Merci
à Timothy Holman et à Yves Trotignon pour leur aide dans la
rédaction de cet article.
Le
cas des Français partis se battre en Syrie pose un problème
particulier. Il n'est devenu vraiment visible (grâce aux médias, en
particulier) qu'en 2013, année où le nombre de volontaires croît
de manière importante. A l'image d'autres contingents européens, le
djihad en Syrie est le plus grand mouvement du genre depuis la guerre
contre les Soviétiques en Afghanistan. Pour autant, rapporté à la
population totale de la France ou même à la population musulmane de
la tranche d'âge concernée, le mouvement n'a rien d'une lame de
fond ou d'un exode massif ;
on peut cependant noter qu'il s'accélère depuis l'été 2013, ce
qui inquiète les autorités, et certains spécialistes, quant au
retour des djihadistes. Mais il faut dire que jusqu'ici, les
informations ont été très éparses. Le ministre de l'Intérieur,
Manuel Valls, a multiplié les déclarations, à partir de mai 2013,
au sujet du chiffre des Français impliqués dans le djihad en Syrie,
pour arriver, en janvier 2014, à un total de 700, en tout, impliqués
à un titre ou à un autre, depuis 2011. Chiffre difficile à
vérifier, mais qui semble pourtant crédible, en tout cas pas
forcément très exagéré. La dernière étude de l'ICSR, un
institut britannique spécialisé sur la problématique des
djihadistes étrangers, datée du 17 décembre 2013, plaçait
l'estimation maximum, pour la France, à 413 individus.
Les Israëliens pensent que le dernier chiffre donné par Manuel
Valls et F. Hollande est exagéré.
Ce que l'on peut savoir des cas bien identifiés montre pourtant que
l'exemple français ne se distingue pas fondamentalement des autres
contingents de volontaires européens, à quelques différences
près.
Le recrutement, plutôt large au niveau de l'âge et des motivations
au début, semble depuis s'être resserré vers des hommes jeunes, de
20 à 35 ans, plus déterminés et plus radicaux dans leurs choix sur
le terrain. Il implique à la fois des personnes connues pour leur
engagement antérieur, et souvent surveillées, mais aussi beaucoup
d'hommes ou d'adolescents qui ont succombé au message radical,
notamment délivré sur le web, sans que le phénomène se limite à
des gens marginalisés sur le plan social. Comme pour l'ensemble des
autres contingents, la majorité des volontaires français rejoint
les deux formations djihadistes, le front al-Nosra (branche
officielle d'al-Qaïda en Syrie depuis novembre 2013) et l'EIIL, en
butte depuis janvier 2014 aux assauts des autres formations rebelles,
parmi lesquelles le front al-Nosra lui-même. Les zones de départ
sont assez bien identifiées : des grandes villes, Paris,
Toulouse, Nice, Strasbourg, Lille-Roubaix-Tourcoing (ce qui
correspond là encore à d'autres pays), avec une majorité de
départs spontanés ou organisés en solitaire, sans forcément qu'il
y ait recours à des réseaux organisés, la seule exception semblant
être le sud-est (ce qui est une différence notoire cette fois avec
d'autres Etats, comme la Belgique, où des réseaux plus structurés
interviennent dans l'acheminement des volontaires, voire leur
radicalisation). Les djihadistes français sont également, une fois
arrivés, assez présents sur les réseaux sociaux, à des fins de
recrutement, de propagande ou pour garder le contact avec les
familles, comme on le verra à la fin de cet article.
Un
début de publicité pour un recrutement varié ? (2012-été
2013)
En
France, la question des candidats au djihad commence à inquiéter,
dans la presse, à partir du second semestre 2012. Pourtant, dès le
mois de mai 2012, 3 jeunes gens sont interpellés à l'aéroport de
Saint-Etienne alors qu'ils s'apprêtent à partir pour la Turquie...
avec des étuis à pistolet, des talkie-walkies et des
lunettes de vision nocturne.
Le Figaroévoque « quelques dizaines de départ »
au mois d'octobre 2012 et mentionne le docteur Jacques Bérès, qui
a soigné plusieurs Français dans un hôpital rebelle à Alep, ville
que les insurgés ont investi à l'été 2012.
Certains d'ailleurs ne cachent pas leur admiration pour Mohamed
Merah. Le même quotidien avait également parlé, au printemps 2012,
de 6 Français arrêtés par la sécurité libanaise à l'aéroport
de Beyrouth, et qui cherchaient manifestement à passer en Syrie.
Pourtant, les services de renseignement intérieurs avaient commencé
à tirer la sonnette d'alarme dès le printemps 2011.
Les
informations et les articles de presse se font plus nombreux au
printemps et à l'été 2013, moment qui connaît effectivement,
d'après les recherches des spécialistes, un accroissement sensible
du départ des volontaires européens, et donc français, vers la
Syrie, accroissement qui se confirme tout au long de l'année.
Non seulement les volontaires français, comme les autres,
bénéficient du fait que l'accès au territoire syrien est beaucoup
plus facile que pour d'autres terres de djihad dans le passé, mais,
en outre, ils peuvent compter, parfois, sur les restes des réseaux
organisés pour les djihads précédents, comme ceux qui avaient
opéré pour l'Irak entre 2004 et 2006.
Dès le printemps 2013 et l'émergence des premiers exemples précis
de volontaires français, on constate que les motifs de départ sont
très différents. Djamel Amer Al-Khedoud, 50 ans, originaire de
Marseille et depuis prisonnier du régime, s'en va ainsi pour
défendre les sunnites de Syrie, une motivation qui correspond au
« djihad défensif » que l'on retrouve chez nombre
de volontaires étrangers, en particulier ceux des débuts, de la
période 2011-2012. Abdel Rahmane Ayachi, au contraire, Franco-Syrien
de 33 ans, lui, a rejoint le groupe Suqur al-Sham, membre du Front
Islamique depuis novembre 2013, et qui vise depuis expréssement à
l'installation d'un califat islamique et à l'application stricte et
rigoureuse de la charia. Il serait monté dans la hiérarchie
jusqu'à commander un effectif de 600 combattants.
Ayachi, finalement tué en juin 2013, avait profité d'un
entraînement militaire dans la réserve belge, qu'il a mis à
profit, probablement, sur le champ de bataille syrien.
Raphaël Gendron, un Français de 38 ans, faisait lui aussi partie de
Suqur al-Sham : il a été tué le 14 avril 2013. Résidant à
Bruxelles, il était proche des milieux radicaux qui ont fourni, dans
ce pays, un certain nombre de volontaires pour le djihad syrien.
|
Abdel Rahmane
Ayachi, tué en juin 2013, dirigeait des combattants de Suqur
al-Sham.-Source :
http://www.globalpost.com/sites/default/files/imagecache/gp3_full_article/photos/2013-March/suquar-al-sham-syria-leader.jpg |
Raphaël
Gendron était bien connu des services français. Condamné à
plusieurs reprises par la justice belge, il est arrêté par les
autorités italiennes fin 2009 avec Bassam Ayachi, imam franco-syrien
installé en Belgique et célèbre, lui aussi, pour ses opinions
radicales. Ils auraient voulu organiser une filière de recrutement
djihadiste pour al-Qaïda dans le sud de l'Italie. Relâchés, ils
regagnent la Belgique où ils continuent d'animer le Centre islamique
Assabyle, sur le site duquel Gendron se livre à une active
propagande. Cas très différent, celui de ce jeune djihadiste
français de 17 ans, originaire de Sartrouville, arrêté par la
police grecque le 25 mai 2013 alors qu'il tentait de gagner la
Syrie.
Il avait prévenu ses parents de son départ le 16 mai, après avoir
acheté son billet d'avion pour Athènes et s'être muni d'un
passeport. La famille prévient la police, qui parvient à joindre
les autorités grecques : le jeune homme est arrêté dans un
bus au nord du pays, alors qu'il se dirigeait vers la Turquie.
|
Raphaël Gendron.-Source : http://static0.7sur7.be/static/photo/2013/2/5/9/20130415180823/media_xll_5734734.jpg |
Au
mois de juin 2013, un diplomate français haut placé évoque déjà
le chiffre de 270 Français partis se battre en Syrie.
Un mois plus tard, un djihadiste français présent en Syrie lance un
appel vidéo à ses compatriotes et au président F. Hollande, lui
demandant de se convertir à l'islam.
L'homme, qui se fait appeler Abou Abdelrahmane, annonce s'être
converti il y a trois ans à l'islam, et avoir des parents français
et athées. Il demande aux Français de rejoindre le djihad. Il
s'agit en fait de deux demi-frères. Jean-Daniel Pons, un Toulousain
de 22 ans, est finalement tué le 11 août. Agé de 22 ans, ce
dernier avait été entraîné par son frère aîné, Nicolas, 30
ans, que l'on voit parler sur la vidéo. Titulaire d'un BEP, Nicolas
était tombé dans la petite délinquance avant de se convertir en
2009 puis de faire du prosélytisme. Son frère Jean-Daniel l'avait
rejoint en 2011 à Toulouse pour entamer un BTS de comptabilité,
après avoir vécu avec leur père en Guyane ; il se convertit à
son tour. Ils avaient gagné la Syrie tous les deux en mars 2013.
Ils ont rejoint la Syrie via l'Espagne et la Turquie, faisant croire
à leurs proches qu'ils allaient en Thaïlande, avant de leur
dévoiler la vérité en avril.
La mère des deux jeunes gens, retraitée de l'armée, avait signalé
la dérive inquiétante de ses fils aux autorités dès le mois
d'avril. Quelques jours plus tard, un homme de 47 ans, originaire du
territoire de Belfort, est interpellé par la DCRI : habitant à
Toulouse, il était venu rendre visite à sa famille, et aurait eu
des liens avec les deux Toulousains
de la fameuse vidéo. Jacques Abu Abdallah al-Faransi, un Français
venant de Marseille, est également vu en juillet 2013 sur une vidéo
postée sur Youtube.
Abou
Hajjar, un informaticien de la région parisienne parti en avril 2013
pour faire le djihad en Syrie, interrogé par Le Figaro, est
en réalité Ayachi fils, évoqué plus haut.
Cet homme combat dans le Djebel al-Zawiya, dans la province d'Idlib,
au sein du groupe Suqur al-Sham. D'après son témoignage, recueilli
par Le Figaro, il effectue des missions de reconnaissance sur
l'autoroute entre Lattaquié et Alep, pour signaler les mouvements de
troupes et de convois du régime. Il se définit lui-même comme un
« activiste islamiste » et non comme un djihadiste
proche d'al-Qaïda. Son groupe comprend, selon lui, des Saoudiens et
des Jordaniens. Il manifeste, dans ses déclarations, une certaine
ouverture dans le traitement des minorités syriennes, et explique
que son groupe cherche à convaincre, en ouvrant des bureaux de
prédication, par exemple, mais pas par la force, comme certains
djihadistes. Il ne compte pas revenir en France, où il a laissé
femme et enfants.
Vers
une accélération du recrutement, puis un resserrement des profils ?
(automne 2013-février 2014)
Le
1er septembre 2013, Manuel Valls annonce que plus d'une centaine de
Français combattent actuellement en Syrie, qu'une dizaine y sont
morts, et que certains sont déjà revenus.
D'autres informations parlent à la même époque de 9 Français tués
au combat dans le pays.
En septembre, 4 hommes sont interpellés après avoir braqué un
restaurant Quick dans les Yvelines, puis un cinquième un peu
après à Châteauroux, dans l'Indre. Agés de 23 à 34 ans, ces 5
hommes étaient en fait surveillés depuis un moment par la DCRI et
la DRPP ; ils appartiennent à un groupe dont l'un des membres,
au moins, originaire de Trappes, se trouve déjà en Syrie. Ce sont
des personnes « autoradicalisées », dont deux
frères, des convertis parfois de fraîche date à l'islam. Ils
avaient été repérés lors de manifestations anti-américaines à
Paris en 2012 (rassemblement place de la Concorde, le 16 septembre,
contre le film L'Innocence des musulmans), puis lors
« d'entraînements collectifs » dans le sud de
Paris.
Le braquage du Quick de Coignières devait servir à payer
leur voyage vers la Syrie : munis d'une arme factice, ils
avaient embarqué 2 500 euros... sous les yeux de la DCRI, qui les
interpellent dès le lendemain. Ils étaient inconnus de la justice,
sauf un seul d'entre eux condamné en 2005 pour vol aggravé.
L'intention de financer leur voyage par un simple braquage confirme
que l'expédition pour gagner la Syrie est relativement facile, comme
on peut le constater pour d'autres contingents européens,
et qu'elle n'implique pas forcément le recours à des réseaux
organisés (le voyage revient à 300-500 euros, en passant par la
Turquie). Ce même mois de septembre, un jeune Roubaisien trouve la
mort en Syrie. Sofiane D., 20 ans, est tué le 20 septembre à Alep.
Ses parents, inquiets, avaient prévenu les autorités en juillet
2013 : il était censé être parti en Algérie. Musulman
pratiquant classique, selon un magistrat, « fusionnel »
avec sa mère, il n'avait pratiquement jamais quitté Roubaix. Il
aurait apparemment combattu dans les rangs du front al-Nosra.
Deux autres jeunes hommes de l'endroit auraient également gagné la
Syrie.
Romain L., 26 ans, du Calvados, est quant à lui arrêté pour
apologie du terrorisme sur Internet.
Il était l'administrateur du site Ansar al-Haqq, traducteur
de la revue Inspire, éditée par Al-Qaïda dans la Péninsule
Arabique. Il utilisait le pseudonyme de Abou Siyad Al-Normandy. Fin
septembre, les réseaux sociaux djihadistes mettent en avant la
figure de Abu Suhaib al-Faransi, un commerçant de 63 ans converti à
l'islam, et qui fait partie des volontaires français de
l'insurrection.
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A gauche, Abu Suhaib al-Faransi -Source : http://www.memrijttm.org/image/6170.JPG |
Les
autorités française ont déjà, précédemment, arrêté Flavien
Moreau, né à Ulsan, en Corée du Sud, avant d'être adopté en
France.
Ce Nantais de 27 ans s'était imprudemment confié, à Antioche, en
Turquie, à un journaliste suisse, en novembre 2012, ce qui l'avait
immédiatement fait repérer par la DCRI. Il est arrêté quelques
semaines plus tard à son retour en France, début 2013, et mis en
examen. Le Nantais, qui enchaînait petits boulots et peines de
prisons, s'était converti il y a cinq ans, et cherchait depuis sa
dernière sortie, en 2012, à intégrer un réseau combattant. Ayant
amassé quelques milliers d'euros grâce à divers trafics, il gagne
Zurich, puis Istanbul et finalement Antioche, avec l'intention de
rejoindre le groupe Ahrar al-Sham, aujourd'hui composante du Front
Islamique, créé le 22 novembre 2013. Sans aucune expérience du
combat, son engagement ne tient que quelques semaines, à l'issue
desquelles il regagne la France. D'autres engagements sont tout aussi
idéologiques, comme ces deux disciples de Jérémie Louis-Sydney,
le leader de la "cellule de Cannes-Torcy", soupçonné
de la tentative d'attentat contre une épicerie kasher de Sarcelles,
en 2012 ; ces deux jeunes Français d'origine tunisienne sont
depuis partis en Syrie.
Début
octobre, un Français aurait mené une attaque kamikaze dans la
province d'Alep.
Surnommé Abou al-Qaaqaa, ce Français se serait fait exploser le 9
octobre dans le village de Al-Hamam, au sud-est de la ville. Cette
attaque kamikaze ouvrait la voie à des combattants de l'EIIL (dont
il aurait fait partie) et du front al-Nosra. Le 24 septembre, Abou
Mohammad al-Fransi, un Français converti à l'islam, avait déjà
été tué dans le même secteur. C'est également ce mois-là que
commencent à remonter des informations sur une filière
d'acheminement des volontaires tchétchènes via l'importante
diaspora tchétchène établie dans le sud-est de la France (plus de
10 000 personnes).
Les estimations officielles portent alors le nombre de Français
impliqués dans les combats en Syrie à au moins 400.
Le 14 octobre, 3 suspects de la fameuse cellule terroriste
Cannes-Torcy sont arrêtés dans les Alpes-Maritimes. Sont notamment
saisis un pistolet-mitrailleur UZI et un pistolet semi-automatique,
ainsi qu'une grande quantité d'argent en liquide. En novembre, 4
hommes de 22 à 35 ans sont interpellés dans le Val-de-Marne :
ils appartiendraient à une filière djihadiste qui acheminerait des
combattants vers la Syrie. 2 ou 3 d'entre eux auraient combattu avec
le front al-Nosra. Les chiffres passent alors à plus de 440 Français
partis pour la Syrie : la moitié est encore sur place, une
douzaine sont morts, un ou deux sont prisonniers du régime, et 50 à
60 sont revenus en France. Sur la vingtaine de procédures
déclenchées contre les volontaires de retour, seules trois ont
alors abouti à des mises en examen.
Le 20 novembre, Abu Malik al-Faransi, un Français de 17 ans, est tué
à Raqqa.
Le 27 novembre, c'est un homme habitant près de Lens qui est
interpellé, faisant suite à l'arrestation, le 15 octobre, de deux
autres personnes à Tourcoing et Roubaix. Ces deux personnes auraient
gagné la Syrie puis seraient revenues en France.
|
Photo
présumée d'Abou Malik al-Faransi.-Source :
https://fbcdn-sphotos-e-a.akamaihd.net/hphotos-ak-prn2/p480x480/1472883_317021681772971_875519586_n.jpg |
A
partir de la fin septembre 2013, le recrutement dans le sud-est de la
France semble s'intensifier, et en particulier à Nice et sa région.
Une dizaine de départs au moins est recensée à Vallauris,
Saint-Laurent et à Nice, ainsi que du côté de l'Ariane et de la
cité des Moulins, la plupart pour rejoindre le front al-Nosra. La
majorité des jeunes concernés semblent s'être radicalisés très
rapidement, avant de quitter leurs familles du jour au lendemain. En
2011, un réseau recrutait déjà, manifestement, pour le djihad en
Afghanistan dans cette région.
Une filière pour le recrutement en Irak avait été démantelé,
également, en 2005. Une mère de la région lyonnaise signale aussi,
en décembre 2013, que son ex-mari, dont elle est séparée depuis
juillet 2012, a visiblement enlevé sa fille pour gagner la Syrie via
la Turquie, afin de rejoindre le front al-Nosra ; il s'était
radicalisé après un séjour à La Mecque.
Il s'était également rapproché de Forzane Alizza, un
groupuscule salafiste djihadiste dissous par les autorités
françaises en février 2012.
Le
22 décembre 2013, Nicolas, le frère de Jean-Daniel Pons (les deux
Français issus de la région toulousaine), trouve la mort dans une
attaque kamikaze près de Homs.
Les deux demi-frères auraient rejoint, depuis leur départ en Syrie,
les rangs de l'EIIL.
Leur mère, Dominique Pons, avait signalé aux autorités la
radicalisation de ses fils, puis créé en décembre 2013, avec son
ex-mari, l'association Syrien ne bouge… Agissons ! D'après
elle, Nicolas avait également retrouvé en Syrie un autre Toulousain
qu'il connaissait.
En janvier 2014, les services de renseignement français évaluent à
500-600 le nombre de Français partis en Syrie, dont 220 encore sur
place, 70 qui sont revenus et 18 tués, soit un effectif qui a
quadruplé par rapport au mois de mai 2013. Sur ce total, 20%
seraient des Français convertis, mais la majorité reste des jeunes
gens d'origine maghrébine, pas forcément musulmans pratiquants,
mais qui se radicalisent très rapidement. Outre la facilité d'accès
au territoire syrien, les services de renseignement signalent qu'un
des grands facteurs de motivation des volontaires est qu'ils ont
l'impression de se battre pour une cause juste.
10 à 14 jeunes gens originaires de Strasbourg auraient également
quitté leur ville pour l'Allemagne, afin de rejoindre la Syrie, à
la fin de l'année 2013.
Un jeune homme issu du quartier d'Elsau, à Strasbourg, serait
d'ailleurs mort dans une attaque kamikaze en Syrie au mois de
novembre.
L'attention
en France sur le phénomène des volontaires candidats au djihad
syrien, qui avait cru un peu en 2013 avant de s'éclipser devant les
attaques chimiques du mois d'août 2013 et ses suites, rebondit avec
l'annonce du départ, en janvier 2014, de deux jeunes adolescents de
15 ans, originaires de la région toulousaine, très relayée dans
les médias. Tous les deux scolarisés au lycée des Arènes, les
deux adolescents sont partis le 6 janvier pour gagner la Turquie.
L'un des deux adolescents, Yasine, était réputé brillant élève,
un des meilleurs de sa classe. L'autre, Ayoub, le plus âgé, en
revanche, est connu des services de police, et appartient à une
famille qui pouvait avoir des convictions religieuses rigoristes.
Yacine achète les billets d'avion pour la somme de 417 euros et les
deux jeunes gens embarquent sur un vol de la Turkish Airlinesà destination Istanbul. Ils arrivent ensuite à Antioche. Mais
difficile de dire, dans leur itinéraire, s'ils ont bénéficié de
l'assistance d'un réseau organisé ou non.
Rattrapés et ramenés en France, les deux adolescents sont
finalement mis en examen.
Il s'avère ensuite que les deux adolescents sont entrés en contact
avec les insurgés via les réseaux sociaux, et sans doute un
intermédiaire français, qui les aurait guidés à la frontière
turque. Les deux jeunes gens auraient voulu rallier le front
al-Nosra. Ils ont un rejoint un camp d'entraînement près d'Idlib ;
c'est parce que celui-ci prenait du retard et parce qu'ils ne
combattaient pas que les deux adolescents ont finalement quitté le
pays.
L'événement confirme à la fois l'accélération du recrutement en
France, mais aussi sa diversification. Si la majorité des recrues
continue à venir des grands centres urbains (Lille-Roubaix,
Strasbourg, Toulouse, Paris, le sud-est et Nice), les profils
semblent moins correspondre à des jeunes en pertes de repères ou
désocialisés, mais au contraire à des jeunes parfois plus
intégrés.
Le père d'un deux adolescents a d'ailleurs rapidement prévenu les
autorités et lancé un appel public : selon lui, son fils a
notamment été radicalisé par le biais d'échanges sur le web,
notamment par Facebook.
Dans le sud-est, à Nice et ses alentours, ce serait déjà une
quarantaine de jeunes gens qui seraient partis pour le djihad syrien,
avec de plus en plus d'adolescents -16, voire 15 ans.
Dans le quartier populaire de Saint Roch, à l'est de Nice, il y
aurait eu 7 à 8 départs rien qu'entre septembre et décembre 2013.
Fin décembre, c'est une famille de dix personnes toute entière qui
part pour la Syrie.
Au début du mois de décembre, la DCRI avait procédé à
l'interpellation d'un recruteur présumé du milieu niçois.
En
février 2014, Salahudine, un djihadiste français de 27 ans
originaire de la région parisienne, parti combattre en juillet 2013,
livre un ultime témoignage après avoir été gravement blessé à
Alep. Il avait emmené femme et enfants avec lui, et manifestement
n'a pas bénéficié du concours d'un réseau : il a organisé
son voyage via la Turquie tout seul. Après avoir gagné Alep, il
rejoint l'EIIL, est formé dans un camp d'entraînement puis est
expédié rapidement sur le front. En novembre 2013, visiblement
dégoûté par l'EIIL, il rallie le front al-Nosra (qui ce même mois
est reconnu comme branche officielle d'al-Qaïda en Syrie, au
détriment de l'EIIL). Il combat à Alep, Damas et Homs. Il touche
chaque mois 50 dollars, mais s'est acheté lui-même son AK-47 pour 1
300 dollars.
Un autre combattant français appartenant à l'EIIL, Abou Shaheed,
qui se trouve au nord d'Alep, a également livré son témoignage en
février 2014. C'est un volontaire déterminé, qui ne pense pas
revenir en France mais qui n'en est pas moins partisan d'un djihad
transnational.
Néanmoins, selon les services de renseignement français, le profil
des volontaires se serait désormais resserré. Il comprendrait
désormais majoritairement des hommes de 20 à 35 ans, plus
déterminés. Un tiers des 250 Français encore présents en Syrie
seraient des Caucasiens, des Tchétchènes ayant transité par la
région de Nice (qui sert de hub pour les Caucasiens et en
particulier pour les Tchétchènes, avec Vienne, en Autriche). Sur le
reste, on compterait une moitié de convertis et une autre moitié de
jeunes issus de l'immigration maghrébine, ainsi que quelques femmes.
Fait notable, des groupes radicaux comme l'EIIL n'hésitent pas à
utiliser les volontaires étrangers, comme les Français, pour des
attaques kamikazes. On signale en outre plusieurs cas de départ où
les personnes s'installent à la frontière turque ou dans le nord de
la Syrie mais ne prennent pas part au combat, attendant
l'installation d'un califat islamique.
Le 20 février, un jeune Niçois de 18 ans, parti en Syrie en
septembre 2013, est arrêté à son retour en France. Farid avait
combattu dans la région d'Alep. Jeune lycéen, il était parti avec
trois autres amis d'une cité de l'est ce Nice, après s'être
radicalisé en quelques semaines. Il a été emprisonné après son
arrestation, dans l'attente de son jugement.
|
A droite, Abou Shaheed.-Source : http://www.memri.org/image/16983.JPG |
Les
djihadistes français sur les réseaux sociaux
Les
djihadistes français sont très présents sur les réseaux sociaux,
surtout Twitter et
Facebook.
Ils donnent des informations sur leur parcours, sur les combats et
les conditions pratiques du djihad. Majoritairement, ceux qu'on y
voit font partie de l'EIIL. Les volontaires étrangers ont tendance,
en Syrie, à se regrouper, par affinité culturelle et linguistique,
mais il n'est pas dit que ce soit systématiquement le cas pour les
Français, même si certains combattent bien dans les mêmes
formations. Certains arrivent ensemble et se connaissent avant le
djihad. On note aussi la présence d'épouses de combattants. Les
réseaux sociaux servent au recrutement, à la diffusion de la
propagande, et pour maintenir le contact avec les familles. La
propagande joue sur l'analogie avec les jeux vidéos, dans les
illustrations qui peuvent être diffusées. Evidemment, les conflits
internes aux insurgés, comme celui qui oppose depuis avril 2013
l'EIIL au front al-Nosra, sont relativement peu présents. Abou
Shaheed, arrivé en Syrie en mai 2013, fait ainsi partie de l'EIIL,
et évoque souvent la poursuite du djihad après la chute du régime
Assad. Un autre djihadiste francophone, lui aussi membre de l'EIIL et
arrivé à la même date, qui opère sous le pseudo Si tu veux mon
avis, donne beaucoup de détails sur les combats et affirme avoir
participé à ceux de la base 80, à Alep. Abou Mohammed Muhajir, un
autre Français, est également incorporé dans l'EIIL : arrivé
à l'été 2013, il combat autour d'Azaz. Il est marié à Umtawwab
zawjetu abu’’mohamed, une femme originaire de Lorient, qui
collecte des fonds à des fins soi-disant humanitaires via Facebook,
et qui prétend avoir fait l'aller-retour en France entre
octobre-novembre 2013. Mourad Ibn Amar, lui aussi arrivé en Syrie à
l'été, fait également partie de l'EIIL. Il apparaît sur de
nombreuses photographies de groupes. Sous le pseudo Selim Det-R,
un Roubaisien est également inclus dans l'effectif de l'EIIL.
Abdullah Wade, un Français, s'efforce quant à lui de collecter des
fonds pour rénover des habitations en Syrie au profit des
djihadistes français. Abou Tasnim est probablement un Français
originaire d'Haïti. Ses parents sont chrétiens ; il habitait
en Seine-Saint-Denis, son père est entrepreneur, de classe moyenne ;
lui-même produisait de la musique électronique. Il a rejoint la
Syrie le 17 octobre 2013 après être passé par Istanbul puis
Ghaziantiep, et il combat, lui, au sein du front al-Nosra. Blessé à
l'entraînement, il répond beaucoup sur les réseaux sociaux aux
questions pratiques pour le voyage jusqu'en Syrie, et livre son
expérience de la guerre. Il participe à de nombreuses escarmouches,
combat même des Kurdes en janvier 2014. Il quitte al-Nosra qu'il
juge « trop inactif » et rejoint l'EIIL d'Atmeh ;
le 14 février, il est à Azzaz.
|
Abou Tasnim.-Source : http://www.memri.org/image/16984.JPG |
Le
djihad familial : femmes, enfants, mais aussi jeunes filles en
Syrie
Autre
phénomène inquiétant et lié au djihad en Syrie : le départ
de jeunes filles en direction de ce même pays. Anissa, 22 ans, se
convertit sous l'influence d'une amie de son lycée de Bordeaux. Elle
se marie avec un jeune musulman présenté par un imam rencontré sur
Skype et laisse une lettre d'adieu à sa mère. Des dizaines
de Françaises sont concernées par ce phénomène : Ly, 19 ans,
une étudiante d'origine sénégalaise, est partie avec son bébé de
15 mois. Elle est accompagnée d'une lycéenne de 17 ans d'Epinay,
qui a piraté la carte bancaire de son père pour financer le
voyage.
A la même époque, fin février 2014, c'est une adolescente
grenobloise de 14 ans qui est arrêtée à l'aéroport
Lyon-Saint-Exupéry alors qu'elle s'apprêtait à prendre l'avion
pour Istanbul. Placée dans un foyer, elle s'enfuit avant d'être de
nouveau rattrapée le lendemain. C'est le troisième mineur au moins
qui tente de rejoindre la Syrie depuis janvier 2014, après une
adolescente de 15 ans qui a elle réussi à gagner le pays.
Nora, 16 ans, est partie le 23 janvier ; son frère assure
qu'elle a été manipulée par d'autres personnes et que, dès la
mi-mars, elle regrette son départ en Syrie.
Il est parti une première fois pour la ramener en février ;
refoulé à la frontière turque, il réussit lors d'une deuxième
tentative, en avril 2014, à passer en Syrie et à voir sa soeur par
deux fois.
Fin mars, Barbara Marie Rigolaud, une Française de 35 ans originaire
de Nanterre, est arrêtée par le PYD (parti kurde qui contrôle des
zones au nord-nord-est de la Syrie) près d'Alep. Cette Française
aurait rallié le front al-Nosra après avoir appartenu à l'EIIL.
Elle est arrivée en Syrie en mai 2013 avec son mari et ses quatre
enfants.
C'est également en mars 2014 que la mère d'Assia, la fillette de 23
mois emmenée par son père depuis octobre 2013 en Syrie, lance de
nombreux appels pour être entendue.
Sahra, une adolescente de 17 ans originaire de Lézignan-Corbières
(Aude), aurait fugué et rejoint la Syrie à partir du 11 mars. Elle
aurait embarqué à Marignane dans un vol pour la Turquie. Le 14
mars, elle confirme à son frère qu'elle est dans la région d'Alep.
Sahra, qui pratiquait l'islam depuis au moins un an, avait
apparemment bien préparé son départ.
Sur le même modèle, une jeune lycéenne de 16 ans, à la double
nationalité française et algérienne, habitant à Troyes, est
signalée probablement partie en Syrie par ses parents le 8 avril
2014. Radicalisée en quelques mois, elle aurait reçu, comme Sahra,
une somme d'argent en liquide d'un intermédiaire pour payer son
voyage.
Elle est finalement arrêtée en Allemagne avant d'avoir pu rejoindre
la Syrie.
Un
recrutement continu dans les premiers mois de 2014
France
Info interroge, en février 2014, deux Français partis se battre
en Syrie : Abou Chaak, 24 ans, et Abou Dahouk, 26 ans. Ils se
disent originaires de la région parisienne, combattent alors dans la
région d'Alep et appartiennent à l'EIIL. Dahouk fait partie des
premiers Français arrivés en Syrie, dès le début 2013 ; il
envisage non pas de revenir en France pour commettre des attentats
mais de mourir en « martyr » sur la terre
syrienne.
En mars, Seif al-Qalam, un jeune homme de 27 ans lui aussi originaire
de la région parisienne, qui a combattu pour l'EIIL avant de rallier
le front al-Nosra (il est arrivé sur place en juillet 2013 avec
femme et enfants), prétend que ce dernier groupe comprend une
brigade entièrement composée de Français (une centaine d'hommes ?)
dont il ferait partie. Ce seraient les Français qui auraient imposé
cette solution pour des raisons de compréhension linguistique. Ces
hommes souhaitent avant tout combattre en Syrie et ne s'en
prendraient à la France que si celle-ci menait des opérations
contre eux.
Mi-février, Bilel, un licencié en économie et sapeur-pompier
volontaire de Grenoble, est tué dans les combats à Homs. Il était
parti en Syrie en juillet 2013 avec son frère et plusieurs autres
volontaires français pour le djihad ; il s'était manifestement
radicalisé après une rupture amoureuse. Sur place, il rejoint le
front al-Nosra et prend le nom de guerre de Abou Siddiq Al-Tounsi.
Le 22 mars 2014, un Français, Sylvain Decker, est arrêté par la
police marocaine à Rabat. Il faisait partie d'un réseau de
recrutement pour le djihad, notamment en Syrie, qui oeuvrait à la
fois en Espagne et au Maroc.
Un projet d'attentat terroriste dû à un vétéran du djihad syrien
est probablement déjoué dans le sud-est de la France. La DCRI avait
découvert, le 17 février 2014, 900 grammes d'explosifs dans un
immeuble près de Cannes, point de chute d'un membre de la cellule
Cannes-Torcy arrêté quelques jours plus tôt. Le jeune homme,
Ibrahim B., était parti pour la Syrie en septembre 2012, avec deux
autres personnes, échappant ainsi au coup de filet de la DCRI sur la
cellule. Abdelkader T., un des deux compagnons d'Ibrahim, est arrêté
en Italie le 16 janvier 2014. Ibrahim B. serait revenu ce même fois
en France, après avoir combattu comme les autres au sein du front
al-Nosra. Le 11 février, il est arrêté dans l'immeuble où sont
découverts plus tard les explosifs.
Fin avril 2014, un jeune homme âgé d'une vingtaine d'années, qui
se prétend ancien militaire français dans un régiment d'infanterie
parachutiste, est vu dans une vidéo postée sur Youtube.
Le 30 avril, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve indique
que 285 Français se trouvent actuellement en Syrie, et s'inquiète
d'une augmentation de 75% de ce total en quelques mois. Une centaine
de djihadistes seraient revenus en France et 5 auraient été tués.
Le lendemain, un Algérien de 37 ans, résident régulier en France,
est expulsé car soupçonné de recruter dans l'Hexagone pour le
djihad en Syrie. Il a été arrêté par la Turquie à bord d'un bus
emmenant un groupe de Français vers la Syrie. Il était proche de
deux autres hommes habitant en Savoie, comme lui, connus pour avoir
participé aux filières d'acheminement de volontaires en Afghanistan
et condamnés en février 2011.
Le
plan du gouvernement français : une opération de
communication ?
Le
23 avril 2014, le gouvernement français dévoile un plan pour lutter
contre le départ de jeunes gens en Syrie, notamment pour tenter
d'assurer une détection précoce de potentiels candidats au djihad.
Ce plan prévoit enfin une cellule de crise pour les parents,
accueillis par des professionnels, et envisagerait la réintroduction
de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs (mesure
finalement écartée). Le renseignement humain et la cybersécurité
seront mises à contribution pour détecter les personnes
susceptibles de se radicaliser.
Cependant, Wassim Nasr, journaliste spécialiste des djihadistes, ces
mesures interviennent dix ans trop tard. Il ne croit pas à
l'efficacité de la plateforme de signalement mise en place pour les
parents. Il plaide aussi pour ne plus traiter le phénomène comme un
problème criminel ; et en effet, les profils sont très variés,
trop pour être réduits à ce postulat, d'autant que comme il le
souligne, tous les candidats au départ ne comptent pas forcément
revenir en France pour commettre des attentats. Le problème est
aussi politique, et lié à la position de l'Etat français sur le
conflit syrien.
David Thomson, journaliste à RFI et auteur d'un ouvrage sur les
djihadistes français parus en mars 2014,
confirme que les profils sont très divers. Si les motivations de
départ sont tout aussi variées, le djihad en Syrie est sans
précédent dans l'histoire contemporaine, pour la France, en raison
de la facilité d'accès à ce champ de bataille et à l'emploi des
réseaux sociaux. Il explique comment un premier contingent d'une
vingtaine de Français, arrivés à partir de fin 2011 et en 2012, a
réalisé un appel d'air via les réseaux sociaux et entraîné cet
afflux massif que l'on constate en particulier depuis l'an passé. Il
confirme également qu'il existe une brigade de Français au sein du
front al-Nosra. Le rapport des djihadistes aux réseaux sociaux et à
des biais différents de ceux des djihads précédents fait toute la
difficulté de la prévention du phénomène et même de son suivi en
cas de retour du djihadistes sur le sol français. La seule ligne
jaune à ne pas franchir, selon lui, ce sont les menaces d'attaques
sur le territoire national : à ce moment-là, le gouvernement
intervient mais préfère autrement surveiller ces réseaux sociaux,
ces forums ou ces sites qui sont aussi des sources de renseignement.
D'ailleurs le net des djihadistes, qui passent par de nombreux
réseaux sociaux, est quasiment impossible à contrôler. Le seul
effet positif qu'il voit dans le plan du gouvernement est la création
d'une cellule à destination des parents, qui il est vrai, arrive
bien tard.
Le plan du gouvernement ferait donc surtout état d'une stratégie de
communication, après que celui-ci ait sous-estimé le problème en
2011 et ait préféré peut-être voir les jeunes volontaires partir
se battre en Syrie plutôt que de commettre des attentats sur le sol
français.
D'après RTL, la plateforme de signalement du gouvernement a
enregistré 24 candidats au départ en Syrie, en dix jours, dans 16
départements : 8 femmes et 16 hommes, âgés de 14 à 34 ans. 5
de ces 16 personnes sont effectivement parties.
Pour
David Thomson, les djihadistes français partent pour assumer un
djihad défensif, contre le régime de Bachar el-Assad, mais aussi
parce qu'ils croient à la prophétie musulmane de la fin du monde,
l'apocalypse, qui doit se dérouler en Syrie (pays de Cham). Il n'y a
pas de portrait type du djihadiste français puisque si certains sont
issus des quartiers défavorisés des grandes villes, d'autres
viennent de la campagne et n'ont jamais rencontré un musulman.
Beaucoup sont délinquants, mais pas tous, certains étant
parfaitement insérés dans le tissu social. Le seul dénominateur
commun est le rôle d'Internet et des réseaux sociaux. Ceux-ci ont
permis de banaliser le message du djihad et de l'étendre à un
public plus large, plus jeune, pas forcément musulman. La plupart
des djihadistes le deviennent en autodidacte, via le net.
Les premiers Français partis en 2011-2012 sont passés par le
Maghreb, notamment la Tunisie, à un moment où il n'y avait pas
encore de « réseau » organisé. Aujourd'hui le
trajet est plus direct, via un vol vers la Turquie et une prise en
charge à la frontière par les rebelles, sans qu'il y ait de réseaux
d'acheminement forcément organisés. Sur place, ils retrouvent des
Français, souvent des convertis récents comme eux, et peuvent
s'intégrer par exemple à la brigade française au sein du front
al-Nosra où l'on trouve plusieurs figures importantes du djihad
médiatique sur les réseaux sociaux. Les Français qui partent
cherchent avant tout à vivre dans une terre d'islam « authentique »
ou à mourir en martyr. Mais certains, déçus, peuvent repartir,
comme cela est arrivé pour les deux adolescents toulousains en
janvier 2014. Les femmes partent pour les mêmes raisons, elles ne
combattent pas même si elles apprennent à se servir d'armes comme
l'AK-47 pour se défendre. Ces femmes peuvent épouser un aspirant
djihadiste avant de partir, partir en famille si elles sont mariées
de longue date avec l'un d'entre eux, ou obtenir une promesse de
mariage en Syrie. Contrairement aux nombreuses rumeurs qui ont
circulé sur la toile, il n'y a pas de « djihad sexuel »,
mais un djihad matrimonial. Pour David Thomson, il y a une différence
entre les Français qui combattent avec le front al-Nosra, et qui
privilégieraient pour l'instant le combat contre le régime syrien
et la mort en martyr, et ceux de l'EIIL, qui envisagent pour certains
des attentats sur le sol français.
Pour Gilles Keppel, le salafisme présent en France dans certaines
cités, comme à Roubaix et d'autres villes, témoigne d'un « djihad
du pauvre », avec des personnes faisant souvent la confusion
entre monde virtuel et monde réel. Souvent, un environnement
familial ou local à tendance salafiste préexiste à l'incarcération
en prison. Enfin, la cause du djihad syrien attire à elle un public
beaucoup plus large, parfois au-delà du groupe musulman, comme le
disait aussi David Thomson.
Le
13 mai 2014, 6 djihadistes de retour de Syrie sont interpellés dans
le quartier de la Meinau, à Strasbourg (un des lieux de recrutement
éminents du djihad syrien et une place historique du djihad en
France) par la DGSI, avec le soutien du RAID et du GIPN. Ces
arrestations visent des jeunes gens d'origine maghrébine ou turque
qui avaient prétendu partir en vacances à Dubaï, via l'Allemagne,
alors qu'en réalité ils avaient rejoint des camps d'entraînement
dans le sud de la Turquie.
Cette opération est probablement un signal donné par les autorités
françaises aux djihadistes et, selon un spécialiste du
renseignement et du terrorisme,
elle vise à décourager les vocations d'apprentis-djihadistes pas
encore radicalisés, et probablement aussi à faire du renseignement
sur lesdits djihadistes, pour mettre à jour les informations
disponibles, cerner les profils, etc. Ces personnes faisaient partie
d'un groupe d'une douzaine parti en Syrie au mois de décembre 2013.
Deux frères sont morts sur place.
A la fin mai 2014, la presse française révèle que Souad Merah, la
soeur de Mohamed Merah, s'est envolée pour la Turquie avec ses
quatre enfants, pour rejoindre son compagnon présent sur place.
Début
juin 2014, François Hollande annonce que plus de 30 Français partis
se battre en Syrie ont été tués.
C'est également début juin qu'est annoncée la mort de Chaquir
Maaroufi,
alias Abou Shaheeed, un jeune Français de 30 ans membre de l'EIIL.
Originaire des Pyrénées-Atlantiques, il avait rejoint la Syrie dans
la seconde moitié de 2013, probablement via le Maroc, où il était
parti en 2011 après avoir été condamné en France pour des faits
de délinquance.
Abou Shaheed était une figure du recrutement pour le djihad syrien
sur les réseaux sociaux.Mi-juin, le gouvernement français expulse
un nouveau recruteur pour le djihad en Syrie, un Tunisien de 28 ans
qui opérait dans la région de Grenoble. Ahmed B., basé dans un
quartier sensible de Grenoble, le Village Olympique, salafiste bien
connu, envoyait les jeunes gens en Tunisie, où ceux-ci étaient
formés avant de partir en Syrie.
A la même période, une adolescente d'Argenteuil, dans le
Val-d'Oise, âgée d'à peine 14 ans, est soupçonnée de s'être
rendue en Syrie, après un processus de radicalisation récent qui
n'a pas éveillé l'attention de ses parents.
Fin juin, la DGSI interpelle deux Nîmois et une femme à Avignon -un
autre, peut-être en Syrie, a échappé au coup de filet- impliqués
dans une filière d'acheminement des Français dans le pays. Deux des
hommes visés sont par ailleurs impliqués dans une affaire
criminelle, le meurtre d'un jeune homosexuel dont le corps avait été
retrouvé en juillet 2011. Cette filière aurait envoyé une
vingtaine de Nîmois en Syrie rien que pour l'année 2013.
Le
28 juin, un jeune Niçois de 17 ans, qui a combattu au sein du front
al-Nosra avant de revenir en France, est arrêté et mis en examen
pour «homicide volontaire et association de malfaiteurs en relation
avec une entreprise terroriste » . Après qu'il soit parti avec
son frère de 23 ans, son père, Abderazak Cherif, était parti le
chercher à la frontière turco-syrienne après l'avoir convaincu,
via Facebook, de renoncer au djihad. Il est arrêté sur
l'accusation d'un autre djihadiste revenu en France qui précise
qu'il a participé à une exécution, en Syrie.
Le 9 juillet, le ministre de l'Intérieur français, Bernard
Cazeneuve, présente un nouveau projet de loi pour renforcer
l'arsenal juridique antiterroriste, et fournit de nouveaux chiffres
officiels sur la participation des Français au djihad syrien. Le
phénomène concernerait désormais 870 personnes, dont deux tiers
inconnus des services de police avant leur départ. La moyenne d'âge
serait de 26 ans. Mais le total comprend aussi 140 femmes, dont 54
présentes en Syrie et 30 en Turquie. Ces femmes partent parfois avec
leurs enfants (7 mineurs, tandis que 8 autres sont partis en Syrie
par leurs propres moyens). Deux tiers des volontaires sont des
Français, le dernier tiers étant constitué de résidents, des
étrangers munis d'une carte de séjour. Sur le total, 20% des hommes
sont des convertis récents à l'islam, tout comme un tiers des
femmes. Il n'y aurait que 15 vétérans des djihads précédents.
Pour
David Thomson, la moitié des Français qui combattent au sein de
l'Etat Islamique (nouveau nom de l'EIIL depuis le 29 juin dernier)
sont d'abord chargés de recruter d'autres volontaires via les
réseaux sociaux. Cette propagande est efficace et elle a fait ses
preuves, permettant d'attirer les premiers contingents français sur
place. Contrairement à d'autres djihadistes comme les Britanniques,
qui utilisent d'autres plate-formes pour fotidiurnir de véritables
« guide du djihadiste », les Français restent
surtout cantonnés à Facebook. Ils fournissent des conseils
pratiques pour se rendre en Syrie et d'autres précisions sur la vie
quotidienne sur le champ de bataille. D'après Thomson, le
resserrement de la position des autorités français oblige désormais
les djihadistes à un peu plus de discrétion. Les Français ne
servent pas seulement de « vitrine » à l'Etat
Islamique, comme les autres combattants étrangers, mais participent
bien aux opérations militaires (progressivement), aux
attentats-suicides (en Irak) et même à la police des territoires
conquis.
On
en sait aussi désormais un peu plus sur le jeune Cannais arrêté en
février dernier, Ibrahim Boudina, qui aurait préparé un attentat
sur le sol français. Boudina, membre de la cellule Cannes-Torcy,
avait gagné la Turquie avant l'opération des autorités françaises.
Il a combattu dans le front al-Nosra puis est passé à l'EIIL. Sa
radicalisation, assez évidente, a pourtant laissé de marbre sa
famille, alors que les enquêteurs le considèrent comme l'un des
plus déterminés du groupe.
A la fin juin, et en dépit de l'affrontement entre l'Etat Islamique
et les autres groupes rebelles, le recrutement pour le djihad syrien
en France n'a en rien perdu de sa vigueur. Le numéro vert mis en
place pour signaler les cas potentiels de départ a enregistré 192
appels depuis avril, dont 36 personnes qui sont probablement parties
en Syrie. 84 de ces appels (44%) concernent des femmes.
Le 19 juillet, le Franco-Marocain Abu Abdallah Guitone, alias Abou
Tamima, membre de l'Etat Islamique, exhorte dans une vidéo
d'Al-Hayat (le média officiel de l'Etat Islamique) en français les
Occidentaux à venir combattre pour l'EI et de prêter allégeance à
son calife. Le
22 juillet 2014, deux hommes et une femme sont arrêtés à Albi,
dans le Tarn. Deux d'entre eux auraient séjourné en Syrie entre
avril et mai 2014 et l'un d'entre eux serait un possible recruteur
pour le djihad. La cellule évoluait entre Albi et Toulouse et était
suivie depuis septembre 2013
Le
25 juillet 2014, une photo du corps d'Abou Abdallah Guitone est mise
en ligne par l'Etat Islamique. Le djihadiste franco-marocan a été
tué dans l'assaut sur la base de la division 17, au nord de la ville
de Raqqa, tenue par le régime et assiégée depuis longtemps.
Guitone avait rejoint le futur Etat islamique en mars 2013. Il était
l'un des principaux propagandistes du groupe car il maîtrisait
plusieurs langues (français, arabe, espagnol, un peu d'anglais). Il
faisait partie du groupe français présent à Raqqa, bastion de
l'Etat Islamique en Syrie. Guitone diffusait de nombreuses photos et
vidéos donnant une image idéalisée de la vie du djihadiste en
Syrie, à des fins évidentes de recrutement.
|
Le corps d'Abou Abdallah Guitone, tué dans l'assaut de la base de la division 17 près de Raqqa. |
|
Le soleil, les plages du lac Assad près de Raqqa... et le drapeau de l'EI ainsi qu'un de ses slogans tracés dans le sable. Guitone était l'une des figures du recrutement au djihad pour l'EI. |
Conclusion
Il
est difficile de formuler des hypothèses quant à l'avenir du
recrutement français pour le djihad syrien, notamment parce que les
chiffres sont incertains, peut-être plus encore que pour d'autres
contingents, en particulier européens. La situation plus difficile
de l'insurrection face au régime, depuis l'accord sur les armes
chimiques de septembre 2013, et les affrontements entre rebelles,
notamment ceux dirigés contre l'EIIL, ne semblent pas avoir tari le
recrutement. Les Français, comme d'autres, se dirigent
majoritairement vers les groupes les plus radicaux, liés à
al-Qaïda, comme le front al-Nosra et surtout l'EIIL, qui bien que
marginalisé dans le dispositif d'al-Qaïda par les affrontements
récents, n'en demeure pas moins un acteur important sur le terrain.
On peut donc s'inquiéter à la fois de la difficulté à suivre des
départs souvent spontanés, délicats à anticiper, et du retour de
personnes aguerries sur les champs de bataille syriens et qui
souhaiteraient prolonger leur combat en France. Néanmoins, il faut
aussi noter qu'une partie des volontaires, comme dans d'autres pays,
était impliquée de longue date dans les réseaux djihadistes, et
qu'elle était surveillée préalablement, d'où, d'ailleurs,
certaines arrestations, à terme. Pour cette catégorie, il est
manifeste que les services de renseignement pourraient procéder, si
besoin, à des coups de filet de plus grande ampleur. Aller en Syrie
ne constitue pas un délit, et il faut accumuler des preuves pour
procéder aux interpellations. Ce qui est inquiétant, c'est la forte
proportion de personnes parfois seules qui s'autoradicalisent par
différents moyens, notamment le web, et qui partent de manière
parfois imprévisible en direction de la Syrie -un voyage qui, comme
on l'a dit, par son caractère aisé, notamment via la Turquie, est
une aubaine pour le djihad. Le défi majeur, c'est que l'évolution
de la nature même du terrorisme islamiste fait que le retour d'une
dizaine de combattants fanatisés seulement pourrait avoir un impact
démesuré, par la création de réseaux, ou même par une action en
solitaire, comme celle de Mohamed Merah. C'est tout l'enjeu, pour les
services de renseignement, d'arriver à dissoudre au mieux ce
phénomène, tâche des plus ardues. Le phénomène des volontaires
français est donc plus complexe qu'il n'y paraît, et il faudra bien
évidemment continuer d'en analyser les évolutions.
Tableau
récapitulatif des estimations officielles fournies par le ministre
de l'Intérieur français, Manuel Valls, puis par son successeur
Bernard Cazeneuve à propos des Français partis se battre en Syrie
(mai 2013-juillet 2014).
| Nombre de
volontaires partis depuis 2011 | Encore sur
place | Revenus | Tués | En transit | Candidats au
départ | Femmes |
Mai 2013 | 120 | 50 | 30 |
| 40 |
|
|
Septembre 2013 |
| 130 | 50 | 10 | 40 | 100 |
|
Octobre 2013 |
| 184 | 80 | 14 |
|
|
|
Décembre 2013 | +400 | 184 | 80 | 14 |
| 100 |
|
Janvier 2014 | 700 | 250 | 76 | 26 |
| 150 |
|
Avril 2014 |
| 285 | 100 | 25 | 120 |
|
|
Juillet 2014 | 870 |
|
|
|
|
| 140 |