1944-1945. Un conducteur de char T-34/76, dont le véhicule a été touché par un obus tiré par un char Tigre, est brûlé à 90% mais survit miraculeusement à ses blessures. Rétabli mais en partie amnésique, le conducteur, baptisé Naydenov (Alex Vertkov), est recruté par le major Fedotov (VitalyKishchenko). Celui-ci s'est vu attribuer la tâche, par le haut commandement (le maréchal Joukov), de débusquer le Tigre qui a détruit le char de Naydenov. Ce mystérieux blindé, qui semble surgir de nulle part et détruire des dizaines de chars soviétiques sur leurs arrières, effraie autant les Allemands que les soldats de l'Armée Rouge. Or Naydenov est désormais obsédé par la tâche de venir à bout de ce fantôme : Belyy Tigr, ou Tigre blanc...
- C'est le dieu des chars qui t'a dit ça ?
- Oui.
- Et ce dieu, où est-il ?
- Dans le ciel. Dans les nuages. Il a un trône et il est assis dessus. Autour de lui, il y a tous les chars détruits à la guerre.
- A quoi ressemble-t-il, ce dieu ?
- Il est partout, dans le casque du tankiste... il a un T-34. En or. Quand il monte dedans, il y a la foudre et l'éclair.
Il n'y a qu'un film de guerre russe qui puisse comporter de tels dialogues.
Le cinéma russe traitant de la Seconde Guerre mondiale, et la guerre en général, se signale par des productions intéressantes depuis près d'une décennie, avec force moyens : que l'on pense à L'Etoile, 9ème escadron, La bataille de Brest-Litovsk... Tigre blanc confirme la tendance. Assez clairement inspiré du roman d'Herman Melville, Moby Dick (et par certains côtés du film Duel de Spielberg), le film joue sur le fait bien connu de la réputation du char Tigre I allemand pendant la Grande Guerre Patriotique, adversaire redoutable et redouté -mais loin d'être invulnérable- des tankistes russes. Il est basé sur le roman d'un tankiste soviétique, Ilya Boyashov. Le réalisateur fait du Tigre l'essence même du nazisme, du fanatisme raciste et idéologique mise en oeuvre par les nazis : chaque apparition est d'ailleurs accompagné de morceaux de Wagner. A l'inverse, Naydenov et son T-34 deviennent le rempart de l'URSS et permettent de s'interroger sur la nature de la guerre, le bien et le mal, et la façon dont les conflits sont restés dans la mémoire collective.
Shakhnazarov cherche aussi à montrer que la guerre dépasse, en quelque sorte, la compréhension humaine : ainsi, le personnage principal, gravement brûlé, guérit miraculeusement et reçoit le don de parler aux chars. La scène finale du film, où l'on voit Hitler parler à un personnage habilement masqué par l'obscurité (probablement le Diable en allégorie), met en exergue la la cruauté d'une certaine culture européenne qui déchaîne la destruction. Une mise en garde aussi contre le retour d'une idéologique qui malheureusement est loin d'avoir disparue. Le réalisateur termine là-dessus, manifestement pour donner à réfléchir.
Sur un plan technique, le film, tourné en seulement trois mois (entre autres dans un village reconstitué aux abords de Moscou), fait appel à une véritable débauche de matériels. Si le Tigre, visiblement monté sur un IS-2 modifié (on en voit d'ailleurs au moins un autre dans le film), n'est pas très ressemblant (il m'a penser à ceux de la grande fresque brejnévienne, Libération), il y a pléthore de T-34/85, T-34/76, et même des carcasses allemandes et un char Matilda du Prêt-Bail (avec aussi une réplique de M3 Lee/Grant), sans compter les SU-100, ISU-152, le BT-7 détruit et d'autres véhicules légers. Aux commandes, en plus, de véritables tankistes russes (!). Bref, un vrai régal pour les yeux.
On ne se lasse plus des productions du cinéma russe ! Fortement conseillé.