L'idée semble bonne au départ : un spécialiste, professeur des universités, Mathieu Guidère, répondant en 100 questions pour expliquer ce qu'est l'Etat Islamique. Mais comme le montre le résultat, la tâche est plus ardue qu'il n'y paraît.
Précédée d'une carte un peu approximative sur le territoire contrôlé par l'EI en 2015 (p.8), l'introduction pose le cadre de l'ouvrage, où les questions sont découpées en 9 thèmes. On est étonné que lors de la comparaison entre les guerres de religion protestants/catholiques et la guerre actuelle entre sunnites et chiites au sein de l'islam, l'auteur place le schisme chrétien en 1054 (quel rapport avec les guerres de religion ?).
Dès la première partie, sur la nature et les origines de l'EI, on relève des inexactitudes. Dans la question 2, l'historique de l'intervention de l'Etat Islamique en Irak dans les débuts du conflit syrien est plus que confus, sans parler de la séparation entre l'EII et le front al-Nosra qui donne naissance à l'EIIL. Heureusement M. Guidère est meilleur ensuite : de façon surprenante, lors de la question portant sur la biographie d'al-Baghdadi, il présente mieux cette fois le même historique si confus précédemment ! Les questions relatives à l'histoire de l'islam sont bien traitées, preuve que l'historien maîtrise davantage ce sujet.
Dans la partie sur la propagande et le recrutement, l'auteur se concentre trop malheureusement sur les publications comme Dabiq et pas assez sur les autres supports (vidéos notamment). On peut douter que l'EI encourage ses combattants étrangers à s'entraîner "à l'aide de jeux de guerre vidéo" (p.89) : les camps d'entraînement en Syrie et en Irak tournent à plein régime, y compris pour les étrangers...
La partie 5 sur les Forces et modes opératoires est sans doute la plus faible. L'auteur explique p.129 que l'EI "n'a pas d'usines d'armement ni de production de munitions (...) ni d'ateliers de réparation du matériel militaire ni de développement de nouvelles armes". C'est faux : il suffit de voir les ateliers de fabrication de munitions découverts récemment à Falloujah après la reprise de la ville pour s'en convaincre. Les questions sur les tactiques et les principales batailles de l'EI manquent singulièrement de faits précis. La présentation de l'armée irakienne et de ses défaillances est particulièrement sommaire (p.140-142). Pour certaines questions, il est manifeste que M. Guidère emploie des sources de seconde main et n'a pas travaillé à la source, sur les documents de l'EI et sur les sources secondaires permettant de les exploiter. C'est sans doute la faille majeure du livre.
Les parties suivantes sont marquées par un certain nombre de répétitions (notamment sur le Yémen, qui semble particulièrement intéresser l'auteur). Il est dommage également que les quelques notes de bas de de page présentes renvoient systématiquement... à des travaux de M. Guidère. On aurait aimé trouver d'autres références en notes, car il y en a, et pas des moindres. Les mêmes approximations se retrouvent sur le nombre de Français partis en Syrie/Irak, dans la dernière partie, où l'auteur se contente des chiffres officiels en ignorant les travaux parus à ce sujet.
Bien que pourvu d'un glossaire (mais de trop peu de cartes : 3 seulement), l'ouvrage laisse le lecteur sur sa faim. Quelqu'un d'un tant soit peu averti n'y trouvera pas grand chose qu'il ne sache déjà ; pour le néophyte, le contenu du livre est handicapé par l'absence d'une bibliographie a minima, mais plus encore par le déséquilibre du livre. Si Mathieu Guidère maîtrise à l'évidence les questions relatives à l'histoire de l'islam, on ne peut en dire autant sur l'organisation Etat Islamique elle-même, comme le montre le cas de la dimension militaire. La faute sans doute à une approche basée sur des sources trop secondaires.