité est matraquée par l'aviation allemande. Certains
régiments de fusiliers soviétiques ne comptent alors plus que 150 à
200 hommes en état de se battre ! Davidenko témoigne également
qu'au début de l'offensive, les soldats finlandais ne sont plus
aussi coriaces que pendant la guerre d'Hiver. Il est notamment témoin
de la déroute d'un bataillon qui abandonne trop rapidement ses
positions.
Témoignage
de Nikolay Myasoedov.
Myasoedov
est né en 1922 dans la région de Bielgorod. En 1940, il est enrôlé
dans l'Armée Rouge et formé à l'école des artilleurs de Saratov.
Sa promotion subit un entraînement intensif à la guerre en
condition hivernale à la lumière de l'expérience en Finlande.
Envoyé former des recrues d'Asie Centrale en juillet 1941, Myasoedov
participe en août à l'invasion conjointe de l'Iran entre
Soviétiques et Britanniques. En mars 1942, il suit les cours de
l'école d'artillerie de Riazan déménagée au Kazakhstan en raison
de l'avance allemande. Un an plus tard, devenu lieutenant, Myasoedov
gagne le front de Léningrad. Le 22 juillet, lors d'une offensive du
30ème corps de fusiliers de la Garde, le chef du bataillon de
reconnaissance d'un régiment d'artillerie de la 63ème division de
fusiliers est tué. Myasoedov prend sa place, au 1er bataillon du
133ème régiment d'artillerie. Le régiment comprend deux bataillons
armés de canons ZIS-3 de 76 mm et un autre d'obusieurs de 122 mm
M1938. Pendant cette offensive, la division perd la moitié de son
effectif. En août 1943, alors que la division a été retirée à
l'arrière, Myasoedov rencontre le général Simonyak, qui commande
le 30ème corps de fusiliers de la Garde (63ème, 64ème et 45ème
divisions de fusiliers de la Garde), après avoir dirigé la 8ème
brigade d'infanterie indépendante sur la péninsule de Hanko puis la
136ème division de fusiliers devenue 63ème division de fusiliers de
la Garde. Il participe plus tard à l'offensive de Siniavino, avant
de recevoir la médaille pour la défense de Léningrad, en décembre
1943.
Le
15 janvier 1944, Myasoedov et son régiment sont de l'offensive qui
lève définitivement le blocus de Léningrad. Puis, en février,
l'unité pousse jusqu'à la rivière Narva. Il est blessé à la tête
en mars et évacué à l'arrière. Le 23 mai 1944, à sa sortie
d'hôpital, Myasoedov apprend qu'une offensive se prépare dans
l'isthme de Carélie contre les Finlandais. Un grand secret entoure
les préparatifs de l'opération. Myasoedov raconte : « Notre
63ème division de fusiliers doit avancer au milieu de la route
Kivennapa-Vyborg (…) Les 6,7,8 et 9 juin sont les jours de
préparatifs les plus intenses. Des nuits sans sommeil (…) Puisque
les défenses devant nous ont été bâties de longue date,
l'opération suit un schéma différent de celui habituel. La
préparation d'artillerie et de l'aviation ne dure pas deux heures,
mais commence dès le 9 juin et s'étale sur toute la journée, pour
détruire les positions fixes et les tranchées. Les coordonnées des
objectifs sont connues précisément. Auparavant il n'y avait jamais
eu une telle concentration d'artillerie sur un front si étroit. Le
3ème corps d'artillerie du général Zhdanov dispose de pièces
lourdes à longue portée. Il faisait de la contre-batterie contre
les pièces allemandes qui tiraient sur Léningrad. A ces pièces se
sont ajoutés dix bataillons d'artillerie transférés des réserves
et des canons de 280 et 305 mm. Notre artillerie divisionnaire assure
le soutien de l'infanterie : nous tirons sur les objectifs qui
peuvent entraver sa progression sur une profondeur de 2 à 4 km.
L'aviation termine le travail. Dans la soirée, l'un de nos
bataillons accomplit une reconnaissance en force du dispositif
finlandais. Le 10 juin à 06h10, nous commençons la préparation
d'artillerie qui se termine à 08h20. L'aviation intervient à partir
de 7h00 : elle doit entre autres pilonner les premières lignes
ennemies mais les bombes tombent parfois un peu trop près de notre
abri situé à 700 m des tranchées finlandaises... (…) nous
appuyons le 190ème régiment du colonel Afanasev. Afanasev avait
suivi les cours des sapeurs avant la guerre avant de se retrouver
dans la 8ème brigade sur Hanko. Puis il avait commandé un bataillon
de sapeurs avant de rejoindre les fusiliers après la levée du
blocus de Léningrad. Pendant l'opération contre Vyborg, il va
exceller. Son régiment perce de 15 km et dès le 12 juin, les
Finlandais sont sur leur deuxième ligne défensive près de
Kivennapa, où arrive notre division. Devant cette localité, nous
appuyons ensuite le 188ème régiment. Les réserves ennemies étant
acheminées là, notre division passe en deuxième échelon pour une
nouvelle attaque sur le flanc gauche, le long de la côte. Les routes
sont encombrées par notre énorme artillerie. Le 20 juin, nos
troupes entrent dans Vyborg, et la ville tombe dans la soirée. Nous
nous installons à 7 km au nord-est de la ville, pour soutenir la
prochaine attaque. (…) Notre poste d'observation est situé sur une
montagne, dans la région d'Ihantala, à la lisière d'une forêt,
qui court sur la pente de la montagne. Dans la forêt se trouve
l'état-major de notre bataillon puis un peu plus loin, nos pièces.
L'artillerie finlandaise nous empêche de lever le nez hors de nos
abris : elle frappe avec une terrible précision, comme si elle
nous voyait. La situation devient bientôt critique. Un détachement
qui amène des vivres des batteries au poste d'observation est pris
en embuscade : plusieurs hommes sont tués mais un autre
parvient à s'enfuir. Notre chef de popote du bataillon est alors un ancien
fusilier marin, visiblement habitué des combats au corps-à-corps.
Il interroge le survivant et l'accompagne sur le même trajet le
lendemain. Encore une fois, ils sont pris sous des tirs, mais le
fusilier marin repère rapidement l'origine des coups de feu et
débusque des tireurs finlandais kamikazes, les « coucous ».
Bientôt il amène trois prisonniers dont un sous-officier artilleur
finlandais, que l'on interroge dans le poste d'observation. Nous
trouvons sur lui une carte du secteur avec indiqué dessus notre
poste d'observation, ainsi que trois points rouges. Nous supposons,
au vu des emplacements, qu'il s'agit du bataillon d'artillerie
finlandais qui nous tire dessus. Aussi nous obtenons la permission
de réaliser un tir de contre-batterie, qui a dû être efficace car
nous sommes ensuite beaucoup moins embêtés par les obus
finlandais. » .
Pour
en savoir plus :
« Давиденко
Василий Федорович », mis en ligne le 22
juillet 2006, témoignage recueilli par Bair Irincheev, iremember.ru
.
« Мясоедов
Николай Сергеевич », mis en ligne le 31
octobre 2012, iremember.ru .