Les
Libyens sont, en 2011, alors que l'insurrection syrienne se
militarise, encore occupés par leur propre guerre contre Kadhafi. Ce
n'est qu'à la fin de l'année que les premières connexions entre la
Libye et la Syrie se font jour. En novembre, après la chute de
Kadhafi, le gouvernement provisoire libyen reconnaît en premier
l'opposition politique syrienne comme seule interlocutrice et propose
des armes, et même des combattants, au Conseil National Syrien. De
nombreux Libyens souhaitent déjà à ce moment-là se battre contre
le régime syrien, qui a soutenu Kadhafi1.
Ce même mois, Abdulhakim Belhadj, ancien membre du Groupe Islamique
Combattant en Libye, rencontre des représentants de l'Armée
Syrienne Libre en Turquie. Il propose d'envoyer des combattants pour
former les rebelles libyens2.
Dès
le mois de février 2012, le gouvernement libyen reconnaît ne pas
pouvoir endiguer le départ de volontaires libyens vers la Syrie. 3
jeunes hommes de Misurata sont ainsi tués au combat en Syrie ce
mois-là3.
Al-Mahdi al-Harati, l'ancien chef de la brigade révolutionnaire de
Tripoli, est parti avec 30 Libyens. Il dirige Liwaa al-Umma, une
brigade comprenant des Libyens, d'autres volontaires du monde arabe
et des défecteurs de l'armée du régime syrien4.
Les Libyens viennent fournir un encadrement aux rebelles syriens,
qu'ils voient mal armés, désorganisés et désunis5.
Dès le mois d'août, il est probable que plusieurs centaines de
Libyens combattent en Syrie. Dans l'autre sens, Khaldun, un
lieutenant déserteur du régime syrien, est envoyé en Libye pour
acheter des munitions (Liwaa al-Umma est probablement financée par
le Qatar)6.
De nombreux volontaires libyens viennent de Gharyan, à 80 km au sud
de Tripoli7.
A droite, Al-Mahdi al-Harati. |
En
2013, l'attention se focalise d'abord sur Houssam al-Najjar, un
binational libyen/irlandais, sniper auteur d'un livre sur son
combat en Libye, et qui est parti rejoindre la brigade d'Harati8.
D'anciens commandants rebelles libyens organisent des expéditions
d'armes vers la Syrie, notamment de missiles sol-air SA-7 pour
contrer l'action de l'aviation du régime9.
En décembre, selon une étude d'Aaron Zelin, les Libyens figurent en
2ème place pour le nombre de tués parmi les combattants étrangers
aux côtés de l'insurrection syrienne (201 morts au moins). La
plupart viennent de Derna, Tripoli et Benghazi10.
Ce même mois, une étude l'ICSR place la fourchette haute des
départs de Libyens vers la Syrie à 556, en 5ème place au total
derrière la Jordanie, l'Arabie Saoudite, la Tunisie et le Liban11.
Houssam al-Najjar, alias "Irish Sam", en position sur un toit à Alep, août 2012. |
En
mai 2014, avant même la naissance de l'Etat Islamique, le centre
Meir Amit évoque le chiffre d'un millier de Libyens partis pour la
Syrie. Certains Libyens ont formé en décembre 2012 une nouvelle
brigade, Katibat al-Battar, qui s'aligne avec l'EIIL apparu en avril
2013 (ancêtre de l'EI). Cette brigade combat dans les provinces de
Lattaquié, Idlib et même Deir-es-Zor12.
Elle13
a des liens avec Ansar al-Sharia en Libye14.
Un autre groupe composé de combattants libyens, Kataib
al-Muhajireen, a été créé à l'été 2012 et combat dans la
province de Lattaquié. Les fondateurs viennent d'Ansar al-Sharia, et
participent à la grande offensive de Lattaquié à l'été 2013,
avant de rallier le front al-Nosra en décembre de la même année15.
Même au moment où l'EIIL doit faire face à l'offensive de groupes
rebelles syriens puis au conflit ouvert avec le front al-Nosra, des
Libyens continuent de partir pour rejoindre ses rangs, alors que
d'autres sont déjà revenus en Libye16.
Ce sont probablement des combattants de Katibat al-Battar, envoyés
par l'EI, qui ont permis d'instaurer la loi de l'organisation à
Derna et de rallier cette ville libyenne à l'EI en novembre 201417.
En août, Harati, revenu quant à lui en Libye, est élu maire de
Tripoli18.
Emblème de Katibat al-Battar al-Libi, la brigade libyenne de l'EI. |
L'étude
de l'ICSR parue en janvier 2015 montre cependant une stagnation du
contingent libyen puisqu'elle estime à seulement 600 le nombre de
Libyens partis se battre en Syrie et en Irak19.
Mais comme le rappelle The Soufan Group, les provinces
orientales de la Libye ont une longue tradition du djihad : al-Qaïda
en Irak y avait recruté de nombreux kamikazes (les Libyens formaient
manifestement le deuxième contingent étranger de l'organisation
derrière les Saoudiens). L'islamisme radical y est présent depuis
l'arrivée des Frères Musulmans chassés d'Egypte par Nassar, puis
suite à la persécution orchestrée par Kadhafi. Le Groupe Islamique
Combattant en Libye s'était nourri de cette persécution et du
retour de vétérans libyens du djihad afghan pour entamer une
véritable guérilla contre le dictateur en 1995-199820.
2015 voit aussi le déclin d'Ansar al-Sharia en Libye, le groupe
islamiste qui avait attaqué le consulat américain à Benghazi le 11
septembre 2012. Le groupe avait lancé un processus élaboré de dawa
mais a dû privilégier l'action militaire après l'offensive du
général Haftar contre les groupes islamistes de l'est libyen en mai
2014. Il a été affaibli par la mort de son chef, Muhammad
al-Zahawi, confirmée en janvier 2015, et par l'implantation de l'EI
en Libye à partir de novembre 201421.
Pour Small Arms Survey, il y a eu de fait trois vagues de
combattants libyens en Syrie : les premiers derrière Harati, partis
pour aider la révolution syrienne mais qui sont revenus après avoir
constaté les difficultés au sein de l'insurrection ; une première
vague de combattants inspirés par des motifs religieux, parmi
lesquels Abu Abdallah al-Libi ; et une dernière vague constituée
des recrues d'Ansar al-Sharia, entraînées dans des camps à Derna
ou Benghazi. Le flot se serait relativement selon l'étude après le
mois de mai 201422.
1http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/syria/8917265/Libyas-new-rulers-offer-weapons-to-Syrian-rebels.html
2http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/libya/8919057/Leading-Libyan-Islamist-met-Free-Syrian-Army-opposition-group.html
3http://www.ft.com/cms/s/0/0976ef5e-5248-11e1-a155-00144feabdc0.html#axzz3y62VAaMa
4http://edition.cnn.com/2012/07/28/world/meast/syria-libya-fighters
5http://uk.reuters.com/article/uk-syria-crisis-rebels-idUKBRE87D06M20120814
6http://world.time.com/2012/08/27/libyas-fighters-export-their-revolution-to-syria/
7http://www.ipsnews.net/2012/09/libyan-weapons-arming-regional-conflicts/
8http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2013/03/irish-sam-hossam-al-najjar-soldier-libya-syria-book.html#
9http://foreignpolicy.com/2013/07/10/comrades-in-arms/
10http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/foreign-jihadists-in-syria-tracking-recruitment-networks
11http://icsr.info/2013/12/icsr-insight-11000-foreign-fighters-syria-steep-rise-among-western-europeans/
12http://www.terrorism-info.org.il/Data/articles/Art_20646/E_013_14_873825825_830074808.pdf
13http://www.aymennjawad.org/14708/muhajireen-battalions-in-syria-part-two
14http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/syria-the-epicenter-of-future-jihad
15http://www.aymennjawad.org/14708/muhajireen-battalions-in-syria-part-two
16http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/libyans-war-without-end-battle-hardened-soldiers-who-ousted-gaddafi-recruited-to-help-jihadis-in-9580080.html
17http://www.haaretz.com/middle-east-news/1.625652
18http://www.independent.ie/irish-news/news/dublin-dad-elected-as-mayor-of-tripoli-in-libya-30492455.html
19http://icsr.info/2015/01/foreign-fighter-total-syriairaq-now-exceeds-20000-surpasses-afghanistan-conflict-1980s/
20http://soufangroup.com/tsg-intelbrief-the-international-hotbeds-of-the-islamic-state/
21http://www.hudson.org/research/11197-the-rise-and-decline-of-ansar-al-sharia-in-libya
22http://www.smallarmssurvey.org/fileadmin/docs/G-Issue-briefs/SAS-SANA-IB3-Foreign-Fighters.pdf