Ancien journaliste, Jean-Claude Bonnot se consacre depuis des années à des recherches sur l'Occupation dans le Jura et en Franche-Comté. C'est en 2013 qu'il découvre aux archives départementales du Jura un gros dossier relatif à une affaire traitée par la police française en janvier 1944. Pour compléter ce témoignage inédit, il est parti à la recherche des acteurs en vivant pour rassembler la mémoire orale de l'événement.
L'affaire découverte par l'auteur s'inscrit dans une première réalité : les réquisitions effectuées par les maquis pour leur survie, d'abord à l'encontre de Vichy, mais aussi, par nécessité, chez les paysans, en priorité les collaborateurs ou les tenants du marché noir. La pratique n'a pas laissé néanmoins un bon souvenir à certains ruraux. L'installation de la Milice, en janvier 1943, produit également un durcissement du combat. Dans le Jura, plusieurs miliciens sont abattus, parfois en pleine rue, tout au long de l'année. A Toulouse-le-Château, deux hommes rançonnent les habitants dans la nuit du 15 décembre 1943, tout en se montrant très polis et en n'usant d'aucune violence même s'ils se montrent avec des armes à feu. Arrêtés par la police à Lons-le-Saunier, leurs interrogatoires semblent montrer qu'on a à faire à des criminels de droit commun qui tentent de se faire passer pour des résistants. Les coupables, et les personnes arrêtées en leur compagnie, sont expédiées par le préfet en camp d'internement. C'est la 19ème brigade de police de sûreté d'Annecy, qui étend sa juridiction à la Savoie, qui va s'occuper d'un autre cas qui semble au départ similaire, l'affaire d'Arlay. Dans cette bourgade de 800 habitants, des vols, de véhicules ou d'autres biens, sont commis en novembre-décembre 1943. Après une première d'arrestations, la police investit en force le village le 14 janvier 1944 et garde en détention 6 personnes : les frères Nanot, qui ont la réputation non usurpée d'être des bagarreurs, les frères Seyssel, dont 2 sur 3 sont bien membres de la Résistance, et G. Charitat, comme les autres désigné par la rumeur publique. Les 6 hommes sont internés. Reste Paul Seyssel, un autre frère, disparu depuis mai 1943 et auquel s'intéressent les policiers, qui dirigerait la "bande" responsable de ces forfaits, avec un autre homme : Emile Girardot.
Le 11 décembre, deux jeunes hommes de 15 et 16 ans, André Ville et André Danrez, partent chercher du ravitaillement pour leurs familles dans la région de Château-Chalon, où la police soupçonne la "bande" d'opérer. Les deux jeunes garçons disparaissent sans laisser de nouvelles. Les parents reçoivent des lettres indiquant qu'ils seraient passés par un hôtel de Voiteur. La famille Danrez est en contact avec un résistant, Roger Vercelli, qui est l'adjoint d'Elie Monteils, responsable de la résistance locale. Vercelli recueille des informations laissant croire que les 2 jeunes ont été exécutés par Seyssel et Girardot. Vercelli informe Henri Jonval, adjoint au chef départemental de l'Armée Secrète, René Foucaud, ancien militaire de carrière ayant servi dans le 507ème BCC de De Gaulle. Après l'arrestation d'un complice, la police met la main à Lons-le-Saunier sur Emile Girardot, venu à un rendez-vous dans un hôtel, mais ne trouve pas Paul Seyssel. Les policiers fouillent la demeure de Paul C., personnage haut en couleurs de Château-Chalon, qui effraie les voisins par ses idées avancées et sa possession d'armes à feu : ils y retrouvent des armes, un véhicule volé en décembre notamment. Des interrogatoires de Girardot par la police et des témoignages de résistants, il apparaît bien que Girardot dirige un groupe de résistants avec Seyssel pour adjoint et qu'il soit chargé du ravitaillement. Mais les deux chefs de groupe sont loin d'être discrets et abusent du profit de leurs rapines. On est dans le cas d'un maquis de réfractaires où les chefs ont refusé de se plier aux consignes de la hiérarchie, et agissent de leur propre autorité. C'est pourquoi il est fort possible que ce soit les chefs de la résistance locale qui ait renseigné la police pour arrêter Girardot, comme le laissent penser les sources, afin d'avoir à éviter de l'exécuter.
Girardot, interrogé plusieurs fois par les policiers, reconnaît d'abord les vols et autres rapines, mais nie l'assassinat des deux jeunes garçons. Il finit par craquer et avoue l'exécution des deux André, que lui et Seyssel ont pris pour des espions ; Girardot charge beaucoup sont adjoint. Le mobile du meurtre ne semble pas crapuleux. Les deux jeunes gens avaient probablement l'intention de rejoindre le maquis ou en tout cas étaient curieux de découvrir ce groupe de résistants : ils auraient été un peu trop fanfarons, mais la réaction des deux chefs du groupe, comme le montre le témoignage de Girardot, est totalement disproportionnée. Les corps sont découverts le 29 janvier 1944 sur indication de Girardot. Les responsabilités sont difficiles à établir. Girardot s'appitoie beaucoup sur lui-même dans les lettres écrites en prison, mais reconnaît avoir été "grisé" par son autorité de chef de groupe. Des témoignages contemporains à l'écriture du livre insistent sur la participation de Paul C., le paysan receleur,à l'exécution, mais qui pour certains chefs résistants dirigeait en fait ce groupe et influençait Seyssel et Girardot. Les Allemands mettent la main sur Girardot et l'envoient à Mathausen : celui-ci n'en reviendra pas. Paul Seyssel, quant à lui, échappe aux forces de police, mais finit liquidé par la Résistance, probablement à l'été 1944, dans des circonstances qui restent obscures. Il est le grand absent de l'affaire, son rôle reste difficile à apprécier.
Paul C., le paysan de Château-Chalon, qui vivait caché depuis la descente de police, revient chez lui presque tranquillement à la Libération. Il ne sera jamais inquiété et mourra d'un accident de la route en 1974. Après 1945, Girardot sera reconnu membre de la Résistance : il s'agit alors de taire son passé trouble et de souligner son appartenance à la lutte. La plaque du monument aux morts de Ruffey-sur-Seille associe deux de ses enfants, Jonval, le résistant, et Girardot... ce dont se plaignent les descendants de la famille Danrez, un des deux jeunes assassinés.
Jean-Claude Bonnot, à partir de documents d'archives et d'un travail de terrain qui le rapproche de son ancien métier de journaliste, et en utilisant quelques sources secondaires, montre ainsi qu'à côté des faux maquis décris par l'historien Fabrice Grenard (d'ailleurs cité comme référence), il y eut aussi de vrais maquis dont les chefs perdirent parfois le contrôle de la situation. D'après les sources disponibles, c'est bien ce qui semble être arrivé au maquis de Château-Chalon.