Excellent choix de sujet que Saladin de la part de la collection Ils ont fait l'histoire de Glénat/Fayard. Le personnage, objet de nombre de récupérations contemporaines, reste finalement assez peu connu en langue française, et mérite probablement cet éclairage de vulgarisation.
On trouve à la manoeuvre, côté historien, Julien Loiseau, agrégé d'histoire, ancien membre de l'Ifao, maître de conférences en histoire de l'islam à l'université Montpellier-3.
La bande dessinée se présente au fond comme une "histoire-bataille" retravaillée, ainsi que l'indique le making of à la fin du dossier en fin de volume. La guerre est devenue un métier et charpente l'économie et la société. La difficulté d'un portrait historique de Saladin tient à ce que ses biographes l'ont présenté comme le souverain musulman idéal. C'est cette image que les historiens s'efforcent depuis de décortiquer.
La BD prend le parti de brosser l'ensemble de la vie de Saladin, ce qui est probablement la meilleure solution. Né à Tikrit, aujourd'hui en Irak, en 1137 ou 1138, Saladin vient au monde dans un monde musulman divisé. Le père et l'oncle sont au service de l'émir de Mossoul, Zengi, qui reprend en 1144 le comté d'Edesse aux croisés et dont le fils Nur-ad-Din poursuit son oeuvre. Saladin est un Kurde, à une époque où ce sont surtout les Turcs qui tiennent le haut du pavé dans le monde militaire musulman. La chance de Saladin, c'est l'affaiblissement du califat chiite du Caire. Envoyé avec son oncle, qui meurt prématurément, Saladin devient vizir puis élimine le dernier des califes fatimides. Il prend en main l'Egypte et continue de défendre l'orthodoxie sunnite, par exemple contre la secte des Assassins. Les chrétiens ne sont donc qu'un adversaire parmi d'autres. Nur ad-Din meurt en 1174 après avoir quasiment réunifié la Syrie, mais son héritage est dispersé. Saladin prend la suite du sultan en jouant sur le djihad pour fédérer les musulmans. Néanmoins, il lui faut dix années, jusqu'en 1185, pour s'emparer de l'ancienne capitale du sultan et de Mossoul, subissant entretemps plusieurs échecs contre les croisés (comme Montgisard en 1177). La campagne de 1187, la victoire de Hattin et la reconquête de Jérusalem font entrer Saladin dans la légende. Même les échecs ultérieurs ne l'estompent pas. Mort en 1193, l'héritage de Saladin est lui aussi fragmenté mais si les Ayyoubides règnent jusqu'en 1260. Saladin a néanmoins fait de l'Egypte la clé de la victoire en Syrie-Palestine.
Excellent volume qu'on ne se lasse pas de relire.