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Les Tiger Forces du colonel Souleil al-Hassan, considérées par les thuriféraires du régime, et par d'autres, comme l'élite des combattants pro-Assad, sont en réalité emblématiques de la transformation de l'armée syrienne depuis le début du conflit. Ayant fait ses preuves dans la répression des manifestants en 2011, Hassan, également impliqué dans la mise au point des fameux « barils explosifs » à Hama, constitue en 2013 une unité dont le squelette est constitué par sa branche d'origine, les renseignements de l'armée de l'air, le tout complété par des officiers alaouites de l'armée, des milices locales, des civils formés par les renseignements de l'armée de l'air, voire de pur et simples criminels. A partir de l'automne 2013, et surtout 2014, les Tiger Forces servent de « brigade de pompiers » sur tous les points chauds pour le régime. Appliquant la tactique de la « terre brûlée », Hassan, qui a un accès direct à l'aviation du régime et qui a réussi à s'approprier une énorme puissance de feu, écrase les positions adverses sous un mur de flammes avant de lancer des attaques foudroyantes. Cela ne l'empêche pas d'être mis en difficulté par l'offensive rebelle à Idlib au printemps 2015. Il faudra l'intervention russe de septembre pour rétablir la situation. Depuis, Hassan, remis en selle, a été sur tous les fronts décisifs pour le régime : aujourd'hui, il est en première ligne à Alep. Son succès montre aussi que les plus ardents défenseurs du régime, bien qu'intégrés dans des forces hétérogènes, locales et étrangères, échappent de plus en plus au contrôle de Bachar el-Assad : Hassan œuvre aussi comme un pion indépendant, avec ses propres objectifs. Ses succès en font une véritable icône des supporters du régime, en faisant même pour certains un rival potentiel de Bachar el-Assad.
Les Tiger Forces du colonel Souleil al-Hassan, considérées par les thuriféraires du régime, et par d'autres, comme l'élite des combattants pro-Assad, sont en réalité emblématiques de la transformation de l'armée syrienne depuis le début du conflit. Ayant fait ses preuves dans la répression des manifestants en 2011, Hassan, également impliqué dans la mise au point des fameux « barils explosifs » à Hama, constitue en 2013 une unité dont le squelette est constitué par sa branche d'origine, les renseignements de l'armée de l'air, le tout complété par des officiers alaouites de l'armée, des milices locales, des civils formés par les renseignements de l'armée de l'air, voire de pur et simples criminels. A partir de l'automne 2013, et surtout 2014, les Tiger Forces servent de « brigade de pompiers » sur tous les points chauds pour le régime. Appliquant la tactique de la « terre brûlée », Hassan, qui a un accès direct à l'aviation du régime et qui a réussi à s'approprier une énorme puissance de feu, écrase les positions adverses sous un mur de flammes avant de lancer des attaques foudroyantes. Cela ne l'empêche pas d'être mis en difficulté par l'offensive rebelle à Idlib au printemps 2015. Il faudra l'intervention russe de septembre pour rétablir la situation. Depuis, Hassan, remis en selle, a été sur tous les fronts décisifs pour le régime : aujourd'hui, il est en première ligne à Alep. Son succès montre aussi que les plus ardents défenseurs du régime, bien qu'intégrés dans des forces hétérogènes, locales et étrangères, échappent de plus en plus au contrôle de Bachar el-Assad : Hassan œuvre aussi comme un pion indépendant, avec ses propres objectifs. Ses succès en font une véritable icône des supporters du régime, en faisant même pour certains un rival potentiel de Bachar el-Assad.
Historique
Souheil
al-Hassan, alaouite, est né en 1970 dans un petit village (Beit Ana)
de la région côtière d'al-Jableh1.
Il est surnommé « al-Nimr » (le Tigre), d'où le
nom de la formation qu'il mène aujourd'hui dans la guerre en Syrie,
les Tiger Forces. Hassan sort diplômé de l'académie
militaire de Homs, parmi les premiers de sa promotion, en 1991, avec
le grade de lieutenant de la défense antiaérienne2.
Il sert ensuite dans les groupes des opérations spéciales de
l'armée de l'air. Il intègre finalement les services de
renseignement de l'armée de l'air, branche névralgique du maintien
de la dictature Assad, en 2005-2006. Avec le déclenchement de la
révolution, il réintègre les forces spéciales de l'armée arabe
syrienne en 2011. Connu pour sa brutalité sur le champ de bataille,
il écrit aussi des poèmes à ses moments perdus, tout en cultivant
la forme physique et une « éthique » (sic) du
guerrier3.
Hassan est réputé pour ne pas être forcément sectaire : il
s'est entouré de combattants sunnites, chrétiens, ismaëliens, et
aurait même de nombreux informateurs dans la rébellion4.
Ce qui ne l'empêche pas de se montrer impitoyable avec ses
adversaires.
Souheil al-Hassan. |
Dès
le mois de de décembre 2011, un rapport de Human Rights Watch
compile les témoignages de soldats syriens déserteurs identifiant
des officiers ayant donné l'ordre de tirer sur les manifestants5.
Un membre du groupe des opérations spéciales des services de
renseignement de l'armée de l'air explique que le colonel Suheil
Hassan, alors cantonné à Mezzeh, lui a donné l'ordre de battre les
personnes arrêtées dans la banlieue de Damas. Hassan aurait reçu
la mission, du chef du renseignement de l'armée de l'air, de
sécuriser la frontière avec Israël dès le mois d'avril 20116.
Ce même mois, à la tête d'un contingent des renseignements de
l'armée de l'air, Hassan part pour une caserne à Saïda, dans la
province de Deraa : sa troupe tire sur des manifestants voulant
rejoindre la ville de Deraa, assiégée par le régime, tue 120
personnes et en arrête 160. Hassan est ensuite transféré à
l'aéroport militaire de Hama. Il gère le principal centre de
détention du renseignement de l'armée de l'air et conduit la
répression qui alimente les cellules du lieu. Puis Hassan s'implique
dans la fabrication des « barils explosifs »,
lâchés par les hélicoptères du régime sur les quartiers urbains
tenus par les rebelles, et qui sont notamment assemblés à la
périphérie de Hama, les appareils décollant de l'aéroport
militaire voisin, chargés de leurs munitions improvisées.
A
l'été 2013, il est à la tête d'une force d'opérations spéciales
qu'on l'a chargé de créer pour mener des opérations offensives.
Hassan a choisi la plupart de ses cadres, comme son adjoint, le
capitaine Lu’ayy Al-Sleitan. En réalité, Hassan forme cette unité
avec du personnel des renseignements de l'armée de l'air7.
Il se reposera souvent sur des milices locales combinées à un
entourage de pro-régime venant de différents milieux8.
Cette force est financée par Rami Makhlouf, le fameux cousin de
Bachar el-Assad qui a participé à la mise en coupe réglée de la
Syrie. Le recrutement s'effectue parmi les officiers alaouites des
4ème et 11ème divisions, tandis que les renseignements de l'armée
de l'air forment des civils alaouites pour l'unité9.
Avec cette unité, Hassan reprend, le 3 septembre, la ville d'Ariha,
dans la province d'Idlib, tombée entre les mains des rebelles dix
jours plut tôt10.
Utilisant des tactiques de forces spéciales, Hassan tend une
embuscade aux rebelles en déguisant ses hommes pour bénéficier de
l'effet de surprise. Ariha est matraquée à coups de barils
explosifs et de roquettes, 60 à 70% des bâtiments de la ville sont
détruits11.
Ce sont les prémices de la tactique de la « terre brûlée »
dont Hassan va se faire une spécialité.
Hassan
ouvre ensuite la voie au sud-est d'Alep, à partir d'Hama, en
direction d'al-Safira (pilonnée méthodiquement comme Ariha),
reprenant la ville de Khanasser aux rebelles, puis, en mai 2014,
perce vers la prison centrale d'Alep, assiégée par les rebelles,
opération qui devient son premier coup d'éclat médiatique, et qui
lui donne une certaine visibilité. Hassan, alors commandant
militaire à Alep, s'empare aussi du quartier industriel de Sheikh
Najjar à l'est de la ville en juillet 2014. C'est grâce à son
action que les rebelles sont déjà en passe d'être encerclés dans
l'est d'Alep à la fin de l'année 2014. Alors que ses forces sont
encore sur le front d'Alep12,
le front al-Nosra et les rebelles lancent en juillet 2014 une
offensive contre Hama et son aéroport militaire. Hassan accourt avec
l'élite de ses forces pour rétablir la situation, bloquant
l'offensive sur la ville chrétienne de Mhardeh. Il reprend la ville
de Morek, point stratégique de la province de Hama, le 26 octobre13,
mais la résistance des rebelles est plus dure, notamment en raison
de l'afflux de lance-missiles antichars. Puis Hassan doit rejoindre
le front à l'est : l'EI reprend en effet, fin octobre 2014, le
champ gazier d'al-Shaer (nord-ouest de Palmyre), où une première
bataille avait eu lieu contre l'EI en juillet. Le régime, au prix
d'une furieuse bataille, parvient à reconquérir al-Shaer, les
forces sur place étant commandées par Hassan.
Son
unité, les « Tiger Forces » (Qawat Al-Nimr),
devient une véritable brigade de pompiers, intervenant sur tous les
points chauds du front pour le régime. Hassan se transforme une
légende vivante pour les partisans du régime, mais sa réputation
d'invincibilité est écornée par la chute de la province d'Idlib en
avril-mai 2015 : même ses troupes n'ont pas pu sauver les
positions du régime pressées par les rebelles. La situation a été
particulièrement dure pour ses 800 hommes à Jisr-al-Shughur. Le
coup est d'autant plus dur pour Hassan que c'est là qu'il avait
réalisé ses premiers « exploits » en 2013. Un
des gardes du corps de Hassan est abattu à côté de lui par un
sniper le 13 juin 2015. Ce même mois, Hassan est redéployé
en urgence dans l'est, après la chute de Palmyre tombée face à
l'EI, pour enrayer l'avance de l'organisation djihadiste14.
En septembre 2015, les Tiger Forces participent à l'offensive
du régime pour lever le siège de la base aérienne de Kweires, à
l'est d'Alep, par l'EI. Hassan, revenu sur le devant la scène,
repousse plusieurs contre-attaques de l'EI sur al-Safirah et la route
entre Hama et Alep, puis, après un mois d'offensive (largement
soutenue par les Russes -Spetsnaz guidant les frappes
aériennes15-
et d'autres alliés étrangers16),
finit par faire la jonction avec la garnison de Kweires le 11
novembre 2015. Il semble que ce soit une subdivision des Tiger
Forces, les Cheetah Forces (Qawat al-Fahoud), commandées
par le colonel Ismael et par le désormais colonel Sleitan, qui sont
engagées dans la bataille17.
Un précédent commandant des Cheetah, Ali Al-Hajji de 'Ayn
Al-Souda, dans la province de Tartous, est d'ailleurs tué dans la
plaine d'al-Ghab en octobre 201518.
A la mi-novembre, les Tiger Forces sont engagées au nord-est de Hama
et à l'est de Homs pour effectuer des raids en profondeur du
dispositif adversaire et des éliminations ciblées afin de favoriser
l'offensive des forces du régime19.
Hassan est promu Major General par Assad en décembre 2015,
une promotion qu'il accepte après en avoir refusé une autre de
Brigadier General, selon ses dires, pour rester combattre
auprès de ses hommes. Il est également décoré par les Russes20.
Novembre 2015 : un membre des Tiger Forces avec un RPO-A Shmel russe. |
Les
Tiger Forces reçoivent d'ailleurs du matériel plus performant
suite à l'intervention russe. Elles sont intégrées dans le 4ème
corps créé sous l'égide de Moscou qui mêle les forces
paramilitaires du régime avec les conseillers étrangers21.
Elles font partie du corps qui reprend Palmyre à l'EI en mars 2016
(avec une autre subdivision, les Panther Forces du colonel
Shaheen, qui sont redéployées dans la plaine d'al-Ghab peu après
la reprise de Palmyre22).
Egalement engagées à Deir-es-Zor, les Panther Forces, en
tant que forces spéciales, repèrent et identifient les cibles pour
les frappes aériennes russes23.
En mai 2016, Hassan menace le gouverneur du régime de la province de
Homs, Talal Barazi, qui ne l'a pas reçu comme il se doit, d'après
lui24.
En juillet 2016, un autre des gardes du corps de Hassan est tué au
combat par les rebelles à Alep : les Tiger Forces sont
engagées dès le mois précédent dans l'offensive du régime pour
encercler les quartiers est tenus par les rebelles. A la fin octobre,
elles reviennent pour repousser l'attaque contre les quartiers ouest
tenus par le régime. Elles combattant parallèlement au nord de
Hama, où elles perdent un de leurs cadres, Tariq Al Bonyahi, décédé
après avoir été amputé des deux jambes le 8 novembre. Le 25
novembre, un des commandants des Tiger Forces, Wael Taffouh,
vétéran des combats de Kweires et des appartements 1070 à Alep,
est tué durant les combats.
Carte non exhaustive des engagements des Tiger Forces depuis 2013 : cercle rouge, 2013 ; cercle bleu, 2014 ; cercle jaune, 2015 ; cercle vert, 2016. |
Hassan
a probablement été mis en avant par Bachar el-Assad et son frère
Maher, qui dirige la Garde Républicaine, sur les conseils des
officiers de renseignement25.
Il a ainsi pu nommer les chefs des comités de sécurité à Hama et
Homs, de même que les nouveaux chefs du renseignement militaire et
du renseignement de l'armée de l'air à Hama. C'est lui aussi qui
gère les instruments de renseignement de la ville de Salamiyeh dans
la province de Hama. La situation est parfois tendue avec les autres
chefs de guerre du régime, dégénérant jusqu'à l'affrontement
armé. L'efficacité d'Hassan sur le champ de bataille est sans doute
lié à son accès quasi direct à l'aviation ; en outre il a
accumulé une force d'artillerie tractée par camions (à l'origine,
de la 4ème division blindée), combinée aux chars, véhicules
blindés et mortiers qui lui permettent de mener des bombardements
massifs et une véritable politique de « terre brûlée ».
Ses combattants ont été formés par les Iraniens (qui fournissent
également de nombreuses armes et des munitions à ses troupes) ou le
Hezbollah. Le colonel Fadl Salami, chef du comité de sécurité
de Hama, a été relevé de ses fonctions de direction de l'aéroport
militaire de la ville pour n'avoir pas voulu obéir à certains
ordres de Hassan. Depuis l'intervention russe, Hassan bénéficie
aussi du soutien aérien de Moscou. Ces faveurs lui valent la haine
sourde d'autres responsables militaires ou des renseignement du
régime, qui ont parfois tenté de l'assassiner (on évoque notamment
les responsables du renseignement militaire) ; en outre Hassan
attire les recrues, ce qui n'est pas sans poser problème à
l'architecture des forces pro-Assad. Il a souvent été déclaré
comme tué au combat, ce qui a été jusqu'ici démenti à chaque
fois. D'aucuns le considèrent comme un rival de Bachar el-Assad :
un parcours foudroyant pour cet officier des renseignements de
l'armée de l'air qui a su fédérer autour de lui les énergies d'un
régime en plein désarroi, officiers des renseignements, leaders
tribaux locaux (d'abord à Hama, puis ailleurs), et criminels
parfois, aussi, et qui en a fait un Etat dans l'Etat26.
Armement,
matériel, tactiques
Une
analyse en source ouverte sur les deux derniers mois
(septembre-novembre 2016) offre un bon aperçu de l'armement, du
matériel et des tactiques mis en œuvre par les Tiger Forces
de Hassan. L'unité dispose d'une abondante artillerie : canon
D-30 de 122 mm, LRM BM-21 Grad, batterie de canons M-46 de 130
mm... Outre les canons, elle a aussi des mortiers lourds et des
lance-missiles antichars (Metis-M par exemple), ainsi que des
lanceurs IRAM montés sur véhicules. Hassan a, pour ses opérations,
accès à un impressionnant soutien aérien de l'aviation du régime :
Sukhoi Su-22, hélicoptère Gazelle, hélicoptère Mi-8/17
lâchant des barils explosifs. Les chars, comme les T-55, sont
utilisés pour le pilonnage à distance, tandis que les véhicules
blindés BMP-1 ouvrent la voie des assauts au sol. En plus des T-55,
les Tiger Forces disposent de chars T-72 et même de T-90A, un
des matériels les plus récents livrés par la Russie. Un ZSU 23/4
est employé en tir tendu contre des objectifs terrestres. Les Tiger
Forces ont aussi un automoteur d'artillerie 2S1 ou 2S3 utilisé
en tir tendu. Elles font également largement usage de technicals :
Toyota Land Cruiser avec ZU-23 ou KPV/ZPU-2, pick-up ou
camions avec ZPU-4, nombreux camions portant des canons antiaériens
S-60 de 57 mm... L'infanterie opère en groupes d'une dizaine
d'hommes, avec tireur PK, tireur RPG-7 et brancardier, plus des
tireurs SVD. Le tireur RPG-7 porte en même temps ses munitions. Les
combattants portent un brassard jaune pour s'identifier sur le champ
de bataille. Les fantassins ont accès à des armes plus
sophistiquées comme des lance-grenades AGS-17 ou des RPO-A Shmel
russes. Les Tiger Forces semblent compter plusieurs
subdivisions, probablement de taille réduite (bataillon/compagnie) :
outre les Cheetah Forces et les Panther Forces, on
trouve à Alep le bataillon Al Rahhal et le groupe des Lions
de Yaraab. La tactique favorite des Tiger Forces est d'écraser
l'adversaire sous leur puissance feu (avions, artillerie, chars) puis
de lancer un assaut mené par les éléments blindés ou mécanisés
suivis de l'infanterie.