Les éditions du CNRS ont eu la bonne idée, en septembre 2011, de lancer une collection de poche, Biblis, qui multiplie les parutions cette année (d'autres volumes seront prochainement commentés ici). Le n°31 est signé Catherine Wolff, professeur d'histoire romaine à l'université d'Avignon et des Pays du Vaucluse. Catherine Wolff est une spécialiste de l'armée romaine et en particulier de la question des prisonniers de guerre ; sa thèse portait sur les brigands dans l'Orient romain sous le Haut-Empire. On lui doit aussi un tome de la collection Illustoria sur la campagne de Julien l'Apostat en Perse (363), que je n'ai pas encore lu.
Dans ce petit ouvrage, l'historienne se propose de répondre à cette simple question : l'armée romaine, instrument de conquête à la fin de la République et sous le Haut-Empire, était-elle véritablement une armée modèle, comme Auguste et ses successeurs ont bien voulu nous le faire croire à travers différentes oeuvres de propagande laissées à la postérité ?
Après une rapide présentation de l'armée romaine elle-même, qui en montre toutes les évolutions et donc la complexité, Catherine Wolff précise qu'elle s'attachera surtout aux légions et aux auxiliaires, de l'époque républicaine à la fin du règne de Commode, en 192 ap. J.-C. . Pour répondre à la négative à la question initiale, l'historienne se concentre sur trois exemples signicatifs : les désertions, les passages à l'ennemi et les mutineries.
Les désertions et les passages à l'ennemi ont bien existé dans l'armée romaine, ce que révèlent en partie les sources écrites, mais ne sont pas les mêmes selon qu'on a à faire à une guerre entre Romains et Barbares ou à une guerre civile entre Romains. Les transfuges sont un mal nécessaire des guerres romaines mais le passage à l'ennemi reste dangereux et les conséquences hasardeuses. Les raisons du passage à l'acte sont nombreuses : peur, problèmes matériels, aspiration à de meilleures conditions, problèmes de commandement, motifs politiques (en particulier pendant les guerres civiles). Les citoyens romains désertent plus facilement pendant les guerres civiles, alors que les auxiliaires le font plutôt lors de guerres "classiques".
Ci-dessous, court extrait d'Astérix chez les Bretons (1986), adaptation de la BD parue vingt ans plus tôt. Comme le dit Catherine Wolff sans sa conclusion, Astérix a contribué à renforcer l'image mythique d'une armée romaine de légionnaires uniformes en lorica segmentata, employant la tortue et bâtisseurs de camps retranchés identiques.
Ci-dessous, court extrait d'Astérix chez les Bretons (1986), adaptation de la BD parue vingt ans plus tôt. Comme le dit Catherine Wolff sans sa conclusion, Astérix a contribué à renforcer l'image mythique d'une armée romaine de légionnaires uniformes en lorica segmentata, employant la tortue et bâtisseurs de camps retranchés identiques.
Le légionnaire prête un serment de fidélité dès son incorporation dans l'armée romaine. La désobéissance aux ordres, que l'on peut apercevoir dans les sources, est une faute grave, mais qui n'est pas systématiquement réprimée. Les mutineries se produisent souvent sur la question du butin ou de solde, ou lorsque les conditions matérielles des soldats sont trop pénibles, comme lors de la révolte de 14 ap. J.-C. en Pannonie à l'avènement de Tibère. Les légionnaires s'en prennent souvent aux centurions. Les mutineries du début de la République sont liées aux conflits entre patriciens et plébéiens. Durant les guerres civiles, il est fréquent que toute une armée se mutine et change de camp, parfois en raison de problèmes liés au commandement. La cause principale reste cependant l'intérêt, le profit et le butin. Les mutineries ont été fréquentes sous la République et le Haut-Empire. Pour la première période, un historien a distingué trois phases : jusqu'en 280 av. J.-C., les mutineries sont provoquées par les conflits politiques entre patriciens et plébéiens ; entre 280 et 90, un consensus politique fait diminuer le nombre de mutineries ; après 90 et jusqu'en 40, le renouveau des fissures au sein du groupe dirigeant et les revendications personnelles des plébéiens (motivés par l'intérêt et non par la défense du groupe) entraînent une escalade des mutineries et leur succès fréquent. A l'inverse, les désertions et les passages à l'ennemi ont été fréquents pendant la deuxième guerre punique contre Hannibal.
Quelles sont les raisons du succès des armes romaines ? Pour Catherine Wolff, celles-ci tiennent à l'obstination du Sénat, au vaste réservoir d'hommes à disposition des Romains, au fait que Rome ne combat que rarement sur plusieurs fronts et que son armée a évolué, contrairement à beaucoup d'adversaires, par exemple. Mais les Romains l'emportent aussi car ils savent récompenser et punir leurs soldats. Les récompenses tiennent en une multitude de décorations, organisées sous l'Empire et alors distribuées en fonction du grade et du statut, contrairement à la République. Les punitions sont particulièrement sévères à l'égard des transfuges et des déserteurs. Associés aux brigands dans les textes de l'Empire tardif, ceux-ci sont punis normalement par la mort, sous des formes variées, dont le fustuarium, bastonnade collective infligée par les camarades. La décimation, surtout appliquée au Ier siècle av. J.-C., a marqué les esprits. Dans le cas des mutineries, ce sont souvent les meneurs qui sont exécutés ou des solutions alternatives sont trouvées. Il n'y a pas de règle véritable sous la République et les punitions dépendent fréquemment de la personnalité du commandant. La discipline acquise dans l'armée romaine reste cependant un pilier de l'institution : elle est donnée notamment par un entraînement intensif.
Au final, Catherine Wolff conclut sur l'idée que malgré les manquements, cette discipline triomphe au sein de l'armée romaine. Deux hommes ont joué un rôle important : Scipion l'Africain, l'un des premiers à avoir compris l'importance de l'entraînement systématique, justement, et César, créateur d'un pouvoir absolu. Cependant les mythes perdurent et notamment celui de l'opposition convenu entre l'armée romaine quasi invincible du Haut-Empire et celle, décrépie, de l'Antiquité Tardive. L'historienne conclut sur les films, les dessins animés comme Astérix ou l'aventure des groupes de reconstitution, toutes choses qui contribuent souvent, malgré tout, à véhiculer une image fantasmée du soldat romain. Image que se livre se propose de déconstruire un peu, et l'on ne peut que s'en satisfaire, d'autant plus que c'est à un prix modique. A noter, les illustrations insérées en parallèle du texte, la chronologie en fin de volume et l'importante bibliographie.
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