Le dernier volume de la collection Illustoria-Histoire Ancienne (merci maman !), récement paru, est consacré à la grande invasion des Gaules en 407-409. Il est signé Iaroslav Lebedynsky, qui a déjà écrit plusieurs ouvrages de la même collection, notamment celui dédié à la campagne d'Attila en Gaule de 451 que je commentais récemment.
Comme le rappelle l'auteur dans l'introduction, l'événement est d'importance : l'invasion de la Gaule par les Alains, les Vandales et les Suèves-Quades du 31 décembre 406, qui saccagent les provinces gauloises avant de passer en Espagne fin 409, entraîne l'installation durable de groupes barbares constitués sur le territoire de l'Empire romain d'Occident. Le début de la fin pour la Gaule romaine a cependant laissé peu de traces dans les sources, encore moins prolixes que sur la campagne d'Attila, elle-même déjà mal connue. Le sujet ne passionne pas non plus les historiens. Les sources sont peu nombreuses, il est vrai : des passages de Claudien, de SaintJérôme, d'Orose, de Grégoire de Tours, le "Continuateur de Prosper" du VIIème siècle qui est le seul à donner la date précise de l'invasion, Frédégaire, qui bâtit la légende du roi vandale Chrocus, les sources hagiographiques. Un ensemble qui ne donne, au passage, que le point de vue romain. Les sources archéologiques et iconographiques sont tout aussi pauvres : quelques enfouissements de monnaies, le diptyque d'Halberstadt, et c'est à peu près tout.
L'ébranlement des tribus barbares est probablement provoqué par le déplacement du centre de gravité des Huns de la steppe ukrainienne à la plaine hongroise, sans que la chose soit avérée. L'invasion de l'Italie en 405 par Radagaise, un Ostrogoth qui cherche à échapper à la domination des Huns en franchissant le Danube, est un signe avant-coureur. Stilicon, le généralissime d'Occident,écrase les envahisseurs notamment avec l'aide de Sarus, un Ostrogoth fédéré que l'on retrouvera plus tard dans les événements de la grande invasion. Celle-ci regroupe plusieurs peuples différents. Les Vandales, Germains orientaux convertis à l'arianisme, disposent d'une abondante cavalerie : ils ont déjà été en contact avec les Romains de longue date, en tant qu'alliés ou adversaires. Les Alains, peuple iranophone également bien connu des Romains, sont divisés en deux groupes commandés par Respendial et Goar : le premier dirigeait peut-être une partie des Alains soumis aux Huns et cherchant à leur échapper, et le second des anciens fédérés romains. Les Suèves sont en fait les Quades installés dans les Carpathes et proches des Sarmates iranophones. D'autres groupes ont profité de l'occasion pour agrandir leur territoire, comme les Burgondes, les Gépides, les Hérules, les Saxons et les Alamans. L'invasion a peut-être rassemblé 150 000 personnes, sur la base de calculs fondés sur des estimations plus ou moins crédibles données par les sources. L'armement est hétéroclite, de même que les traditions militaires : aux cavaliers vandales et quades s'ajoutent une nombreuse infanterie caractéristique de la plupart des peuplades germaniques.
La Gaule s'impose comme une cible logique car elle est peu défendue et assez bien connue des envahisseurs. Après avoir passé le Danube, les tribus se heurtent pendant le franchissement du Rhin aux Francs, alliés fédérés des Romains. Les Alains de Goar, après avoir franchi le fleuve, rejoignent le camp romain. Les Francs s'en prennent aux particuliers aux Vandales qui ne sont sauvés que par l'intervention de l'autre groupe alain dirigé par leur roi Respendial. Ceux-ci dominent à partir de là la coalition. On ne sait pas si le Rhin était gelé, aucune source ne le mentionne mais la légende s'est imposée depuis : le fait est probable. La date, en revanche, est quasiment sûre : le 31 décembre 406, le lieu l'est moins, peut-être dans les environs de Mayence.
Les Barbares ravagent la Gaule germanique et belgique, puis contournent par l'ouest le Massif Central et butent sur les Pyrénées, défendues par des fidèles de l'empereur romain d'Occident Honorius, avant de refluer sur le sud-ouest de la Gaule. Les ravages ont dû être considérables : de nombreuses villes sont saccagées. Il n'y pas forcément de motif religieux à ces destructions (Vandales ariens contre catholiques, par exemple) même si les sources chrétiennes du temps voient dans l'invasion un châtiment divin pour les fautes des Romains païens. L'invasion provoque cependant en 407 une usurpation en Bretagne d'où Constantin finit par emmener les troupes de garnison en Gaule, tandis qu'une réaction antigermanique en Italie dès 408 supprime Stilicon, généralissime d'Occident. L'armée de Constantin III bat les troupes de Sarus, s'installe dans le sud-est de la Gaule, puis franchit les Pyrénées. Honorius est obligé de reconnaître l'usurpateur sous la menace des Wisigoths d'Alaric qui assiègent alors Rome au printemps 409. L'usurpation de Constantin entraîne en tout cas la fin de la présence romaine en Bretagne et la "sécession" de l'Armorique en Gaule, sous la coupe des bagaudes. A l'automne 409, les Barbares profitent de la guerre civile entre Romains pour franchir les Pyrénées et se partager l'Espagne en 411-412. Ils essaient d'obtenir le statut de fédérés de la part d'Honorius, sans succès, tandis que Gérontius, général de Constantin III opérant en Espagne, se révolte contre son maître.
Début 410, Constantin III marche sur l'Italie mais il est repoussé. Affaibli par la trahison de Gérontius, il se replie en Gaule. pendant ce temps, les Wisigoths d'Alaric s'emparent de Rome en août mais le chef barbare meurt peu après. Honorius confie ensuite une armée au général Constance venu de Mésie : au printemps 411, celui-ci défait Gérontius qui assiège Constantin III dans Arles, puis reprend le siège et obtient la tête de l'usurpateur. Pendant ce temps, les Alains de Goar et les Burgondes, devenus peut-être fédérés de Constantin III, élisent en 411 un empereur fantoche, Jovin. Celui-ci recrute parmi les Francs et les Alamans. Athaulf, le nouveau chef wisigoth, fait passer sa tribu en Gaule mais ne s'entendant pas avec Jovin, il rallie Honorius pour le compte duquel il élimine l'usurpateur en assiégeant victorieusement Valence. A la suite de quoi Burgondes et Alains de Goar sont installés en Gaule par l'empereur. Athaulf se brouille à nouveau avec Honorius en épousant sa demi-soeur Galla Placidia et ravage l'Aquitaine en 414. Passé en Espagne, Athaulf est assassiné par Sigéric, le frère de Sarus qu'il avait exécuté. Sigéric est bientôt remplacé par Wallia. Celui-ci, bloqué dans son franchissement des Pyrénées par l'armée de Constance, accepte de nettoyer l'Espagne des Barbares pour le compte d'Honorius. Les Wisigoths écrasent les Alains et les Vandales Silings, puis sont établis par Constance, nouvel homme fort d'Occident marié à Galla Placidia, en Aquitaine, dès 418. La situation se stabilise, 11 ans après l'invasion, mais la Gaule en sort profondément transformée notamment par l'irruption sur son sol de nombreuses tribus barbares. Les Vandales passent en Afrique du Nord en 429 tandis que les Quades/Suèves installés en Espagne sont anéantis à la fin du VIème siècle par les Wisigoths. Quant aux Alains partis avec les Vandales, leur souvenir perdure dans les mythes de la monarchie portugaise qui fait de l'Alain Respendial l'ancêtre des monarques lusitaniens ! Les Burgondes, écrasés par les Huns en 436-437, sont ensuite cantonnés en Sapaudia. Les Francs, acteurs secondaires du drame, vont en recueillir le bénéfice à partir de la fin du Vème siècle.
Au final, Quades, Vandales et Alains s'installent comme des acteurs importants de l'Empire romain d'Occidentà partir de l'invasion. Les destructions sont considérables mais ces tribus cherchent avant tout à obtenir une place dans l'Empire, non à le détruire purement et simplement. L'invasion déclenche aussi un nouveau cycle de guerres civiles qui fragilise l'Empire romain d'Occident d'Honorius, qui semble d'ailleurs plus se préoccuper des usurpations que l'invasion elle-même. C'est aussi l'installation en Gaule des Wisigoths, amenés à jouer un grand rôle dans la suite des événements au Vème siècle. L'invasion de 407-409 constitue ainsi le premier jalon de la chute de l'Empire romain d'Occident, éclaté entre les différents peuples barbares qui s'y sont installés.
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