Juillet 1944. Les Soviétiques attaquent les positions défensives de l'Armee Abteilung Narva sur la ligne Tannenberg, en Estonie. Karl Tammik (Kaspar Velberg) combat avec ses camarades de la 20ème division de la Waffen-SS, recrutée parmi les Estoniens. Les pertes sont lourdes en repoussant les vagues d'assaut de l'Armée Rouge. Les Estoniens sont finalement contraints de se replier, sous le feu des avions soviétiques. La section de Tammik décide finalement de se retrancher sur la route pour bloquer les avant-gardes soviétiques au lieu de rejoindre Tallinn. Les SS tendent une embuscade à une colonne blindée soviétique, qui se révèle en fait être un élément du 8ème corps estonien de l'Armée Rouge (249ème division de fusiliers). Tammik est tué par Jüri Jögi (Kristjan Üksküla), un soldat estonien combattant pour les Soviétiques. Ce dernier récupère sur le cadavre une lettre que Karl avait écrite pour sa soeur. A Tallinn, il se met à la recherche de celle-ci pour lui remettre la lettre...
Sujet délicat que l'Estonie durant la Seconde Guerre mondiale. Indépendant entre 1918 et 1939, le pays a été annexé par les Soviétiques en 1940, qui y ont exercé leur loi. Puis, les nazis sont arrivés avec Barbarossa et certains Estoniens ont vécu cette entrée comme une libération, allant pour certains jusqu'à s'engager dans les rangs de la Waffen-SS pour combattre aux côtés du IIIème Reich, alors que d'autres étaient enrôlés dans l'Armée Rouge. La libération de l'Estonie à l'automne 1944 mit parfois face-à-face, dans les deux camps, des Estoniens. Mais c'est l'URSS qui sort victorieuse de la guerre et l'Estonie s'y retrouve incorporée, de nouveau, jusqu'à la chute du bloc soviétique 45 ans plus tard. On s'explique que la mémoire de cette époque soit conflictuelle.
Le réalisateur Elmo Nüganen choisit de contourner l'obstacle : son film se veut clairement une oeuvre de réconciliation. Au lieu de parler de la guerre elle-même et de la place de l'Estonie dans le conflit, il s'intéresse aux Estoniens. D'où ce jeu de miroirs entre les Estoniens servant dans la Waffen-SS et ceux du 8ème corps estonien de l'Armée Rouge. Nüganen présente des Estoniens qui sont entrés dans la Waffen-SS de manière volontaire : la plupart combattent pour défendre l'Estonie contre une invasion qu'il juge étrangère, d'autres sont davantage anticommunistes, mais un des camarades de Tammik, dans le film, pérore dans un moment d'énervement que leur combat est de toute façon perdu. Les SS Estoniens n'ont que peu d'estime pour le gouvernement collaborateur dont un représentant vient leur annoncer que les Estoniens appartiennent bien à la race aryenne (sic) avant de leur donner des photos dédicacées d'Hitler... est-ce à dire que le réalisateur est parfaitement complaisant ? Pas vraiment. Les Estoniens combattent aux côtés de Danois de la Waffen-SS qui leur ressemblent ; Nüganen insère dans l'escouade de Tammik deux frères jumeaux dont l'un est rapidement abattu par un tireur d'élite soviétique. Des jumeaux : le symbole de ce destin si ambivalent des Estoniens, puisque le survivant finit dans l'Armée Rouge.
L'Armée Rouge, qui apparaît d'abord informe, avec ses vagues humaines et ses chars taillées en pièces, au début du film, par les Estoniens. Avec ses Il-2 qui mitraillent les colonnes de civils, alors que les SS Estoniens tentent de les sauver -les milices formée à la hâte pour défendre le pays étant en pleine débandade. Et puis il y a cette scène magnifique : les SS Estoniens tendent une embuscade à une colonne soviétique, composée d'autres Estoniens. Tout le monde se fige : les SS survivants se retirent. Dans la réalité, une telle scène est-elle crédible ? Reste la beauté de l'oeuvre cinématographique. Tammik est tué. Le récit passe alors à son meurtrier, Juri, déboussolé parce qu'il a abattu un Estonien. A l'image des trappeurs de la taïga qui ont servi aux SS un dernier repas avant leur combat et qui prennent les Estoniens soviétiques pour des combattants au service de l'Allemagne... Juri retrouve à Tallinn la soeur de Tammik, et lui remet la lettre. Naît aussi une idylle. Plane sur lui la sombre menace du commissaire politique de l'unité, qui ne comprend pas pourquoi le capitaine de compagnie a épargné les SS estoniens, ni pourquoi Juri est si bouleversé. Les combats sur l'île de Saaremaa, en septembre 1944, finissent par donner aux combats un caractère inexpiable, y compris entre Estoniens. La scène finale, prévisible, vient néanmoins clore un film qui touche son sujet, au final, avec un certain brio. Malgré un faible budget -qui n'empêche pas la qualité de la reconstitution), le réalisateur délivre un message de réconciliation entre Estoniens, même si on peut critiquer l'authenticité de certaines scènes de combat (notamment la première où une poignée d'Estoniens défait une vague d'assaut soviétique) ou des partis pris un peu caricaturaux (comme le commissaire politique estonien).